Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2024

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 28 février 2024, n° 22-15.624, (B), FRH

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Preuve – Charge – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 30 avril 2020), M. [M] a été engagé par la société Cevi (la société) le 3 juillet 2000, et exerçait en dernier lieu les fonctions de technicien confirmé mécanique véhicules industriels.

2. Il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes le 26 novembre 2015.

3. La société a été placée en redressement judiciaire le 28 juin 2016 par le tribunal de commerce de Tours, puis est redevenue in bonis.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de rappel de primes mensuelles, de rappel de salaire et de congés payés afférents, alors « que la cour d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, ne peut sans appel incident valable réformer la décision des premiers juges dans un sens défavorable à l'appelant ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes de rappel de primes mensuelles allouées par les premiers juges alors même que l'intéressé avait seul valablement relevé appel du jugement entrepris, les conclusions de l'employeur ayant été déclarées irrecevables comme tardives par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 19 décembre 2018 et le CGEA de [Localité 4] n'ayant pas formé appel incident en son nom, ayant au surplus été mis hors de cause, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 4, 542, 909 et 914 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 562 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ce texte que les juges du fond ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son seul appel, en l'absence d'appel incident.

7. L'arrêt infirme le jugement en ce qu'il a fixé les créances du salarié au passif de la société à titre de rappel de primes mensuelles d'avril 2012 à 2015 et des congés payés afférents, et déboute l'intéressé de ses demandes.

8. En statuant ainsi, alors d'une part qu'elle avait constaté que les conclusions de l'employeur avaient été déclarées irrecevables, d'autre part qu'aucun appel incident n'avait été formé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de résiliation judiciaire de son contrat de travail, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, alors « que lorsque le salarié invoque, à l'appui d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, une inobservation des règles de prévention et de sécurité par son employeur, il incombe à ce dernier de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité, et notamment à son obligation de prévention des risques ; que dès lors, en déboutant le salarié de sa demande de résiliation judiciaire aux motifs que la charge de la preuve du manquement reproché à l'employeur incombe au salarié et que cette preuve n'est pas établie, les circonstances de l'accident du travail étant inconnues, alors que le salarié invoquait à l'appui de sa demande la survenance d'un accident du travail causé par l'absence de fourniture des équipements de protection individuelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3-2, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble l'article 1353, alinéa 2, du code civil ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 1353 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 :

10. Il résulte de ces textes que lorsque le salarié invoque un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime, il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

11. Pour débouter le salarié de sa demande de résiliation judiciaire pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que l'intéressé justifie avoir été hospitalisé le 28 février 2018 en raison d'une plaie pulpaire au troisième rayon de la main gauche, puis avoir été en arrêt de travail du 1er au 25 mars 2018, qu'il n'explique pas les circonstances dans lesquelles il a été blessé sur son lieu de travail et que c'est de manière totalement inopérante qu'il met en avant qu'il revient à l'employeur de prouver qu'il a satisfait à son obligation de sécurité puisqu'au contraire, c'est à lui, qui sollicite la résiliation de son contrat de travail, de démontrer la réalité des manquements qu'il invoque.

12. Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'employeur de démontrer qu'il avait pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation prononcée sur le premier moyen ne s'étend pas au chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande de rappel de salaire de base et congés afférents, visé par le moyen.

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de ses demandes de rappel de primes mensuelles d'avril 2012 à 2015 entraîne la cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande de remise de bulletins de salaire et documents de fin de contrat qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de sa demande en paiement d'un rappel de primes mensuelles d'avril 2012 à 2015 et des congés payés afférents, en ce qu'il le déboute de ses demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail, d'indemnité légale de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de remise de bulletins de salaire et documents de fin de contrat et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 30 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Valéry - Avocat(s) : Me Brouchot ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 1353 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur la preuve relative à un manquement à l'obligation de sécurité en cas de survenue d'un accident du travail, à rapprocher : Soc., 5 juillet 2017, pourvoi n° 15-23.572, (cassation partielle) ; Soc., 23 janvier 2019, pourvoi n° 17-18.771, (cassation partielle).

2e Civ., 29 février 2024, n° 22-18.868, (B), FRH

Rejet

Employeur – Responsabilité – Faute – Faute inexcusable – Définition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles,16 juin 2022), Mme [C] (la victime), salariée de l'association Hôpital [4] (l'employeur), a été victime, dans la nuit du 8 au 9 janvier 2017, d'un accident pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine (la caisse).

