Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2023

PROCEDURE CIVILE

2e Civ., 2 février 2023, n° 21-18.382, (B), FRH

Cassation

Conclusions – Conclusions d'appel – Prétentions récapitulées sous forme de dispositif – Cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif – Portée – Moyen nouveau – Recevabilité

Selon l'article 910-4, alinéa 1er du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

En application de l'article 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Le respect des diligences imparties par l'article 910-4 du même code s' apprécie en considération des prescriptions de l'article 954.

Il en résulte que l'article 910-4 précité ne fait pas obstacle à la présentation d'un moyen nouveau dans des conclusions postérieures à celles remises au greffe dans les délais impartis par les articles 908 à 910 et 905-2.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 avril 2021), M. [J], condamné par un jugement d'un tribunal de commerce, en sa qualité de caution, à payer diverses sommes à la Société générale (la banque) en a relevé appel.

Le Fonds commun de titrisation Castanea est intervenu volontairement à l'instance devant la cour d'appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [J] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande fondée sur l'article L. 332-1 du code de la consommation et de le condamner à verser à la Société Générale et au Fonds commun de titrisation Castanea diverses sommes au titre de ses engagements de caution alors « que si les parties doivent, à peine d'irrecevabilité, présenter, dès leurs premières conclusions d'appel, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, il faut, mais il suffit, que ces prétentions soient expressément formulées dans le dispositif des écritures ; que les parties sont alors recevables à invoquer, dans la discussion, tous les moyens, même nouveaux en cause d'appel, de nature à fonder ces prétentions ; qu'en retenant que, faute de discussion sur la déchéance de la banque dans le corps des conclusions du 10 mai 2019, la demande de débouté qui figure dans le dispositif de ces écritures ne renvoie à aucune prétention dûment explicitée, de sorte que doit être déclaré irrecevable le moyen de défense au fond soulevé pour la première fois dans des conclusions postérieures, la cour d'appel a violé les articles 910-4 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 910-4, alinéa 1er du code de procédure civile, créé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, dans sa version applicable du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020 et 954 dudit code :

3. Selon le premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.

L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

4. En application de l'article 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

5. Il en résulte que le respect des diligences imparties par l'article 910-4 du même code s' apprécie en considération des prescriptions de l'article 954.

6. Pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir rappelé les termes des articles 910-4 et 564 du code de procédure civile, retient que l'engagement disproportionné ouvre à la caution un moyen de défense au fond lui permettant de faire rejeter, selon l'article 71, la demande de son adversaire. Il ajoute que l'article 564 autorisant les nouvelles prétentions dès lors qu'elles ont pour objet de faire écarter les prétentions adverses, la demande tirée de la disposition n'est pas irrecevable comme nouvelle en cause d'appel. Il relève que, dans ses conclusions du 10 mai 2019, M. [J] n'a pas sollicité la déchéance de la banque dans sa motivation, la demande de débouté de la banque ne renvoyant à aucune prétention dûment explicitée et justifiée par des pièces comme l'exige l'article 564. Il retient qu'est irrecevable ce moyen de défense soulevé pour la première fois par conclusion du 26 septembre 2019 et dans son dispositif, déclare irrecevable la demande de l'appelant fondée sur l'article L. 332-1 du code de la consommation.

7. En statuant ainsi, alors que l'appelant avait, conformément à l'article 954 précité, mentionné ses prétentions tendant au débouté de la banque, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile, et que l'article 910-4 ne fait pas obstacle à la présentation d'un moyen nouveau dans des conclusions postérieures, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Zribi et Texier ; SCP Yves et Blaise Capron -

Textes visés :

Articles 905-2, 908, 910, 910-4, alinéa 1, et 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile.

2e Civ., 2 février 2023, n° 21-15.924, (B), FRH

Cassation

Moyen de défense – Définition – Exclusion – Cas – Demande de jonction

La protestation, à l'égard de sa mise en cause, d'une partie, qui ne demandait pas que l'expertise lui soit déclarée irrecevable et se bornait à défendre à une demande de jonction sans faire valoir de défense sur le fond du droit, ne constitue pas une défense au fond au sens de l'article 71 du code de procédure civile, et ne rend pas irrecevable, en application de l'article 74 du même code, l'exception d'incompétence soulevée postérieurement.

