Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2023

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 8 février 2023, n° 21-16.954, (B), FRH

Rejet

Liquidation judiciaire – Effets – Dessaisissement du débiteur – Action en justice – Irrecevabilité – Action en responsabilité contre son avocat mandaté dans l'exercice d'un droit propre

Le débiteur, dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens par l'effet du jugement prononçant la liquidation judiciaire, conserve le droit, pourvu qu'il l'exerce contre le liquidateur ou en sa présence, de former un appel, puis le cas échéant, un pourvoi en cassation, contre les décisions prononçant la résolution de son plan de redressement et sa liquidation judiciaire.

Il n'est, en revanche, pas recevable à agir en responsabilité contre l'avocat qu'il a mandaté pour le représenter et l'assister dans l'exercice de ce droit propre, une telle action en responsabilité n'ayant pas pour effet de faire valoir le point de vue du débiteur dans le déroulement de la procédure collective, mais poursuivant une finalité patrimoniale consistant en l'obtention de dommages-intérêts et relevant, en conséquence, des droits et actions atteints par le dessaisissement et exercés par le liquidateur pendant la durée de la procédure collective.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 mars 2021), M. [B] ayant été mis en redressement judiciaire le 7 septembre 2005, son plan de continuation, arrêté le 6 septembre 2006, a été résolu par un jugement du 29 mars 2011 qui a prononcé la liquidation judiciaire du débiteur. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 18 janvier 2012 cassé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 22 mai 2013 (Com., 22 mai 2013, pourvoi n° 12-16.641).

2. Le 10 octobre 2017, se prévalant d'une faute de M. [F], son avocat, consistant à ne pas avoir saisi la cour de renvoi dans le délai imparti après l'arrêt de cassation précité, M. [B] l'a assigné en paiement de dommages et intérêts pour compenser le préjudice résultant de la perte de chance d'éviter la liquidation judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [B] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état ayant « annulé » l'assignation du 10 octobre 2017 pour « défaut de capacité » à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi, alors « que le débiteur qui recherche la responsabilité civile professionnelle de son conseil ayant failli dans l'exécution du mandat qui lui avait été donné de contester la liquidation judiciaire prononcée à son encontre exerce un droit qui lui est propre ; qu'en énonçant que « l'action en responsabilité exercée par M. [B] à l'encontre de son avocat constitue une action patrimoniale » qui relève de l'article L. 641-9 du code de commerce, en ce qu'« elle ne porte sur aucun droit propre à ce débiteur », de sorte que ce dernier « n'a pas qualité à agir seul à l'encontre de M. [F], étant dessaisi de l'exercice de ses droits patrimoniaux » et que "(son) défaut de capacité à agir justifie la nullité de l'assignation qu'il a fait délivrer (...) à M. [F] pour engager (sa) responsabilité », cependant que le débiteur avait recherché la responsabilité civile professionnelle de M. [F] pour avoir, après l'arrêt de cassation du 22 mai 2013, qui avait censuré la cour d'appel de Douai ayant ouvert la liquidation de M. [B], omis de saisir la cour d'appel de renvoi dans le délai imparti, ce dont il résultait que le débiteur exerçait un droit propre, en relation avec le prononcé de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Si le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens, par l'effet du jugement prononçant la liquidation judiciaire, conserve le droit, pourvu qu'il l'exerce contre le liquidateur ou en sa présence, de former un appel, puis le cas échéant, un pourvoi en cassation, contre les décisions prononçant la résolution de son plan de redressement et sa liquidation judiciaire, il n'est, en revanche, pas recevable à agir en responsabilité contre l'avocat qu'il a mandaté pour le représenter et l'assister dans l'exercice de ce droit propre.

6. Une telle action n'ayant pas pour effet de faire valoir le point de vue du débiteur dans le déroulement de la procédure collective, mais poursuivant une finalité patrimoniale consistant en l'obtention de dommages et intérêts, elle ne peut se rattacher à l'exercice d'un droit propre et la fin de non-recevoir opposée au débiteur n'est pas contraire aux exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine, seuls atteints par le dessaisissement, sont exercés par le liquidateur pendant toute la durée de la procédure collective.

