Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2024

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

2e Civ., 15 février 2024, n° 22-15.680, (B), FRH

Rejet

Clauses abusives – Domaine d'application – Contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs – Cas – Convention d'honoraires d'avocat

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 1er mars 2022), Mme [Z] a confié la défense de ses intérêts à Mme [T] (l'avocate), dans une procédure prud'homale.

2. Le 3 juillet 2017, les parties ont signé une convention d'honoraires, qui comportait une clause de dessaisissement.

3. À la suite d'un différend avec Mme [Z], l'avocate a saisi le bâtonnier de son ordre en fixation des honoraires dus par sa cliente.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [Z] fait grief à l'ordonnance de confirmer la décision du bâtonnier en ce qu'il avait calculé le montant des honoraires sur le fondement de l'article 9, alinéa 1er, de la convention d'honoraires du 3 juillet 2017, alors « que le juge est tenu de relever, au besoin d'office, le caractère abusif d'une disposition contractuelle dès lors qu'il dispose des éléments de fait et de droit nécessaires à cet effet ; qu'en l'espèce, la clause de dessaisissement litigieuse, qui prévoit que « dans l'hypothèse où le client souhaite dessaisir l'avocat, les diligences déjà effectuées seront rémunérées par référence aux taux horaire usuel de l'avocat, soit 250 euros HT et non sur la base des honoraires de base et complémentaires figurant aux articles 2 et 3 de la convention », est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les parties en ce qu'elle a pour effet de subordonner la résiliation de la convention par Mme [Z] au versement d'une indemnité au profit de l'avocate ; qu'en s'abstenant d'écarter, au besoin d'office, la clause litigieuse, qui était abusive, la cour d'appel a violé l'article R. 632-1 du code de la consommation, ensemble les articles L. 212-1 et R. 212-1, 5° et 11° du même code. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article R. 212-1, 5° et 11°, du code de la consommation que dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l'article L. 212-1 du même code et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet, d'une part, de contraindre le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n'exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d'un bien ou son obligation de fourniture d'un service, d'autre part, de subordonner, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation par le consommateur au versement d'une indemnité au profit du professionnel.

7. La convention d'honoraires, qui confie à un avocat une mission d'assistance ou de représentation pour une procédure judiciaire déterminée, ne constitue pas un contrat à durée indéterminée et, en conséquence, n'entre pas dans les prévisions de l'article R. 212-1, 11°, du code de la consommation.

8. En outre, en cas de dessaisissement par le client, le versement d'un honoraire sur la base du taux horaire de l'avocat, aux lieu et place d'un honoraire forfaitaire complété par un honoraire de résultat, qui ne revêt aucun caractère indemnitaire, ne constitue pas une indemnité de résiliation au sens de ce texte.

9. L'ordonnance relève, d'une part, que Mme [Z] a confié la défense de ses intérêts à l'avocate pour une procédure prud'homale, d'autre part, que l'article 9 de la convention d'honoraires prévoit, en son premier alinéa, qu'en cas de dessaisissement de l'avocat par son client, les diligences déjà effectuées seront rémunérées par référence au taux horaire usuel de l'avocate, et non sur la base des honoraires forfaitaire et de résultat prévus aux articles 2 et 3.

10. Le premier président a ainsi fait ressortir, d'abord, que la convention prévoyait que la rémunération de l'avocate avait pour contrepartie les diligences qu'elle avait effectuées jusqu'à son dessaisissement, ensuite, qu'elle avait pour objet l'assistance et la représentation pour une procédure déterminée, de sorte qu'elle ne constituait pas un contrat à durée indéterminée, enfin, qu'elle ne prévoyait pas le versement d'une indemnité de résiliation.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Isola - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 212-1 et R. 212-1, 5° et 11° du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 2 juin 2005, pourvoi n° 04-12.046, Bull. 2005, II, n° 144 (cassation) ; 2e Civ., 4 février 2016, pourvoi n° 14-23.960, Bull. 2016, II, n° 38 (cassation) ; 2e Civ., 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-10.739, Bull. (rejet).