Défense au fond – Définition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 février 2021) la société Casier et fils a confié au chantier naval Meuse et Sambre des travaux à effectuer sur une coque de bateau, notamment l'installation d'un moteur de marque Cummins.

2. A la suite d'avaries constatées sur ce moteur et après expertise ordonnée en référé, elle a assigné la société Cummins France et son assureur, la société Axa France IARD, en paiement de diverses sommes sur le fondement de la garantie des vices cachés.

3. La société Cummins France a assigné en garantie la société de droit autrichien Robert Bosch, fabricant des injecteurs du moteur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Robert Bosch fait grief à l'arrêt de dire l'exception d'incompétence irrecevable, alors « qu' une défense au fond est un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire ; que la décision de jonction ou de disjonction est une mesure d'administration judiciaire qui peut être ordonnée par le juge s'il est de l'intérêt d'une bonne justice de faire instruire ou juger ensemble deux instances pendantes devant lui ; que cette décision ne portant pas sur le fond du droit, la contestation émise par le défendeur à la demande de jonction ne constitue pas une défense au fond devant nécessairement être soulevée après toute exception de procédure ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que « les conclusions de la société Robert Bosch ont été notifiées en réponse à des conclusions de la société Cummins qui sollicitaient la jonction avec l'instance principale introduite par la société Casier » et que la société Bosch s'était « positionnée sur la demande de jonction », la cour d'appel a pourtant considéré que « la protestation de la société Bosch à l'égard de sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins tendant à sa garantie » et en a déduit que l'exception de procédure, qui n'avait pas été soulevée in limine litis, était irrecevable ; qu'en statuant de la sorte, quand l'opposition de la société Bosch à la demande de jonction d'instances ne constituait pas une défense au fond de nature à rendre irrecevable une exception de procédure soulevée ensuite, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 71 et 368 du même code.»

Réponse de la Cour

Vu les articles 74 et 71 du code de procédure civile :

5. Il résulte du premier de ces textes que les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Selon le second, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire.

6. Pour dire l'exception d'incompétence irrecevable, l'arrêt retient que la protestation de la société Bosch à l'égard de sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins France tendant à sa garantie, de sorte que l'exception d'incompétence qu'elle soulevait était irrecevable.

7. En statuant ainsi, alors que la société Bosch ne demandait pas que l'expertise lui soit déclarée inopposable et s'était bornée à défendre à la demande de jonction de l'instance en garantie la concernant à celle sur le fondement des vices cachés intentée contre la société Cummins France, sans faire valoir de défense sur le fond du droit, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Gadiou et Chevallier ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 71 et 74 du code de procédure civile.

Com., 1 février 2023, n° 21-22.225, (B) (R), FS

Cassation partielle sans renvoi

Ordonnance sur requête – Requête – Présentation – Présentation de la requête en saisie-contrefaçon au président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 2021), la société Teoxane est titulaire du brevet européen EP 3027186 (EP 186), issu d'une demande internationale WO 2015/0154A7 déposée le 29 juillet 2014 et publiée le 5 février 2015. Ce brevet, portant sur un procédé de préparation d'une composition stérile et injectable comprenant un gel d'acide hyaluronique et un anesthésiant local, le chlorhydrate de mépivacaïne, a été délivré le 19 juin 2019.

2. Le 9 octobre 2019, la société Laboratoires Vivacy (la société Vivacy) a assigné la société Teoxane en annulation des revendications 1 à 4 de la partie française du brevet européen EP 186 devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris.

3. Au soutien de cette action, la société Vivacy exposait commercialiser une composition constituée notamment d'un gel associant de l'acide hyaluronique et de la mépivacaïne mettant en oeuvre son brevet EP 3049091 déposé le 23 décembre 2014 et délivré le 4 janvier 2017. Soutenant que ce produit contrefaisait son brevet EP 186, la société Teoxane a obtenu, sur requêtes, deux ordonnances du 7 janvier 2020, l'autorisant à faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société Vivacy à [Localité 4] et dans une unité de production de cette société en Haute-Savoie.

