Numéro 3 - Mars 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2019

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 20 mars 2019, n° 17-19.595, n° 17-19.596, n° 17-19.597, n° 17-19.604, n° 17-19.606, n° 17-19.609, n° 17-19.611, n° 17-19.612, n° 17-19.616, n° 17-19.617 et suivants, (P)

Rejet

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Contenu – Appréciation – Périmètre – Groupe de sociétés – Entreprise dominante – Critères – Détention d'une fraction du capital – Cas – Société de gestion d'un fonds commun de placement à risque – Portée

S'agissant des moyens financiers du groupe, la pertinence d'un plan de sauvegarde de l'emploi doit s'apprécier compte tenu des moyens de l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 2331-1 du code du travail, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.

Selon l'article L. 233-3, I, 1°, du code de commerce, auquel renvoie l'article L. 2331-1 du code du travail, une société est considérée comme en contrôlant une autre lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société.

Une cour d'appel qui constate qu'il n'est pas établi qu'une société de gestion d'un fonds commun de placement à risque détient directement ou indirectement une fraction du capital d'une société holding, en déduit exactement que la société de gestion ne peut être considérée comme contrôlant, par application des dispositions combinées des articles L. 233-3, I, 1°, et L. 233-4 du code de commerce, la filiale de la société holding.

Vu la connexité, joint les pourvois 17-19.595, 17-19.596, 17-19.597, 17-19.604, 17-19.606, 17-19.609, 17-19.611, 17-19.612, 17-19.616, 17-19.617, 17-19.618, 17-19.621, 17-19.622, 17-19.623 et 17-19.624 ;

Donne acte à M. L... de ce qu'il reprend l'instance en qualité de liquidateur judiciaire de la société Finadvance ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Nancy, 7 avril 2017), que la société Intergestion exerçait une activité de distribution en matière de quincaillerie d'ameublement et de bâtiment ; qu'une holding de reprise, la société Interges, a racheté la totalité des parts de la société de développement commercial et industriel, société mère de la société Intergestion ; que le fonds commun de placement à risque Finadvance Capital III, géré par la société Finadvance, a acquis 85 % du capital de la société Interges ; que par jugement du 30 mars 2010, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Intergestion, puis, par jugement du 9 août 2010, a adopté un plan de cession ; que les salariés dont les contrats de travail n'ont pas été transférés ont été licenciés pour motif économique ; que, par jugement du 28 septembre 2010, le tribunal de commerce a placé la société Intergestion en liquidation judiciaire, Mme T... et M. G... étant désignés en qualité de mandataire liquidateur ; que des salariés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes dirigées contre les sociétés Finadvance et Intergestion et tendant à ce que leur licenciement soit jugé nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse du fait de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi et du manquement à l'obligation de reclassement individuel ; que la société Finadvance a été placée en liquidation judiciaire le 18 septembre 2018, M. L... étant nommé liquidateur judiciaire ;

Sur le troisième moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur les premier et deuxième moyens, réunis :

Attendu que les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes en condamnation et en fixation de créance de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi ainsi que du manquement à l'obligation de reclassement individuel, alors, selon le moyen :

1°/ que, lorsque l'entreprise fait partie d'un groupe, la pertinence du plan de sauvegarde de l'emploi doit être appréciée en fonction des moyens financiers de l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 2331-1 du code du travail et par renvoi aux articles L. 233-1, L. 233-3, I et II, et L. 233-16 du code de commerce ; que, selon l'article L. 233-3, I, 1°, dudit code, une société est considérée comme en contrôlant une autre « lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société », et qu'aux termes de l'article L. 233-4 du code de commerce, « toute participation au capital même inférieure à 10 % détenue par une société contrôlée est considérée comme détenue indirectement par la société qui contrôle cette société » ; qu'une société de gestion d'un fonds de commun de placement, lequel est dépourvu de personnalité morale, exerce elle-même le contrôle de la société dont elle a fait acquérir une fraction du capital avec la dotation de ce fonds lorsqu'elle y détient pour le compte de ce dernier la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; qu'en refusant de déduire de la détention de 85 % du capital de la société Interges par le fonds commun de placement FCPR Finadvance Capital III géré par la société Finadvance et de l'exercice par cette société de gestion des droits de vote attachés à ces parts un contrôle de cette société sur la société Interges en question, et par voie de conséquence sur la société Intergestion placée sous le contrôle de cette dernière, au motif inopérant que l'identité des détenteurs du portefeuille de valeurs gérés collectivement au sein du fonds n'était pas connue, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés, ensemble l'article 1134, devenu 1103, du code civil, l'article L. 1235-10 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur, et les articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du même code ;

