Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2023

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES

1re Civ., 8 février 2023, n° 22-10.169, (B), FRH

Rejet

Médecin – Responsabilité contractuelle – Dommage – Réparation – Perte d'une chance – Perte d'une chance d'éviter une anoxo-ischémie (non) – Condition

Une cour d'appel, qui écarte l'éventualité que l'infirmité d'un enfant ait été causée par une hypotension artérielle sévère présentée par sa mère, ne peut qu'en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que les manquements du médecin-anesthésiste n'ont pas fait perdre à l'enfant une chance d'éviter une anoxo-ischémie.

Médecin – Responsabilité contractuelle – Conditions – Imputabilité du dommage à la faute du professionnel de santé – Preuve – Charge – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 07 octobre 2021), le 15 mai 2010, Mme [X] a donné naissance par césarienne à une fille, [U] [K], qui présente une infirmité motrice cérébrale consécutive à une anoxo-ischémie.

2. Le 8 novembre 2012, contestant sa prise en charge lors de la naissance, au sein de la clinique [5], par M. [W], médecin-anesthésiste (le médecin-anesthésiste) ayant pratiqué une rachianesthésie et par M. [M], pédiatre (le pédiatre), Mme [X] a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (la CCI), qui a ordonné successivement deux expertises confiées à des collèges d'experts.

3. Par un avis du 18 décembre 2014, la CCI a estimé qu'il appartenait à la société Le Sou médical, assureur du pédiatre et du médecin- anesthésiste, d'indemniser les préjudices subis à hauteur de 30 % pour le premier et de 50 % pour le second.

4. Les 14 et 15 février 2017, à l'issue d'une indemnisation versée par la société Le Sou médical au titre de la part des préjudices imputés au pédiatre et d'un refus de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) de se substituer à cet assureur pour la part imputée au médecin-anesthésiste, Mme [X] a assigné en responsabilité et indemnisation M. [W], la société Le Sou médical, aux droits de laquelle vient la société Mutuelle d'assurances du corps de santé français (MACSF), et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise (la caisse), qui a demandé le remboursement de ses débours.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, réunis

Enoncé des moyens

5. Par le moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, Mme [X] et la caisse font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « qu'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant Mme [X] et la caisse faute d'établir avec certitude que les manquements imputables au médecin-anesthésiste avaient fait perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et L. 1142-1 du code de la santé publique. »

6. Par le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, la caisse fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu' en cas de faute imputée au professionnel de santé dans la tenue du dossier médical, la charge de la preuve est inversée et il appartient au professionnel de santé de démontrer que sa faute n'est pas à l'origine du dommage corporel subi par la victime ; qu'ayant constaté qu'en méconnaissance des règles de bonne pratique, le Dr [W] n'avait pas consigné les données de surveillance hémodynamique qui auraient permis de savoir si Mme [X] a présenté une hypotension de nature à expliquer l'anoxo-ischémie dont a souffert son enfant, la cour d'appel se devait d'en déduire qu'il appartenait au médecin-anesthésiste de démontrer que sa faute, résultant de ce qu'il a omis de procéder à un acte de nature à prévenir l'hypotension, n'a pas été à l'origine du dommage et donc d'établir qu'il était exclu que Mme [X] ait présenté une hypotension ; qu'en déboutant toutefois la caisse de ses demandes, au motif que l'hypothèse de l'hypotension n'était pas étayée, la cour d'appel, qui a fait peser la charge et le risque de la preuve sur la victime et la caisse, a violé les articles 1315 ancien, devenu 1353, du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir relevé l'existence de manquements imputables au médecin-anesthésiste pour prévenir le risque d'hypotension artérielle induit par la rachianesthésie, tenant à l'absence de remplissage vasculaire et de consignation des éléments de surveillance hémodynamique, la cour d'appel, se fondant sur les rapports d'expertise, a retenu que l'hypothèse émise par Mme [X], selon laquelle elle aurait présenté une hypotension artérielle sévère qui serait à l'origine de la survenue de l'anoxo-ischémie de l'enfant n'était pas étayée par les données cliniques et les éléments décrits au cours de l'intervention et qu'en l'absence d'indices sérieux en ce sens, elle ne pouvait être admise en se fondant seulement sur des données statistiques.

8. Ayant ainsi écarté l'éventualité que l'infirmité de l'enfant ait été causée par une hypotension artérielle sévère présentée par sa mère, elle n'a pu qu'en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que les manquements du médecin-anesthésiste n'avaient pas fait perdre à l'enfant une chance d'éviter l'anoxo-ischémie.

9. Les moyens ne sont donc pas fondés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat(s) : Me Occhipinti ; SCP Foussard et Froger ; SCP Richard -

Textes visés :

Articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1353 du code civil ; article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.