4. Le 6 février 2020, la société Vivacy a assigné la société Teoxane devant le juge ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon en rétractation des deux ordonnances rendues le 7 janvier 2020 et, subsidiairement, afin que soient déterminées les modalités de divulgation des pièces saisies.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et cinquième branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Vivacy fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétractation des ordonnances RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020, alors « qu'aux termes de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi ; qu'est afférente à une instance en cours, la requête qui porte sur des faits concluants pour cette instance ; que l'action en nullité d'un brevet n'est pas réservée à une partie suspectée de contrefaçon ; qu'une requête aux fins d'être autorisée, sur le fondement d'un brevet, à procéder à une saisie-contrefaçon afin de rechercher chez un concurrent la matérialité, l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon d'un brevet, alléguée à son encontre, qui reste sans influence sur la validité dudit brevet, n'est pas afférente à l'instance en annulation de celui-ci engagée par ce concurrent ; qu'en retenant, en l'espèce, que « quand bien même la procédure dont se trouvait saisie la 3ème section de la 3ème chambre avait pour objet la seule contestation de la validité du brevet » EP 186 de la société Teoxane et « qu'aucune demande reconventionnelle n'avait été formée en contrefaçon dudit brevet à la date du 6 janvier 2020 », « les requêtes présentées par la société Teoxane aux fins d'établir l'existence des faits argués de contrefaçon de ce même brevet, intéressant les mêmes parties et les mêmes produits [que ceux en raison de la commercialisation desquelles la société Vivacy justifiait de son intérêt à agir en nullité du brevet] sont bien afférentes à la procédure en cours en nullité du brevet EP 186 », quand les requêtes aux fins de saisie-contrefaçon, qui avaient pour objet d'établir des faits de contrefaçon du brevet EP 186 allégués à l'encontre de la société Vivacy, n'avaient pas le même objet que l'instance en nullité dudit brevet engagée par celle-ci et portaient sur des faits qui, ne conditionnant ni l'intérêt à agir de la société Vivacy en nullité du brevet ni la validité de celui-ci, n'étaient pas concluants pour cette instance, la cour d'appel a violé l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, que les requêtes afférentes à une instance en cours relèvent de la seule compétence du président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi.

8. Selon l'article 74 du même code, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

9. Il ressort de l'arrêt attaqué que, dans ses conclusions, la société Vivacy a soulevé une fin de non-recevoir, tirée du défaut de pouvoir du président de la chambre à laquelle l'affaire avait été distribuée, avant de développer une défense au fond.

10. Il s'en déduit qu'elle n'est pas recevable à soulever, pour la première fois, devant la Cour de cassation, sous le couvert d'une violation de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, l'incompétence de ce magistrat.

11. Le moyen ne peut être accueilli.

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

12. La société Vivacy fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en application de l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, le président qui ordonne une saisie-contrefaçon peut, afin d'assurer la protection du secret des affaires, « ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l'article R. 153-1 du code de commerce » ; que si le recours à une telle procédure est facultative pour le juge, celui-ci ne peut en revanche, afin d'assurer la protection du secret des affaires, recourir à une autre procédure que celle ainsi légalement prévue ; qu'en retenant en l'espèce que le magistrat ayant rendu les deux ordonnances sur requête avait pu faire le choix, afin d'assurer la protection du secret des affaires, de ne pas recourir à la procédure de séquestre provisoire légalement prévue mais à celle différente de placement sous scellés, la cour d'appel a violé l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la cour

Vu les articles R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du code de commerce :

13. Il ressort du premier de ces textes, qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires, le président, qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon, peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues au second de ces textes, lequel dispose :

« Lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires.

Si le juge n'est pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l'article 497 du code de procédure civile dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l'alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.

Le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10. »

14. Pour rejeter la demande de rétractation des ordonnances ayant autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », l'arrêt, après avoir considéré que si une procédure spécifique de placement sous séquestre provisoire est prévue aux articles R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du code de commerce, une telle procédure était facultative et le juge n'était pas tenu d'y recourir, relève que c'est le choix fait par le magistrat, qui a décidé de prononcer la mesure, différente et plus protectrice du saisi, de placement sous scellés des pièces de nature à violer le secret des affaires.