2e Civ., 8 février 2024, n° 22-18.080, (B), FRH

Cassation partielle

Surendettement – Application dans le temps – Article 10 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 – Article L. 711-1 du code de la consommation – Application aux procédures en cours

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Valence, 11 avril 2022), rendu en dernier ressort, M. [T], agissant en qualité de représentant légal de la société [5], et la société [7], créanciers, ont formé un recours contre la décision d'une commission de surendettement des particuliers ayant déclaré recevable la demande de M. [V] tendant au traitement de sa situation financière.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

2. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1er, 2 du code civil et L. 711-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'article 10 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 :

3. Selon le premier de ces textes, les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs, entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à la date d'entrée en vigueur de ces mesures.

4. Il résulte du deuxième, que, sauf disposition contraire, toute loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, même lorsque semblable situation fait l'objet d'une instance judiciaire.

5. La loi du 14 février 2022, publiée au Journal officiel du 15 février 2022, ne comporte, en ce qui concerne son article 10, aucune disposition transitoire. Ce texte est donc applicable à compter du 16 février 2022.

6. Pour déclarer M. [V] irrecevable au bénéfice de la procédure de surendettement, le jugement retient que l'article L. 711-1 du code de la consommation interdit de prendre en compte les dettes professionnelles pour l'appréciation de la situation de surendettement.

7. En statuant ainsi, en appliquant les dispositions de l'article L. 711-1 du code de la consommation dans leur rédaction antérieure à la loi du 14 février 2022, alors que ces dispositions étaient applicables dans leur rédaction issue de la loi du 14 février 2022, en cours d'instance, le jugement attaqué ayant été rendu le 11 avril 2022, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi précitée, même si les débats se sont tenus antérieurement, le juge a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré M. [V] irrecevable au bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers, le jugement rendu le 11 avril 2022, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Valence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Valence autrement composé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Chevet - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Alain Bénabent -

Textes visés :

Article 10 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 ; articles 1 et 2 du code civil ; article L. 711-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022.

2e Civ., 8 février 2024, n° 22-14.528, n° 23-17.744, (B), FRH

Cassation partielle

Surendettement – Procédure – Demande d'ouverture – Recevabilité – Décision de la commission – Effets – Délai de prescription d'une créance – Suspension – Cas – Créancier titulaire d'un acte notarié constatant sa créance

Il résulte de l'article L. 331-3-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 1013-672 du 26 juillet 2013, que la décision de recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement emporte suspension et interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur.

Viole ces dispositions un tribunal qui constate la prescription d'une créance en recouvrement de sommes dues au titre d'un prêt notarié, faute de fait interruptif, alors qu'à compter de la décision de recevabilité du débiteur au bénéfice de la procédure de surendettement, le créancier ne peut interrompre la prescription en diligentant une procédure d'exécution et qu'il ne saurait lui être imposé d'introduire une action au fond afin de suspendre la prescription.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-14.528 et 23-17.744 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société [4] du désistement partiel de son pourvoi n° 22-14.528 en ce qu'il est dirigé contre la société [5] et l'URSSAF [Localité 8].

Faits et procédure

3. Selon le jugement attaqué (Perpignan, 8 décembre 2021), rendu en dernier ressort, et les productions, par acte notarié du 20 mai 2009, la [4] (la banque) a consenti un prêt à la société [6] dont Mme [T] s'est portée caution solidaire.

4. Le 28 janvier 2014, une commission de surendettement a déclaré recevable la demande de Mme [T] de traitement de sa situation de surendettement et, par jugement du 30 septembre 2015, un tribunal d'instance a homologué les mesures préconisées par cette commission prévoyant un moratoire de paiement des dettes pendant 24 mois, le temps de vendre un bien immobilier.

5. La banque a fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière le 12 novembre 2018.

6. Par jugement du 13 mai 2020, un tribunal judiciaire a déclaré recevable la demande, déposée le 26 février 2019 par Mme [T], de traitement de sa situation de surendettement.

7. Par jugement du 8 décembre 2021, ce tribunal, saisi de la contestation de l'état du passif de Mme [T], a dit la créance de la banque prescrite.

Recevabilité du pourvoi n° 22-14.528 examinée d'office

Vu l'article 615, alinéa 2, du code de procédure civile :

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application du texte susvisé.

9. En cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, le pourvoi formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.

10. La banque s'est pourvue en cassation le 7 avril 2022 contre un jugement rendu en dernier ressort qui a dit prescrite sa créance figurant à l'état détaillé des dettes établi par la commission de surendettement des particuliers.

11. Après avoir formé son pourvoi à l'encontre de tous les créanciers, la banque s'est désistée de celui-ci à l'égard de certains d'entre eux.