7. En conséquence, l'arrêt a exactement retenu que M. [B] exerçait contre son avocat une action en responsabilité de nature patrimoniale entrant dans le champ d'application de l'article L. 641-9 du code de commerce, de sorte qu'il n'avait pas qualité pour agir contre M. [F].

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vaissette - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 641-9, I, du code de commerce ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur l'irrecevabilité des actions du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi tendant au recouvrement de ses créances, à rapprocher : Com., 18 septembre 2012, pourvoi n° 11-17.546, Bull. 2012, IV, n° 161 (cassation partielle).

Com., 8 février 2023, n° 21-17.763, (B) (R), FS

Cassation

Redressement et liquidation judiciaires – Créances – Contrat conclu entre un professionnel et un consommateur – Prêt immobilier – Décision d'admission – Autorité relative de la chose jugée – Saisie immobilière – Audience d'orientation – Contestation portant sur le caractère abusif d'une clause du prêt – Pouvoirs du juge en matière de clauses abusives – Etendue

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne rendue en application de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, que l'autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle, en soi, à ce que le juge national soit tenu d'apprécier, sur la demande des parties ou d'office, le caractère éventuellement abusif d'une clause, même au stade d'une mesure d'exécution forcée, dès lors que cet examen n'a pas déjà été effectué à l'occasion du précédent contrôle juridictionnel ayant abouti à la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée (v. not. CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14 ; CJUE, arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C-600/19 ; CJUE, arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503, C-693/19 et C-831/19).

Par conséquent, un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d'un prêt immobilier, qu'il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l'occasion de la procédure de saisie immobilière d'un bien appartenant à ce débiteur, mise en oeuvre par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d'une ou plusieurs clauses de l'acte de prêt notarié dès lors qu'il ressort de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge ne s'est pas livré à cet examen.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 décembre 2020), par deux actes notariés du 30 juillet 2004, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à M. [T] des prêts destinés à l'acquisition d'un immeuble constituant sa résidence principale et garantis par un privilège de prêteur de deniers ainsi qu'une hypothèque conventionnelle.

2. Par un acte notarié du 15 mai 2009, M. [T] a effectué une déclaration d'insaisissabilité de cet immeuble, qui a été publiée.

3. La banque a prononcé la déchéance du terme des prêts le 17 octobre 2011.

4. Les 10 mai et 7 juin 2012, M. [T] a été mis en redressement puis liquidation judiciaires.

Le 12 juin 2012, la banque a déclaré au passif ses créances au titre des prêts. Ces créances ont été admises par des ordonnances du 7 novembre 2013.

5. La banque a délivré à M. [T] un commandement de payer valant saisie immobilière le 8 août 2014, puis l'a assigné à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, afin que soit ordonnée la vente forcée de l'immeuble.

6. M. [T] s'est opposé à cette mesure d'exécution forcée en soulevant, à titre principal, la prescription de l'action de la banque et, subsidiairement, le caractère non exigible de la créance, en se prévalant, notamment, du caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans les prêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

7. M. [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa contestation relative à la prescription des créances de la banque et, en conséquence, de fixer le montant des créances de cette dernière aux sommes de 135 949,62 et 17 930,35 euros, outre les intérêts, et d'ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière, alors :

« 1°/ que la déclaration d'une créance au passif d'une procédure collective qui a un effet interruptif de la prescription de l'action en paiement sur le gage commun, est sans effet sur la prescription applicable au créancier en ce qu'il entend exercer ses droits sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui ne lui est pas opposable, en marge de la procédure collective de l'entrepreneur individuel, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière ; qu'en jugeant au contraire que la déclaration de ses créances au passif de la procédure collective de M. [T], effectuée par la BNP Paribas le 12 juin 2012, avait interrompu la prescription de l'action que la banque pouvait engager, en marge de la procédure collective, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière, sur la résidence principale de M. [T], objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui ne lui était pas opposable, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;

