Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 8 février 2023, n° 21-14.451, (B) (R), FP

Rejet

Employeur – Obligations – Obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi – Manquement – Atteinte à la dignité du salarié – Caractérisation – Cas – Employeur utilisant de l'amiante sans autorisation dérogatoire – Portée

L'atteinte à la dignité du salarié constitue pour l'employeur un manquement grave à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

La cour d'appel qui constate que l'employeur, qui avait bénéficié d'une dérogation jusqu'au 31 décembre 2001 l'autorisant à poursuivre l'utilisation de l'amiante malgré l'entrée en vigueur du décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l'interdiction de l'amiante, et continué, en toute illégalité, à utiliser ce matériau de 2002 à 2005 alors qu'il n'était plus titulaire d'aucune autorisation dérogatoire, retient à bon droit que celui-ci a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 décembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 15 janvier 2020, pourvoi n° 18-16.771), MM. [P] et [U] ont été engagés, respectivement en 1983 et 1990, par la société Rhône Poulenc chimie, aux droits de laquelle vient la société Rhodia opérations (la société).

2. Par un arrêté ministériel du 30 septembre 2005, l'établissement de [Localité 5], au sein duquel ils ont travaillé, a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période 1916-2001.

3. Par un arrêté ministériel du 23 août 2013, cette période a été étendue jusqu'en 2005.

4. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir réparation notamment d'un préjudice au titre d'un manquement à l'obligation de loyauté.

5. Le syndicat CGT des personnels du site chimique de [Localité 5] est intervenu à l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action des salariés au titre du manquement à l'obligation de loyauté, de le condamner à leur payer une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation de l'obligation de loyauté, de le condamner à verser au syndicat CGT des personnels du site chimique de [Localité 5] une somme au titre du préjudice subi par la collectivité de travail et de le condamner à payer à chacun des salariés et au syndicat une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'il en résulte que le salarié dont le droit à réparation au titre du préjudice d'anxiété, en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, est éteint n'est pas recevable à solliciter le versement de dommages-intérêts au titre d'une utilisation d'amiante par l'employeur sur un autre fondement juridique ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'action des salariés en réparation de leur préjudice d'anxiété en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 était irrecevable comme prescrite ; qu'en leur allouant néanmoins des dommages-intérêts en réparation du préjudice au titre d'un manquement de l'employeur à son obligation de loyauté résultant de l'utilisation d'amiante entre 2002 et 2005, la cour d'appel a violé l'article L. 4121-1 du code du travail, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

2°/ qu'à supposer que le salarié, dont le droit à réparation au titre du préjudice d'anxiété en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 est éteint, puisse invoquer un manquement de l'employeur à son obligation de loyauté résultant de l'utilisation d'amiante, il ne peut solliciter une réparation qu'à condition d'établir l'impact d'une telle utilisation sur ses conditions de travail et l'existence d'un préjudice personnellement subi ; qu'en se bornant à relever, pour allouer à chacun des salariés une somme de dommages-intérêts au titre d'une méconnaissance de son obligation de loyauté, que la société Rhodia opérations avait continué à utiliser de l'amiante illégalement et sans transparence vis-à-vis des représentants du personnel de 2002 à 2005, sans caractériser la moindre exposition personnelle des salariés au cours de cette période, le moindre manquement commis par l'employeur, ni le moindre préjudice personnellement subi résultant du manquement de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 1222-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, il résulte de l'article L. 1222-1 du code du travail que l'atteinte à la dignité de son salarié constitue pour l'employeur un manquement grave à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail (Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.686, Bull. 2012, V, n° 58).

8. Dès lors, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'employeur, qui avait bénéficié d'une dérogation jusqu'au 31 décembre 2001 l'autorisant à poursuivre l'utilisation de l'amiante malgré l'entrée en vigueur du décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l'interdiction de l'amiante, et continué, en toute illégalité, à utiliser ce matériau de 2002 à 2005 alors qu'il n'était plus titulaire d'aucune autorisation dérogatoire, a ainsi manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi les contrats de travail.

9. En second lieu, l'employeur qui soutenait devant la cour d'appel que tous les salariés de l'établissement de [Localité 5] avaient reçu leur attestation d'exposition à l'amiante à leur départ de l'entreprise, est irrecevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire selon lequel les salariés ne caractérisaient pas la moindre exposition personnelle à l'amiante au cours de la période concernée.

10. Enfin, les salariés, au soutien de leur demande au titre de l'obligation de loyauté, n'invoquaient pas l'existence d'un préjudice d'anxiété.

11. Il en résulte que le moyen, partiellement irrecevable et inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Valéry - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 1222-1 du code du travail ; décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l'interdiction de l'amiante.

Rapprochement(s) :

Sur d'autres cas d'atteinte à la dignité du salarié par l'employeur, à rapprocher : Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.686, Bull. 2012, V, n° 58 (cassation).

Soc., 15 février 2023, n° 21-19.094, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Préjudice résultant de la remise tardive ou incomplète de l'attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux – Action en réparation – Prescription – Délai – Nature – Détermination – Portée

L'action par laquelle un salarié sollicite la réparation du préjudice résultant de la remise tardive ou incomplète de l'attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux prévue par l'article R. 4412-58 du code du travail, alors applicable, se rattache à l'exécution du contrat de travail.

Il en résulte que cette action est soumise à la prescription de deux ans prévue à l'article L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 7 avril 2021), M. [X] a été engagé par un contrat à durée indéterminée du 6 septembre 1982 par la société Rhône Poulenc, en qualité d'agent de production journalier. Après plusieurs transferts de son contrat de travail, il est devenu salarié de la société Vencorex le 1er juin 2012.

2. Le salarié a fait valoir ses droits à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante par lettre du 12 juin 2013 adressée à l'employeur. Son contrat de travail a pris fin le 31 décembre 2013.