15. En statuant ainsi, alors qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne peut que recourir, au besoin d'office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

18. La cassation porte sur le chef de dispositif qui confirme l'ordonnance du 12 juin 2020 en toutes ses dispositions.

19. En vertu de l'article R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, le président qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon peut prononcer le placement sous séquestre provisoire des documents saisis pour assurer le respect du secret des affaires.

20. Il ressort des ordonnances n° 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 que le juge a autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », cependant qu'à compter de l'entrée en vigueur du décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018, le placement sous séquestre provisoire était la seule mesure pouvant être prononcée pour garantir le secret des affaires du saisi.

21. Il y a donc lieu d'ordonner la rétractation partielle de ces ordonnances, en ce qu'elles ont ordonné le placement sous scellés des documents saisis en cas d'atteintes au secret des affaires.

22. Les demandes de levée des scellés et d'aménagement des modalités de divulgation des pièces saisies, formées à titre subsidiaire par la société Vivacy et à titre reconventionnel par la société Teoxane, s'avèrent dès lors sans objet.

23. Il convient, par conséquent, d'infirmer l'ordonnance entreprise de ces chefs et de la confirmer pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance de référé-rétractation du 12 juin 2020 en toutes ses dispositions, il rejette la demande de rétractation, ordonne la levée des scellés portés sur les documents 1 à 5 appréhendés par M. [O], huissier de justice à [Localité 3], ainsi que la levée des scellés de l'enveloppe constituée par M. [T], huissier de justice à [Localité 5], à l'occasion des saisies-contrefaçons du 8 janvier 2020, rejette la demande de restitution formée par la société Laboratoires Vivacy du document n° 2 appréhendé par Me [O] et ordonne la remise à la société Teoxane des documents n° 1 à 5 par Me [O] et des documents saisis par Me [T] selon certaines modalités, l'arrêt rendu le 25 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Ordonne la rétractation des ordonnances n° RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 en ce qu'elles ont ordonné le placement sous scellés des documents saisis en cas d'atteintes au secret des affaires et ordonne la remise en intégralité des pièces saisies par Me [O] et Me [T] à la société Teoxane ;

Déclare les demandes de levée des scellés et d'aménagement des modalités de divulgation des pièces saisies, formées à titre subsidiaire par la société Laboratoires Vivacy et à titre reconventionnel par la société Teoxane, sans objet ;

Confirme l'ordonnance du 12 juin 2020 pour le surplus.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bessaud - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 ; article R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle ; article R. 153-1 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de présenter la requête en saisie-contrefaçon au président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi, à rapprocher : Com., 26 mars 2008, pourvoi n° 05-19.782, Bull. 2008, IV, n° 70 (rejet).

2e Civ., 2 février 2023, n° 21-18.942, (B), FRH

Rejet

Parties – Partie au litige – Ministère public – Présence à l'audience – Audience de mise en état

L'obligation, pour le ministère public, d'assister à l'audience dans les cas où il est partie principale, qui résulte de l'article 431 du code de procédure civile, ne porte que sur l'audience au cours de laquelle les parties débattent du bien-fondé de leurs prétentions respectives. Elle ne concerne pas les audiences que tient le juge de la mise en état à l'occasion de l'instruction de l'affaire.

Procédure de la mise en état – Audience – Présence du ministère public – Obligation (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 19 avril 2021) et les productions, le 24 août 2016, un procureur de la République a assigné M. [G] devant un tribunal de grande instance, aux fins d'annulation d'une mention portée en marge de son acte de naissance.

2. Par ordonnance du 22 juin 2017, un juge de la mise en état a prononcé la nullité de l'assignation.

3. Le 1er octobre 2019, le même procureur de la République ayant assigné M. [G] devant un tribunal de grande instance, aux fins d'annulation d'une mention portée en marge de son acte de naissance, un juge de la mise en état a, par une ordonnance du 15 octobre 2020, débouté ce dernier de ses exceptions et fins de non-recevoir.

4. M. [G] a interjeté appel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [G] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir constater l'absence du ministère public aux débats de première instance et en conséquence de sa demande de nullité de l'ordonnance du juge de la mise en état du 15 octobre 2020, alors « que le ministère public est tenu d'assister à l'audience au cas où il est partie principale ; que la cour d'appel qui a décidé que cette obligation n'était pas applicable à un incident devant le juge de la mise en état a violé les dispositions de l'article 431 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

6. L'obligation, pour le ministère public, d'assister à l'audience dans les cas où il est partie principale, qui résulte de l'article 431 du code de procédure civile, ne porte que sur l'audience au cours de laquelle les parties débattent du bien-fondé de leurs prétentions respectives. Elle ne concerne pas les audiences que tient le juge de la mise en état à l'occasion de l'instruction de l'affaire.

