Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2023

SAISIE IMMOBILIERE

Com., 8 février 2023, n° 21-17.763, (B) (R), FS

Cassation

Procédure – Audience d'orientation – Contestations et demandes incidentes – Montant de la créance du poursuivant – Fixation – Titre exécutoire – Décision d'admission au passif d'une procédure collective – Autorité relative de la chose jugée à l'égard du juge de l'exécution – Pouvoirs du juge en matière de clauses abusives – Etendue

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 décembre 2020), par deux actes notariés du 30 juillet 2004, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à M. [T] des prêts destinés à l'acquisition d'un immeuble constituant sa résidence principale et garantis par un privilège de prêteur de deniers ainsi qu'une hypothèque conventionnelle.

2. Par un acte notarié du 15 mai 2009, M. [T] a effectué une déclaration d'insaisissabilité de cet immeuble, qui a été publiée.

3. La banque a prononcé la déchéance du terme des prêts le 17 octobre 2011.

4. Les 10 mai et 7 juin 2012, M. [T] a été mis en redressement puis liquidation judiciaires.

Le 12 juin 2012, la banque a déclaré au passif ses créances au titre des prêts. Ces créances ont été admises par des ordonnances du 7 novembre 2013.

5. La banque a délivré à M. [T] un commandement de payer valant saisie immobilière le 8 août 2014, puis l'a assigné à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, afin que soit ordonnée la vente forcée de l'immeuble.

6. M. [T] s'est opposé à cette mesure d'exécution forcée en soulevant, à titre principal, la prescription de l'action de la banque et, subsidiairement, le caractère non exigible de la créance, en se prévalant, notamment, du caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans les prêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

7. M. [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa contestation relative à la prescription des créances de la banque et, en conséquence, de fixer le montant des créances de cette dernière aux sommes de 135 949,62 et 17 930,35 euros, outre les intérêts, et d'ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière, alors :

« 1°/ que la déclaration d'une créance au passif d'une procédure collective qui a un effet interruptif de la prescription de l'action en paiement sur le gage commun, est sans effet sur la prescription applicable au créancier en ce qu'il entend exercer ses droits sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui ne lui est pas opposable, en marge de la procédure collective de l'entrepreneur individuel, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière ; qu'en jugeant au contraire que la déclaration de ses créances au passif de la procédure collective de M. [T], effectuée par la BNP Paribas le 12 juin 2012, avait interrompu la prescription de l'action que la banque pouvait engager, en marge de la procédure collective, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière, sur la résidence principale de M. [T], objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui ne lui était pas opposable, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;

2°/ que dès lors qu'il peut agir sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui est inopposable, qu'il peut saisir en marge de la procédure collective, et que ses droits sur cet immeuble sont indépendants de ses droits dans la procédure collective, le créancier ne peut bénéficier d'aucune interruption et suspension de la prescription de son action sur cet immeuble du fait de sa déclaration de créance ; qu'en jugeant au contraire que la prescription de l'action de la BNP Paribas sur l'immeuble de M. [T] objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui était inopposable était interrompue par la déclaration de créances de la banque le 12 juin 2012 puis suspendue jusqu'à la décision d'admission des créances le 7 novembre 2013, de sorte que la prescription n'était pas acquise lors de la délivrance du commandement valant saisie le 8 août 2014, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;

3°/ dans un mémoire distinct et motivé, M. [T] a contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la portée effective conférée aux articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce, par l'interprétation jurisprudentielle selon laquelle l'effet interruptif, attaché à la déclaration de créance, de la prescription de l'action du créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité est inopposable sur l'immeuble objet de cette déclaration, se prolonge jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission ou, lorsque aucune décision n'a statué sur cette demande d'admission, jusqu'à la clôture de la procédure collective, ce qui porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi consacré par les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, entraînera par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique. »

Réponse de la Cour

8. En premier lieu, contrairement à ce que postule le moyen en ses première et deuxième branches, il résulte des articles L. 526-1, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 applicable en la cause, et L. 622-24 de ce code que, si un créancier inscrit à qui est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur peut faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble et use de la faculté de déclarer sa créance au passif de la procédure collective du débiteur, il bénéficie de l'effet interruptif de prescription attaché à sa déclaration de créance, cet effet interruptif se prolongeant jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission, dès lors que ce créancier n'est pas dans l'impossibilité d'agir sur l'immeuble au sens de l'article 2234 du code civil.

9. En second lieu, la Cour de cassation ayant, par un arrêt du 8 décembre 2021 (Com., 8 décembre 2021, QPC n° 21-17.763), dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [T], le moyen, pris en sa troisième branche, est sans portée.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses contestations relatives aux créances de la banque et, en conséquence, de fixer le montant des créances de cette dernière aux sommes de 135 949,62 et 17 930,35 euros, outre les intérêts, et d'ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière, alors « que les droits du créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable étant indépendants de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble, la décision d'admission ou de rejet de la créance de ce créancier au passif de la procédure collective n'a pas autorité de la chose jugée dans la procédure de saisie immobilière conduite en marge de la procédure collective et dans le cadre de laquelle il appartient au juge de l'exécution de fixer le montant de la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'en retenant néanmoins que M. [T] était irrecevable à contester le montant des créances de la banque au motif que "(l)es décisions (d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure de liquidation judiciaire de M. [T]) (avaient) autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fix(aient), la procédure de saisie immobilière ayant à cet égard le même objet de fixation de la créance du poursuivant », la cour d'appel a violé les articles L. 526-1 du code de commerce et L. 213-6, R. 322-15 et R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

