Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2024

CHOSE JUGEE

2e Civ., 8 février 2024, n° 22-10.614, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Etendue – Evénements postérieurs ayant modifié la situation antérieurement reconnue en justice – Portée

Il résulte de l'article 1355 du code civil que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation reconnue antérieurement en justice.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 18 novembre 2021), invoquant des désordres sur leur maison liés à la sécheresse de l'année 2007, M. et Mme [S] ont assigné leur assureur, la société Sogessur, devant un tribunal de grande instance aux fins de voir dire que la garantie de la compagnie d'assurances est acquise et la condamner au paiement de la somme principale de 170 985 euros représentant la reprise en sous-oeuvre par micro-pieux des fondations de la maison.

2. Par arrêt irrévocable du 8 mars 2018, ils ont été déboutés de leurs demandes.

3. Constatant en 2017, l'apparition de fissures en façade, M. et Mme [S] ont procédé le 4 septembre 2017 à une déclaration de sinistre auprès de leur nouvel assureur, la société Groupama méditerranée, qui, après une expertise, a refusé sa garantie.

4. M. et Mme [S] ont saisi un juge des référés qui, par ordonnance du 17 septembre 2018, a ordonné une expertise.

5. Le 24 mars 2020, M. et Mme [S] ont assigné la société Groupama méditerranée et la société Sogessur aux fins de les voir condamnées au paiement de diverses sommes l'une au titre des démolitions.

6. Saisi par la société Sogessur de conclusions d'incident aux fins de voir déclarer M. et Mme [S] irrecevables en leur action en raison de l'autorité de la chose jugée notamment, un juge de la mise en état a débouté la société Sogessur de ses demandes.

7. La société Sogessur a relevé appel de cette ordonnance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. et Mme [S] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 8 mars 2018, leurs demandes envers la société Sogessur introduites par assignation du 24 mars 2020, alors « que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une demande qui, tendant à la réparation d'un élément de préjudice non inclus dans la demande initiale, a un objet différent de celle ayant donné lieu au premier jugement ; qu'en l'espèce, par un arrêt confirmatif du 8 mars 2018, la cour d'appel de Nîmes a rejeté la demande des époux [S] aux fins de voir condamner la société Sogessur au paiement de la somme principale de 170 985 euros représentant la reprise en sous-oeuvre par micro-pieux des fondations de la maison ; qu'en déclarant irrecevable, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 8 mars 2018, la demande des époux [S] à l'encontre de la société Sogessur introduite par l'assignation du 24 mars 2020 et aux fins notamment de condamnation de cette société à garantir le coût des travaux de démolition/reconstruction de leur villa à hauteur de 393 960 euros, quand cette demande des époux [S] avait un objet distinct de celle rejetée par l'arrêt du 8 mars 2018, à savoir la réparation d'un préjudice nouveau compte tenu de l'aggravation des dommages subis par leur maison, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1355 du code civil :

9. Aux termes de ce texte, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

10. Il résulte du même texte que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation reconnue antérieurement en justice.

11. Pour infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état ayant débouté la société Sogessur de ses demandes et déclarer irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 8 mars 2008, les demandes de M. et Mme [S] envers la société Sogessur introduites par assignation du 24 mars 2020, l'arrêt retient que la demande a le même objet, soit l'indemnisation des époux [S] au titre de la garantie catastrophe naturelle souscrite auprès de la société Sogessur relativement à l'événement de catastrophe naturelle reconnu par l'arrêté du 7 octobre 2017.

12. En statuant ainsi, alors que les demandes introduites par l'assignation du 24 mars 2020, qui avaient pour objet la condamnation de la société Sogessur au paiement des sommes de 393 960 euros au titre des travaux de démolition/construction, 60 000 euros au titre du préjudice de jouissance, 3 600 euros au titre des frais de transport des meubles pour les frais de transport de meubles pour le déménagement et ré-aménagement, 1 920 euros au titre de garde meuble et 12 000 euros au titre de frais de relogement, résultaient d'événements postérieurs venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif de M. et Mme [S], il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes n° 10 et 12 qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état ayant rejeté les demandes de la société Sogessur et de dire que l'instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire d'Avignon entre M. et Mme [S], la société Sogessur et la société Groupama méditerranée.

Mise hors de cause

16. La demande de mise hors de cause de la société Groupama méditerranée est sans objet en conséquence de la cassation sans renvoi ainsi prononcée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a débouté la société Sogessur, et statuant à nouveau de ces seuls chefs et y ajoutant, déclare irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 8 mars 2008, les demandes de M. et Mme [S] envers la société Sogessur introduites par assignation du 24 mars 2020 et condamne M. et Mme [S] aux dépens de l'incident en première instance et aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du 1er mars 2021 ;

Dit que l'instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire d'Avignon entre M. et Mme [S], la société Sogessur et la société Groupama méditerranée ;

Dit n'y avoir lieu à mise hors de cause de la société Groupama méditerranée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Cabinet François Pinet ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article 1355 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 28 mars 2019, pourvoi n° 17-17.501, Bull. (rejet).

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