7. Ayant retenu que l'article 431 du code de procédure civile, qui s'insère dans les dispositions relatives aux débats avant jugement, comprises dans le titre quatorzième du livre premier du code de procédure civile, n'est pas applicable à un incident devant le juge de la mise en état, régi par les dispositions du titre I du deuxième livre du dit code, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte visé au moyen.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. M. [G] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir dire et juger que le ministère public avait acquiescé et renoncé à l'action, alors :

« 1°/ que l'acquiescement emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action ; que la cour d'appel a constaté que dans l'instance engagée par Monsieur le procureur de la République de Nantes aux fins de voir annuler la mention en marge de l'acte de naissance de Monsieur [G], le procureur avait reconnu que la demande de nullité de l'assignation formée par Monsieur [G] invoquant l'absence de moyen de droit, était fondée et qu'il n'avait aucun moyen à opposer ; qu'en décidant que cet acquiescement ne portait que sur l'exception de procédure et non pas sur le fond du litige, sans s'expliquer comme cela lui était demandé sur le fait que l'irrégularité de l'assignation aurait pu être régularisée de sorte qu'en indiquant qu'il n'avait aucun moyen à opposer le ministère public avait sans équivoque renoncé à l'action, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 408 du code de procédure civile ;

2°/ que de plus, l'acquiescement qui vaut renonciation à l'action peut être implicite et résulter d'actes ou faits dénués de toute équivoque traduisant l'intention de reconnaître le bien fondé des prétentions adverses ; que la cour d'appel qui a décidé que l'acquiescement du ministère public reconnaissant qu'il n'avait formulé aucun moyen de droit et qu'il n'avait aucun moyen à opposer, ne portait que sur l'exception de procédure et que l'absence d'exercice de voie de recours et la délivrance postérieure à l'instance des actes de naissance réclamés par Monsieur [G] ne valaient pas renonciation à l'action la cour d'appel a violé les articles 408 et 410 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

10. Selon l'article 408 du code de procédure civile, l'acquiescement, qui emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action, n'est admis que pour les droits dont la partie a la libre disposition.

11. Le procureur de la République n'ayant pas la libre disposition des droits relatifs à l'état civil, qui relèvent de l'ordre public, le moyen, dès lors, manque en droit.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Delbano - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet -

Textes visés :

Articles 431 et 408 du code de procédure civile.

Com., 8 février 2023, n° 21-17.932, (B), FRH

Cassation partielle

Procédure orale – Mise en état – Moyens et prétentions formulés par écrit – Exception d'incompétence – Recevabilité – Conditions – Détermination

Il résulte des dispositions des articles 74, 446-1, alinéa 1, 446-2, 446-4 et 861-3 du code de procédure civile qu'en procédure orale, lorsque le dispositif de mise en état prévu à l'article 446-2 a été mis en oeuvre par le juge chargé d'instruire l'affaire, l'exception d'incompétence doit, pour être recevable, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir présentée dans les premières écritures communiquées par la partie qui s'en prévaut.

Procédure orale – Défense au fond – Demande de garantie d'une autre partie à l'instance (non)

Une demande de garantie à l'égard d'une société déjà en la cause ne constitue pas un appel en garantie d'un tiers constitutif en procédure orale d'une défense au fond.

Procédure orale – Défense au fond – Appel en garantie d'un tiers

Intervention – Intervention forcée – Compétence – Compétence territoriale – Juridiction saisie de la demande originaire – Conditions – Litige d'ordre international

En l'absence d'une clause compromissoire ou d'une clause attributive de juridiction, l'article 333 du code de procédure civile, aux termes duquel le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire sans qu'il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction, est applicable dans l'ordre international.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 décembre 2020), en décembre 2013, la société Pierre Fabre médicament (la société PFM) a confié à la société Qualitair & Sea International (la société Qualitair), commissionnaire de transport, l'organisation du transport, depuis [Localité 8] jusqu'à [Localité 7] (Irak), de trois lots de produits pharmaceutiques vendus au ministère de la santé irakien.

