Numéro 3 - Mars 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2019

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

2e Civ., 7 mars 2019, n° 17-25.855, (P)

Cassation partielle

Dommage – Réparation – Indemnité – Montant – Fixation – Eléments pris en considération – Allocation d'éducation de l'enfant handicapé (non)

Dommage – Réparation – Indemnité – Montant – Fixation – Eléments pris en considération – Allocation aux adultes handicapés (non)

L'allocation aux adultes handicapés, qui est dépourvue de caractère indemnitaire, ne peut être prise en compte pour évaluer les pertes de gains professionnels de la victime.

Dommage – Réparation – Déficit fonctionnel permanent – Indemnisation – Incidence professionnelle – Cumul – Exclusion – Cas – Victime mineure

Une cour d'appel relève exactement que la privation de toute activité professionnelle, pour une victime mineure au moment des faits, est prise en compte au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel inclut la perte de qualité et les troubles ressentis dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, et en déduit à bon droit qu'il n'y a pas lieu de retenir l'existence d'une incidence professionnelle distincte de la perte de revenus déjà indemnisée.

Dommage – Réparation – Déficit fonctionnel permanent – Indemnisation – Préjudice scolaire, universitaire ou de formation – Cumul

Le préjudice scolaire, universitaire ou de formation constitue un poste de préjudice distinct du déficit fonctionnel permanent. Dès lors, encourt la cassation l'arrêt d'une cour d'appel qui retient que l'impossibilité pour la victime d'avoir un cursus scolaire est déjà prise en compte par l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent.

Dommage – Réparation – Préjudice corporel – Préjudice esthétique permanent – Préjudice distinct – Préjudice esthétique temporaire – Portée

Le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent. Dès lors, encourt la cassation l'arrêt d'une cour d'appel qui retient que le préjudice définitif retenu par l'expert se confond avec le préjudice esthétique temporaire et qu'il n'y a pas lieu de prévoir une indemnisation distincte pour la période antérieure à la consolidation.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. G... R..., alors âgé de 4 mois, a été hospitalisé en urgence dans la nuit du 24 au 25 janvier 1996 ; que les médecins ont constaté la présence d'un hématome sous-dural dont il a conservé d'importantes séquelles ; que la plainte déposée par son père a été classée sans suite le 14 mai 1996 ; que M. T... R... et son épouse, Mme J... R..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leurs enfants mineurs, G..., Z... et H... R... (les consorts R...) ont, le 15 juillet 2010, saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (la CIVI) d'une demande d'indemnisation de leurs préjudices ; qu'une expertise ordonnée en cause d'appel a conclu que les lésions présentées par M. G... R... étaient imputables à des violences de type « bébé secoué » ; que M. et Mme R..., en qualité de tuteurs de leur fils G..., et de représentant légal de leur fils K..., sont intervenus volontairement à l'instance, de même que Mme Z... R..., devenue majeure ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt de débouter M. G... R... de sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de l'incidence professionnelle, alors, selon le moyen, que le juge doit réparer tout le préjudice sans qu'il résulte ni perte ni profit pour la victime ; que l'incidence professionnelle a pour objet d'indemniser la réparation des incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle ; que ce poste de préjudice doit faire l'objet d'une estimation et d'une indemnisation, y compris pour les jeunes victimes qui ne sont pas entrées dans la vie active ; qu'il ne se confond pas avec le déficit fonctionnel permanent, qui n'est relatif qu'aux incidences permanentes sur les fonctions du corps humain ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a rejeté la demande d'indemnisation au titre de l'incidence professionnelle en considérant que « la privation de toute activité professionnelle est d'ores et déjà prise en compte par l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent, fixé en tenant compte du très lourd handicap imputable à l'infraction »; qu'en refusant ainsi toute indemnisation de l'incidence professionnelle, après avoir constaté qu'il n'était pas contestable que G... R... ne pourrait jamais exercer d'emploi, au motif erroné que l'incidence professionnelle était déjà réparée par l'indemnisation du déficit fonctionnel, la cour d'appel a violé les articles 706-3 et 706-9 du code du procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

