Numéro 3 - Mars 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2019

REFERE

Com., 27 mars 2019, n° 17-23.104, (P)

Cassation sans renvoi

Applications diverses – Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs – Décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 – Dépôt des candidatures et des offres – Modalités – Simple courrier électronique – Exclusion

L'article 14 du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005, en ce qu'il dispose que toutes les mesures techniques nécessaires, notamment, au cryptage et à la sécurité des données, doivent être prises de telle façon que personne ne puisse avoir accès aux données transmises par les candidats avant les dates limites de réception des candidatures et des offres et que toute violation de cette interdiction soit facilement détectable, exclut, en procédure formalisée, le recours à un simple courrier électronique.

Applications diverses – Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Procédure – Intérêt à agir – Personnes lésées par un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence – Détermination

Il résulte des articles 5 et 6 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et des articles 13 et 14 du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 que, lorsque l'entité adjudicatrice recourt à un mode de communication qui ne garantit pas l'intégrité et la confidentialité des offres, le manquement à cette obligation, en ce qu'il est susceptible d'avantager un concurrent, cause nécessairement grief à tous les candidats, même à ceux ayant pu déposer leur offre dans les mêmes conditions que leurs concurrents.

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue en la forme des référés par le président d'un tribunal de grande instance, que la société Francotyp-Postalia France (la société Francotyp-Postalia) a participé, en tant que mandataire d'un groupement momentané d'entreprises (le groupement), à une consultation mise en oeuvre par la société La Poste, entité adjudicatrice, visant à la conclusion, par voie de procédure négociée, d'un accord-cadre dont l'objet était ainsi défini : « Achat et location des systèmes à affranchir destinés à assurer l'affranchissement de lots de courriers déposés par des clients occasionnels ou réguliers de La Poste sur plus de 150 sites de tri en France continentale, Corse, Monaco, et départements d'Outre-Mer » ; qu'après avoir été admis à participer aux deux premières phases de la consultation, le groupement a été informé que son offre n'avait pas été retenue ; que la société Francotyp-Postalia a saisi le juge du référé précontractuel en lui demandant d'ordonner la suspension de toute décision se rapportant à la consultation et d'enjoindre à la société La Poste de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, qui est recevable :

Vu l'article 6 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et les articles 13 et 14 du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société Francotyp-Postalia, qui invoquait la méconnaissance, par l'autorité adjudicatrice, de l'obligation de recourir à une plate-forme sécurisée comme le prévoyait le règlement de consultation, l'ordonnance retient que cette société n'invoque aucun fondement textuel pertinent dès lors que la société La Poste n'avait pas d'obligation légale d'utiliser une plate-forme sécurisée de dématérialisation, l'article 5 de l'arrêté du 14 décembre 2009 prévoyant simplement que le dépôt des candidatures et des offres transmises par voie électronique ou par support physique électronique donne lieu à un accusé de réception, et relève que l'article IV du règlement de consultation autorisait l'entité adjudicatrice à modifier les modalités de consultation ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors que l'article 14 du décret du 20 octobre 2005 dispose que toutes les mesures techniques nécessaires, notamment, au cryptage et à la sécurité des données, doivent être prises de telle façon que personne ne puisse avoir accès aux données transmises par les candidats avant les dates limites de réception des candidatures et des offres et que toute violation de cette interdiction soit facilement détectable, ce qui exclut, en procédure formalisée, le recours à un simple courrier électronique, le juge du référé précontractuel, qui a admis le recours à ce mode de communication, a violé les textes susvisés ;

Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 6 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et les articles 13 et 14 du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 ;

Attendu que pour statuer comme elle fait, après avoir exactement rappelé que, selon l'article 5 de l'ordonnance n° 2009–515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, les personnes habilitées à agir pour mettre fin au manquement de l'entité adjudicatrice à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements, l'ordonnance relève que la société Francotyp-Postalia a pu déposer son offre dans les mêmes conditions que ses concurrents ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, lorsque l'entité adjudicatrice recourt à un mode de communication qui ne garantit pas l'intégrité et la confidentialité des offres, le manquement à cette obligation, en ce qu'il est susceptible d'avantager un concurrent, cause nécessairement grief à tous les candidats, le juge du référé précontractuel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties ;

Attendu que le contrat ayant été conclu, il n'y a plus lieu à référé précontractuel ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue en la forme des référés le 28 juillet 2017, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT qu'il n'y a plus lieu à référé précontractuel.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Gauthier - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles 13 et 14 du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 ; article 6 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ; articles 5 et 6 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ; articles 13 et 14 du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005.