2. La société Qualitair a confié le transport aérien entre [Localité 8] et [Localité 6] (Jordanie) à la société Royal Jordanian Airlines (la société RJA), laquelle s'est substituée la société jordanienne Salam Shipping & Forwarding Agency SL (la société Salam Shipping) pour l'organisation du transport terrestre d'[Localité 6] à [Localité 7].

3. Le dédouanement à l'arrivée à [Localité 6] a été confié à la société jordanienne Kareem Logistics et le transport terrestre d'[Localité 6] à [Localité 7] à la société jordanienne Al Muna Transport.

4. Les trois lots, qui devaient être transportés sous température dirigée, sont arrivés à [Localité 6] les 21, 22 et 29 décembre 2013 puis, en raison de la fermeture des frontières entre la Jordanie et l'Irak empêchant alors leur acheminement par voie terrestre, ont été conservés, à la demande de la société Kareem Logistics, dans les entrepôts frigorifiques de la société RJA.

5. Ils ont été pris en charge le 18 février 2014 par la société Al Muna Transport et livrés le 23 février 2014 au ministère irakien de la santé.

6. Ayant subi des dépassements de température, les marchandises ont été détruites par le ministère irakien et remplacées par la société PFM.

7. Celle-ci et son assureur dommages, la société Generali IARD (la société Generali), ont assigné en réparation de leur préjudice la société Qualitair et son assureur responsabilité, la société Helvetia compagnie suisse d'assurances (la société Helvetia), lesquelles ont assigné en garantie la société RJA et les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport (les sociétés S-K-A), qui ont demandé à être garanties de toute condamnation par la société RJA.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexés

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. Les sociétés Generali et PFM font grief à l'arrêt de limiter la condamnation in solidum des sociétés Qualitair et Helvetia à la contre-valeur en euros de 9.538 droits de tirage spéciaux (DTS), alors « que, aux termes de son article 1.1, la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Montréal le 28 mai 1999 (Convention de Montréal), ne s'applique qu'aux opérations de transport international de personnes, bagages ou marchandises effectués par aéronef ; que ce texte n'a pas vocation à s'appliquer lorsque le contrat de transport aérien a pris fin, après la livraison des marchandises ; que si l'article 18.3 de cette Convention prévoit que la responsabilité de plein droit du transporteur aérien couvre le temps pendant lequel la marchandise est sous sa garde, cette disposition n'a pas pour effet d'étendre le champ d'application de la Convention à des missions que le transporteur aérien aurait acceptées à la suite de l'opération de transport aérien ; qu'en jugeant néanmoins que cette convention était applicable à la responsabilité encourue par la société RJA au titre des dommages survenus lors de la marchandise à l'aéroport d'[Localité 6], en tant que la marchandise était toujours sous la garde de cette société au sens de l'article 18.3 de cette Convention, après avoir pourtant constaté que la société RJA avait émis trois bons de livraisons pour les trois lots de marchandise, les 21, 22 et 29 décembre 2013 avant de stocker la marchandise dans ses entrepôts, ce qui avait donné lieu à des frais d'entreposage qui avait été facturés par la société RJA, ce dont il résultait que la livraison avait été effectuée et que le contrat de transport avait pris fin, de sorte que la Convention de Montréal n'était pas applicable aux relations que les parties ont poursuivies ensuite pour la mission d'entreposage confiée ensuite à la société RJA, la cour d'appel a violé les articles 1.1, 18.3 et 22.3 de la Convention susvisée, par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 18.1, 18.3 et 22.3 de la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international du 28 mai 1999 (la Convention de Montréal) :

10. Il résulte de la combinaison des deux premiers de ces textes que le transporteur aérien est de plein droit responsable du dommage si le fait qui l'a causé s'est produit pendant le transport aérien, celui-ci comprenant la période pendant laquelle la marchandise se trouve sous sa garde, seule la livraison marquant la fin de cette période.

11. Selon le troisième, dans le transport de marchandises, la responsabilité du transporteur, en cas de destruction, de perte, d'avarie ou de retard, est limitée à la somme de dix-sept droits de tirage spéciaux (DTS) par kilogramme.