2°/ que dès lors qu'il peut agir sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui est inopposable, qu'il peut saisir en marge de la procédure collective, et que ses droits sur cet immeuble sont indépendants de ses droits dans la procédure collective, le créancier ne peut bénéficier d'aucune interruption et suspension de la prescription de son action sur cet immeuble du fait de sa déclaration de créance ; qu'en jugeant au contraire que la prescription de l'action de la BNP Paribas sur l'immeuble de M. [T] objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui était inopposable était interrompue par la déclaration de créances de la banque le 12 juin 2012 puis suspendue jusqu'à la décision d'admission des créances le 7 novembre 2013, de sorte que la prescription n'était pas acquise lors de la délivrance du commandement valant saisie le 8 août 2014, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;

3°/ dans un mémoire distinct et motivé, M. [T] a contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la portée effective conférée aux articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce, par l'interprétation jurisprudentielle selon laquelle l'effet interruptif, attaché à la déclaration de créance, de la prescription de l'action du créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité est inopposable sur l'immeuble objet de cette déclaration, se prolonge jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission ou, lorsque aucune décision n'a statué sur cette demande d'admission, jusqu'à la clôture de la procédure collective, ce qui porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi consacré par les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, entraînera par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique. »

Réponse de la Cour

8. En premier lieu, contrairement à ce que postule le moyen en ses première et deuxième branches, il résulte des articles L. 526-1, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 applicable en la cause, et L. 622-24 de ce code que, si un créancier inscrit à qui est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur peut faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble et use de la faculté de déclarer sa créance au passif de la procédure collective du débiteur, il bénéficie de l'effet interruptif de prescription attaché à sa déclaration de créance, cet effet interruptif se prolongeant jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission, dès lors que ce créancier n'est pas dans l'impossibilité d'agir sur l'immeuble au sens de l'article 2234 du code civil.

9. En second lieu, la Cour de cassation ayant, par un arrêt du 8 décembre 2021 (Com., 8 décembre 2021, QPC n° 21-17.763), dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [T], le moyen, pris en sa troisième branche, est sans portée.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses contestations relatives aux créances de la banque et, en conséquence, de fixer le montant des créances de cette dernière aux sommes de 135 949,62 et 17 930,35 euros, outre les intérêts, et d'ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière, alors « que les droits du créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable étant indépendants de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble, la décision d'admission ou de rejet de la créance de ce créancier au passif de la procédure collective n'a pas autorité de la chose jugée dans la procédure de saisie immobilière conduite en marge de la procédure collective et dans le cadre de laquelle il appartient au juge de l'exécution de fixer le montant de la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'en retenant néanmoins que M. [T] était irrecevable à contester le montant des créances de la banque au motif que "(l)es décisions (d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure de liquidation judiciaire de M. [T]) (avaient) autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fix(aient), la procédure de saisie immobilière ayant à cet égard le même objet de fixation de la créance du poursuivant », la cour d'appel a violé les articles L. 526-1 du code de commerce et L. 213-6, R. 322-15 et R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

12. La décision d'admission d'une créance au passif de la procédure collective d'un débiteur a, en principe, autorité de la chose jugée sur l'existence, la nature et le montant de la créance admise. Cette autorité s'impose en particulier au juge de l'exécution statuant à l'audience d'orientation qui se tient en cas de saisie immobilière initiée par un créancier auquel est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur et qui peut donc faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble, l'audience d'orientation ayant notamment pour objet, à l'instar de la procédure d'admission, de constater le principe de la créance du créancier poursuivant et d'en mentionner le montant retenu.

13. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

14. Il est statué sur ce moyen après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.

Enoncé du moyen

15. M. [T] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, le juge est tenu d'examiner, au besoin d'office, les clauses dont le caractère abusif est allégué ; qu'en retenant que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure collective de M. [T] l'empêchaient d'examiner le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée du contrat de prêt servant de fondement aux poursuites, quand elle était tenue d'examiner cette question sur laquelle le juge-commissaire ne s'était pas prononcé, la cour d'appel a violé les articles R. 632-1 du code de la consommation, issu de la directive 93/13 du 5 avril 1993, et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation :

16. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

17. Selon le second de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

18. Par un arrêt du 26 janvier 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que, dans l'hypothèse où, lors d'un précédent examen d'un contrat litigieux ayant abouti à l'adoption d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, le juge national s'est limité à examiner d'office, au regard de la directive 93/13 susvisée, une seule ou certaines des clauses de ce contrat, cette directive impose à un juge national d'apprécier, à la demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif des autres clauses dudit contrat (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14).

19. En outre, par un arrêt du 4 juin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l'ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d'être interprétée en conformité avec la directive 93/13 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale. À défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette directive, les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d'instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s'opposent à un tel examen (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C-495/19).

20. Il résulte d'un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en grande chambre le 17 mai 2022, que l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale qui, en raison de l'effet de l'autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d'examiner d'office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d'une procédure d'exécution hypothécaire ni au consommateur, après l'expiration du délai pour former opposition, d'invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l'objet, lors de l'ouverture de la procédure d'exécution hypothécaire, d'un examen d'office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l'exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l'existence de cet examen ni n'indique que l'appréciation portée par ce juge à l'issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l'absence d'opposition formée dans ledit délai (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, C-600/19 Ibercaja Banco).

21. Il résulte en outre d'un arrêt rendu le même jour que ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu'une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d'un créancier n'a pas fait l'objet d'une opposition formée par le débiteur, le juge de l'exécution ne peut pas, au motif que l'autorité de la chose jugée dont cette injonction est revêtue couvre implicitement la validité de ces clauses, excluant tout examen de la validité de ces dernières, ultérieurement, contrôler l'éventuel caractère abusif des clauses du contrat qui ont servi de fondement à ladite injonction (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503, C-693/19 et C-831/19).

22. Il s'en déduit que l'autorité de la chose jugée d'une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d'une procédure collective, résultant de l'article 1355 du code civil et de l'article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l'obligation incombant au juge national de procéder à un examen d'office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles.

23. Il en découle que le juge de l'exécution, statuant lors de l'audience d'orientation, à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen.

24. Il en résulte qu'un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d'un prêt immobilier, qu'il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l'occasion de la procédure de saisie immobilière d'un bien appartenant à ce débiteur, mise en oeuvre par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d'une ou plusieurs clauses de l'acte de prêt notarié dès lors qu'il ressort de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge ne s'est pas livré à cet examen.

25. Pour rejeter la contestation de M. [T], qui soutenait que la créance de la banque n'était pas liquide et exigible, au motif que la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans chacun des prêts était abusive, au sens des articles L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation, l'arrêt retient que, les décisions d'admission des créances du 7 novembre 2013 ont autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fixent, que celui-ci, débiteur convoqué à l'audience du juge-commissaire pour qu'il soit statué sur ses contestations, se présente en la même qualité devant le juge de l'exécution statuant en saisie immobilière que devant le juge-commissaire, et il relève que, devant ce juge, le débiteur n'a formulé aucune observation concernant la première créance et qu'il n'a pas davantage contesté la seconde.

L'arrêt en déduit que les moyens développés par M. [T] pour contester la validité de certaines clauses des contrats de prêts, en particulier celle portant exigibilité anticipée de ceux-ci, sont inefficaces pour remettre en cause la procédure de saisie immobilière.

26. En statuant ainsi, après avoir constaté que, dans ses décisions d'admission, le juge-commissaire n'avait pas examiné, à la demande de M. [T] ou d'office, le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée des prêts notariés fondant la saisie immobilière litigieuse, de sorte qu'il appartenait au juge de l'exécution, saisi d'une contestation formée sur ce point pour la première fois devant lui par M. [T] lors de l'audience d'orientation, de procéder à cet examen, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 ; article L. 132-1, alinéa 1, devenu L. 212-1, alinéa 1, du code de la consommation.