Mais attendu qu'après avoir fixé par voie d'estimation la perte de gains professionnels futurs de M. G... R... liée à l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle, la cour d'appel a exactement relevé que la privation de toute activité professionnelle était prise en charge au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel inclut la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, pour en déduire à bon droit qu'il n'y avait pas lieu de retenir l'existence d'une incidence professionnelle distincte de la perte de revenus déjà indemnisée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le sixième moyen du pourvoi principal :

Attendu que les consorts R... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables pour cause de forclusion les demandes indemnitaires formées par M. et Mme R... à titre personnel ainsi que pour leurs enfants mineurs, frères et soeurs de la victime, alors, selon le moyen, qu'à peine de forclusion, la demande d'indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction ; que la commission relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime ; qu'en l'espèce, les consorts R... sollicitaient le relevé de forclusion en faisant valoir qu'au mois de janvier 1996, les médecins avaient été dans l'impossibilité de déterminer les troubles de G... avec certitude, et que le syndrome dit du « bébé secoué » n'était pas suffisamment identifié au regard des données acquises de la science à l'époque, ce qui les avait placés dans l'impossibilité de savoir, avec certitude, que leur fils avait été victime de faits délictueux leur ouvrant droit à réparation ; qu'en se bornant à énoncer, pour considérer que les consorts R... ne justifiaient pas d'un motif légitime de relevé de forclusion, que différents avis médicaux évoquaient l'origine traumatique des lésions présentées par G... dès l'année 1996 et étaient connus des consorts R..., sans caractériser, comme elle y était invitée, à quelle date les données acquises de la science médicale permettaient de poser, avec certitude, le diagnostic du syndrome du « bébé secoué », seul élément de nature à établir à quelle date les consorts R... avaient pu acquérir la certitude qu'une infraction avait été commise à l'encontre de leur fils G... et d'agir en conséquence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 706-5 du code de procédure pénale ;

Mais attendu qu'ayant constaté que dans un certificat établi le 31 mai 1996, après la troisième hospitalisation de G..., le médecin indiquait que la récidive des hématomes sous-duraux avec saignement sur une zone fragilisée ne pouvait être spontanée et qu'il suspectait que ces saignements étaient d'origine traumatique (enfant secoué par exemple) et fait ressortir que M. et Mme R... avaient saisi la CIVI avant qu'ils n'aient eu de certitude sur l'origine des lésions, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a souverainement déduit qu'ils étaient dès l'année 1996, en mesure de faire valoir leurs droits, ce qui excluait qu'ils puissent être relevés de la forclusion ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le septième moyen du pourvoi principal :

Attendu que les consorts R... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables pour cause de forclusion les demandes indemnitaires formées par M. et Mme R... à titre personnel, en tant que représentants légaux de leurs enfants mineurs, alors, selon le moyen, qu'à peine de forclusion, la demande d'indemnité doit être présentée à la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) dans un délai de trois à compter de la date de l'infraction ; que, sous l'empire du droit antérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, ce délai ne commençait pas à courir contre les mineurs non émancipés ou les majeurs sous tutelle ; qu'en application de l'article 26 II de la loi du 17 juin 2008, les dispositions de la loi nouvelle qui réduisent la durée de la prescription ne s'appliquent aux prescriptions en cours qu'à compter du jour de l'entrée en vigueur de cette loi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré irrecevable comme forclose la demande d'indemnité formée le 15 juillet 2010 par M. et Mme R... en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs Z... et H..., puis celle complémentaire formée au nom de leur dernier fils K..., né le [...], après avoir considéré que cette demande avait été formée plus de trois ans après la connaissance de la commission d'une infraction, en 1996 ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que le délai n'avait pas pu courir à l'encontre des enfants de M. et Mme R..., mineurs à l'époque des demandes d'indemnités formées à l'égard de la CIVI, la cour d'appel a violé les articles 706-5 du code de procédure pénale, 2252 ancien du code civil, 2220 nouveau du code civil et l'article 26 II de la loi du 17 juin 2008 ;

Mais attendu qu'il ne ressort ni des énonciations de l'arrêt ni des conclusions des parties que les consorts R... avaient soutenu que le délai de forclusion n'avait pu courir à l'encontre de Z..., H..., et K... R... pendant leur minorité en application des textes antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ;

