Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2024

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL

Soc., 7 février 2024, n° 22-15.842, (B), FS

Rejet

Heures supplémentaires – Accomplissement – Preuve – Charge – Employeur – Éléments de preuve – Etendue – Détermination – Cas – Système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail – Absence de mise en place par l'employeur – Portée

L'absence de mise en place par l'employeur d'un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l'existence ou au nombre d'heures accomplies.

Durée journalière – Mesure – Système objectif, fiable et accessible – Mise en place – Obligation de l'employeur – Défaut – Effets – Litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures accomplies – Eléments de preuve fournis par l'employeur – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 4 mars 2022), Mme [D] a été engagée en qualité de coiffeuse par la société Chouchane, qui exerce sous l'enseigne « La fabrique », le 26 septembre 2017.

2. Le 29 mai 2019, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire et en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

3. Le 22 juin 2019, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes en résiliation judiciaire et en paiement de sommes à titre d'heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire en repos, alors :

« 1°/ que l'employeur a l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ; que, par ailleurs, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; que, dans ces conditions, le juge ne peut prendre en considération, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents produits par l'employeur que si ceux-ci proviennent d'un système objectif, fiable et accessible de mesure de la durée du travail du salarié mis en place par l'employeur ; qu'en se fondant, dès lors, pour estimer que Mme [O] [D] n'avait pas effectué les heures supplémentaires qu'elle alléguait, sur le cahier de relevés des heures de travail de Mme [O] [D] quotidiennement par l'employeur lui-même de manière manuscrite et, donc, ne résultaient pas d'un système objectif et fiable de mesure de la durée du travail de la salariée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ;

2°/ que l'employeur a l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ; que, par ailleurs, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; que, dans ces conditions, le juge ne peut prendre en considération, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents produits par l'employeur que si ceux-ci proviennent d'un système objectif, fiable et accessible de mesure de la durée du travail du salarié mis en place par l'employeur ; qu'en se fondant, dès lors, pour estimer que Mme [O] [D] n'avait pas effectué les heures supplémentaires qu'elle alléguait, sur des attestations de témoignage produites par l'Eurl Chouchane, quand ces documents ne provenaient pas d'un système objectif, fiable et accessible de mesure de la durée du travail de la salariée mis en place par l'employeur, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ;

3°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; qu'en énonçant, par conséquent, pour estimer que Mme [O] [D] n'avait pas effectué les heures supplémentaires qu'elle alléguait, après avoir considéré que Mme [O] [D] versait aux débats des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre utilement en produisant ses propres éléments, que les récupérations dont Mme [O] [D] reconnaissait avoir bénéficié dans ses conclusions n'étaient quasiment pas mentionnées sur ses relevés d'heures et décompte, quand cette circonstance n'avait pas trait aux éléments produits par l'employeur et était en conséquence inopérante, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ;

4°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; qu'en énonçant, par conséquent, pour estimer que Mme [O] [D] n'avait pas effectué les heures supplémentaires qu'elle alléguait, après avoir considéré que Mme [O] [D] versait aux débats des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre utilement en produisant ses propres éléments, qu'alors que Mme [O] [D] n'avait pas contesté la sanction qui lui avait été notifiée le 26 février 2019 au motif qu'elle ne réalisait pas 39 heures de travail par semaine, elle prétendait, sur son décompte, avoir accompli des heures supplémentaires au mois de février 2019, quand ces circonstances n'avaient pas trait aux éléments produits par l'employeur et étaient en conséquence inopérantes, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

7. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

8. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'afin d'assurer l'effet utile des droits prévus par la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et du droit fondamental consacré à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les Etats membres doivent imposer aux employeurs l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur (CJUE 14 mai 2019, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO), C-55/18, point 60).

10. L'absence de mise en place par l'employeur d'un tel système ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies.

11. La cour d'appel, examinant les éléments produits par l'une et l'autre des parties, a estimé que la salariée n'avait pas accompli d'heures supplémentaires.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. La salariée fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme payée à tort par méconnaissance des règles de décompte des heures supplémentaires, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation, qui porte sur l'existence d'heures supplémentaires effectuées par Mme [O] [D], entraînera, en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt attaqué, en ce qu'il a condamné Mme [O] [D] à rembourser à l'Eurl Chouchane la somme de 3 749 euros payée à tort par méconnaissance des règles de décompte des heures supplémentaires ».

