Numéro 3 - Mars 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2019

PROPRIETE INDUSTRIELLE

Com., 27 mars 2019, n° 18-15.005, (P)

Rejet et cassation

Brevets d'invention – Règles d'action en justice – Saisie-contrefaçon – Devoir d'impartialité – Expert assistant l'huissier – Conseil en propriété industrielle ayant un rapport décrivant les caractéristiques du produit incriminé à l'initiative de la partie requérante – Désignation – Validité

Le fait que le conseil en propriété industrielle de la partie qui a été autorisée à faire pratiquer une saisie-contrefaçon ait, à l'initiative de celle-ci, établi un rapport décrivant les caractéristiques du produit incriminé ne fait pas obstacle à sa désignation ultérieure, sur la demande du saisissant, en qualité d'expert pour assister l'huissier dans le cadre d'une saisie-contrefaçon de brevet, sa mission n'étant pas soumise au devoir d'impartialité et ne constituant pas une expertise au sens des articles 232 et suivants du code de procédure civile.

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société JC Bamford Excavators Limited que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société Manitou BF ;

Reçoit la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et l'Association des conseils en propriété industrielle en leur intervention volontaire accessoire au soutien des prétentions de la société JC Bamford Excavators Limited ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société de droit britannique JC Bamford Excavators Limited (la société JCB), spécialisée dans la conception et la fabrication d'engins de travaux publics ou agricoles, a confié à deux conseils en propriété industrielle (CPI) la réalisation de tests sur une machine Manitou suspectée de contrefaçon, puis, s'appuyant sur le rapport d'expertise privée qu'ils ont déposé, décrivant les caractéristiques du matériel examiné, a assigné la société Manitou BF (la société Manitou) en contrefaçon des revendications 1 à 12 de la partie française du brevet européen n° 1 532 065 et 1 à 4, 6 à 10 et 13 de la partie française du brevet européen n° 2 263 965 dont elle est titulaire et obtenu, sur requête, une ordonnance l'autorisant à faire pratiquer, par un huissier assisté des mêmes CPI désignés comme experts, une saisie-contrefaçon portant sur le modèle examiné, dans les locaux de cette société ; que la société Manitou a formé une demande de rétractation de cette ordonnance ;

Attendu qu'en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 7-1 de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle et son application aux faits de l'espèce, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens du pourvoi incident éventuel :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour rétracter l'ordonnance du 2 juin 2017 et ordonner l'annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon, la restitution des éléments saisis, la destruction immédiate par la société JCB du procès-verbal de saisie-contrefaçon et de l'ensemble des copies des éléments saisis, et interdire à la société JCB d'utiliser ou de communiquer, quelle que soit la procédure en France ou à l'étranger, le procès-verbal de saisie-contrefaçon, ainsi que les éléments saisis, l'arrêt relève que MM. M... et E... ont été désignés à deux reprises dans le même litige en contrefaçon opposant la société JCB à la société Manitou, d'abord pour procéder, à la demande de la société JCB, à des tests sur un véhicule Manitou qui ont donné lieu au dépôt d'un rapport d'expertise privée décrivant les caractéristiques du matériel examiné, puis, par ordonnance du 2 juin 2017 les désignant comme « experts judiciaires », pour assister l'huissier instrumentaire au cours des opérations de saisie-contrefaçon portant notamment sur le matériel examiné au cours de l'expertise privée ; qu'il retient qu'à l'évidence, des CPI ne peuvent, sans qu'il soit nécessairement porté atteinte au principe d'impartialité exigé par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, être désignés comme experts par l'autorité judiciaire alors qu'ils étaient antérieurement intervenus comme experts pour le compte de l'une des parties dans la même affaire relative à des faits de contrefaçon de brevet portant sur le même matériel ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le fait que le conseil en propriété industrielle de la partie saisissante ait, à l'initiative de celle-ci, établi un rapport décrivant les caractéristiques du produit incriminé ne fait pas obstacle à sa désignation ultérieure, sur la demande du saisissant, en qualité d'expert pour assister l'huissier dans le cadre d'une saisie-contrefaçon de brevet, sa mission n'étant pas soumise au devoir d'impartialité et ne constituant pas une expertise au sens des articles 232 et suivants du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

Rejette le pourvoi incident ;

Et sur le pourvoi principal :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Le Bras - Avocat général : Mme Beaudonnet - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer ; Me Bertrand ; SCP Coutard et Munier-Apaire -

Textes visés :

Articles 232 et suivants du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Com., 8 mars 2005, pourvoi n° 03-15.871, Bull. 2005, IV, n° 53 (cassation sans renvoi).