Com., 8 février 2023, n° 21-15.771, (B), FRH

Rejet

Redressement judiciaire – Période d'observation – Créanciers – Arrêt des poursuites individuelles – Règle d'ordre public international – Exequatur d'une sentence arbitrale internationale – Portée

Le principe de l'arrêt des poursuites individuelles, qui relève de l'ordre public international, interdit, après l'ouverture de la procédure collective du débiteur, la saisine d'un tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture et impose à ce créancier de déclarer sa créance et de se soumettre, au préalable, à la procédure de vérification des créances.

Doit être approuvé l'arrêt qui, constatant qu'un créancier avait, après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du débiteur, présenté à un tribunal arbitral international, déjà saisi par le débiteur avant ce jugement, une demande reconventionnelle en paiement d'une créance antérieure contre ce débiteur, refuse de prononcer l'exequatur de la sentence ayant fait droit à cette demande reconventionnelle et condamné le débiteur à payer diverses sommes à ce créancier.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2020), le 1er octobre 2010, la société Sharmel France (la société Sharmel) a conclu avec la société de droit italien Mirato deux contrats d'importation et de distribution de produits cosmétiques, stipulant une clause compromissoire.

Le 26 septembre 2016, à la suite de la résiliation de ces contrats par la société Mirato, la société Sharmel a saisi la chambre de commerce internationale d'une demande d'arbitrage aux fins de voir condamner la société Mirato à lui payer des dommages et intérêts.

2. Par un jugement du 15 mai 2017, un tribunal français a ouvert le redressement judiciaire de la société Sharmel et désigné M. [D] en qualité de mandataire judiciaire.

3. Le 3 juillet 2017, l'acte de mission désignant l'arbitre unique a été signé par les parties et l'arbitre. Soutenant être créancière de la société Sharmel au titre d'un solde de factures impayé, la société Mirato a, le 5 juillet 2017, déclaré une créance à son passif, puis déposé le 29 septembre 2017 un mémoire devant l'arbitre contenant une demande reconventionnelle en condamnation de la société Sharmel à lui payer cette créance.

4. Par une sentence rendue le 17 septembre 2018, l'arbitre a rejeté la demande d'indemnisation de la société Sharmel et l'a condamnée à payer à la société Mirato la somme de 248 548,88 euros, majorée du remboursement des frais d'arbitrage, des frais juridiques et des dépens.

5. Le 15 novembre 2018, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Sharmel, désignant M. [D] commissaire à l'exécution du plan et le maintenant à ses fonctions de mandataire judiciaire jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur le passif.

6. Par une ordonnance du 18 mars 2019, le président du tribunal de grande instance de Paris a conféré l'exequatur à la sentence arbitrale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La société Mirato fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du 18 mars 2019 et de rejeter sa demande d'exequatur alors « qu'en refusant l'exequatur à la sentence arbitrale du 17 septembre 2018 au motif qu'elle condamnait la société Sharmel France à payer la créance de la société Mirato SpA, quand cette circonstance n'empêchait nullement d'accorder l'exequatur à cette décision uniquement pour sa reconnaissance et son opposabilité en France et à l'effet de permettre à la société Mirato SpA de faire inscrire sa créance sur l'état des créances admises au passif de la société Sharmel France, comme prévu par le juge-commissaire dans son ordonnance du 23 juillet 2018, la cour d'appel a violé les articles 1525 et 1520 du code de procédure civile et L. 622-21 du code de commerce, ainsi que l'ordre public international. »

Réponse de la Cour

9. Le principe de l'arrêt des poursuites individuelles, qui relève de l'ordre public international, interdit, après l'ouverture de la procédure collective du débiteur, la saisine d'un tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture et impose à ce créancier de déclarer sa créance et de se soumettre, au préalable, à la procédure de vérification des créances.