Réponse de la Cour

14. Le rejet du premier moyen prive de portée ce moyen, qui invoque une cassation par voie de conséquence.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Capron -

Textes visés :

Articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation pour l'employeur de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, à rapprocher : Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 21-24.122, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 7 février 2024, n° 21-22.809, n° 21-22.994, (B), FS

Cassation partielle

Repos et congés – Repos quotidien – Respect des durées maximales de travail – Durée maximale conventionnelle – Violation – Effets – Droit à réparation – Conditions – Preuve d'un préjudice – Exclusion – Portée

Le seul constat que le salarié n'a pas bénéficié du repos journalier conventionnel de douze heures entre deux services ouvre droit à réparation.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-22.809 et 21-22.994 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 juin 2021), M. [S] a été engagé en qualité d'agent d'exploitation le 10 juillet 2009 par la société Maîtres chiens, télé-surveillance parisiens (la société).

3. Le 7 septembre 2017, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes en résiliation du contrat de travail et en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

4. Le 19 juin 2018, une procédure de sauvegarde a été ouverte au profit de la société et par jugement du 18 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de sauvegarde et désigné la société MJA et la société [G]-Daudé en qualité de co-mandataires judiciaires.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 21-22.809 de l'employeur et sur les trois premiers moyens du pourvoi n° 21-22.994 du salarié

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le quatrième moyen du pourvoi n° 21-22.994

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à la condamnation de la société à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité, alors « que l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité dont il doit assurer l'effectivité ; que le non-respect par l'employeur des temps de repos entre deux périodes de travail, qui contrevient à cette obligation de sécurité, génère nécessairement un préjudice pour le salarié ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 et L. 4121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit, le salarié n'ayant pas soutenu en cause d'appel qu'il fondait sa demande d'indemnité pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité sur le fait qu'il aurait été conduit à méconnaître ses temps de repos.

8. Cependant, la cour ayant rejeté la demande de dommages-intérêts faute de preuve du préjudice subi après avoir constaté que l'employeur n'avait pas respecté les temps de repos entre deux périodes de travail, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 4121-1 du code du travail et l'article 2 de l'accord du 18 mai 1993 relatif à la durée et à l'aménagement du temps de travail attaché à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 :

10. Selon le premier de ces textes, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment par la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

11. Selon le second, le temps de repos entre deux services ne peut être inférieur à douze heures.

12. Ces dispositions participent de l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

13. Pour débouter le salarié de sa demande au titre du manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt, après avoir constaté qu'à plusieurs reprises le salarié n'avait pas bénéficié du repos de douze heures entre deux services au cours des années 2014 et 2015, retient qu'il ne justifie d'aucun préjudice spécifique.

14. En statuant ainsi, alors que le seul constat que le salarié n'a pas bénéficié du repos journalier de douze heures entre deux services ouvre droit à réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiées par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 21-22.809 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [S] de sa demande en paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 9 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Rouchayrole - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; Me Balat -

Textes visés :

Article L. 4121-1 du code du travail ; article 2 de l'accord du 18 mai 1993 relatif à la durée et à l'aménagement du temps de travail attaché à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985.

Soc., 7 février 2024, n° 22-18.940, n° 22-21.385, (B), FS

Cassation partielle

Travail à temps partiel – Accord collectif de modulation – Reconnaissance ultérieure de son inopposabilité – Effets – Rémunération – Prime mensuelle de compensation – Office du juge – Détermination – Portée

Travail de nuit – Conditions de mise en oeuvre – Caractère exceptionnel – Office du juge – Continuité des activités ou des services – Nécessité – Détermination – Portée

Aux termes de l'article L. 3122-32 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale. Viole dès lors ces dispositions la cour d'appel qui déboute le salarié de ses demandes relatives à l'illégalité du recours au travail de nuit, sans constater que le recours au travail de nuit par l'employeur était justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale, peu important que le salarié n'ait pas le statut de travailleur de nuit, qu'il ait perçu une contrepartie pour les heures de travail accomplies la nuit et qu'il ait souhaité travailler en soirée.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-18.940 et 22-21.385 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 mars 2022), Mme [Z], épouse [B], a été engagée en qualité d'employée de caisse/service par la société Meubles Ikea France, suivant contrats à durée déterminée pour les périodes comprises entre les 9 juillet et 16 septembre 2012 et 28 septembre 2012 et 6 janvier 2013, puis contrat à durée indéterminée à compter du 7 janvier 2013, à temps partiel modulé, soumis à la convention collective nationale du négoce de l'ameublement du 31 mai 1995.