2. La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que l'accident est dû à sa faute inexcusable, alors :

« 1°/ que la reconnaissance d'une faute inexcusable suppose qu'un lien de causalité nécessaire soit établi entre le manquement reproché à l'employeur et la lésion survenue au temps et au lieu de travail ; qu'au cas présent, l'employeur faisait valoir que le fait que les accès aux urgences aient été ouverts 24 heures sur 24 était indifférent dès lors qu'un patient, une fois pris en charge, pouvait être l'auteur d'une agression, et que la mise en place d'agents de sécurité dédiés à la protection et de portes fermant la zone de soins n'aurait pas été en mesure d'empêcher l'accident ; que pour retenir l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, la cour d'appel a énoncé que les zones de soins et ambulatoire n'étaient pas été fermées par une vitre ni l'accès limité par des portes, la cour d'appel s'étant bornée à déduire de la réalisation du risque que les mesures de sécurité mises en oeuvre par l'employeur étaient « manifestement insuffisantes à prévenir les risques d'agression au sein même de l'hôpital » ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser en quoi l'agression de la victime par une patiente déjà admise aux urgences pour y être soignée, était en lien de causalité avec l'absence de fermeture de la zone de soins et ambulatoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;

2°/ que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que le caractère suffisant des mesures prises s'apprécie au regard de la conscience qu'avait, ou qu'aurait dû avoir l'employeur, du danger ; qu'il ne peut être considéré que la seule réalisation du risque démontrerait le caractère insuffisant des mesures mises en oeuvre par l'employeur, et donc sa conscience du danger subsistant, pour retenir l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, les juges du fond étant tenus de caractériser quelles mesures auraient pu être prises afin d'éviter la réalisation du risque ; qu'au cas présent, l'employeur faisait valoir qu'elle avait mis en place avant l'accident des mesures de nature à prévenir le risque d'agression en recrutant notamment un maître-chien et en ayant fait appel à une prestation de sécurité de niveau 2 de 20h à 7h ; que le fait que les accès aux urgences aient été ouverts 24 heures sur 24 était indifférent dès lors qu'un patient, une fois pris en charge, pouvait être l'auteur d'une agression, ce qui avait été le cas de la patiente ayant agressé la victime ; que l'hôpital avait organisé régulièrement des formations sur la gestion de la violence et les situations traumatisantes et aucun dispositif de sécurité supplémentaire n'aurait pu empêcher l'accident, dû au comportement imprévisible de la patiente ; que l'hôpital indiquait encore qu'il serait excessif de placer, au sein d'un hôpital, des agents de sécurité armés, des portes blindées ou un filtrage systématique comme le soutenait la victime, tandis que la multiplication des dispositifs de sécurité ne pourrait en aucun cas garantir un risque zéro quant à la survenance d'un incident ; que la cour d'appel, pour retenir l'existence d'une faute inexcusable, a énoncé qu'aucune mesure n'avait été prise, avant l'agression, de nature à prévenir le risque tandis qu'il avait été demandé que la zone de soins et l'ambulatoire soient fermés par une vitre et que l'accès soit limité par des portes à l'entrée ; que ces portes n'avaient jamais fonctionné et il n'existait pas de personnel dédié à la protection, le recrutement d'un agent de sécurité pour des vacations et pour contrôler l'accès, ainsi que la fermeture des portes coulissantes, ayant été mises en place après l'accident ; qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi le contrôle à l'entrée des urgences et la fermeture des portes de la zone de soins auraient été de nature à éviter l'accident et à préserver la victime du danger tandis qu'elle avait été agressée par une patiente admise aux urgences dans le parcours de soin, de sorte que le contrôle à l'entrée des urgences et la présence de portes fermées n'auraient pas empêché l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

6. L'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la victime a subi une agression physique par une patiente rentrée dans l'espace ambulatoire alors que le médecin ne prêtait pas attention à elle, et que seule l'équipe de soins est intervenue pour les séparer. Il relève que la recrudescence d'actes violents au sein du service des urgences de l'hôpital avait été évoquée dès 2015, en raison, notamment, de l'engorgement des services générant l'insatisfaction des usagers, l'altération des conditions de travail et la dégradation de la qualité des soins. Il en déduit que l'employeur ne pouvait ignorer le risque d'agression encouru par son personnel soignant, médecins compris.

7. Il estime ensuite que le recrutement d'un agent de sécurité et la fermeture de la zone de soins par des portes coulissantes, qui lui avaient été demandés par certains salariés pour sécuriser les locaux, sont postérieurs à l'accident du travail. Il relève que le contrat de sécurité cynophile était manifestement insuffisant à prévenir les risques d'agression au sein même de l'hôpital et retient que l'organisation de formations sur la gestion de la violence constituait une réponse sous-dimensionnée par rapport à la réalité et la gravité du risque encouru. Il en déduit que les mesures de protection mises en oeuvre par l'employeur étaient insuffisantes ou inefficaces à prévenir le risque d'agression auquel était soumis son personnel.

8. En l'état de ces constatations et énonciations, relevant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Lerbret-Féréol - Avocat général : Mme Tuffreau - Avocat(s) : SCP Yves et Blaise Capron ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ; articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677, Bull. (cassation).

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