3. Par requête du 26 décembre 2016, le salarié et le syndicat CGT des personnels du site chimique de [Localité 3] ont saisi la juridiction prud'homale afin, notamment, que le salarié soit indemnisé du préjudice résultant de la remise tardive et incomplète des documents nécessaires au suivi médical post-professionnel instauré pour les salariés exposés à des produits dangereux pour la santé.

Examen des moyens

Sur le premier et le troisième moyens du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Vencorex France fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une certaine somme pour remise tardive de l'attestation d'exposition et de la condamner à remettre au salarié une attestation complémentaire mentionnant son exposition à de forts champs magnétiques au sein de l'atelier électrolyse et au danger des sources radioactives, dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard constaté courant pendant le délai de deux mois, alors « qu'aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; qu'en application de l'article R. 4412-58 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux mentionnés à l'article R. 4412-40, remplie par l'employeur et le médecin du travail, est remise au travailleur « à son départ de l'établissement », quel qu'en soit le motif ; que la cour d'appel en énonçant, pour dire recevables les demandes de M. [X] fondées sur la tardiveté et la pertinence de l'attestation d'exposition, que la remise par l'employeur de cette attestation s'inscrivait dans le dispositif spécifique de prévention des conséquences de l'exposition à l'amiante et aux produits dangereux et ne saurait relever de la courte prescription édictée par l'article L. 1471-1 du code du travail en matière de rupture du contrat de travail, n'étant pas en lien nécessaire avec celle-ci, a violé ce texte par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

6. Aux termes de ce texte, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

7. L'action par laquelle un salarié sollicite la réparation du préjudice résultant de la remise tardive ou incomplète de l'attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux prévue par l'article R. 4412-58 du code du travail, alors applicable, se rattache à l'exécution du contrat de travail.

8. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour remise tardive de l'attestation d'exposition et à lui remettre une attestation complémentaire, l'arrêt retient que la remise par l'employeur de l'attestation d'exposition s'inscrit dans le dispositif spécifique de prévention des conséquences de l'exposition à l'amiante et aux produits dangereux et ne saurait relever de la courte prescription édictée par l'article L. 1471-1 du code du travail.

L'arrêt en déduit que les demandes du salarié fondées sur la tardiveté et le caractère incomplet de l'attestation remise sont recevables.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur la demande du salarié de paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour remise tardive et incomplète des documents nécessaires à un suivi médical post-professionnel et sur la demande de remise d'une attestation d'exposition rectifiée.

12. Le contrat de travail du salarié a pris fin le 31 décembre 2013 et l'attestation d'exposition litigieuse lui a été remise le 31 juillet 2014.

Le délai de prescription de l'action du salarié expirait au plus tard le 31 juillet 2016, en sorte que les demandes du salarié, introduites le 26 décembre 2016, sont prescrites.

13. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à verser au salarié la somme de 1 000 euros pour remise tardive de l'attestation d'exposition et à lui remettre une attestation complémentaire n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Vencorex France à payer à M. [X] la somme de 1 000 euros pour remise tardive de l'attestation d'exposition et à lui remettre une attestation complémentaire mentionnant son exposition à de forts champs magnétiques au sein de l'atelier électrolyse et au danger des sources radioactives, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la décision et, passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard constaté courant pendant le délai de deux mois, l'arrêt rendu le 7 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DECLARE irrecevables comme prescrites la demande de M. [X] de paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour remise tardive et incomplète des documents nécessaires à un suivi médical post professionnel et la demande de remise d'une attestation d'exposition rectifiée, sous astreinte.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ollivier - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1471-1, alinéa 1, et R. 4412-58 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le délai de prescription applicable aux actions en réparation du préjudice résultant pour le salarié d'une exposition à des agents chimiques ou dangereux, à rapprocher : Soc., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-18.490, Bull., (rejet).

Soc., 15 février 2023, n° 21-20.572, (B), FRH

Cassation partielle partiellement sans renvoi

Harcèlement – Harcèlement moral – Existence – Existence d'un préjudice – Condition préalable (non) – Portée

Il résulte des articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail, que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail, et, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Doit être censuré l'arrêt, qui, pour débouter un salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un harcèlement moral, retient que celui-ci ne donne aucun élément sur le préjudice qui en serait résulté, alors qu'il lui appartenait préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas présumer l'existence d'un harcèlement moral et si, dans l'affirmative, l'employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Harcèlement – Harcèlement moral – Existence – Faits établis par le salarié la faisant présumer – Appréciation – Office du juge – Portée

SOC.

BD4

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 15 février 2023

Cassation partielle partiellement sans renvoi

M. HUGLO, conseiller doyen

faisant fonction de président

Arrêt n° 184 F-B

Pourvoi n° V 21-20.572

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 FÉVRIER 2023

M. [I] [B], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-20.572 contre l&apos ;arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d&apos ;appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l&apos ;opposant à la société Serviclean, services industriels &amp ; commerciaux en hygiène et propreté, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l&apos ;appui de son pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [B], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Serviclean, après débats en l&apos ;audience publique du 5 janvier 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l&apos ;arrêt attaqué (Versailles, 26 novembre 2020), M. [B] a été engagé par la société Serviclean en qualité d&apos ;agent qualifié propreté.

Le contrat prévoyait un salaire mensuel auquel s&apos ;ajoutait une prime mensuelle de forfait vitrerie.

Le salarié était titulaire d&apos ;un mandat de délégué du personnel.

2. Le 10 mars 2009, le médecin du travail a déclaré que le salarié était apte à ses fonctions de laveur de vitres mais seulement pour une hauteur maximale de trois mètres. L&apos ;employeur a reclassé le salarié sur un poste d&apos ;ouvrier nettoyeur et, par lettre du 21 décembre 2010, l&apos ;a informé que la prime de forfait vitrerie serait intégrée dans sa rémunération brute mensuelle.