3. Licenciée le 1er décembre 2015, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 26 décembre 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et le troisième moyen du pourvoi n° 22-18.940 de l'employeur

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° 22-18.940, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que l'accord de modulation était inopposable à la salariée, que celle-ci pouvait prétendre au paiement de la majoration afférente aux heures complémentaires effectuées conformément aux dispositions légales pour la période du 17 février 2014 au 18 juin 2014 et conformément à l'accord d'entreprise à compter du 19 juin 2014, de lui ordonner de reprendre le calcul de la rémunération de la salariée à compter du 17 février 2014, de régler la majoration pour heures complémentaires due semaine par semaine et de remettre un bulletin de salaire rectifié, alors « que l'accord d'entreprise du 31 juillet 2007, portant révision de l'accord du 28 avril 1999 sur la réduction du temps de travail modifié par avenant du 18 août 2000, en son article 3-1-7 (article 17-7 de l'accord interne), intitulé ''programmation indicative de la modulation et fixation des plannings'', énonce : ''Afin de tenir compte des spécificités régionales influant sur les variations de l'activité des magasins, ceux-ci peuvent retenir une programmation indicative différente de celle mentionnée ci-dessous. Dans ce cas, les organisations syndicales signataires du présent accord sont associées, et le comité d'établissement est consulté sur cette programmation qui sera affichée au moins 15 jours avant le début de la période de modulation.

Le programme indicatif concernant la mise en oeuvre de la modulation s'établit de la façon suivante et conformément à l'article 17.4 :

- durée hebdomadaire du travail généralement supérieure ou égale à l'horaire contractuel au cours du premier tertial (de septembre à décembre),

- durée hebdomadaire du travail généralement inférieure ou égale à l'horaire contractuel au cours du deuxième et troisième tertial (de janvier à août).

Le planning des horaires hebdomadaires de travail est établi pour chaque unité de travail (magasin, département, service ou rayon) et pour chaque période, par le responsable. Il est communiqué aux salariés concernés, au moins 15 jours avant le début de la période, et affiché'' ; que pour les salariés à temps partiel, l'article 3-3-4 (article 22-4 de l'accord interne) intitulé ''temps partiel modulé'' stipule au paragraphe ''modalités de communication au salarié du programme indicatif'' que ''le régime de la programmation indicative de la modulation des temps partiels est soumis aux mêmes dispositions que l'article 17.6 [lire 17.7] de l'accord interne relatif au programme indicatif des salariés modulés'' ; que cet article indique également que ''les horaires de travail des salariés concernés leur seront notifiés par écrit 15 jours minimum avant, sauf accord de l'intéressé. Toutefois ce délai pourra être réduit à 7 jours en cas exceptionnel de remplacement d'une absence non prévue (hors congé, formation...) ou en cas de travaux urgents'' ; que cet accord d'entreprise du 31 juillet 2007, mettant en place la modulation au sein de l'entreprise, prévoit donc le programme indicatif de la répartition de la durée du travail en instituant une période haute (septembre à décembre) et une période basse (janvier à août) et n'impose pas l'établissement d'un nouveau programme pour chaque période annuelle, mais seulement la notification des horaires de travail aux salariés au moins 15 jours avant, obligation dont la salariée admettait qu'elle avait été respectée puisqu'elle indiquait avoir eu connaissance de son planning trois à quatre semaines à l'avance ; qu'en affirmant que cet accord d'entreprise ne pouvait permettre à lui seul la mise en oeuvre de la modulation du temps de travail faute de préciser le programme indicatif de la répartition de la durée du travail et que la société Meubles Ikéa France ne produisait pas les programmes indicatifs de répartition de la durée du travail, pour en déduire que l'irrégularité de l'accord de modulation ou de sa mise en oeuvre privait cet accord d'effet, la cour d'appel a violé cet accord. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 212-8 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004, une convention ou un accord collectif étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire du travail peut varier sur tout ou partie de l'année à condition que, sur un an, cette durée n'excède pas un plafond de 1 607 heures. Ces conventions et accords doivent fixer le programme indicatif de la répartition de la durée du travail. Ils fixent en outre les règles selon lesquelles est établi le programme indicatif de la modulation pour chacun des services ou ateliers concernés.