2e Civ., 21 mars 2019, n° 18-10.019, (P)

Rejet

Sauvegarde d'éléments de preuve avant tout procès – Conditions – Absence de saisine du juge du fond

Une instance en liquidation d'une astreinte pendante devant un juge de l'exécution fait obstacle à ce qu'une partie saisisse un juge des référés, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour solliciter une mesure d'instruction destinée à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre l'issue du litige pendant devant le juge de l'exécution.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 octobre 2017), qu'à la suite d'inondations subies par M. et Mme G... sur leur propriété, M. M... a été condamné, par un jugement du 30 juillet 2013 confirmé par un arrêt du 11 septembre 2014, à supprimer, sous astreinte, un mur de clôture et un remblai édifiés en limite du fonds de M. et Mme G... ; que par un jugement d'un juge de l'exécution du 23 mai 2017, il a été fait droit à la demande de liquidation de l'astreinte qu'ils avaient présentée ; que M. M... en a interjeté appel ; que le 5 décembre 2016, il a assigné M. et Mme G... en référé à fin de voir ordonner une expertise pour faire constater que des travaux réalisés notamment par la commune avaient fait cesser les désordres ;

Attendu que M. M... fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé sur la demande d'expertise et de le condamner à payer à M. et Mme G... les sommes de 800 euros à titre de dommages-intérêts et 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens alors, selon le moyen :

1°/ que la saisine du juge de l'exécution ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre d'une mesure d'instruction in futurum ; que sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, M. M... a sollicité une expertise en invoquant des faits nouveaux sérieux et étayés, constituant un motif légitime qui justifiait la demande d'expertise comme étant susceptibles de modifier l'appréhension des causes et des possibilités d'inondation sur la propriété de ses voisins tels qu'ils avaient été présentés au tribunal d'instance et à la cour d'appel, qui l'ont condamné à détruire son mur ; qu'en écartant la demande d'expertise au motif qu'une procédure au fond était en cours, alors qu'au jour où elle a statué, seule une procédure d'appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance du juge de l'exécution était en cours, qui ne constitue pas une procédure au fond et portait uniquement sur liquidation de l'astreinte, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

2°/ que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; que pour justifier sa demande d'expertise, M. M... a invoqué des faits postérieurs à l'arrêt l'ayant condamné à détruire son mur et son remblai, à savoir des travaux de voirie de grande ampleur réalisés par le département du Var et par la commune de [...], préconisés par le bureau d'études hydraulique qu'il avait consulté et qui critiquait les conclusions de l'expert judiciaire ; qu'en rejetant la demande d'expertise sans préciser en quoi ces éléments ne constituaient pas un motif légitime d'établir la preuve de faits pouvant démontrer que les aménagements de la voirie suffisaient à éviter l'inondation de la propriété de M. et Mme G..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;

3°/ que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice ; que M. M... a invoqué des circonstances nouvelles susceptibles de modifier l'appréciation des causes de l'inondation de la propriété de M. et Mme G..., et donc des travaux propres à y remédier ; qu'en refusant de prendre en compte ces circonstances nouvelles comme pouvant fonder une nouvelle procédure dont l'objet serait de déterminer si les travaux de voirie réalisés par la ville de département permettaient d'écarter la possibilité d'inondation de la propriété de M. et Mme G..., la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, qu'une instance en liquidation d'une astreinte pendante devant un juge de l'exécution fait obstacle à ce qu'une partie saisisse un juge des référés, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour solliciter une mesure d'instruction destinée à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre l'issue du litige pendant devant le juge de l'exécution ;

Et attendu, ensuite, qu'ayant retenu que l'instance en liquidation de l'astreinte faisait obstacle à ce que l'expertise sollicitée soit ordonnée en référé, c'est sans priver sa décision de base légale ni violer les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en droit en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Boulloche ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles L. 131-3 et R. 131-2, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, du code des procédures civiles d'exécution ; article 145 du code de procédure civile.

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