Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2024

BAIL RURAL

3e Civ., 8 février 2024, n° 22-16.422, (B), FS

Rejet

Bail à ferme – Apport en société – Conditions – Clause d'agrément insérée dans le bail – Défaut d'identification du bénéficiaire – Sanction – Détermination

Il résulte des articles L. 411-38 et L. 415-12 du code rural et de la pêche maritime qu'une clause, insérée dans un bail à ferme, selon laquelle le bailleur donne son accord pour l'apport par le preneur de son droit à une société, sans aucune identification du bénéficiaire de cette autorisation, doit être réputée non écrite.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 17 mars 2022), le 14 juin 1989, les consorts [T], aux droits desquels vient Mme [D], ont donné à bail rural à long terme diverses parcelles à M. [X].

2. Le 27 juin 2019, Mme [D] a délivré congé à M. [X] pour le 31 décembre 2020, au motif qu'il avait atteint l'âge de la retraite.

3. Le 4 octobre 2019, M. [X] a signifié à Mme [D] l'apport de son droit au bail à la société civile d'exploitation agricole Le Buisson (la SCEA), invoquant y être autorisé par une clause du bail.

4. Respectivement, le 11 octobre 2019 et le 14 janvier 2020, M. [X] et Mme [D] ont saisi un tribunal paritaire des baux ruraux, l'un en annulation du congé et l'autre en résiliation du bail pour cession prohibée.

Les deux instances ont été jointes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. [X] fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir, tirée de la prescription, de réputer non écrite la clause manuscrite, insérée au bail du 14 juin 1989, d'apport du droit au bail à une société agricole et de déclarer nul l'apport du droit au bail à la SCEA, alors :

« 1°/ que selon l'article L. 411-38,1er al. du code rural et de la pêche maritime, le preneur ne peut faire apport de son droit au bail à une société civile d'exploitation agricole ou à un groupement de propriétaires ou d'exploitants qu'avec l'agrément personnel du bailleur et sans préjudice du droit de reprise de ce dernier ; que pour dire réputée non écrite la clause manuscrite ajoutée au bas de l'acte du 14 juin 1989 selon laquelle : « conformément aux dispositions de l'article L. 411-38 du code rural, le preneur pourra faire apport de son droit au bail à une société agricole », le bailleur donnant « d'ores et déjà son accord pour l'apport par le preneur de son droit à une société », la cour d'appel retient que cette clause est rédigée en des termes généraux qui ne permettent notamment pas d'identifier le bénéficiaire éventuel de l'apport et ne peut constituer un agrément personnel du bailleur tel qu'imposé par les dispositions légales impératives ; qu'en statuant ainsi cependant que la clause précise que cet apport ne pourra intervenir qu'au profit d'une société agricole et comporte bien l'accord personnel du bailleur à cette cession, la cour d'appel, pour s'être fondée sur ces motifs revenant à ajouter à l'article L. 411-38, 1er al. du code rural et de la pêche maritime des conditions qu'il ne comporte pas, en a violé les dispositions ;

2°/ que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par M. [X], la cour d'appel retient encore que l'agrément personnel du bailleur imposé par l'article L. 411-38 constitue une condition impérative à la validité de l'apport de sorte qu'une autorisation générale donnée par anticipation sans aucune identification de son bénéficiaire est de nature à constituer une violation d'une disposition d'ordre public et que l'action tendant à déclarer la clause litigieuse non écrite n'est dès lors pas prescrite et sera par conséquent déclarée recevable ; qu'en statuant ainsi cependant que l'action visant à faire déclarer non écrite une clause d'un contrat constitue une action personnelle, laquelle, sauf texte spécial venant déroger à l'article 2224 du code civil, se prescrit dans un délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, la cour d'appel a violé les dispositions de ce texte par refus d'application. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 411-38 du code rural et de la pêche maritime, le preneur ne peut faire apport de son droit au bail à une société civile d'exploitation agricole ou à un groupement de propriétaires ou d'exploitants qu'avec l'agrément personnel du bailleur et sans préjudice du droit de reprise de ce dernier. Ces dispositions sont d'ordre public.

7. Selon l'article L. 415-12 du code rural et de la pêche maritime, toute disposition des baux restrictive des droits stipulés par le titre 1er de ce code est réputée non écrite.

8. La cour d'appel a retenu, à bon droit, qu'une clause, insérée dans un bail à ferme, selon laquelle le bailleur donne son accord pour l'apport par le preneur de son droit à une société, sans aucune identification du bénéficiaire de cette autorisation, doit être réputée non écrite et que l'action tendant à le voir constater n'est pas soumise à prescription.

9. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Bosse-Platière - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 411-38 et L. 415-12 du code rural et de la pêche maritime.