7. Selon l'article 3-1 « Aménagement du temps de travail des employés et agents de maîtrise : Modulation du temps de travail » de l'accord d'entreprise portant notamment révision de l'accord du 28 avril 1999 sur la réduction du temps de travail modifié par avenant du 18 août 2000, signé le 31 juillet 2007, les salariés à temps partiel sont soumis aux dispositions relatives au temps partiel modulé figurant à l'article 3-3 du présent accord (article 22-4 de l'accord interne).

8. Selon l'article 3-3-4 « Temps partiel modulé » de cet accord, la période de modulation est fixée à une année, décomptée du 1er septembre d'une année au 31 août de l'année suivante, elle devra comporter des semaines civiles entières (la semaine civile commençant un lundi matin).

La durée minimale de travail hebdomadaire est fixée à dix heures (durée calculée sur la base d'un contrat à quinze heures hebdomadaire démodulé d'un tiers).

La durée minimale de travail pendant les jours travaillés est fixée à quatre heures et à cinq heures le dimanche.

La planification des semaines de démodulation se fera sur un maximum de quatre journées de travail.

La durée du travail des salariés concernés ne pourra être portée à un niveau égal ou supérieur à la durée hebdomadaire de référence applicable dans l'entreprise, c'est-à-dire trente-trois heures.

L'écart entre les limites à l'intérieur desquelles la durée du travail peut varier et la durée stipulée au contrat de travail des salariés concernés ne pourra excéder le tiers de cette durée.

Le régime de la programmation indicative de la modulation des temps partiels est soumis aux mêmes dispositions que l'article 17.6 [lire 17.7] de l'accord interne relatif au programme indicatif des salariés modulés.

9. Selon l'article 7-2 « Modalités de communication au collaborateur du programme indicatif » de l'accord d'entreprise portant révision des dispositions de l'accord du 31 juillet 2007 relatives au travail à temps partiel au sein de Meubles Ikea France SAS, signé le 19 juin 2014, le régime de la programmation indicative de la modulation des temps partiels est soumis aux mêmes dispositions que l'article 17.6 [lire 17.7] de l'accord interne relatif au programme indicatif des collaborateurs modulés.

10. L'article 3-1-7 (article 17-7 de l'accord interne) « Programmation indicative de la modulation et fixation des plannings » de l'accord du 31 juillet 2007 prévoit :

« Afin de tenir compte des spécificités régionales influant sur les variations de l'activité des magasins, ceux-ci peuvent retenir une programmation indicative différente de celle mentionnée ci-dessous.

Dans ce cas, les organisations syndicales signataires du présent Accord sont associées, et le Comité d'Etablissement est consulté sur cette programmation qui sera affichée au moins 15 jours avant le début de la période de modulation.

Le programme indicatif concernant la mise en oeuvre de la modulation s'établit de la façon suivante, et conformément à l'article 17.4 :

* Durée hebdomadaire du travail généralement supérieure ou égale à l'horaire contractuel au cours du premier tertial (de septembre à décembre).

* Durée hebdomadaire du travail généralement inférieure ou égale à l'horaire contractuel au cours du deuxième et troisième tertial (de janvier à août).

Le planning des horaires hebdomadaires de travail est établi pour chaque unité de travail (magasin, département, service ou rayon) et pour chaque période, par le responsable. Il est communiqué aux salariés concernés, au moins 15 jours avant le début de la période, et affiché.

