Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2024

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE

Soc., 28 février 2024, n° 22-15.624, (B), FRH

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement de l'employeur – Preuve – Charge – Détermination – Portée

Il résulte de l'article 1353 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, que lorsque le salarié invoque un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime, il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Hygiène et sécurité – Principes généraux de prévention – Obligations de l'employeur – Prévention des risques professionnels – Manquement de l'employeur – Preuve – Charge – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 30 avril 2020), M. [M] a été engagé par la société Cevi (la société) le 3 juillet 2000, et exerçait en dernier lieu les fonctions de technicien confirmé mécanique véhicules industriels.

2. Il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes le 26 novembre 2015.

3. La société a été placée en redressement judiciaire le 28 juin 2016 par le tribunal de commerce de Tours, puis est redevenue in bonis.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de rappel de primes mensuelles, de rappel de salaire et de congés payés afférents, alors « que la cour d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, ne peut sans appel incident valable réformer la décision des premiers juges dans un sens défavorable à l'appelant ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes de rappel de primes mensuelles allouées par les premiers juges alors même que l'intéressé avait seul valablement relevé appel du jugement entrepris, les conclusions de l'employeur ayant été déclarées irrecevables comme tardives par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 19 décembre 2018 et le CGEA de [Localité 4] n'ayant pas formé appel incident en son nom, ayant au surplus été mis hors de cause, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 4, 542, 909 et 914 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 562 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ce texte que les juges du fond ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son seul appel, en l'absence d'appel incident.

7. L'arrêt infirme le jugement en ce qu'il a fixé les créances du salarié au passif de la société à titre de rappel de primes mensuelles d'avril 2012 à 2015 et des congés payés afférents, et déboute l'intéressé de ses demandes.

8. En statuant ainsi, alors d'une part qu'elle avait constaté que les conclusions de l'employeur avaient été déclarées irrecevables, d'autre part qu'aucun appel incident n'avait été formé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de résiliation judiciaire de son contrat de travail, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, alors « que lorsque le salarié invoque, à l'appui d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, une inobservation des règles de prévention et de sécurité par son employeur, il incombe à ce dernier de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité, et notamment à son obligation de prévention des risques ; que dès lors, en déboutant le salarié de sa demande de résiliation judiciaire aux motifs que la charge de la preuve du manquement reproché à l'employeur incombe au salarié et que cette preuve n'est pas établie, les circonstances de l'accident du travail étant inconnues, alors que le salarié invoquait à l'appui de sa demande la survenance d'un accident du travail causé par l'absence de fourniture des équipements de protection individuelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3-2, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble l'article 1353, alinéa 2, du code civil ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 1353 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 :

10. Il résulte de ces textes que lorsque le salarié invoque un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime, il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

11. Pour débouter le salarié de sa demande de résiliation judiciaire pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que l'intéressé justifie avoir été hospitalisé le 28 février 2018 en raison d'une plaie pulpaire au troisième rayon de la main gauche, puis avoir été en arrêt de travail du 1er au 25 mars 2018, qu'il n'explique pas les circonstances dans lesquelles il a été blessé sur son lieu de travail et que c'est de manière totalement inopérante qu'il met en avant qu'il revient à l'employeur de prouver qu'il a satisfait à son obligation de sécurité puisqu'au contraire, c'est à lui, qui sollicite la résiliation de son contrat de travail, de démontrer la réalité des manquements qu'il invoque.

12. Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'employeur de démontrer qu'il avait pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation prononcée sur le premier moyen ne s'étend pas au chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande de rappel de salaire de base et congés afférents, visé par le moyen.

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de ses demandes de rappel de primes mensuelles d'avril 2012 à 2015 entraîne la cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande de remise de bulletins de salaire et documents de fin de contrat qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de sa demande en paiement d'un rappel de primes mensuelles d'avril 2012 à 2015 et des congés payés afférents, en ce qu'il le déboute de ses demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail, d'indemnité légale de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de remise de bulletins de salaire et documents de fin de contrat et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 30 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Valéry - Avocat(s) : Me Brouchot ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 1353 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur la preuve relative à un manquement à l'obligation de sécurité en cas de survenue d'un accident du travail, à rapprocher : Soc., 5 juillet 2017, pourvoi n° 15-23.572, (cassation partielle) ; Soc., 23 janvier 2019, pourvoi n° 17-18.771, (cassation partielle).

Soc., 7 février 2024, n° 22-16.961, (B), FS

Rejet

Services de santé au travail – Examens médicaux – Visite de reprise – Exclusion – Cas – Accident du travail – Suspension du contrat de mission – Arrivée du terme de la mission – Moment – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 avril 2021), M. [J] a été engagé en qualité d'auxiliaire ambulancier par la société Synergie Aubagne (entreprise de travail temporaire) suivant contrat de mission d'une durée d'un jour le 1er février 2016 et a été mis à disposition de la société Bruny ambulances peypinoises (entreprise utilisatrice).