12. Pour limiter la condamnation des sociétés Qualitair et Helvetia à une certaine somme en application des limites de responsabilité prévues à l'article 22.3 de la Convention de Montréal, l'arrêt retient que l'avarie de la marchandise résulte du non-respect des températures prévues contractuellement alors que les produits étaient, sous la garde du transporteur aérien, la société RJA, entreposés dans ses locaux frigorifiques à l'aéroport d'[Localité 6] jusqu'au 17 février 2014.

13. En statuant ainsi, tout en constatant que la société RJA avait émis des bons de livraison les 21, 22 et 29 décembre 2013 après avoir effectué le transport aérien des marchandises et avant de se les voir confier par le commissionnaire substitué, de sorte que le fait ayant causé le dommage ne s'était pas produit pendant le transport aérien, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.

Sur le premier moyen du pourvoi incident relevé par les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport (S-K-A)

Enoncé du moyen

14. Les sociétés S-K-A font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'exception qu'elles avaient soulevée et de les condamner in solidum à garantir les sociétés Qualitair et Helvetia des condamnations mises à leur charge à hauteur de la contre-valeur en euros de 4.181,66 droits de tirages spéciaux (DTS), alors :

« 1°/ qu'en matière de procédure orale, seuls les prétentions et moyens développés à l'audience, ou ceux contenus dans les conclusions écrites auxquelles les parties ont déclaré se référer, saisissent le juge ; que si l'acte d'assignation en intervention forcée appelant un tiers en garantie constitue une défense au fond rendant irrecevable l'exception d'incompétence soulevée ultérieurement, cette règle ne s'applique pas, en matière de procédure orale, lorsque la partie concernée, loin d'assigner en garantie un tiers à la procédure, n'a fait que solliciter la garantie d'une autre partie à l'instance ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que les sociétés S-K-A ont développé oralement à l'audience leurs dernières conclusions ; qu'en opposant que leurs premières conclusions de première instance, qui sollicitaient déjà la garantie de la société RJA, ne soulevaient pas d'exception d'incompétence, quand, en l'absence d'appel en garantie par voie d'intervention forcée, il lui revenait de se référer aux dernières conclusions qui avaient seules été développées à l'audience du tribunal, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-1 et 860-1 du même code ;

2°/ subsidiairement, qu'avant de déclarer une exception d'incompétence irrecevable pour n'avoir pas été soulevée avant toute défense au fond, les juges du second degré sont tenus de rechercher si les premiers juges, devant lesquels la procédure était orale, n'ont pas organisé des échanges écrits entre les parties en application de l'article 446-2 du code de procédure civile et si, le cas échéant, l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée dans les premières conclusions notifiées postérieurement à la mise en place de ce calendrier de procédure ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que le tribunal avait organisé l'échange des écritures en application de l'article 446-2 du code de procédure civile ; qu'en se bornant à observer que les sociétés S-K-A n'avaient pas soulevé d'exception d'incompétence dans leurs premières conclusions déposées devant le tribunal de commerce le 9 septembre 2015, quand il lui appartenait d'examiner le contenu des conclusions déposées postérieurement à la mise en place du calendrier de procédure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-2, 446-4 et 861-3 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 74, 446-1, alinéa 1, 446-2, 446-4 et 861-3 du code de procédure civile :

15. Selon le deuxième de ces textes, qui régit la procédure orale, les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien. Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit.

16. En application des quatrième et cinquième de ces textes, lorsque des échanges ont été organisés entre les parties par le juge du tribunal de commerce chargé d'instruire l'affaire conformément au dispositif de mise en état de la procédure orale prévu par le troisième de ces textes, la date des prétentions et des moyens d'une partie régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre parties.

17. Aux termes du premier, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

18. Il résulte de ces dispositions qu'en procédure orale, lorsque le dispositif de mise en état prévu à l'article 446-2 précité a été mis en oeuvre par le juge chargé d'instruire l'affaire, l'exception d'incompétence doit, pour être recevable, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir dans les premières écritures communiquées par la partie qui s'en prévaut.