D'où il suit que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit, et comme tel irrecevable ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches :

Vu les articles 706-9 du code de procédure pénale, L. 511-1, L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que la CIVI tient compte, dans le montant des sommes allouées à la victime au titre de la réparation de son préjudice des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs au titre du même préjudice ;

Attendu qu'il résulte des derniers que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire ;

Qu'en effet, dès lors que cette allocation est due à la personne qui assume la charge d'un enfant handicapé dont l'incapacité permanente est au moins égale à un taux déterminé, qu'elle est destinée à compenser les frais d'éducation et de soins apportés par cette personne à l'enfant jusqu'à l'âge de 20 ans, qu'elle est fixée, sans tenir compte des besoins individualisés de l'enfant, à un montant forfaitaire exprimé en pourcentage de la base de calcul mensuelle des allocations familiales, cette prestation à affectation spéciale, liée à la reconnaissance de la spécificité des charges induites par le handicap de l'enfant, constitue une prestation familiale et ne répare pas un préjudice de cet enfant ;

Attendu que pour fixer à une certaine somme le préjudice lié au besoin d'assistance par une tierce personne de M. R... jusqu'au 20 octobre 2014, date de la consolidation, l'arrêt retient que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et le complément à cette allocation accordé pour l'enfant atteint d'un handicap dont la nature ou la gravité exige des dépenses particulièrement coûteuses ou nécessite le recours fréquent à l'aide d'une tierce personne, revêtent un caractère indemnitaire dès lors qu'elles ne sont pas attribuées sous condition de ressources et que, fixées en fonction des besoins individualisés de l'enfant, elles réparent certains postes de préjudice indemnisables ; que par application de l'article 706-9 du code de procédure pénale, doit être déduite de l'indemnité allouée, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé qui a été versée à hauteur de 21 567,35 euros pendant la période concernée ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 706-9 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que pour fixer à une certaine somme la perte de gains professionnels futurs de M. G... R..., l'arrêt retient que cette perte peut être évaluée sur la base d'un revenu mensuel de 1 200 euros, étant observé qu'il s'est vu attribuer une allocation adulte handicapé qui s'élevait à 807,65 euros au 8 janvier 2016 dont il doit être tenu compte ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'allocation aux adultes handicapés, qui est dépourvue de caractère indemnitaire, ne pouvait être prise en compte pour évaluer les pertes de gains professionnels de la victime, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;

Et sur le quatrième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que pour débouter M. G... R..., représenté par ses tuteurs, M. et Mme R..., de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice scolaire, universitaire ou de formation, l'arrêt retient que l'impossibilité pour celui-ci d'avoir un cursus scolaire est d'ores et déjà prise en compte par l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice scolaire, universitaire ou de formation constitue un poste de préjudice distinct du déficit fonctionnel permanent et qu'il ressortait de ses propres constatations que la victime était dans l'impossibilité de suivre une scolarité, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;

Et sur le cinquième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que pour débouter M. G... R..., représenté par ses tuteurs, M. et Mme R..., de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice esthétique temporaire, l'arrêt retient que le préjudice définitif décrit par l'expert se confond intégralement avec le préjudice esthétique temporaire et qu'il n'y a pas lieu dès lors de prévoir une indemnisation distincte pour la période antérieure à la consolidation ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent, et qu'il ressortait de ses propres constatations l'existence d'une altération de l'apparence de la victime avant la date de la consolidation de son état de santé, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Vu les articles 706-4, 706-9 et R. 50-24 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que la CIVI alloue des indemnités aux victimes, qui sont versées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) ; qu'il n'appartient pas à la CIVI ou à la cour d'appel de condamner le FGTI à verser ces indemnités ;