12. En raison de l'indivisibilité de son objet, le pourvoi n'est pas recevable.

Recevabilité du pourvoi n° 23-17.744 contestée par la défense

13. Mme [T] soulève l'irrecevabilité du pourvoi par application de la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut », au motif du dépôt du premier pourvoi (n° 22-14.528). Elle fait également valoir que le second pourvoi est tardif au regard de la date de notification du jugement outre de celle du premier pourvoi.

14. Cependant, l'article 621 du code de procédure civile ne peut être appliqué lorsque la voie du recours en cassation n'était pas encore ouverte lorsque le premier recours a été formé.

15. Il résulte de l'article 680 du code de procédure civile que l'absence de mention ou la mention erronée dans l'acte de notification d'un jugement de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités, a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours.

16. La vérification de la validité des créances par le juge est opérée afin de permettre à la commission de surendettement de poursuivre sa mission d'instruction du dossier ou en cas de contestation des mesures imposées, sans que ses décisions n'aient l'autorité de la chose jugée.

17. La notification du jugement du 8 décembre 2021 mentionne qu'il n'est pas susceptible d'appel non plus que d'un pourvoi en cassation ce dont il se déduit que le délai de recours n'a pas couru.

18. Le pourvoi est, dès lors, recevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

19. La banque fait grief au jugement de déclarer prescrite sa créance figurant à l'état détaillé des dettes établi par la commission de surendettement des particuliers des [Localité 7], alors « que la décision de recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement emporte suspension et interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre du débiteur jusqu'à l'expiration du plan de surendettement de sorte que, pendant cette période, le créancier, qui dispose déjà d'un titre exécutoire constatant sa créance, ne peut interrompre la prescription en exerçant une action en exécution forcée contre les biens du débiteur et est donc dans l'impossibilité d'agir à l'encontre de ce dernier, ce qui a pour effet de suspendre, le temps de la procédure de surendettement, le délai de prescription de sa créance ; qu'en énonçant, pour déclarer la créance de la [4] prescrite, que si cette dernière se prévalait d'une déchéance du terme intervenue en janvier 2013, d'une déclaration de surendettement de la débitrice déclarée recevable en janvier 2014 et d'une homologation des mesures recommandées en septembre 2015 prévoyant un moratoire de deux ans, seules les mesures imposées au créancier étaient susceptibles d'interrompre la prescription de sorte que la prescription contractuelle de droit commun quinquennale était acquise en janvier 2018, sans vérifier, comme il le lui incombait pourtant, si, dès lors qu'il n'était pas contesté que la banque disposait d'un titre exécutoire, la prescription de sa créance n'avait pas été suspendue le temps de la procédure de surendettement, le tribunal judiciaire a violé les anciens articles L. 331-3-1 et L. 331-9 du code de la consommation, applicables au litige, ensemble les articles 2224 et 2234 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

20. Mme [T] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit.

21. Cependant, la banque a invoqué dans ses conclusions devant le tribunal judiciaire d'une part, la suspension des voies d'exécution induite par la décision de recevabilité du 28 janvier 2014 dont le terme a fait, à nouveau, courir le délai de prescription et d'autre part, l'interruption de ce délai au regard de l'homologation de mesures recommandées le 30 septembre 2015.

22. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 331-3-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 1013-672 du 26 juillet 2013 :

23. Il résulte de ce texte que la décision de recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement emporte suspension et interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur.

24. Pour constater la prescription de la créance de la banque en recouvrement de sommes dues au titre d'un prêt notarié, le jugement relève qu'au regard d'une déchéance du terme intervenue en janvier 2013, la prescription quinquennale était acquise en janvier 2018, à défaut de fait interruptif se déduisant de la procédure de surendettement.

25. En statuant ainsi, alors que le créancier qui recherche l'exécution d'un titre notarié ne peut, à compter de la décision de recevabilité du débiteur au bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers, interrompre la prescription en diligentant une procédure d'exécution et qu'il ne saurait lui être imposé d'introduire une action au fond afin de suspendre la prescription, le tribunal a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit prescrite la créance de la [4], et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement rendu le 8 décembre 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Perpignan ;

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Montpellier.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Vendryes - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; Me Isabelle Galy -

Textes visés :

Article L. 331-3-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 1013-672 du 26 juillet 2013.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 28 juin 2018, pourvoi n° 17-17.481, Bull. 2018, II, n° 142 (rejet).

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