3. Le 20 décembre 2011, l&apos ;employeur a notifié au salarié une mutation disciplinaire.

4. Le 10 juin 2014, le salarié a saisi la juridiction prud&apos ;homale de demandes en paiement de rappels de salaire et de primes.

5. Le 14 novembre 2014, l&apos ;employeur l&apos ;a convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.

6. Le 20 novembre 2014, puis le 2 décembre 2014, l&apos ;employeur a convoqué le comité d&apos ;entreprise en réunion extraordinaire afin de délibérer sur le licenciement envisagé du salarié.

Le 10 décembre 2014, l&apos ;employeur a demandé à l&apos ;inspecteur du travail l&apos ;autorisation de le licencier.

Le 19 janvier 2015, l&apos ;inspecteur du travail a refusé d&apos ;autoriser ce licenciement.

Par lettre du 26 janvier 2015, l&apos ;employeur a demandé au salarié de reprendre son poste et a précisé qu&apos ;il lui notifiait un avertissement pour les faits qui l&apos ;avaient conduit à envisager un licenciement à son encontre.

7. Par ordonnance du 29 janvier 2015, le bureau de conciliation du conseil de prud&apos ;hommes a condamné l&apos ;employeur à verser au salarié une provision à valoir sur les primes de forfait vitrerie. Cette ordonnance a été annulée par arrêt de la cour d&apos ;appel de Versailles du 21 juin 2018.

Recevabilité du mémoire en défense examinée d&apos ;office

8. Le mémoire en défense, qui n&apos ;a pas été déposé ni notifié dans le délai prévu par l&apos ;article 982 du code de procédure civile, est irrecevable.

Examen des moyens

Sur les deuxième, quatrième et cinquième moyens, ci-après annexés

9. En application de l&apos ;article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n&apos ;y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l&apos ;arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre d&apos ;un harcèlement moral, alors « que le juge ne peut débouter le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral au seul motif qu&apos ;il ne donne aucun élément sur le préjudice qui en aurait résulté sans s&apos ;être prononcé au préalable sur l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral ; que pour se prononcer sur l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral, il appartient au juge d&apos ;examiner l&apos ;ensemble des éléments invoqués par le salarié et d&apos ;apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral au sens de l&apos ;article L. 1152-1 du code du travail ; que dans l&apos ;affirmative, il revient au juge d&apos ;apprécier si l&apos ;employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d&apos ;un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu&apos ;en estimant ne pas avoir à statuer sur la demande formée par M. [B] au titre du harcèlement moral et en conséquence la rejeter au motif qu&apos ;à supposer que le salarié ait été victime de faits de harcèlement moral, il ne donnait aucun élément sur le préjudice qui en aurait résulté, la cour d&apos ;appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 1152-1 et L 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail :

11. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral, il appartient au juge d&apos ;examiner l&apos ;ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d&apos ;apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral au sens de l&apos ;article L. 1152-1 du code du travail, et, dans l&apos ;affirmative, il revient au juge d&apos ;apprécier si l&apos ;employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d&apos ;un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

12. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d&apos ;un harcèlement moral, l&apos ;arrêt retient que celui-ci ne donne aucun élément sur le préjudice qui en serait résulté, alors qu&apos ;aucun préjudice n&apos ;est automatique.

13. En statuant ainsi, alors qu&apos ;il lui appartenait préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas présumer l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral et si, dans l&apos ;affirmative, l&apos ;employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d&apos ;appel a violé les textes susvisés.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

14. Le salarié fait grief à l&apos ;arrêt de le débouter de sa demande d&apos ;annulation de la mutation disciplinaire du 21 novembre 2011 et de sa demande de dommages-intérêts pour mutation disciplinaire imposée et injustifiée et au titre d&apos ;un harcèlement moral, alors « qu&apos ;aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et que l&apos ;acceptation par un salarié protégé d&apos ;une modification de son contrat de travail ou d&apos ;un changement des conditions de travail ne peut résulter ni de l&apos ;absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l&apos ;intéressé de son travail ; qu&apos ;il en résulte qu&apos ;un salarié protégé ne peut se voir imposer, sans son accord, une mutation disciplinaire sur un autre site ; qu&apos ;en refusant d&apos ;annuler la mutation disciplinaire imposée le 21 novembre 2011 à M. [B] sans rechercher, ainsi qu&apos ;elle était invitée à le faire, si cette mutation n&apos ;était pas constitutive d&apos ;une violation du statut protecteur attaché à son mandat de membre élu de la délégation unique du personnel, la cour d&apos ;appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l&apos ;ordonnance du 10 février 2016, L 1221-1, L 1331-1, L 2411-1 et L 2411-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l&apos ;article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil et l&apos ;article L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :

15. Aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et il appartient à l&apos ;employeur d&apos ;engager la procédure de licenciement en cas de refus du salarié de cette modification en demandant l&apos ;autorisation de l&apos ;inspecteur du travail.

16. L&apos ;acceptation par un salarié protégé d&apos ;une modification du contrat de travail ou d&apos ;un changement des conditions de travail ne peut résulter ni de l&apos ;absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l&apos ;intéressé de son travail.

17. Pour débouter le salarié de sa demande d&apos ;annulation de la mutation disciplinaire, l&apos ;arrêt retient que cette mutation a été mise en oeuvre le 4 janvier 2012 suivant la lettre de l&apos ;employeur du 20 décembre 2011, après entretien préalable au cours duquel le salarié a été entendu assisté d&apos ;un salarié de l&apos ;entreprise, que le salarié a rejoint son nouveau lieu de travail à la date indiquée et ne justifie nullement les éléments de nullité qui entacheraient cette décision ainsi que l&apos ;existence d&apos ;un préjudice en résultant, n&apos ;explicitant pas la communauté de travail à laquelle il aurait été éloigné de ce fait alors qu&apos ;il travaillait auprès de clients et pas dans le cadre d&apos ;un emploi sédentaire avec d&apos ;autres salariés de l&apos ;entreprise.

