Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2024

BANQUE

Com., 14 février 2024, n° 22-11.654, (B), FRH

Rejet

Paiement – Instrument de paiement – Utilisation frauduleuse par un tiers – Responsabilité des prestataires de services de paiement – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Virements réalisés dans une devise autre que l'euro

Il résulte des dispositions de l'article L. 133-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, que des virements, réalisés en juillet 2016 dans une devise autre que l'euro ou une devise d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui n'appartient pas à la zone euro, ne relèvent pas du régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu au code monétaire et financier, de sorte que la responsabilité de la banque ne peut être engagée que sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle.

Responsabilité – Virement – Droit commun – Cas – Virements réalisés dans une devise autre que l'euro

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 10 novembre 2021), en juillet 2016, la société Jirlec a donné instruction à la société Banque française commerciale Océan Indien (la banque) de procéder à trois virements libellés en dollars américains (USD) afin de payer le solde de factures émises par des fournisseurs.

2. La société Jirlec a, par la suite, constaté qu'un tiers avait frauduleusement accédé à son système de messagerie électronique et que les virements avaient été faits à destination de comptes n'appartenant pas à ses fournisseurs, en exécution de courriels adressés par des tiers ayant usurpé l'identité de ses interlocuteurs habituels.

3. La banque ne lui ayant restitué que la partie des fonds transférés retournée par l'établissement bancaire de l'un des destinataires après la découverte des agissements frauduleux, la société Jirlec l'a assignée en paiement en invoquant un manquement à son obligation de vigilance et de surveillance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Jirlec fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre de la banque, alors « qu'un établissement de crédit est tenu d'un devoir de vigilance dans le traitement des ordres de virement de son client et doit ainsi, en présence d'anomalies apparentes, prendre toute précaution utile et alerter son client afin de procéder à des vérifications auprès de lui ; que, par ses dernières écritures d'appel, la société Jirlec, victime d'un piratage informatique ayant permis à son auteur de lui réclamer paiement de sommes dues à trois de ses fournisseurs asiatiques habituels par le biais d'adresses électroniques quasi-identiques à celles desdits fournisseurs, avait fait valoir que la banque, compte tenu de la connaissance par la banque de la pratique commerciale de la société Jirlec ¿ pratique consistant à régler à ses fournisseurs un acompte, puis le solde du prix des achats effectués auprès d'eux ¿, et de l'indication des factures à régler dans les ordres de virement, avait manqué à son devoir de vigilance pour n'avoir pas avisé cette société des anomalies apparentes que constituaient les différences, pour chacun des trois virements litigieux, effectués dans un même laps de temps, entre l'identité et l'adresse de la société bénéficiaire du paiement de l'acompte dû pour les achats concernés et celles de la société bénéficiaire des virements litigieux, au titre du solde du prix de ces achats, ainsi que le changement dans ce même bref laps de temps des coordonnées bancaires des trois fournisseurs, certaines se rapportant à des comptes mentionnés expressément comme étant « offshore » ; qu'en se bornant néanmoins, pour écarter, s'agissant des virements concernés, tout manquement de la banque à son devoir de vigilance, à retenir l'absence de caractère inhabituel d'opérations faites à destination de nouveaux fournisseurs asiatiques ou de caractère exceptionnel du montant de ces opérations, sans rechercher, comme l'y avait pourtant invitée la société Jirlec, si les différences d'identité et d'adresse des sociétés réglées au titre de l'acompte et du solde du prix des achats, ainsi que le changement de coordonnées bancaires renvoyant pour certaines à des comptes « offshore », ne constituaient pas des anomalies apparentes dont la banque aurait dû l'aviser, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. Les virements litigieux ayant été réalisés en juillet 2016 dans une devise autre que l'euro ou une devise d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui n'appartient pas à la zone euro, il résulte des dispositions de l'article L. 133-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, applicable ratione temporis que le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu au code monétaire et financier n'est pas applicable, de sorte que la responsabilité de la banque ne peut être engagée que sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle.

6. L'arrêt énonce, à bon droit, qu'à réception d'un ordre de virement, le banquier, qui est tenu de s'assurer que celui-ci émane bien du titulaire du compte à débiter ou de son représentant et ne présente aucune anomalie apparente, formelle ou intellectuelle, doit vérifier que l'opération n'est pas manifestement irrégulière ou inhabituelle dans la pratique commerciale de son client.

7. Après avoir relevé que les ordres de virements litigieux libellés en USD émanaient de la société Jirlec, qui les avait signés et avait fourni à la banque les éléments d'identification des comptes bancaires sur lesquels les fonds devait être virés, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les instructions ainsi données s'inscrivaient dans la logique des relations d'affaires entretenues avec des fournisseurs basés en Asie, que les montants des virements n'étaient en rien exceptionnels, que la société Jirlec était en possession des factures en règlement et qu'elle n'ignorait pas la dénomination sociale de ses fournisseurs.

8. En l'état des ces constatations et appréciations souveraines, dont il se déduit que les ordres de virement litigieux n'étaient affectés d'aucune anomalie apparente, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Calloch - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article L. 133-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014.

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