Com., 13 mars 2019, n° 17-10.861, (P)

Cassation

Marques – Dépôt – Examen de la demande – Décision du directeur de l'INPI – Recours – Recevabilité – Conditions – Détermination – Transmission par voie électronique – Possibilité

L'envoi ou la remise au greffe de la cour d'appel, en application de l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, de la déclaration de recours formé contre la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) rendue à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien d'un titre de propriété industrielle, et, le cas échéant, de l'exposé des moyens déposé dans le mois suivant la déclaration, peuvent être effectués conformément aux dispositions du titre vingt et unième du livre premier du code de procédure civile relatives à la communication par voie électronique et au sens de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010.

Pour la formalisation, dans le cadre de la mise en oeuvre de la communication électronique, du recours prévu par l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, le destinataire de la déclaration de recours à laquelle est jointe la décision attaquée, et des moyens déposés dans le mois suivant la déclaration, est le greffe de la cour d'appel.

Sauf à ce qu'il ait consenti à son utilisation conformément à l'article 748-2 du code de procédure civile et dans les conditions posées par l'article 748-6 du même code, le directeur général de l'INPI ne peut pas recevoir par la voie électronique la déclaration de recours, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associés.

Sur le moyen unique, après avis de la deuxième chambre civile sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile :

Vu les articles R. 411-21 et R. 411-22 du code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 748-1, 748-2, 748-3 et 748-6 du code de procédure civile et 1er de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel ;

Attendu que l'envoi ou la remise au greffe de la cour d'appel, en application de l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, de la déclaration de recours formé contre la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) rendue à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien d'un titre de propriété industrielle, et, le cas échéant, de l'exposé des moyens déposé dans le mois suivant la déclaration, peuvent être effectués conformément aux dispositions du titre vingt-et-unième du livre premier du code de procédure civile relatives à la communication par voie électronique et au sens de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010 ; que pour la formalisation, dans le cadre de la mise en oeuvre de la communication électronique, du recours prévu par l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, le destinataire de la déclaration de recours à laquelle est jointe la décision attaquée, et des moyens déposés dans le mois suivant la déclaration, est le greffe de la cour d'appel ; que, sauf à ce qu'il ait consenti à son utilisation conformément à l'article 748-2 du code de procédure civile et dans les conditions posées par l'article 748-6 du même code, le directeur général de l'INPI ne peut pas recevoir par la voie électronique la déclaration de recours, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associés ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Groupe Go sport (la société Go sport) a déposé à l'INPI une demande d'enregistrement de la marque verbale française « courir », pour désigner divers produits et services en classe 35 ; que par décision du 8 avril 2016, le directeur général de l'INPI a rejeté cette demande ; que la société Go sport a formé un recours contre cette décision par la voie du « réseau privé virtuel avocat » (RPVA), selon notification électronique reçue le 3 mai 2016 par le greffe, qui l'a dénoncée au directeur général de l'INPI, par lettre recommandée du 13 mai 2016 avec demande d'avis de réception signé le 26 mai 2016 ;

Attendu que pour déclarer le recours irrecevable, et après avoir relevé, d'abord, que si le recours par voie électronique n'est pas expressément proscrit par l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle et si la voie dématérialisée peut être assimilée à l'écrit dans les matières où elle est autorisée, l'usage de ce type de communication, dans un cadre procédural où il n'est pas imposé par une disposition spéciale, doit répondre aux prescriptions impératives des articles 748-1 et suivants du code de procédure civile et, ensuite, que, la procédure ouverte sur le recours formé devant la cour d'appel contre les décisions du directeur général de l'INPI en matière de délivrance, rejet ou maintien des titres de propriété industrielle étant une procédure orale sans représentation obligatoire, l'envoi d'un acte de procédure par la voie électronique ne peut, conformément à l'article L. 748-2 de ce code, constituer un mode de transmission valable qu'autant que le destinataire y a expressément consenti, l'arrêt retient que tel n'est pas le cas en l'espèce, dans la mesure où l'INPI n'est pas adhérent au RPVA et n'a pas consenti à l'utilisation de la voie électronique dans le cadre du litige particulier l'opposant à la société Go sport ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

- Président : Mme Riffault-Silk (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Darbois - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle ; articles 748-2 et 748-6 du code de procédure civile.

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