18. En statuant ainsi, la cour d&apos ;appel a violé les textes susvisés.

Et sur le sixième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

19. Le salarié fait grief à l&apos ;arrêt de le condamner à rembourser à la société Serviclean la somme de 15 194,64 euros avec intérêts au taux légal à compter des conclusions demandant le remboursement, alors « que l&apos ;ordonnance rendue le 29 janvier 2015 par le bureau de conciliation du conseil de prud&apos ;hommes de Versailles ayant ordonné à la société Serviclean de verser à M. [B] la somme de 16 000 euros à titre de provision à valoir sur la prime &apos ;&apos ;forfait vitrerie&apos ;&apos ; a été annulée, sur appel nullité de la société Serviclean, par la cour d&apos ;appel de Versailles aux termes d&apos ;un arrêt daté du 21 juin 2018 ; que cet arrêt emporte de plein droit obligation de restitution des sommes versées dans le cadre de l&apos ;exécution provisoire attachée à l&apos ;ordonnance déférée et constitue le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution ; qu&apos ;en faisant néanmoins droit à la demande de remboursement présentée par la société Serviclean et en condamnant le salarié à lui payer la somme de 15 194,64 euros avec intérêts aux taux légal à compter des conclusions demandant le remboursement quand l&apos ;employeur disposait déjà d&apos ;un titre exécutoire pour obtenir la restitution de cette somme, la cour d&apos ;appel a excédé ses pouvoirs et a violé les articles L 111-2 et L. 111-3 du code des procédures civiles d&apos ;exécution, ensemble les principes régissant l&apos ;excès de pouvoir. »

Réponse de la Cour

Vu l&apos ;article 561 du code de procédure civile :

20. Aux termes de ce texte, l&apos ;appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d&apos ;appel. Il est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième du code de procédure civile.

21. Pour condamner le salarié à restituer la provision versée par l&apos ;employeur, l&apos ;arrêt constate que l&apos ;ordonnance du bureau de conciliation du conseil de prud&apos ;hommes du 29 janvier 2015, qui a condamné l&apos ;employeur à verser au salarié la somme de 16 000 euros, a été annulée par un arrêt de la cour d&apos ;appel du 21 juin 2018, de sorte que les sommes versées au salarié de ce chef ne sont pas dues et doivent être remboursées par lui.

22.En statuant ainsi, alors que l&apos ;obligation de restitution résulte de plein droit de l&apos ;annulation de l&apos ;ordonnance assortie de l&apos ;exécution provisoire, la cour d&apos ;appel, qui n&apos ;avait pas à statuer sur cette demande, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

23. Après avis donné aux parties, conformément à l&apos ;article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l&apos ;organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

24. La cassation prononcée n&apos ;implique pas, en effet, qu&apos ;il soit à nouveau statué sur le fond du chef de la demande de remboursement de l&apos ;employeur de la somme versée au salarié à titre de provision sur la prime de forfait vitrerie.

PAR CES MOTIFS, et sans qu&apos ;il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu&apos ;il déboute M. [B] de sa demande de dommages-intérêts au titre d&apos ;un harcèlement moral, de sa demande d&apos ;annulation de la mutation disciplinaire du 20 décembre 2011 et de sa demande de dommages-intérêts pour mutation disciplinaire imposée, en ce qu&apos ;il condamne M. [B] aux dépens et à payer à la société Serviclean la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l&apos ;article 700 du code de procédure civile et, par voie de retranchement, en ce qu&apos ;il condamne M. [B] à rembourser à la société Serviclean la somme de 15 194,64 euros avec intérêts au taux légal à compter des conclusions demandant le remboursement, l&apos ;arrêt rendu le 26 novembre 2020, entre les parties, par la cour d&apos ;appel de Versailles ;

Dit n&apos ;y avoir lieu à renvoi du chef de la demande de remboursement par M. [B] à la société Serviclean de la somme de 15 194,64 euros ;

Constate que l&apos ;arrêt prononcé par la cour d&apos ;appel de Versailles le 21 juin 2018, annulant l&apos ;ordonnance du bureau de conciliation du conseil de prud&apos ;hommes de Versailles du 29 janvier 2015, emporte obligation de procéder au remboursement susvisé ;

Remet, sur les points restant en litige, l&apos ;affaire et les parties dans l&apos ;état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d&apos ;appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Serviclean aux dépens ;

En application de l&apos ;article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Serviclean et la condamne à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l&apos ;arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [B]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [B] fait grief à l&apos ;arrêt attaqué de l&apos ;avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral ;

1°) ALORS QUE le juge ne peut débouter le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral au seul motif qu&apos ;il ne donne aucun élément sur le préjudice qui en aurait résulté sans s&apos ;être prononcé au préalable sur l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral ; que pour se prononcer sur l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral, il appartient au juge d&apos ;examiner l&apos ;ensemble des éléments invoqués par le salarié et d&apos ;apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l&apos ;existence d&apos ;un harcèlement moral au sens de l&apos ;article L. 1152-1 du code du travail ; que dans l&apos ;affirmative, il revient au juge d&apos ;apprécier si l&apos ;employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d&apos ;un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu&apos ;en estimant ne pas avoir à statuer sur la demande formée par M. [B] au titre du harcèlement moral et en conséquence la rejeter au motif qu&apos ;à supposer que le salarié ait été victime de faits de harcèlement moral, il ne donnait aucun élément sur le préjudice qui en aurait résulté, la cour d&apos ;appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 1152-1 et L 1154-1 du code du travail ;