Attendu que l'arrêt condamne le FGTI à payer à M. G... R..., représenté par ses tuteurs, M. et Mme R..., des indemnités ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le FGTI ne pouvait qu'être tenu au versement des indemnités ainsi fixées, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé les préjudices patrimoniaux de M. G... R... relatifs aux frais de tierce personne jusqu'au 20 octobre 2014 à la somme de 1 591 460,65 euros et ceux relatifs à la perte de gains professionnels futurs, à la somme de 643 709 euros, débouté M. G... R..., représenté par ses tuteurs, M. et Mme T... R..., de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice scolaire, universitaire ou de formation et du préjudice esthétique temporaire, et en ce qu'il a prononcé la condamnation du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions au paiement d'une somme globale de 3 549 021,51 euros, et d'une rente annuelle et viagère, l'arrêt rendu le 11 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Touati - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 706-9 du code de procédure pénale ; articles L. 511-1, L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale ; article 706-9 du code de procédure pénale ; articles 706-3 et 706-9 du code de procédure pénale ; article 706-3 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur les critères du caractère indemnitaire des prestations visées à l'article 706-9 du code de procédure pénale, à rapprocher : 2e Civ., 13 février 2014, pourvoi n° 12-23.731, Bull. 2014, II, n° 40 (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur l'absence de prise en compte de l'allocation adulte handicapé dans l'évaluation de pertes de gains professionnels, à rapprocher : 2e Civ., 14 mars 2002, pourvoi n° 00-12.716, Bull. 2002, II, n° 47 (cassation). Sur le caractère distinct du préjudice esthétique temporaire par rapport au préjudice esthétique permanent, à rapprocher : Crim., 18 février 2014, pourvoi n° 12-87.629, Bull. crim. 2014, n° 43 (cassation).

3e Civ., 21 mars 2019, n° 18-10.772, (P)

Cassation partielle

Faute – Agent immobilier – Vente d'immeuble – Mandataire d'une des parties – Efficacité juridique de la convention à l'égard des deux parties – Vérification – Nécessité

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 octobre 2017), que, le 22 décembre 2012, M. et Mme G... ont consenti à M. et Mme Y..., par l'intermédiaire de l'agence immobilière En Appart'Et, une promesse de vente d'un immeuble qui a été notifiée le même jour, en application de l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation ; que, le 31 juillet 2013, le notaire chargé de la rédaction de l'acte authentique de vente a dressé un procès-verbal de difficultés constatant le défaut de consentement à la vente des acquéreurs qui avaient exercé leur droit de rétractation ; que M. et Mme G... les ont assignés, ainsi que l'agent immobilier, en paiement de la clause pénale stipulée à la promesse et en indemnisation de leurs préjudices ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. et Mme G... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes contre les acquéreurs, alors, selon le moyen :

1°/ que les actes du mandataire apparent engagent le mandant, comme s'ils émanaient directement de celui-ci, de sorte que la signature apposée par un tel mandataire sur l'accusé de réception de la notification d'une promesse de vente prévue à l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation suffit à établir que la promesse a été personnellement notifiée à l'acquéreur ; que dès lors, en affirmant, pour juger que la signature par M. Y... de l'accusé de réception de la notification de la promesse destinée à son épouse était privée d'effet et refuser de rechercher si ce dernier n'était pas titulaire d'un mandat apparent l'autorisant à recevoir une telle notification au nom de son épouse, qu'à supposer même que M. Y... ait pu être considéré par La Poste comme investi d'un tel mandat, il ne pouvait être tenu pour certain que l'acte sous seing privé avait été notifié à Mme Y..., la cour d'appel a violé les articles 1984 et 1998 du code civil, ensemble l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation ;

2°/ que la croyance légitime dans le pouvoir de représentation de celui qui paraît agir au nom et pour le compte d'un tiers permet d'engager ce tiers sur le fondement du mandat apparent ; qu'en se contentant d'énoncer, pour juger que M. Y... n'avait pas signé l'avis de réception de la notification de la promesse litigieuse destinée à son épouse en qualité de mandataire, que l'avis de réception de la poste prévoyait qu'en cas de signature par un mandataire, le nom et le prénom de celui-ci étaient indiqués et que l'avis de réception litigieux ne précisait pas le nom et le prénom du signataire, sans rechercher si le fait que la poste se soit déchargée de la lettre recommandée destinée à Mme Y..., en acceptant que M. Y... appose sa signature sur l'avis de réception, n'avait pas donné à la société En Appart'Et et aux époux G... la croyance légitime que M. Y... avait reçu le pouvoir de son épouse de se faire délivrer la lettre en son nom, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et 1998 du code civil ;

