Numéro 3 - Mars 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2019

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

1re Civ., 27 mars 2019, n° 17-24.242, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Equité – Egalité des armes – Violation – Défaut – Cas – Décision du Conseil des ventes volontaires de meubles – Recours devant la cour d'appel de Paris – Assistance à l'audience du commissaire du gouvernement auprès du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et du ministère public

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2017), que, par décision du 13 janvier 2017, le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (le CVV) a prononcé contre la société D... G..., opérateur de ventes volontaires (l'OVV), une interdiction définitive d'exercer l'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, et contre M. D... G..., commissaire-priseur de ventes volontaires (le commissaire-priseur), une interdiction d'exercer cette activité pour une durée de douze mois, et ordonné la publication de la décision sur le site du CVV ainsi que dans deux organes de presse régionale ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'OVV et le commissaire-priseur font grief à l'arrêt de confirmer la décision du CVV, alors, selon le moyen, que l'exigence d'un procès équitable implique qu'en matière disciplinaire, la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision ; qu'en l'espèce, faute de toute mention de l'arrêt indiquant que le conseil du commissaire-priseur et de l'OVV, non comparants, aurait été invité à prendre la parole en dernier, la cour d'appel, qui statuait en matière disciplinaire, a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 459 du code de procédure civile, l'omission ou l'inexactitude d'une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s'il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d'audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées ;

Et attendu que, si l'arrêt ne mentionne pas que l'avocat des personnes poursuivies, non comparantes, a eu la parole en dernier, il ressort cependant de l'extrait du registre d'audience signé du greffier et du président, certifié conforme par le greffier en chef, que tel a été le cas ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que l'OVV et le commissaire-priseur font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que l'exigence d'un procès équitable s'oppose à ce que le commissaire du gouvernement du CVV soit entendu, en plus du ministère public, devant la cour d'appel statuant sur le recours formé contre une décision disciplinaire du CVV ; qu'en l'espèce, en donnant la parole au commissaire du gouvernement du CVV, la cour d'appel a méconnu le principe de l'égalité des armes et violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 24 avril 2003, Yvon c. France, n° 44962/98, § 31), le principe de l'égalité des armes est l'un des éléments de la notion plus large de procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il exige un juste équilibre entre les parties, chacune d'elles devant se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires ;

Attendu qu'il résulte des articles L. 321-21, R. 321-40 et R. 321-45 du code de commerce que le commissaire du gouvernement auprès du CVV est un magistrat du parquet, nommé par le garde des sceaux, qui a compétence pour saisir ce conseil statuant en matière disciplinaire et ainsi engager des poursuites à l'encontre de l'opérateur de ventes volontaires aux enchères publiques et de la personne habilitée à diriger les ventes ; que, selon l'article R. 321-48 du même code, le commissaire du gouvernement, comme la personne poursuivie et son avocat, est entendu par le CVV, avant que celui-ci ne statue en matière disciplinaire, et n'assiste pas au délibéré ; qu'en application des articles R. 321-40, alinéa 4, et R. 321-49, il peut former, à l'encontre des décisions du CVV, qui lui sont notifiées, le recours prévu à l'article L. 321-23 ; qu'il résulte de ce qui précède que le commissaire du gouvernement auprès du CVV a la qualité de partie à l'instance devant celui-ci statuant en matière disciplinaire ainsi que devant la cour d'appel de Paris statuant sur ledit recours ;

Attendu qu'aux termes de l'article R. 321-53 du code de commerce, le recours est instruit et jugé selon les règles applicables à la procédure sans représentation obligatoire, le ministère public entendu ; qu'il en résulte que le ministère public est partie jointe devant la cour d'appel de Paris statuant sur le recours prévu à l'article L. 321-23 du même code ;

Attendu que, lors de l'examen du recours formé contre les décisions du CVV statuant en matière disciplinaire, le commissaire du gouvernement et le ministère public n'exercent pas les mêmes fonctions ; que le premier engage les poursuites disciplinaires et expose les faits propres à les fonder, tandis que le second fait connaître son avis sur l'application à la personne poursuivie des lois, règlements ou obligations professionnelles applicables aux opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l'article L. 321-4 et aux personnes habilitées à diriger les ventes en vertu du premier alinéa de l'article L. 321-9 ; que, dès lors que l'avis du ministère public ne rejoint pas nécessairement les prétentions du commissaire du gouvernement tendant à voir prononcer des sanctions disciplinaires à l'encontre de la personne poursuivie, l'assistance de l'un et l'autre à l'audience, au cours de laquelle ils sont entendus, ne place pas celle-ci dans une situation de net désavantage par rapport à eux et ne viole donc pas le principe de l'égalité des armes tel qu'il résulte de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que l'OVV et le commissaire-priseur font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que tout manquement à l'obligation de l'opérateur de vente de fournir au vendeur une information loyale et complète sur le lieu où doit se tenir la vente aux enchères des biens confiés, est exclu lorsque les documents remis au vendeur portent l'indication claire d'un tel lieu ; qu'en l'espèce, en retenant que la mention, sur les réquisitions de vente, de l'adresse d'Issoudun aux côtés de l'indication « Harmonie patrimoine hôtel de vente du Centre », et la mention de cette adresse sur un reçu délivré par le commissaire-priseur, étaient insuffisantes à caractériser une information loyale et complète du vendeur quant au lieu où devait se tenir la vente aux enchères des biens confiés, la cour d'appel a violé les articles 1.1.2 et 1.4.2 du recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires, ensemble l'article L. 321-22 du code de commerce ;