19. Pour dire irrecevable l'exception d'incompétence territoriale soulevée par les sociétés S-K-A, l'arrêt retient qu'elle ne figurait pas dans leurs conclusions d'appel en garantie déposées le 9 septembre 2015 devant le tribunal de commerce, lesquelles présentaient une défense au fond en appelant des tiers en garantie.

20. En premier lieu, en statuant ainsi, alors qu'était formée une demande de garantie à l'égard de la société RJA, déjà en la cause, et non un appel en garantie d'un tiers, constitutif en procédure orale d'une défense au fond, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile.

21. En second lieu, en se déterminant comme elle a fait, sans rechercher la date à laquelle le juge chargé d'instruire l'affaire avait organisé les échanges écrits entre les parties, conformément au dispositif de mise en état de la procédure orale prévu à l'article 446-2 du code de procédure civile, ce qui aurait rendu l'article 446-4 applicable, peu important que les parties aient été ou non dispensées de comparaître, la cour d'appel, qui devait déterminer si l'exception d'incompétence avait été soulevée dans les premières conclusions des sociétés S-K-A notifiées postérieurement à la mise en place de ce calendrier de procédure, n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident des sociétés S-K-A et le moyen unique du pourvoi incident des sociétés Qualitair et Helvetia, rédigés en termes identiques

Enoncé du moyen

22. Ces sociétés font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'exception d'incompétence soulevée par la société RJA et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant, alors « qu'en application de l'article 333 du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international en l'absence de clause attributive de juridiction, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l'appelant en garantie ; qu'en déniant sa compétence pour statuer sur le recours en garantie exercé contre la société RJA par les sociétés S-K-A, après avoir pourtant retenu sa compétence pour statuer sur les demandes dont celles-ci faisaient l'objet, la cour d'appel a violé l'article 333 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

23. La société RJA conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que ces quatre sociétés n'invoquaient pas devant la cour d'appel l'irrecevabilité de son exception d'incompétence en application de l'article 333 du code de procédure civile.

24. Cependant le moyen est recevable comme étant de pur droit.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 333 du code de procédure civile :

25. En l'absence d'une clause compromissoire ou d'une clause attributive de juridiction, l'article 333 du nouveau code de procédure civile, aux termes duquel le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire, sans qu'il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction, est applicable dans l'ordre international.

26. L'arrêt déclare recevable l'exception d'incompétence soulevée par la société RJA et renvoie les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant.

27. En statuant ainsi, alors que la société RJA, qui n'invoquait ni clause attributive de juridiction ni clause compromissoire, ne pouvait décliner la compétence de la juridiction française dans ses rapports avec les sociétés Qualitair et Helvetia, qui l'avaient appelée en garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'exception des sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport, en ce qu'il infirme le jugement « s'agissant du montant des condamnations et de toutes les condamnations prononcées contre la société Royal Jordanian Airlines », en ce qu'il reçoit l'exception d'incompétence soulevée par la société Royal Jordanian Airlines et renvoie les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant, et en ce que, ajoutant au jugement, il condamne in solidum les sociétés Qualitair & Sea International et Helvetia compagnie suisse d'assurances à payer aux sociétés PFM et Generali la contre-valeur en euros de 9 538 droits de tirage spéciaux (DTS), l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet ; Me Balat ; SAS Buk Lament-Robillot ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles 18.1, 18.3 et 22.3 de la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international du 28 mai 1999, dite Convention de Montréal ; articles 74, 446-1, alinéa 1, 446-2, 446-4 et 861-3 du code de procédure civile ; article 74 du code de procédure civile ; article 333 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la recevabilité de l'exception d'incompétence, lorsque le dispositif de mise en état de la procédure orale a été mis en oeuvre, à rapprocher : 2e Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 16-17.118, Bull. 2017, II, n° 145 (cassation partielle). Sur l'appel en garantie d'un tiers, constitutif d'une défense au fond dans une procédure orale, rendant irrecevable l'exception d'incompétence soulevée ultérieurement, à rapprocher : Com., 16 octobre 2012, pourvoi n° 11-13.658, Bull. 2012, IV, n° 188 (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur l'application dans l'ordre international de l'article 333 du code de procédure civile, à rapprocher : 1re Civ., 12 mai 2004, pourvoi n° 01-13.903, Bull. 2004, I, n° 129 (rejet).

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