3°/ que le délai de rétractation de sept jours prévu à l'article L. 271-1 code de la construction et de l'habitation commence à courir à compter du lendemain de la première présentation de la lettre recommandée avec avis de réception ayant notifié à l'acquéreur la promesse de vente ; qu'en retenant, pour juger que le délai de rétractation n'avait pas commencé à courir à l'égard des époux Y... et qu'en conséquence, la promesse de vente litigieuse devait être annulée par l'effet de leur rétractation, que M. Y... avait signé le 26 décembre 2012 les avis de réception de la notification de la promesse de vente destinés tant à lui-même qu'à son épouse et qu'il n'était pas certain que cette dernière en ait reçu notification, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que le délai de rétractation avait commencé à courir, à tout le moins, à l'égard de M. Y... le 26 décembre 2012 (au plus tard), et a violé l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation ;

4°/ que dans leurs conclusions d'appel, les époux G... soutenaient que les époux Y... avaient commis une faute en taisant pendant plusieurs mois les difficultés qu'ils rencontraient pour financer l'acquisition du bien litigieux et leur décision de ne plus acquérir celui-ci, en les laissant ainsi notamment engager des frais inutiles et irréversibles pour leur nouveau logement ; qu'en se contenant de retenir, pour écarter toute faute des époux Y..., que le délai de rétractation prévu par l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation n'avait pas commencé à courir à leur égard, sans répondre au moyen opérant dont elle était saisie tiré de la faute des époux Y... à avoir maintenu pendant plusieurs mois les époux G... dans l'ignorance de leur situation et de leur décision de ne plus acquérir le bien, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la notification de la promesse de vente par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, prévue par l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation, n'est régulière que si la lettre est remise à son destinataire ou à un représentant muni d'un pouvoir à cet effet ; qu'ayant retenu que, l'avis de réception de la lettre de notification adressée à Mme Y... le 22 décembre 2012 étant revêtu de la signature de M. Y..., sans précision du nom et prénom du signataire, celui-ci n'avait pas signé en qualité de mandataire de son épouse et qu'il n'était pas certain que la promesse avait été notifiée à Mme Y..., la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à des recherches sur l'existence d'un mandat apparent que ses constatations rendaient inopérantes, que le délai de rétractation n'avait pas couru à l'égard de Mme Y... avant l'exercice, par celle-ci, de ce droit et a légalement justifié sa décision annulant le contrat ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que, pour rejeter la demande de M. et Mme G... contre l'agent immobilier, l'arrêt retient que la société En Appart'Et, en sa qualité de mandataire des vendeurs et de rédacteur de l'avant-contrat, a notifié à chacun des époux acquéreurs, séparément et dans les formes prévues par l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation, l'avant-contrat du 22 décembre 2012 et que, ce faisant, l'agent immobilier a rempli sa mission, laquelle n'incluait pas la vérification des signatures apposées sur les avis de réception ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombait à l'agent immobilier de vérifier la sincérité, au moins apparente, de la signature figurant sur l'avis de réception de la lettre recommandée adressée aux acquéreurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme G... contre la société En Appart'Et, l'arrêt rendu le 27 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Farrenq-Nési - Avocat général : M. Kapella - Avocat(s) : SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation.

Rapprochement(s) :

Sur la notification de la promesse de vente aux époux acquéreurs, à rapprocher : 3e Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-15.361, Bull. 2010, III, n° 114 (cassation) ; 3e Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-14.503, Bull. 2010, III, n° 120 (rejet). Sur la nécessité, pour l'intermédiaire professionnel, de s'assurer de la réunion de toutes les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de la convention, à rapprocher : 1re Civ., 14 janvier 2016, pourvoi n° 14-26.474, Bull. 2016, I, n° 10 (cassation), et les arrêts cités ; 1re Civ., 14 février 2018, pourvoi n° 17-10.514, Bull. 2018, III, n° 28 (cassation).

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