Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2023

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE

1re Civ., 8 février 2023, n° 21-23.976, (B), FS

Rejet

Droits d'auteur – Droits moraux – Droit au respect de l'oeuvre – Atteinte – Caractérisation – Exclusion – Cas – Séparation du texte et de la musique

Le texte et la musique d'une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte soit séparé de la musique ne porte pas nécessairement atteinte au droit moral de l'auteur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2021), M. [N], agissant en qualité d'exécuteur testamentaire en charge de l'exercice du droit moral de [P] [K], dit [P] [Y], compositeur et artiste-interprète, décédé le 13 mars 2010, et la société Productions Alleluia, titulaire des droits de reproduction des oeuvres de celui-ci, faisant grief à la société Librairie Arthème Fayard d'avoir publié un ouvrage intitulé « [P] [Y] « Je ne chante pas pour passer le temps » », signé par l'écrivain [E] [M], qui reproduisait cent trente-et-un extraits des chansons de [P] [Y], ainsi que, en page de couverture, le titre de l'une d'elles, l'ont assignée en contrefaçon.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches

Enoncé du moyen

3. M. [N] et la société Productions Alleluia font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que, lorsqu'une oeuvre a été divulguée, son auteur ne peut interdire les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; que chaque citation doit être faite conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; qu'en affirmant, de manière générale, pour accueillir l'exception de courte citation, que l'ouvrage était de qualité et que les citations litigieuses étaient justifiées par son caractère pédagogique et d'information, sans les examiner individuellement afin de vérifier leur adéquation et leur nécessité par rapport au but poursuivi par l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-5, 3°, a), du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 5, § 3, d), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;

2°/ qu'une décision de justice doit se suffire à elle-même ; qu'il ne peut être suppléé au défaut ou à l'insuffisance de motifs par le seul visa des documents de la cause ; qu'en énonçant, pour accueillir l'exception de courte citation, qu'en toute hypothèse, la société Librairie Arthème Fayard avait procédé dans ses écritures, pour chacun des extraits cités, à un exposé du contexte dans lequel s'inscrivait cette citation, démontrant ainsi que chacune des citations était nécessaire à l'analyse critique de la chanson citée, sans en rapporter la teneur, la cour d'appel n'a pas donné de motifs à sa décision et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que la courte citation ne peut être effectuée que dans le respect du droit moral de l'auteur ; qu'une chanson, lorsqu'elle est l'oeuvre d'un auteur-compositeur unique ou lorsqu'elle est une oeuvre de collaboration, constitue un tout indivisible, en sorte que la citation de ses seules paroles porte atteinte à son intégrité ; qu'en énonçant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur compositeur ou coauteur, qu'aucune atteinte au droit moral ne pouvait résulter du fait que le texte avait été séparé de la musique, dans la mesure où le texte et la musique relèvent de genres différents et sont dissociables, la cour d'appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5, 3°, a), interprété à la lumière de l'article 5, § 3, sous d), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, lequel, attaché à sa personne, est transmissible à cause de mort à ses héritiers et dont l'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.

5. Cependant, lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut, en application de l'article L. 122-5, 3°, du code de la propriété intellectuelle, interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source.

6. En premier lieu, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que, le texte et la musique d'une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l'auteur.

7. En second lieu, en retenant que la société Librairie Arthème Fayard avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d'elles était nécessaire à l'analyse critique de la chanson à laquelle se livrait M. [M], permettant au lecteur de comprendre le sens de l'oeuvre évoquée et l'engagement de l'artiste, et que ces citations ne s'inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d'information de l'ouvrage qui, richement documenté, s'attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [P] [Y], la cour d'appel, appréciant elle-même, par une décision motivée, les justifications apportées aux citations litigieuses, a pu accueillir l'exception de courte citation.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Articles L. 121-1 et L. 122-5, 3°, du code de la propriété intellectuelle.

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