2. Le salarié intérimaire a été victime d'un accident du travail au cours de cette journée et a fait l'objet d'un arrêt de travail jusqu'au 29 mars 2016.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 29 janvier 2018, de demandes tendant à condamner l'entreprise de travail temporaire à organiser une visite médicale de reprise sous astreinte ainsi qu'à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié intérimaire fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à la condamnation de son employeur à organiser sous astreinte une visite médicale de reprise, à lui verser une certaine somme à parfaire à titre de rappel de salaires outre des dommages-intérêts, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article R. 4624-31 du code du travail dans sa version alors applicable, l'organisation par l'employeur d'une visite de reprise est obligatoire notamment en cas d'absence d'au moins 30 jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel ; que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité ; que selon la directive 91/383 du 25 juin 1991, les travailleurs intérimaires doivent bénéficier du même niveau de protection, d'information, de formation sur les risques professionnels et de suivi médical que les salariés permanents de l'entreprise ; que si en vertu de l'article L. 1226-19 du code du travail, la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ne fait effectivement pas obstacle à l'échéance du contrat de travail temporaire, il n'en demeure pas moins qu'en l'absence de visite médicale de reprise la période de suspension du contrat de travail se poursuit ; qu'en décidant néanmoins qu'en l'état du contrat de mission souscrit pour la journée du 1er février 2016, la société Synergie n'avait pas en mars 2016 la qualité d'employeur de M. [J] et qu'il ne pouvait en conséquence être opposé à cette dernière aucune carence dans l'organisation d'un examen de reprise de M. [J], qui n'était pas salarié permanent de l'entreprise de travail temporaire à son poste d'auxiliaire ambulancier au sein de l'entreprise utilisatrice, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-19, L. 4121-1 et les articles R. 4624-21 et R. 4624-22 du même code en leur rédaction alors applicable ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, M. [J] avait fait valoir que la carence fautive de la société Synergie engageait sa responsabilité et ouvrait droit à dommages- intérêts au bénéfice du salarié en réparation du préjudice subi ; que la faute de la société Synergie Aubagne lui était d'autant plus préjudiciable que les agences d'intérim ont accès à un fichier commun des aptitudes des salariés intérimaires permettant de vérifier les postes pour lesquels le salarié a récemment passé une visite médicale et s'il répond à tous les critères de validité d'aptitude au poste pour lequel il est recruté ; que par sa négligence fautive, la société Synergie l'avait donc, ni plus ni moins, ''black-listé'' dès lors que du fait de sa profession d'ambulancier, il devait être en possession d'un certificat médical de non contre-indications, établi avant l'embauche et ce d'autant plus compte tenu de l'exposition aux agents biologiques - corollaire de la profession du requérant - qui donne lieu à une surveillance médicale renforcée ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans répondre aux dites conclusions qui étaient de nature à influer sur la décision entreprise si elles avaient été prises en considération, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 1251-29 du code du travail, la suspension du contrat de mission du salarié ne fait pas obstacle à l'échéance de ce contrat.

6. Aux termes de l'article R. 4624-22 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2012-135 du 30 janvier 2012, le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail :

1° Après un congé de maternité ;

2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;

3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel.

7. Il résulte de la combinaison de ces textes que, nonobstant la suspension du contrat de mission pour cause d'accident du travail, si ce contrat arrive à échéance avant la fin de l'absence du salarié intérimaire, les dispositions de l'article R. 4624-22 du code du travail n'ont pas vocation à s'appliquer.

8. L'arrêt constate, d'abord, que le contrat de mission liant l'entreprise de travail temporaire et le salarié intérimaire était prévu pour une journée, le 1er février 2016, et qu'il avait pris fin à l'échéance du terme, ce même jour, à l'horaire contractualisé.

9. Il relève, ensuite, que l'accident du travail dont a été victime le salarié intérimaire a suspendu le contrat de travail le 1er février 2016 à compter de sa survenance.

10. Il retient, enfin, qu'eu égard au contrat de mission souscrit pour la journée du 1er février 2016, l'entreprise de travail temporaire n'avait pas, au mois de mars 2016, la qualité d'employeur du salarié, lorsque ce dernier a été considéré comme susceptible de reprendre une activité.

11. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a retenu à bon droit qu'aucune carence dans l'organisation d'un examen de reprise du travail ne pouvait être reprochée à l'entreprise de travail temporaire et, répondant ainsi aux conclusions prétendument délaissées, en a exactement déduit que le salarié devait être débouté de l'ensemble de ses demandes.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 1251-29 et R. 4624-22 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2012-135 du 30 janvier 2012.

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