12. La décision d'admission d'une créance au passif de la procédure collective d'un débiteur a, en principe, autorité de la chose jugée sur l'existence, la nature et le montant de la créance admise. Cette autorité s'impose en particulier au juge de l'exécution statuant à l'audience d'orientation qui se tient en cas de saisie immobilière initiée par un créancier auquel est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur et qui peut donc faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble, l'audience d'orientation ayant notamment pour objet, à l'instar de la procédure d'admission, de constater le principe de la créance du créancier poursuivant et d'en mentionner le montant retenu.

13. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

14. Il est statué sur ce moyen après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.

Enoncé du moyen

15. M. [T] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, le juge est tenu d'examiner, au besoin d'office, les clauses dont le caractère abusif est allégué ; qu'en retenant que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure collective de M. [T] l'empêchaient d'examiner le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée du contrat de prêt servant de fondement aux poursuites, quand elle était tenue d'examiner cette question sur laquelle le juge-commissaire ne s'était pas prononcé, la cour d'appel a violé les articles R. 632-1 du code de la consommation, issu de la directive 93/13 du 5 avril 1993, et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation :

16. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

17. Selon le second de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

18. Par un arrêt du 26 janvier 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que, dans l'hypothèse où, lors d'un précédent examen d'un contrat litigieux ayant abouti à l'adoption d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, le juge national s'est limité à examiner d'office, au regard de la directive 93/13 susvisée, une seule ou certaines des clauses de ce contrat, cette directive impose à un juge national d'apprécier, à la demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif des autres clauses dudit contrat (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14).

19. En outre, par un arrêt du 4 juin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l'ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d'être interprétée en conformité avec la directive 93/13 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale. À défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette directive, les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d'instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s'opposent à un tel examen (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C-495/19).

20. Il résulte d'un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en grande chambre le 17 mai 2022, que l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale qui, en raison de l'effet de l'autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d'examiner d'office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d'une procédure d'exécution hypothécaire ni au consommateur, après l'expiration du délai pour former opposition, d'invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l'objet, lors de l'ouverture de la procédure d'exécution hypothécaire, d'un examen d'office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l'exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l'existence de cet examen ni n'indique que l'appréciation portée par ce juge à l'issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l'absence d'opposition formée dans ledit délai (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, C-600/19 Ibercaja Banco).

21. Il résulte en outre d'un arrêt rendu le même jour que ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu'une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d'un créancier n'a pas fait l'objet d'une opposition formée par le débiteur, le juge de l'exécution ne peut pas, au motif que l'autorité de la chose jugée dont cette injonction est revêtue couvre implicitement la validité de ces clauses, excluant tout examen de la validité de ces dernières, ultérieurement, contrôler l'éventuel caractère abusif des clauses du contrat qui ont servi de fondement à ladite injonction (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503, C-693/19 et C-831/19).

22. Il s'en déduit que l'autorité de la chose jugée d'une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d'une procédure collective, résultant de l'article 1355 du code civil et de l'article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l'obligation incombant au juge national de procéder à un examen d'office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles.

23. Il en découle que le juge de l'exécution, statuant lors de l'audience d'orientation, à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen.

24. Il en résulte qu'un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d'un prêt immobilier, qu'il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l'occasion de la procédure de saisie immobilière d'un bien appartenant à ce débiteur, mise en oeuvre par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d'une ou plusieurs clauses de l'acte de prêt notarié dès lors qu'il ressort de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge ne s'est pas livré à cet examen.

25. Pour rejeter la contestation de M. [T], qui soutenait que la créance de la banque n'était pas liquide et exigible, au motif que la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans chacun des prêts était abusive, au sens des articles L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation, l'arrêt retient que, les décisions d'admission des créances du 7 novembre 2013 ont autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fixent, que celui-ci, débiteur convoqué à l'audience du juge-commissaire pour qu'il soit statué sur ses contestations, se présente en la même qualité devant le juge de l'exécution statuant en saisie immobilière que devant le juge-commissaire, et il relève que, devant ce juge, le débiteur n'a formulé aucune observation concernant la première créance et qu'il n'a pas davantage contesté la seconde.

L'arrêt en déduit que les moyens développés par M. [T] pour contester la validité de certaines clauses des contrats de prêts, en particulier celle portant exigibilité anticipée de ceux-ci, sont inefficaces pour remettre en cause la procédure de saisie immobilière.

26. En statuant ainsi, après avoir constaté que, dans ses décisions d'admission, le juge-commissaire n'avait pas examiné, à la demande de M. [T] ou d'office, le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée des prêts notariés fondant la saisie immobilière litigieuse, de sorte qu'il appartenait au juge de l'exécution, saisi d'une contestation formée sur ce point pour la première fois devant lui par M. [T] lors de l'audience d'orientation, de procéder à cet examen, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 ; article L. 132-1, alinéa 1, devenu L. 212-1, alinéa 1, du code de la consommation.

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