2°/ en tout état de cause, que, lorsque l'entreprise fait partie d'un groupe, la pertinence du plan de sauvegarde de l'emploi doit être appréciée en fonction des moyens financiers de l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 2331-1 du code du travail et par renvoi aux articles L. 233-1, L. 233-3, I et II et L. 233-16 du code de commerce ; que, selon ce dernier texte, le contrôle exclusif par une société résulte notamment « du droit d'exercer une influence dominante sur une entreprise en vertu d'un contrat ou de clauses statutaires, lorsque le droit applicable le permet », et qu'en vertu de l'article L. 233-4 du code de commerce, « toute participation au capital même inférieure à 10 % détenue par une société contrôlée est considérée comme détenue indirectement par la société qui contrôle cette société » ; qu'il résulte des propres constatations des arrêts qu'en application du pacte d'associés qui organisait les liens entre la société Interges et ses associés, « les liens entre les sociétés Finadvance et Interges (...) étaient des liens de contrôle et de surveillance » et que la société Interges contrôlait la société Intergestion ; qu'en retenant, que la société Finadvance n'exerçait pas de contrôle sur la société Intergestion et qu'elle ne faisait donc pas partie du groupe de sociétés dont les moyens financiers devaient être mobilisés pour l'élaboration et la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de cette société, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu les textes et principes susvisés, ensemble l'article L. 1235-10 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur, et les articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du même code ;

3°/ que, lorsque l'entreprise fait partie d'un groupe, la pertinence du plan de sauvegarde de l'emploi doit être appréciée en fonction des moyens financiers de l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 2331-1 du code du travail et par renvoi aux articles L. 233-1, L. 233-3, I et II et L. 233-16 du code de commerce ; que, selon l'article L. 2331-1, II, du code du travail, l'existence d'une influence dominante est présumée établie, sans préjudice de la preuve contraire, « lorsqu'une entreprise, directement ou indirectement, peut nommer plus de la moitié des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance d'une autre entreprise », et selon l'article L. 233-16, II, 2°, du code de commerce, « le contrôle exclusif par une société résulte (...) de la désignation, pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance d'une autre entreprise » ; qu'aux termes de l'article L. 233-4 du code de commerce, « toute participation au capital même inférieure à 10 % détenue par une société contrôlée est considérée comme détenue indirectement par la société qui contrôle cette société » ; qu'en retenant, pour débouter les salariés de leur demande d'indemnité, que la société Finadvance ne faisait pas partie du groupe de sociétés dont les moyens financiers devaient être mobilisés pour l'élaboration et la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Intergestion, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne revenait pas à la société Finadvance, directement ou indirectement, en application de l'article 9.1 du pacte d'associés de la société Interges en date du 20 juillet 2006, de nommer la totalité des membres du conseil d'administration de cette société, de telle sorte que, sous ce rapport encore, la société Finadvance exerçant une influence dominante présumée, voire un contrôle exclusif sur la société Interges, elle devait être regardée comme détenant indirectement la totalité du capital de la société Intergestion que détenait celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes et principes susvisés, ensemble l'article L. 1235-10 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur, et les articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du même code ;

4°/ que, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, les possibilités de reclassement collectif des salariés menacés de licenciement doivent être recherchées à l'intérieur de ce groupe, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en déboutant les salariés de leur demande d'indemnité, sans rechercher, comme il était soutenu, si les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation des trois filiales de la société Intergestion situées respectivement au Luxembourg, en Espagne et en Pologne, et des sociétés du groupe Finadvance contrôlées directement ou indirectement par la société Finadvance ne permettaient pas d'effectuer la permutation de tout ou partie des salariés licenciés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1235-10 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur, et des articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du même code ;

5°/ que, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, les possibilités de reclassement des salariés menacés de licenciement doivent être recherchées à l'intérieur de ce groupe, parmi les sociétés dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en retenant, pour débouter les salariés de leur demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que les organes de la procédure collective de la société Intergestion avaient satisfait à leur obligation de reclassement individuel des salariés licenciés, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation des trois filiales de la société Intergestion situées respectivement au Luxembourg, en Espagne et en Pologne, et des sociétés du groupe Finadvance contrôlées directement ou indirectement par la société Finadvance ne permettaient pas d'effectuer la permutation de tout ou partie des salariés licenciés de la société Intergestion, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel, qui a constaté qu'il n'était pas établi que la société de gestion Finadvance détenait directement ou indirectement une fraction du capital de la société Interges lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales, en a exactement déduit qu'elle ne pouvait être considérée comme contrôlant la société Intergestion par application des dispositions combinées des articles L. 233-3, I, 1°, et L. 233-4 du code de commerce, le premier de ces articles dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a seulement relevé l'existence de liens de contrôle et de surveillance entre les sociétés Interges et Finadvance, n'a pas constaté que le pacte d'associés définissant les droits et obligations respectifs de la société Interges et de ses divers actionnaires, dont le fonds commun de placement à risque géré par la société Finadvance, conférait à cette dernière le droit d'exercer une influence dominante sur la société Interges au sens des dispositions alors applicables de l'article L. 233-16, II, 3°, du code de commerce ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder pour le surplus à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a fait ressortir qu'il n'était pas démontré par les pièces soumises à son appréciation l'existence de possibilités de permutation de tout ou partie du personnel entre la société Intergestion et les entreprises dans lesquelles les fonds de placement gérés par la société Finadvance étaient investis, ce dont il résultait que ces sociétés ne faisaient pas partie d'un même groupe au sein duquel le reclassement devait s'effectuer ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Leprieur - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article L. 2331-1 du code du travail ; articles L. 233-3, I, 1°, et L. 233-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la définition du groupe permettant d'apprécier la pertinence des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi au regard des moyens financiers du groupe, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-23.223, Bull. 2017, V, n° 149 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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