2°) ALORS QUE la cour d&apos ;appel doit statuer sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ; qu&apos ;en l&apos ;espèce, M. [B] a sollicité, dans le dispositif de ses conclusions, une somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral après avoir soutenu que les faits exposés et détaillés dans ses conclusions laissaient supposer une situation de harcèlement moral qu&apos ;il appartenait à l&apos ;employeur de justifier ; qu&apos ;en retenant, pour débouter M. [B] de ce chef de demande, qu&apos ;en application de l&apos ;article 954 du code de procédure civile, elle n&apos ;avait pas à statuer sur cette demande motif pris que le salarié ne donnait aucun élément dans sa discussion sur le préjudice qui aurait résulté du harcèlement moral, la cour d&apos ;appel a violé l&apos ;article précité ;

3°) ALORS Qu&apos ;à supposer que l&apos ;arrêt ait adopté la motivation du jugement confirmé ayant débouté M. [B] au motif qu&apos ;il n&apos ;apportait pas d&apos ;éléments ou ne rapportait pas la preuve de faits pouvant constituer du harcèlement moral quand il n&apos ;appartenait pas au salarié de caractériser un harcèlement mais seulement d&apos ;établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, la cour d&apos ;appel a violé les article 1152-1 et 1154-1 du code du travail, ensemble l&apos ;article 1315 devenu 1353 du code civil ;

4°) ALORS, en tout état de cause,

QUE le salarié, victime d&apos ;agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d&apos ;altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, subi un préjudice consécutif à l&apos ;atteinte porté aux droits à la santé et à la dignité de la personne constitutionnellement et conventionnellement garantis ; qu&apos ;en déboutant M. [B] de sa demande au titre du harcèlement moral au seul motif qu&apos ;à supposer que le salarié ait été victime de faits de harcèlement moral, il ne donnait aucun élément sur le préjudice qui en aurait résulté, la cour d&apos ;appel a violé les articles L 1152-1, L. 1154-1, 1er de la Charte des droits fondamentaux de l&apos ;Union européenne, 26-2 de la Charte social européenne ainsi que l‘alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

M. [B] fait grief à l&apos ;arrêt attaqué d&apos ;avoir limité à la somme de 496,80 €, outre la somme de 49,68 € au titre des congés payés afférents, le rappel de salaire au titre de la prime forfait vitrerie de janvier à décembre 2019, de l&apos ;avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de paiement de la prime « forfait vitrerie » et au titre du harcèlement moral et d&apos ;avoir confirmé le jugement ayant dit qu&apos ;il devait rembourser à la société Serviclean la somme de 15 194,64 € et de l&apos ;avoir condamné à payer à la société Serviclean la somme de 15 194,64 € avec intérêts au taux légal à compter es conclusions demandant le remboursement ;

ALORS QUE la rémunération contractuelle d&apos ;un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant ni dans sa structure sans son accord, peu important que l&apos ;employeur prétende que le nouveau mode de rémunération est sans effet sur le montant global de la rémunération du salarié ; que selon les constatations de l&apos ;arrêt attaqué, à compter de janvier 2011, l&apos ;employeur a supprimé, sans l&apos ;accord du salarié, la prime « forfait vitrerie » prévue à son contrat de travail pour un montant de 2000 francs – soit 304,90 € - à la faveur d&apos ;une augmentation de sa rémunération de base d&apos ;un montant de 300 €, ce dont la cour d&apos ;appel aurait dû déduire que cette prime était toujours due et que M. [B] était fondé à réclamer le paiement d&apos ;un rappel de salaire correspondant à l&apos ;intégralité du montant des primes non versées ; qu&apos ;en déboutant M. [B] de cette demande, la cour d&apos ;appel a violé l&apos ;article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l&apos ;ordonnance du 10 février 2016, ensemble l&apos ;article L 1221-1 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

M. [B] fait grief à l&apos ;arrêt attaqué de l&apos ;avoir débouté de sa demande d&apos ;annulation de la mutation disciplinaire du 21 novembre 2011 et de sa demande de dommages et intérêts pour mutation disciplinaire imposée et injustifiée et au titre du harcèlement moral ;

ALORS QU&apos ;aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et que l&apos ;acceptation par un salarié protégé d&apos ;une modification de son contrat de travail ou d&apos ;un changement des conditions de travail ne peut résulter ni de l&apos ;absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l&apos ;intéressé de son travail ; qu&apos ;il en résulte qu&apos ;un salarié protégé ne peut se voir imposer, sans son accord, une mutation disciplinaire sur un autre site ; qu&apos ;en refusant d&apos ;annuler la mutation disciplinaire imposée le 21 novembre 2011 à M. [B] sans rechercher, ainsi qu&apos ;elle était invitée à le faire, si cette mutation n&apos ;était pas constitutive d&apos ;une violation du statut protecteur attaché à son mandat de membre élu de la délégation unique du personnel, la cour d&apos ;appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l&apos ;ordonnance du 10 février 2016, L 1221-1, L 1331-1, L 2411-1 et L 2411-5 du code du travail.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

M. [B] fait grief à l&apos ;arrêt attaqué de l&apos ;avoir débouté de sa demande d&apos ;annulation de l&apos ;avertissement du 26 janvier 2015 et de sa demande de dommages et intérêts pour avertissements injustifiées et au titre du harcèlement moral,

1°) ALORS QU&apos ; aux termes de la décision du 19 janvier 2015, l&apos ;inspecteur du travail a refusé la demande d&apos ;autorisation de licenciement pour faute grave présentée par l&apos ;employeur - qui reprochait à M. [B] d&apos ;avoir insulté, le 8 novembre 2014, son supérieur hiérarchique, M. [E] [S] - car les témoignages recueillis lors de l&apos ;enquête ne permettaient pas d&apos ;établir avec certitude la matérialité des faits reprochés ; qu&apos ;en retenant, pour rejeter la demande d&apos ;annulation de l&apos ;avertissement notifiée au salarié le 26 janvier 2015 pour les mêmes faits, que la réalité de ces faits était apparue à l&apos ;administration du travail, la cour d&apos ;appel a dénaturé la décision précitée en violation de l&apos ;obligation faite au juge de ne pas dénaturer l&apos ;écrit qui lui est soumis ;

2°) ALORS QUE l&apos ;inspecteur du travail a refusé la demande d&apos ;autorisation de licenciement pour faute grave présentée par l&apos ;employeur dès lors que les témoignages recueillis lors de l&apos ;enquête ne permettaient pas d&apos ;établir avec certitude la matérialité des faits reprochés à M. [B] ; que ces motifs, soutien nécessaire de la décision de refus, s&apos ;imposent au juge judiciaire ; qu&apos ;en retenant, pour rejeter la demande d&apos ;annulation de l&apos ;avertissement notifiée au salarié le 26 janvier 2015, que l&apos ;employeur avait pu prendre une sanction de bien moindre gravité pour les mêmes faits que ceux ayant motivé la demande d&apos ;autorisation de licenciement, la cour d&apos ;appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et de l&apos ;autorité de la chose jugée en matière administrative.