10. Après avoir constaté que la demande reconventionnelle en paiement de sa créance avait été formulée par la société Mirato devant l'arbitre après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société débitrice, et qu'aux termes de sa sentence rendue le 17 septembre 2018, l'arbitre avait condamné la société Sharmel au paiement de diverses sommes au profit de la société Mirato, l'arrêt en déduit à bon droit que l'ordonnance accordant l'exequatur d'une telle sentence, au mépris du principe d'égalité des créanciers et d'arrêt des poursuites individuelles, ne pouvait être revêtue de l'exequatur sans méconnaître l'ordre public international.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon -

Textes visés :

Articles 1520 et 1525 du code de procédure civile ; article L. 622-21 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur l'exequatur d'une sentence arbitrale étrangère dans le cadre d'une procédure collective, à rapprocher : Com., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-18.849, Bull., (rejet).

Com., 8 février 2023, n° 21-14.189, (B), FRH

Cassation

Redressement judiciaire – Plan de redressement – Jugement arrêtant le plan – Voies de recours – Tierce opposition – Recevabilité – Conditions – Détermination

Est recevable à former tierce opposition au jugement arrêtant le plan de redressement d'une société l'associé qui soutient que ce plan prévoit la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver une réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital réservée à d'autres associés que lui, dont l'un, tenu d'exécuter le plan, devient un associé presque unique, et qui invoque ainsi un moyen qui lui est propre.

Procédure (dispositions générales) – Voies de recours – Exercice – Tierce opposition – Qualité pour l'exercer – Associé – Conditions – Invocation de moyens propres – Applications diverses – Plan prévoyant la désignation d'un mandataire ad hoc – Exercice des droits de vote de l'associé – Réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à la société SAS Les Parcs du Sud (la société LPS), la société De Saint-Rapt et Bertholet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société LPS et la société Spagnolo Stephan, en qualité de mandataire judiciaire de la même société, de leur reprise d'instance.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 26 novembre 2020), le 17 mai 2017, la société LPS, dont le capital était détenu à 43,09 % par M. [E], a été mise en redressement judiciaire, la société De Saint-Rapt et Bertholet étant désignée administrateur avec la mission d'assurer seule et entièrement l'administration de l'entreprise.

3. Le 20 décembre 2017, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société LPS, prévoyant l'apurement du passif selon deux options, dit que M. [J], autre actionnaire de la société LPS, était tenu d'exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan de redressement et maintenu l'administrateur en fonction aux fins de régulariser la procédure visée aux articles L. 631-9-1 et R. 631-34-6 du code de commerce.

4. Par une ordonnance de référé du 23 janvier 2018, le président du tribunal a désigné l'étude Balincourt, en la personne de M. [F], avec la mission de convoquer l'assemblée compétente de la société LPS pour statuer au plus tard le 31 mai 2018 sur la décision à prendre conformément aux dispositions de l'article L. 225-248 du code de commerce à la suite de la constatation des capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social, la réduction du capital social à zéro, et une augmentation du capital en numéraire en deux temps réservée à M. [J] et à un autre actionnaire, la société M. Capital Partners.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [E] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce opposition tendant à la rétractation du jugement du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement de la société LPS, alors « que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [D] [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci était représenté par le représentant légal de la société car il n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre du plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, quand M. [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par ledit jugement portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché, de sorte qu'il invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 583 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ce texte que si l'associé est, en principe, représenté, dans les litiges opposant la société à des tiers, par le représentant légal de la société, il est néanmoins recevable à former tierce opposition contre un jugement auquel celle-ci a été partie s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre.

7. Pour déclarer irrecevable la tierce opposition formée par M. [E], l'arrêt retient, d'abord, qu'il était représenté par le représentant légal de la société qui n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société, lors de l'examen du plan de redressement qui a été arrêté par le tribunal. Il retient ensuite que le jugement du 20 décembre 2017 a arrêté le plan de redressement de la société LPS suivant les modalités figurant dans le projet de plan et en a récapitulé les modalités essentielles, sans mentionner la recapitalisation et la nécessité de nommer un mandataire ad hoc, que la reconstitution des capitaux propres ne peut être imposée par le tribunal et qu'elle est décidée par l'assemblée générale extraordinaire de la société anonyme, que c'est par une décision différente, à savoir l'ordonnance du 26 septembre 2018, que le juge des référés a désigné un mandataire ad hoc avec la mission de convoquer cette assemblée générale. Il en déduit que M. [E], qui développe uniquement des moyens portant sur les modifications du capital social et la désignation d'un mandataire ad hoc, ne justifie d'aucune fraude ou d'un moyen qui lui serait propre concernant l'arrêté d'un plan qui ne porte sur aucun de ces sujets.