2°/ que la peine d'interdiction définitive d'exercice de l'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ne peut, au regard de sa gravité, être prononcée que si le juge disciplinaire constate le caractère insuffisant de toute autre sanction disciplinaire ; qu'en l'espèce, en prononçant une telle sanction à l'encontre de l'OVV, sans constater que toute autre sanction disciplinaire aurait présenté un caractère insuffisant, la cour d'appel a violé l'article L. 321-22 du code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1.1.2., premier alinéa, du recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, tel qu'approuvé par arrêté du 21 février 2012, l'opérateur de ventes volontaires est soumis à un devoir d'information à l'égard de ses clients, vendeurs et acheteurs, et, plus généralement, du public ; que, selon le troisième alinéa du même texte, il informe les clients et le public des conditions générales de la vente, notamment pour ce qui concerne les frais qu'il perçoit auprès de l'acheteur, les modalités de règlement et d'enlèvement des biens achetés et, plus généralement, le déroulement de la vente ;

Qu'il résulte de ce texte que, sous peine de sanction disciplinaire, l'opérateur de ventes volontaires est tenu d'informer le vendeur du lieu où doit se tenir la vente de ses biens aux fins de lui permettre d'apprécier le montant des frais de transport de ceux-ci ;

Attendu que l'arrêt relève que c'est en considération de l'activité de vente aux enchères faussement localisée à Nevers que M. S... a pris contact, au mois de mars 2014, avec le commissaire-priseur, et que ce dernier a reconnu, lors de son audition, ne pas avoir précisé à son client que la vente se déroulerait à Issoudun et non à Nevers, où celui-ci n'exerçait pas son activité ; qu'il retient que l'indication, sur les réquisitions, de la mention : « Harmonie patrimoine hôtel des ventes du centre », accompagnée d'une adresse à Issoudun, est insuffisante à caractériser une information loyale et complète, par la société de vente à son client, de ce que les objets confiés à cette fin et situés à vingt kilomètres de Nevers, où les réquisitions mentionnaient que l'OVV disposait d'un bureau de représentation, allaient être vendus à Issoudun, qui se trouve à cent vingt kilomètres du lieu de réquisition des meubles ; qu'il ajoute que la circonstance que le commissaire-priseur ait délivré, lors de son passage au domicile de la mère du client et de l'enlèvement d'un premier lot, un reçu à M. S... mentionnant son adresse de commissaire-priseur à Issoudun ne constitue pas l'information requise quant au lieu de la vente ; que, de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu déduire que l'OVV avait manqué à son devoir d'information ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt constate, par motifs propres et adoptés, la réitération par l'OVV du manquement à son obligation de loyauté, qui avait déjà été sanctionné par un blâme pour des faits similaires tenant à l'inscription d'activités locales fictives en 2011, constituant une manoeuvre déloyale à l'encontre des autres opérateurs, ainsi que la multiplicité, la répétition et la durée des autres manquements aux obligations déontologiques qui doivent garantir la confiance des vendeurs envers l'opérateur, notamment l'absence de mandat écrit du vendeur et de description précise des objets confiés en vue de la vente, ainsi que le maintien des adresses fictives en cours de procédure ; qu'il relève que l'ensemble de ces manquements constituent un obstacle dirimant à l'exercice de l'activité d'opérateur de ventes volontaires ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé au contrôle de proportionnalité de la sanction, sans être tenue de constater le caractère insuffisant de toute autre sanction disciplinaire que celle qu'elle estimait devoir appliquer, a légalement justifié sa décision de prononcer l'interdiction définitive d'exercer l'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques à l'encontre de l'OVV ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Truchot - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 459 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 321-22 du code de commerce ; articles 1.1.2 et 1.4.2 du recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires ; article L. 321-22 du code de commerce ; articles 1.1.2 et 1.4.2 du recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires.

Rapprochement(s) :

Sur la portée des mentions sur le registre d'audience, à rapprocher : 1re Civ., 14 juin 1988, pourvoi n° 86-19.184, Bull. 1988, I, n° 187 (rejet). Sur la nécessité de donner la parole en dernier à l'avocat de la défense en matière disciplinaire, à rapprocher : 1re Civ., 3 juillet 2013, pourvoi n° 12-23.553, Bull. 2013, I, n° 143 (1) (cassation), et l'arrêt cité ; 1re Civ., 1er juin 2016, pourvoi n° 15-11.243, Bull. 2016, I, n° 125 (2) (cassation). Sur le rôle du commissaire du gouvernement et le respect du principe d'égalité des armes, cf. : CEDH, arrêt du 24 avril 2003, Yvon c. France, n° 44962/98. Sur la responsabilité des opérateurs de ventes volontaires, à rapprocher : 1re Civ., 15 juin 2016, pourvoi n° 15-19.365, Bull. 2016, I, n° 135 (1) (rejet).

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