Les horaires hebdomadaires et le planning indicatif ci-dessus, pourront varier d'un établissement à l'autre et au sein d'un même établissement d'un service ou rayon à l'autre, compte tenu des manifestations locales, des activités commerciales du magasin qui peuvent entraîner des surcroîts d'activité au cours de périodes réputées creuses.

Il est entendu que la journée de travail ne doit pas comporter de coupure.

Est considérée comme une coupure, toute interruption de travail prévue au planning d'une durée supérieure à 1 heure et 15 minutes. »

11. Il en ressort que l'accord collectif du 31 juillet 2007, qui, en l'absence, notamment, de toute précision de limite de la variation horaire hebdomadaire, ne fixe pas le programme indicatif de la répartition de la durée du travail ni les règles selon lesquelles est établi le programme indicatif de la modulation pour chacun des services ou ateliers concernés, ne répond pas aux exigences de l'article L. 212-8 du code du travail, alors applicable.

12. La cour d'appel a, dès lors, retenu à bon droit que l'accord d'entreprise du 31 juillet 2007 ne pouvait permettre à lui seul la mise en oeuvre de la modulation du temps de travail.

13. Elle en a exactement déduit qu'était inapplicable à la salariée le décompte de la durée du travail dans un cadre autre qu'hebdomadaire.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 22-18.940

Enoncé du moyen

15. L'employeur fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en restitution des sommes perçues par la salariée au titre de la modulation et de sa demande de compensation des créances réciproques de ces chefs, alors « que lorsqu'un accord de modulation est privé d'effet, le paiement des sommes accordées en exécution de cet accord devient indu ; qu'en l'espèce, l'article 3-3-4 de l'accord d'entreprise du 31 juillet 2007 portant notamment révision de l'accord du 28 avril 1999 sur la réduction du temps de travail modifié par avenant du 18 août 2000 prévoit au bénéfice des salariés à temps partiel soumis à la modulation, ''pour accompagner la modulation de leur temps de travail'', une prime mensuelle correspondant à 2,5 % du salaire ; que la cour d'appel a jugé l'accord d'entreprise du 31 juillet 2007 inopposable à Mme [Z], épouse [B], et a ordonné à la société de reprendre le calcul de la rémunération de la salariée à compter du 17 février 2014 et de régler la majoration pour heures complémentaires due semaine par semaine ; qu'en rejetant [déboutant] cependant la société Meubles Ikéa France de sa demande en restitution des sommes perçues par la salariée au titre de la modulation et de sa demande de compensation des créances réciproques de ces chefs, au prétexte inopérant que la salariée avait effectivement soumis [été soumise] durant sa période d'emploi dans son planning à une modulation du temps de travail, la cour d'appel a violé l'article 1376 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article 1302, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction issue de cette ordonnance. »

Réponse de la Cour

16. Selon l'article 3-3-4 « Temps partiel modulé » de l'accord du 31 juillet 2007, pour accompagner la modulation de leur temps de travail, les salariés à temps partiel modulé se verront attribuer une prime mensuelle qui correspond à 2,5 % de leur salaire de base mensuel.

17. Il en résulte que cette majoration, destinée à compenser les sujétions du salarié à temps partiel soumis à un régime de modulation, lui reste acquise, nonobstant une reconnaissance ultérieure de l'inopposabilité de l'accord collectif instituant cette modulation.

18. La cour d'appel, qui a retenu, pour rejeter la demande subsidiaire de l'employeur tendant à la restitution des sommes versées à la salariée au titre de la modulation, que la salariée avait été soumise de manière effective, dans son planning, durant sa période d'emploi, à une modulation du temps de travail, faisant ainsi ressortir les sujétions compensées par la prime mensuelle de modulation, a légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen du pourvoi n° 22-21.385 de la salariée

Enoncé du moyen

19. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à ce que soit constatée l'illégalité du recours au travail de nuit par l'employeur à son égard et que ce dernier soit condamné à lui verser une somme en réparation du préjudice subi de ce chef, alors :