8. En statuant ainsi, alors que M. [E] soutenait que le plan de redressement prévoyait la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver une réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital réservée à d'autres associés que lui, dont l'un, M. [J], tenu d'exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan, devenait ainsi un associé presque unique, de sorte que M. [E] invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 583 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la recevabilité d'un associé à former tierce opposition au jugement arrêtant un plan de redressement, à rapprocher : Com., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-14.839, Bull., (cassation partielle).

Com., 8 février 2023, n° 21-22.796, (B), FRH

Rejet

Responsabilités et sanctions – Faillite et interdictions – Faillite personnelle – Prononcé – Prononcé postérieur à la clôture de la procédure – Possibilité

La faillite personnelle ou l'interdiction de gérer pouvant être prononcée dès lors que le tribunal a été saisi en vue de l'application d'une sanction personnelle avant la clôture de la procédure collective par une décision passée en force de chose jugée et dans le délai de prescription prévu à l'article L. 653-1 du code de commerce, leur prononcé peut être postérieur à la clôture de cette procédure.

Responsabilités et sanctions – Faillite et interdictions – Interdiction de gérer – Prononcé – Prononcé postérieur à la clôture de la procédure – Possibilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 20 mai 2021), le 17 mai 2017, la société Terra marine France Trading, dirigée par M. [P], a été mise en liquidation judiciaire, M. [R] étant désigné liquidateur.

Par requête du 4 octobre 2019, le ministère public a demandé la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer de M. [P].

La liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif le 27 mai 2020.

Par jugement du 2 septembre 2020, M. [P] a été condamné à une mesure de faillite personnelle.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. [P] fait grief à l'arrêt de le condamner à une faillite personnelle d'une durée de cinq ans, alors « qu'une sanction personnelle ou autre mesure d'interdiction ne peut être prononcée que lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte ; qu'en prononçant à l'encontre de M. [P] une faillite personnelle d'une durée de cinq ans, quand la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Terra marine France Trading, par jugement du 27 mai 2020, faisait obstacle à ce qu'une mesure de faillite personnelle soit ensuite prononcée contre son dirigeant, M. [P], par jugement du 2 septembre 2020, confirmé par l'arrêt du 20 mai 2021, la cour d'appel a violé l'article L. 653-1 code de commerce. »

Réponse de la Cour

4. La faillite personnelle ou l'interdiction de gérer pouvant être prononcée dès lors que le tribunal a été saisi en vue de l'application d'une sanction personnelle avant la clôture de la procédure collective par une décision passée en force de chose jugée et dans le délai de prescription prévu à l'article L. 653-1 du code de commerce, leur prononcé peut être postérieur à la clôture de cette procédure.

5. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Brahic-Lambrey - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 653-1 du code de commerce.

Com., 8 février 2023, n° 21-19.330, (B), FRH

Cassation partielle

Sauvegarde – Période d'observation – Déclaration de créances – Débiteur – Créances portées à la connaissance du mandataire judiciaire – Présomption de déclaration de la créance par le débiteur – Portée

Il résulte de l'article L. 622-24, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, que la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du code de commerce, fait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire par le débiteur.

En conséquence, viole ce texte la cour d'appel qui retient que la déclaration effectuée par un débiteur sur la liste de ses créanciers remise à son mandataire judiciaire ne peut valoir déclaration de créance faite pour le compte du créancier, aux motifs que cette liste ne comporte l'indication ni des sommes à échoir et de la date de leur échéance, ni de la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie, ni des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, alors qu'il résulte de ses propres constatations que la liste des créanciers comporte le nom du créancier ainsi que le montant de la créance de ce dernier, ce qui vaut déclaration de créance effectuée par le débiteur pour le compte du créancier, dans la limite de ces informations.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 10 juin 2021), un jugement du 28 mars 2017, publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 12 avril suivant, a mis en sauvegarde le groupement agricole d'exploitation en commun du Petit Champ (le GAEC).