CINQUIEME MOYEN DE CASSATION

M. [B] fait grief à l&apos ;arrêt attaqué de l&apos ;avoir débouté de sa demande en paiement d&apos ;un rappel de salaire et de prime d&apos ;expérience du 28 janvier au 15 février 2015 et de dommages et intérêt pour défaut de paiement des salaires et au titre du harcèlement moral,

1°) ALORS QUE celui qui réclame l&apos ;exécution d&apos ;une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l&apos ;extinction de son obligation ; que nonobstant la délivrance d&apos ;une fiche de paie, c&apos ;est à l&apos ;employeur, débiteur de cette obligation, qu&apos ;il incombe de prouver le paiement du salaire ; qu&apos ;en déboutant M. [B] de sa demande de rappel de salaires sur la période de la mise à pied conservatoire injustifiée au motif qu&apos ;il ne justifiait pas que ses salaires n&apos ;ont pas été payés, ses bulletins de salaire démontrant le contraire, la cour d&apos ;appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l&apos ;article 1315 devenu 1353 du code civil ;

2°) ALORS QU&apos ;en s&apos ;abstenant de répondre aux conclusions d&apos ;appel de M. [B] qui faisait valoir que son refus de reprendre le travail immédiatement après l&apos ;injonction faite par l&apos ;employeur le 26 janvier 2015 était justifié par le fait qu&apos ;il n&apos ;avait pas été payé de l&apos ;intégralité des salaires dont il avait été privé pendant la période de mise à pied conservatoire privée d&apos ;effet à la suite du refus de l&apos ;inspection du travail d&apos ;autoriser son licenciement, la cour d&apos ;appel a méconnu les exigences de l&apos ;article 455 du code de procédure civile.

SIXIEME MOYEN DE CASSATION

M. [B] fait grief à l&apos ;arrêt attaqué de l&apos ;avoir condamné à rembourser à la société Serviclean la somme de 15 194,64 € avec intérêts au taux légal à compter des conclusions demandant le remboursement ;

1°) ALORS QUE l&apos ;ordonnance rendue le 29 janvier 2015 par le bureau de conciliation du conseil de prud&apos ;hommes de Versailles ayant ordonné à la société Serviclean de verser à M. [B] la somme de 16 000 € à titre de provision à valoir sur la prime « forfait vitrerie » a été annulée, sur appel nullité de la société Serviclean, par la cour d&apos ;appel de Versailles aux termes d&apos ;un arrêt daté du 21 juin 2018 ; que cet arrêt emporte de plein droit obligation de restitution des sommes versées dans le cadre de l&apos ;exécution provisoire attachée à l&apos ;ordonnance déférée et constitue le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution ; qu&apos ;en faisant néanmoins droit à la demande de remboursement présentée par la société Serviclean et en condamnant le salarié à lui payer la somme de 15 194,64 € avec intérêts aux taux légal à compter des conclusions demandant le remboursement quand l&apos ;employeur disposait déjà d&apos ;un titre exécutoire pour obtenir la restitution de cette somme, la cour d&apos ;appel a excédé ses pouvoirs et a violé les articles L 111-2 et L 111-3 du code des procédures civiles d&apos ;exécution, ensemble les principes régissant l&apos ;excès de pouvoir :

2°) ALORS QU&apos ;en confirmant le jugement ayant dit que M. [B] devait rembourser à la société Serviclean la somme de 15 194,64 € et en condamnant, une seconde fois, M. [B] à rembourser la somme de 15 194,64 € à la société Serviclean, la cour d&apos ;appel a violé l&apos ;article 1371 du code civil et les principes régissant l&apos ;enrichissement sans cause.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ollivier - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur un cas de discrimination dont l'existence n'est pas subordonnée à la preuve préalable d'un préjudice, à rapprocher : Soc., 6 juillet 2022, pourvoi n° 21-12.073, (cassation partielle).

Soc., 8 février 2023, n° 21-19.232, (B), FS

Rejet

Maladie – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude au travail – Mention expresse que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé – Effets – Obligation de reclassement – Exclusion – Etendue – Portée

Il résulte de l'article L. 1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que lorsque le médecin du travail mentionne expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur n'est pas tenu de rechercher un reclassement au salarié.

Ayant constaté que l'avis d'inaptitude mentionnait expressément que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, une cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur était dispensé de rechercher et de proposer au salarié des postes de reclassement.

Maladie – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude au travail – Avis du médecin du travail – Mention expresse que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi – Effets – Obligation de reclassement – Exclusion – Etendue – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 14 mai 2021), Mme [W] a été engagée en qualité d'aide soignante le 5 novembre 2012 par l'association Les Feuillantines, aux droits de laquelle vient l'association Groupe SOS séniors (l'association).