« 1°/ que le recours au travail de nuit est exceptionnel ; qu'il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale ; qu'en application de l'article L. 3122-31 du code du travail, dans sa rédaction applicable, est considéré comme travailleur de nuit tout travailleur qui soit accompli, au moins deux fois par semaine, selon son horaire de travail habituel, au moins trois heures de son temps de travail quotidien entre 21 heures et 6 heures, soit accompli, au cours d'une période de référence, un nombre minimal d'heures de travail de nuit ; que lorsque le recours au travail de nuit est illicite en ce qu'il n'est pas justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale, tous les salariés ayant effectué une partie de leur travail au-delà de 21 heures sont considérés comme ayant travaillé de nuit, peu important qu'ils ne soient pas considérés comme des ''travailleurs de nuit'' au sens de l'article L. 3122-31 du code du travail ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme [B] en réparation du préjudice subi du fait du recours illégal à un travail de nuit, la cour d'appel s'est fondée, par motifs propres et adoptés, sur le fait que la salariée n'accomplissait pas, selon ses horaires habituels, au moins deux fois par semaine au moins trois heures de son temps de travail quotidien durant la période comprise entre 21 heures et 6 heures et n'accomplissait pas au moins deux cent soixante-dix heures de travail entre 21 heures et 6 heures pendant une période de douze mois consécutifs, de sorte qu'elle ne pouvait prétendre au statut de travailleur de nuit ; qu'en statuant ainsi, quand le fait que Mme [B] ne puisse pas être qualifiée de ''travailleur de nuit'' au sens de l'article L. 3122-31 du code du travail ne la privait pas du droit d'obtenir réparation du préjudice subi pour avoir travaillé de façon illicite au-delà de 21 heures, la cour d'appel a violé les articles L. 3122-29, L. 3122-31 et L. 3122-32 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 ;

2°/ que le recours au travail de nuit est exceptionnel ; qu'il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale ; que le fait qu'un salarié ait bénéficié d'une contrepartie, à savoir une majoration de salaire, compte-tenu de son travail occasionnel de nuit, ne permet pas d'écarter l'illégalité du recours par l'employeur au travail de nuit lorsqu'aucune nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale n'est justifiée par l'employeur ; qu'en l'espèce, en déboutant Mme [B] de sa demande d'indemnisation en réparation du préjudice subi du fait du recours illégal à un travail de nuit au motif adopté qu'elle avait bénéficié de la contrepartie accordée aux salariés amenés à travailler occasionnellement quelques heures par nuit, à savoir une majoration de salaire de 105 %, quand cette circonstance ne la privait pas du droit d'obtenir réparation du préjudice subi pour avoir travaillé de façon illicite au-delà de 21 heures, la cour d'appel a violé les articles L. 3122-29, L. 3122-31 et L. 3122-32 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 ;

3°/ que le recours au travail de nuit est exceptionnel ; qu'il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale ; que le fait qu'un salarié ait souhaité expressément travailler en soirée, ne permet pas d'écarter l'illégalité du recours par l'employeur au travail de nuit lorsqu'aucune nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale n'est justifiée par l'employeur ; qu'en l'espèce, en déboutant Mme [B] de sa demande d'indemnisation en réparation du préjudice subi du fait du recours illégal à un travail de nuit au motif adopté que c'était elle qui avait souhaité expressément travailler en soirée jusqu'à 23 heures afin que son planning soit compatible avec ses études, la cour d'appel a violé les articles L. 3122-29, L. 3122-31 et L. 3122-32 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3122-32 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

20. Aux termes de ce texte, le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale.

21. Pour débouter la salariée de ses demandes relatives à l'illégalité du recours au travail de nuit, l'arrêt retient, par motifs propres, que la salariée, qui, selon son horaire de travail habituel, n'accomplissait pas, au moins deux fois par semaine au moins trois heures de son temps de travail quotidien durant la période comprise entre 21 heures et 6 heures et n'accomplissait pas non plus au moins deux cent soixante-dix heures de travail entre 21 heures et 6 heures pendant une période de douze mois consécutifs, ne peut prétendre au statut de travailleur de nuit.

22. Il ajoute, par motifs adoptés, que la salariée bénéficiait de la contrepartie accordée aux salariés amenés à travailler occasionnellement quelques heures par nuit, à savoir une majoration de salaire de 105 %, et qu'elle souhaitait travailler en soirée jusqu'à 23 heures afin que son planning soit compatible avec ses études.

23. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, sans constater que le recours au travail de nuit était justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale, peu important que la salariée n'ait pas le statut de travailleur de nuit, qu'elle ait perçu une contrepartie pour les heures de travail accomplies la nuit et qu'elle ait souhaité travailler en soirée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

24. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif relatifs aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure, qui sont justifiés par d'autres dispositions prononcées à l'encontre de l'employeur et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 22-18.940 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [Z], épouse [B], de ses demandes tendant à constater l'illégalité du recours au travail de nuit par la société Meubles Ikea France à son égard et à condamner cette dernière à lui verser une somme en réparation du préjudice subi en conséquence, l'arrêt rendu le 2 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Techer - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article L. 3122-32 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur des illustrations de recours au travail de nuit non justifiés, à rapprocher : Soc., 24 septembre 2014, n° 13-24.851, Bull. 2014, V, n° 205 (cassation partielle sans renvoi) ; Soc., 30 janvier 2019, pourvoi n° 17-22.018 (cassation partielle) ; Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 18-24.130 (cassation).

Soc., 7 février 2024, n° 22-17.696, (B), FS

Rejet

Travail à temps partiel – Modulation du temps de travail – Heures complémentaires – Accomplissement – Limites – Seuil de la durée légale – Détermination – Portée

Il résulte de la combinaison des articles L. 3121-41, L. 3121-44, L. 3123-9 et L. 3123-20 du code du travail qu'en cas d'aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les heures complémentaires ne peuvent pas avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau du seuil de la durée légale du travail correspondant à la période de référence, ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 29 octobre 2021), le 1er octobre 2016, Mme [G] a été engagée en qualité d'assistante de vie niveau 1 à temps partiel, à hauteur de 120 heures par mois, par la société Une aide pour chacun. Un avenant du 1er novembre 2016 a porté la durée du travail mensuelle à 140 heures. Un second avenant du 1er juillet 2017 l'a ramenée à 70 heures mensuelles.

2. L'entreprise est soumise à un accord d'aménagement du temps de travail des salariés à temps partiel du 5 avril 2016.

3. Les parties ont conclu, le 10 juillet 2017, une rupture conventionnelle.

4. Le 22 août 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant notamment à la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes en requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet et en paiement de rappels de salaire, alors « que lorsque le recours à des heures complémentaires a pour effet de porter la durée du travail d'un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale ou conventionnelle, le contrat de travail à temps partiel doit, à compter de la première irrégularité, être requalifié en contrat de travail à temps plein ; qu'en refusant en l'espèce de prononcer la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein aux motifs erronés que la durée de travail était calculée sur l'année et que le dépassement horaire était ponctuel, quand elle avait constaté que les heures effectuées par la salariée au cours du mois de novembre 2016 avaient eu pour effet de porter sa durée hebdomadaire de travail au niveau de la durée à temps plein, la cour d'appel a violé l'article L. 3123-9 du code du travail, dans sa version applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 3123-9 du code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement.

7. Il résulte de la combinaison des articles L. 3121-41, L. 3121-44, L. 3123-9 et L. 3123-20 du code du travail qu'en cas d'aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les heures complémentaires ne peuvent pas avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau du seuil de la durée légale du travail correspondant à la période de référence, ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement.

8. La cour d'appel a constaté que l'accord d'entreprise du 5 avril 2016 aménageait la durée du travail sur l'année et prévoyait des variations des horaires de travail de 0 à 20 % par rapport à l'horaire mensuel de référence et que la durée de travail des salariés à temps partiel était inférieure à 1 600 heures.

9. Ayant retenu que le dépassement horaire hebdomadaire relevé par la salariée était ponctuel mais qu'il n'était pas démontré que la durée annuelle de travail de 1 600 heures avait été dépassée, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la demande en requalification en contrat de travail à temps complet devait être rejetée.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SARL Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 3121-41, L. 3121-44, L. 3123-9 et L. 3123-20 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur des dispositions légales relatives au travail à temps partiel modulé antérieures à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 : Soc., 12 septembre 2018, pourvoi n° 16-18.030, Bull. 2018, V, n° 152 (rejet) ; Soc., 23 janvier 2019, pourvoi n° 17-19.393, Bull., (rejet).

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