3e Civ., 29 février 2024, n° 22-17.362, n° 22-21.127, (B), FS

Cassation partielle

Bail à ferme – Prix – Fixation – Clause de détermination du prix à une fraction de la récolte du fermier – Illicéité – Sanction – Détermination

Il résulte des articles L. 411-11 et L. 411-14 du code rural et de la pêche maritime que la clause d'un bail à ferme fixant le fermage à une fraction de la récolte du fermier est illicite, ce qui ouvre une action en régularisation pour fermage illicite.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-17.362 et n° 22-21.127 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 avril 2022), par acte du 16 novembre 1991, M. [W] (le bailleur) a donné à bail à ferme à M. [L] (le preneur) diverses parcelles de terre, moyennant un « fermage annuel égal à un cinquième de la récolte produite sur les parcelles louées, fruits bruts, bord de champ, non logés ».

3. Le 2 décembre 2018, le bailleur a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux aux fins d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire pour évaluer les fermages dus depuis l'année 2013 en fonction de la récolte produite sur les parcelles louées.

4. Après dépôt du rapport d'expertise, il a sollicité la résiliation du bail et la condamnation du preneur à lui payer diverses sommes au titre des fermages dus pour les années 2013 à 2019.

5. Le preneur a demandé, à titre reconventionnel, la nullité de la clause fixant le fermage.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office

6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 411-11 et L. 411-14 du code rural et de la pêche maritime :

7. Selon le premier de ces textes, le loyer des terres nues portant des cultures permanentes viticoles, arboricoles, oléicoles et agrumicoles et des bâtiments d'exploitation y afférents peut être évalué en une quantité de denrées comprise entre des maxima et des minima arrêtés par l'autorité administrative.

8. Il est jugé que la quantité de denrées ne peut fluctuer au cours du bail en fonction de variables non conformes aux dispositions de l'article L. 411-11 précité (3e Civ., 21 janvier 2009, pourvoi n° 07-20.233, Bull. 2009, III, n° 18).

9. Selon le second de ces textes, les dispositions précitées sont d'ordre public.

10. Il en résulte que la clause d'un bail à ferme fixant le fermage à une fraction de la récolte du fermier est illicite, ce qui ouvre une action en régularisation pour fermage illicite.

11. Pour rejeter la demande du preneur en nullité de la clause fixant le fermage, l'arrêt retient qu'un fermage fixé par référence à la denrée visée par l'arrêté préfectoral alors applicable, mais ne respectant pas les minima et maxima fixés par l'autorité administrative, n'ouvre pas au fermier une action en nullité mais une action en révision.

12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le fermage était fixé à un cinquième de la récolte produite sur les parcelles louées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-17.362

Enoncé du moyen

13. Le preneur fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du bail rural du 16 novembre 1991 et d'ordonner son expulsion, alors « que les agissements du preneur d'un bail rural ne peuvent être considérés comme des motifs de résiliation du bail que s'ils sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds ; qu'en affirmant, pour prononcer la résiliation du bail, d'une part, que l'absence d'assurance contre le risque « grêle » et la perte de la récolte en raison de l'épisode de gel survenu en mai 2019 attestaient du comportement négligent de M. [L] et avaient porté préjudice au bailleur, et d'autre part, que le fait pour M. [L] de n'avoir pas tenu une comptabilité permettant de vérifier la quantité des récoltes produites compte tenu des modalités de calcul du fermage constituait une faute grave, la cour d'appel, qui n'a pas constaté, au cas particulier, que ces agissements avaient compromis la bonne exploitation du fonds, a violé l'article L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-27 du même code et l'article 1766 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 411-31, I, 2°, du code rural et de la pêche maritime :

14. Selon ce texte, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s'il justifie d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.

15. Pour prononcer la résiliation du bail, par motifs adoptés, l'arrêt retient, d'abord, que le preneur n'a pas assuré sa récolte contre le risque de grêle, alors qu'une clause du bail lui en faisait l'obligation, qu'il n'a installé qu'en 2012 des filets anti-grêle et que la grêle a causé, plusieurs années, des dégâts aux vergers.

16. Il constate, ensuite, qu'un gel important s'est produit dans la nuit du 5 au 6 mai 2019, et que le preneur a mis en marche le système de protection contre le gel mais n'a pas surveillé le bon fonctionnement du dispositif, de sorte que la récolte a été quasiment inexistante.

17. Il en déduit que, le prix du fermage dépendant de la récolte, le bailleur a subi un préjudice et que les divers manquements commis par le preneur ont compromis la bonne exploitation du fonds.

18. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la compromission de la bonne exploitation du fonds, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation du chef rejetant la demande en nullité de la clause fixant le fermage entraîne la cassation des chefs de dispositif disant qu'aucune somme n'est due au titre des fermages pour les années 2013 à 2017, condamnant le preneur à payer au bailleur une certaine somme au titre des fermages des années 2018 et 2019 et ordonnant la capitalisation des intérêts, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° 22-17.362 et sur ceux du pourvoi n° 22-21.127, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il écarte la note technique de M. [F] et rejette la demande de M. [L] tendant à écarter le compte-rendu d'accédit de M. [F], l'arrêt rendu le 12 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Davoine - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix -

Textes visés :

Articles L. 411-11 et L. 411-14 du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 21 janvier 2009, pourvoi n° 07-20.233, Bull. 2009, III, n° 18 (cassation partielle).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.