2. Conformément à l'article L. 622-6 du code de commerce, le GAEC a remis au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, sur laquelle figurait la société Coopérative Bourgogne (la coopérative).

3. La créance de la coopérative a été contestée par le GAEC, qui a fait valoir que le seul fait que ce créancier apparaisse sur la liste des créanciers ne valait pas déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, au sens de l'alinéa 3 de l'article L. 622-24 du code de commerce.

4. Le GAEC a bénéficié d'un plan de sauvegarde, la société Jean-Jacques Deslorieux étant nommée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La coopérative fait grief à l'arrêt de dire qu'elle ne rapporte pas la preuve de la réception de sa déclaration de créance par le mandataire judiciaire, de dire que la liste des créanciers remise à ce mandataire par le GAEC ne vaut pas déclaration de créance faite pour son compte par le débiteur et de rejeter sa demande d'admission de créance, alors « que le débiteur qui a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, en précisant l'identité de son créancier et le montant de la créance, est présumé avoir déclaré cette créance pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance ; que pour considérer que la déclaration faite par le GAEC du Petit Champ ne pouvait valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, l'arrêt attaqué retient que la liste des créanciers remise à la SCP Deslorieux, datée du 28 mars 2017, ne comportait ni l'indication des sommes à échoir et la date de leur échéance, ni la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance était éventuellement assortie, ni les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'était pas arrêté ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que la liste des créanciers remise par le débiteur au mandataire judiciaire comportait « dans la colonne des créanciers fournisseurs la mention de la Coopérative Bourgogne du Sud, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir, de 422 493 euros », ce dont elle aurait dû déduire que les éléments essentiels de cette créance, à savoir son titulaire et son montant, avaient été portés à la connaissance du mandataire, ce qui valait déclaration de créance du GAEC du Petit Champ pour le compte de la Coopérative Bourgogne du Sud, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24 et R. 622-5 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 622-24, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 :

6. Il résulte de ce texte que la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du code de commerce, fait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire par le débiteur.

7. Pour rejeter la demande d'admission de sa créance formée par la coopérative, l'arrêt énonce, d'abord, que, selon l'article R. 622-5, alinéa 3, du code de commerce, pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 622-24 susvisé, toute déclaration faite par le débiteur, dans le délai fixé par le premier alinéa de l'article R. 622-24 du même code, doit comporter les éléments prévus aux deux premiers alinéas de l'article L. 622-25 du même code et, le cas échéant, ceux prévus par le 2° de l'article R. 622-23 de ce code. Ensuite, après avoir constaté que la liste des créanciers du 28 mars 2017 remise par le GAEC à son mandataire judiciaire comporte, dans la colonne des créanciers fournisseurs, la mention de la coopérative, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir de 422 493 euros, l'arrêt retient que cette liste ne comporte l'indication ni des sommes à échoir et de la date de leur échéance, ni de la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie, ni des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cependant qu'il n'est pas établi que le débiteur aurait fourni d'autres informations au mandataire judiciaire.

L'arrêt en déduit que cette déclaration faite par le GAEC ne peut valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la liste des créanciers remise par le GAEC à son mandataire judiciaire comportait le nom de la coopérative créancière ainsi que le montant de la créance de cette dernière, ce qui valait déclaration de créance effectuée par le débiteur pour le compte du créancier, dans la limite de ces informations, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables l'appel principal formé par le GAEC du Petit Champ et l'appel incident formé par la société Coopérative Bourgogne, l'arrêt rendu le 10 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Articles L. 622-24, alinéa 3, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, et R. 622-24 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la portée des créances portées à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, à rapprocher : Com., 5 septembre 2018, pourvoi n° 17-18.516, Bull. 2018, IV, n° 93 (rejet).

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