2. Placée en arrêt de travail à compter du 25 juin 2016 à la suite d'un accident du travail, la salariée a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l'occasion de la visite de reprise du 12 juin 2018, l'avis du médecin mentionnant expressément « l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

3. Licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par l'association le 10 juillet 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que l'employeur a respecté son obligation de recherche de reclassement et de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que lorsque le médecin du travail déclare un salarié inapte à son emploi, en mentionnant expressément dans son avis que l'état de santé du salarié fait obstacle à toute reclassement dans l'emploi, l'employeur n'est pas dispensé de son obligation de rechercher le reclassement du salarié au sein des entreprises du groupe auquel l'employeur appartient ; qu'en retenant le contraire, pour dire que l'association Groupe SOS séniors avait respecté ses obligations s'agissant de son obligation de recherche de reclassement de la salariée et débouter celle-ci de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1226-10, L. 1226-12, L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail ;

2°/ que dans l'hypothèse où il serait retenu que la cour d'appel de Bourges a adopté les motifs des premiers juges, aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, le groupe auquel appartient l'employeur, au sein duquel celui-ci a l'obligation de rechercher le reclassement du salarié qui a été déclaré inapte, est le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, et non le groupe formé par les seules sociétés entrant dans les prévisions de l'article L. 233-1, des I et II de l'article L. 233-3 et de l'article L. 233-16 du code de commerce ; qu'en énonçant, par conséquent, pour dire que l'association Groupe SOS séniors avait respecté ses obligations s'agissant de son obligation de recherche de reclassement de Mme [S] [W] et débouter celle-ci de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que l'existence de liens capitalistiques est une condition préalable à la reconnaissance d'un groupe de reclassement, que la notion de groupe n'existe donc qu'au sens du droit des sociétés, s'agissant de l'obligation de reclassement d'un salarié déclaré inapte, qu'il ne peut, donc, y avoir de groupe dans une association, quand bien même plusieurs associations seraient étroitement liées, que, parce que l'association Groupe SOS séniors est une association dont le siège social est situé à [Localité 3], régie par les dispositions du code civil local, elle n'était pas assujettie à l'obligation de rechercher le reclassement de Mme [S] [W] au sein d'un groupe et qu'en conséquence, le périmètre de reclassement était limité à l'entreprise d'affectation de Mme [S] [W], la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

6. L'arrêt constate que l'avis d'inaptitude mentionne expressément que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

7. La cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur était dispensé de rechercher et de proposer à la salariée des postes de reclassement.

8. Le rejet de la première branche du moyen rend sans portée la seconde branche.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Pecqueur - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la portée de la mention expresse, dans l'avis du médecin du travail, que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, à rapprocher : Soc., 16 novembre 2022, pourvoi n° 21-17.255, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 1 février 2023, n° 21-12.485, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Obligations de l'employeur – Licenciement pour motif économique – Priorité de réembauche – Violation par l'employeur – Action en dommages-intérêts – Délai – Point de départ – Détermination – Portée

Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment celui prévu à l'article L. 1233-67.

Selon l'article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai. Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification.

Il en résulte que l'action fondée sur le non-respect par l'employeur de la priorité de réembauche, qui n'est pas liée à la contestation de la rupture du contrat de travail résultant de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, soumise au délai de prescription de l'article L. 1233-67 du code du travail, mais à l'exécution du contrat de travail, relève de la prescription de l'article L. 1471-1 du même code.

L'indemnisation dépendant des conditions dans lesquelles l'employeur a exécuté son obligation, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la priorité de réembauche a cessé, soit à l'expiration du délai d'un an à compter de la rupture du contrat de travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 décembre 2020) et les productions, Mme [B] a été engagée le 19 octobre 2009 par la société Aquilab (la société) en qualité d'ingénieur.

2. Après avoir été convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique, fixé au 23 juillet 2014, au cours duquel il lui a été proposé d'adhérer à un contrat de sécurisation professionnelle et après que la société lui a notifié, le 31 juillet 2014, le motif économique de la rupture, elle a adhéré le 7 août 2014 au dispositif et a demandé, le 13 août 2014, à bénéficier de la priorité de réembauche.

3. Elle a saisi la juridiction prud'homale, le 19 janvier 2016, pour contester la réalité du motif économique invoqué par l'employeur et obtenir paiement de diverses sommes au titre de la rupture.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts au titre de la violation de l'article L. 1233-45 du code du travail, alors :

« 1°/ que le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, si elle invoquait la prescription des demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail, en ce compris celle portant sur la priorité de réembauchage, elle se fondait, tant dans les motifs que dans le dispositif de ses conclusions, non seulement sur les dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail mais aussi et surtout sur celles de l'article L. 1233-67, propres aux salariés ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, en prenant soin de critiquer les motifs du jugement qui avait rejeté ce second fondement ; qu'en affirmant que « la société Aquilba conclut à la prescription de l'action engagée par Mme [E] [B], épouse [I], au motif que celle-ci n'a pas été engagée dans les 12 mois prévus à l'article L. 1235-7 du code du travail », pour limiter son analyse à cette seule cause de prescription, la cour d'appel qui a méconnu les termes clairs et précis des conclusions de l'employeur qui invoquaient parallèlement un autre fondement textuel pour conclure à la prescription, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en cas d'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif se prescrit par douze mois à compter de cette adhésion, ce délai ne pouvant être interrompu que par l'une des causes limitatives d'interruption de la prescription prévues aux articles 2240 et suivants du code civil ; que la prescription n'est donc pas interrompue par une simple réclamation ou critique formulée auprès de l'employeur, serait-ce par lettre recommandée ; qu'en l'espèce, se fondant sur les dispositions de l'article L. 1233-67 du code du travail dont les termes avaient été rappelés à la salariée par la note d'information sur les difficultés économiques, le document de présentation du contrat de sécurisation professionnelle et la lettre de licenciement, elle faisait valoir qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes le 19 janvier 2016, la salariée qui avait adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 7 août 2014 était prescrite en ses demandes relatives à la rupture de son contrat peu important qu'elle ait adressé à son employeur un courrier recommandé en date du 31 juillet 2015 aux termes duquel elle contestait « la régularité et la validité de son licenciement » et annonçait son intention prochaine de saisir la juridiction prud'homale ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que la prescription ne se calculait pas à la date de saisine du conseil de prud'hommes mais à la date de contestation pour en déduire que la salariée ayant adressé à son employeur, le 31 juillet 2015, un courrier par lequel elle contestait la régularité et la validité de son licenciement, ses demandes relatives à la rupture, formées le 19 janvier 2016, n'étaient pas prescrites, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-67, alinéa 1, du code du travail, ensemble les articles 2240, 2241 et 2244 du code civil ;

3°/ que la priorité de réembauchage ne s'exerce que sur un emploi compatible avec la qualification du salarié ; qu'en jugeant que l'employeur avait méconnu ses obligations au titre de l'obligation de réembauchage, faute d'avoir proposé à la salariée un poste d'ingénieur développement devenu ouvert chez Aquilab dans l'année qui avait suivi son licenciement, sans constater que la salariée disposait des compétences requises pour occuper un tel poste, ce que contestait l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-45 du code du travail, dans sa version modifiée par l'ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014 ;

4°/ que la priorité de réembauche ne peut s'exercer que lorsque l'employeur procède à des embauches ; que pour retenir que l'employeur avait manqué à ses obligations en matière de priorité de réembauchage, la cour d'appel a relevé qu'un salarié de la société Aquilab qui occupait les fonctions d'ancien technicien installation depuis juin 2010, M. [T] (lire [K]), s'était vu confier, à compter d'octobre 2014, un même poste que celui précédemment attribué à la salariée ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait de ses propres constatations que le poste litigieux avait été pourvu par un recrutement interne et non par une embauche, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-45 du code du travail, dans sa version modifiée par l'ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014. »

Réponse de la Cour

5. D'une part, aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment celui prévu à l'article L. 1233-67.

6. Selon l'article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai. Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification.

7. Il en résulte que l'action fondée sur le non-respect par l'employeur de la priorité de réembauche, qui n'est pas liée à la contestation de la rupture du contrat de travail résultant de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, soumise au délai de prescription de l'article L. 1233-67 du code du travail, mais à l'exécution du contrat de travail, relève de la prescription de l'article L. 1471-1 du même code.

8. L'indemnisation dépendant des conditions dans lesquelles l'employeur a exécuté son obligation, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la priorité de réembauche a cessé, soit à l'expiration du délai d'un an à compter de la rupture du contrat de travail.

9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt, qui a constaté que la salariée avait saisi la juridiction prud'homale le 19 janvier 2016, soit moins de deux ans après la cessation de la priorité de réembauche, le 13 août 2015, se trouve légalement justifié en ce qu'il dit que l'action n'est pas prescrite.

10. D'autre part, il résulte de l'article L. 1233-45 du code du travail, qu'en cas de litige, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il a satisfait à son obligation en établissant soit qu'il a proposé les postes disponibles compatibles avec la qualification du salarié, soit en justifiant de l'absence de tels postes.

11. Il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure, que la société, qui s'était bornée à faire valoir, en inversant la charge de la preuve, qu'il n'était pas démontré l'existence d'un poste disponible qui devait être proposé à la salariée, avait soutenu devant la cour d'appel que le poste d'ingénieur développement pourvu dans l'année ayant suivi la rupture du contrat de l'intéressée ne correspondait pas à sa qualification ou qu'il avait été pourvu par une mutation en interne.

12. Le moyen, irrecevable en ses deux dernières branches comme nouveau et mélangé de fait et de droit, ne peut être accueilli pour le surplus.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. La société fait grief à l'arrêt de dire que les demandes de la salariée n'étaient pas prescrites et de la condamner à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage du jour du licenciement dans la limite de six mois en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, alors « que le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, si elle invoquait la prescription des demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail, elle se fondait, tant dans les motifs que dans le dispositif de ses conclusions, non seulement sur les dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail mais aussi et surtout sur celles de l'article L. 1233-67, propres aux salariés ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, en prenant soin de critiquer les motifs du jugement qui avait rejeté ce second fondement ; qu'en affirmant que « la société Aquilab conclut à la prescription de l'action engagée par Mme [E] [B], épouse [I], au motif que celle-ci n'a pas été engagée dans les 12 mois prévus à l'article L. 1235-7 du code du travail », pour limiter son analyse à cette seule cause de prescription, la cour d'appel qui a méconnu les termes clairs et précis des conclusions de l'employeur qui invoquaient parallèlement un autre fondement textuel pour conclure à la prescription, a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

14. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

15. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et condamner la société au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la société conclut à la prescription de l'action engagée par la salariée au motif que celle-ci n'a pas été engagée dans les douze mois prévus à l'article L. 1235-7 du code du travail, que cependant, ce texte n'est applicable qu'aux contestations de nature à entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un plan de sauvegarde de l'emploi, et non à sa contestation ne visant que l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

16. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la société se fondait non seulement sur les dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail mais également sur celles de l'article L. 1233-67 du même code, applicables aux salariés ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

19. Selon l'article L. 1233-67 du code du travail, dans sa version en vigueur du 30 juillet 2011 au 1er janvier 2015, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif, résultant de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, se prescrit par douze mois à compter de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.

20. La salariée ayant adhéré, le 7 août 2014, au contrat de sécurisation professionnelle, l'action qu'elle a engagée le 16 janvier 2016 pour contester la rupture de son contrat de travail, soit au-delà du délai de douze mois prévu par ce texte, est prescrite.

21. Ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail sont en conséquence irrecevables.

22. La cassation des chefs de dispositif condamnant la société à verser à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la demande relative au bien-fondé du licenciement n'est pas prescrite, condamne la société Aquilab à payer à Mme [B], épouse [I], la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ordonne le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la salariée licenciée du jour de son licenciement dans la limite de six mois, l'arrêt rendu le 18 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que les demandes de la salariée sont irrecevables.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1471-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, L. 1233-45 et L. 1233-67 du code du travail.

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