Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2023

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 15 février 2023, n° 21-25.849, (B), FS

Rejet

Cession – Despécialisation – Effets – Prix – Fixation du loyer du bail renouvelé – Plafonnement – Exceptions – Modification notable de la destination des lieux – Renonciation à s'en prévaloir – Exclusion – Cas

La cession du droit au bail dans les conditions de l'article L. 145-51 du code de commerce emporte, malgré une déspécialisation, le maintien du loyer jusqu'au terme du bail. En revanche, elle ne prive pas le bailleur du droit d'invoquer le changement de destination intervenu au cours du bail expiré au soutien d'une demande en fixation du loyer du bail renouvelé. Dès lors, il ne peut être déduit une renonciation de sa part à solliciter le déplafonnement du loyer lors du renouvellement du bail du non-exercice du droit de rachat prioritaire ou de son absence d'opposition en justice à la déspécialisation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 octobre 2021), le 30 juillet 2008, Mmes [N] [A], [K] [C], [L] [S] et MM. [O] [I], [M] [S], [T] [A], [J] [I], [Y] [A], [B] [I] et [X] [S] (les bailleurs) ont donné un local à bail à usage de commerce de gravures, reliures, encadrements, maroquinerie, décoration ou similaire à Mme [F].

2. Le 18 novembre 2010, la société Joaillerie caprice de luxe [Localité 11], devenue la société Leopol (la locataire), a signifié aux bailleurs la cession du droit au bail consentie par Mme [F] avec déspécialisation du bail en application des dispositions de l'article L. 145-51 du code de commerce.

3. Les bailleurs ont délivré un congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2017 moyennant le paiement d'un loyer fixé selon la valeur locative, puis ont saisi le juge des loyers commerciaux d'une demande en fixation du nouveau loyer.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de dire que le loyer renouvelé sera fixé à la valeur locative et de désigner, avant-dire droit, un expert afin de déterminer la valeur locative des locaux, alors :

« 1°/ que, lorsque le locataire ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité, a signifié à son propriétaire son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l'exercice est envisagé ainsi que le prix proposé, le bailleur a, dans un délai de deux mois, une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification ; qu'à défaut d'usage de ce droit par le bailleur, son accord est réputé acquis si, dans le même délai de deux mois, il n'a pas saisi le tribunal judiciaire ; qu'en retenant qu'aucune disposition ne fait interdiction au bailleur d'invoquer le changement d'activité autorisé à l'occasion du renouvellement pour solliciter le déplafonnement du prix du bail pour autant que les conditions d'un déplafonnement fondé sur un changement de destination soient réunies, les dispositions de l'article L. 145-51 n'étant pas exclusives de l'application des articles L. 145-33, quand le bailleur ne peut pas invoquer la déspécialisation pour obtenir la modification du loyer lors du renouvellement du bail, la cour d'appel a violé les articles L. 145-51, L. 145-33 et L. 145-34 du code de commerce ;

2°/ que, lorsque le locataire ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité, a signifié à son propriétaire son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l'exercice est envisagé ainsi que le prix proposé, le bailleur a, dans un délai de deux mois, une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification ; qu'à défaut d'usage de ce droit par le bailleur, son accord est réputé acquis si, dans le même délai de deux mois, il n'a pas saisi le tribunal judiciaire ; qu'en retenant qu'il ne peut être déduit du non-exercice par les bailleurs de leur droit de rachat prioritaire du bail dans les deux mois de la signification par le preneur initial de son intention de céder le bail en application de l'article L. 145-51 du code de commerce ou de l'absence d'opposition en justice à cette déspécialisation, un quelconque renoncement à se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-34 susvisé, quand le non-exercice de la faculté de rachat et l'absence d'opposition à la déspécialisation valent renoncement à se prévaloir de la déspécialisation lors du renouvellement du bail, la cour d'appel a violé l'article L. 145-51 du code de commerce ;

3°/ que la propriété commerciale du preneur d'un bail commercial protégée par l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce ; qu'en retenant que la propriété commerciale protégée par ledit article s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce garantissant le preneur de la seule volonté du bailleur de ne pas renouveler le bail et imposant à celui-ci de verser une indemnité d'éviction et que l'atteinte alléguée par la société locataire qui porte sur le prix du bail renouvelé n'entre pas dans le champ de cette protection, quand, le déplafonnement du prix du bail entrave le droit du locataire au renouvellement du bail, la cour d'appel a violé l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que la cession du droit au bail, dans les conditions de l'article L. 145-51 du code de commerce, emportant malgré une déspécialisation, le maintien du loyer jusqu'au terme du bail, ne privait pas les bailleurs du droit d'invoquer, au soutien de leur demande en fixation du loyer du bail renouvelé, le changement de destination intervenu au cours du bail expiré.

7. Elle a relevé à juste titre qu'il ne pouvait être déduit du non-exercice par les bailleurs de leur droit de rachat prioritaire ou de l'absence d'opposition en justice à la déspécialisation, leur renonciation à solliciter, lors du renouvellement du bail, le déplafonnement du loyer.

8. Rappelant que la « propriété commerciale » du preneur d'un bail commercial, protégée par l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce, elle a exactement retenu que l'atteinte alléguée, qui ne concerne que le prix du loyer du bail renouvelé, n'entre pas dans le champ de cette protection.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Grandjean - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article L. 145-51 du code de commerce.

3e Civ., 15 février 2023, n° 21-16.475, (B), FS

Rejet

Vente de la chose louée – Droit de préemption du preneur à bail – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Immeuble dépendant d'une liquidation judiciaire

Il résulte de l'article L. 642-18 du code de commerce que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice.

Dès lors, les dispositions de l'article L. 145-46-1 du même code, qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables, de sorte qu'une telle vente ne peut donner lieu à l'exercice du droit de préférence par un locataire commercial.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 3 mars 2021), un jugement du 13 mai 2005 a placé en liquidation judiciaire la société civile immobilière Evasion (la SCI).

2. Le 16 décembre 2016, une ordonnance du juge-commissaire a autorisé M. [P], en qualité de liquidateur de la SCI (le liquidateur), à vendre un ensemble immobilier à la communauté de communes du Pays des Sorgues Monts de Vaucluse (l'acquéreur).

3. L'acte notarié de vente a été dressé le 11 avril 2018.

4. Se prévalant d'un bail commercial consenti en 2007 par le gérant de la SCI et d'une offre d'achat adressée au liquidateur en 2009 pour un prix supérieur à celui de la vente, M. [L] a assigné le liquidateur et l'acquéreur pour obtenir, en réparation de la méconnaissance de son droit de préférence, d'être substitué à ce dernier.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, du mémoire ampliatif et le moyen du mémoire additionnel, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen pris en sa première branche, du mémoire ampliatif

Enoncé du moyen

6. M. [L] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu'un contrat de bail conclu par un débiteur sur un de ses biens postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire n'est pas nul, il est inopposable aux organes de la liquidation judiciaire ; qu'au cas présent, pour rejeter la demande tendant à obtenir le bénéfice d'un droit de préemption sur le bien cédé à la communauté de communes du Pays des Sorgues Monts de Vaucluse, la cour d'appel a retenu que le preneur ne pouvait se prévaloir d'un droit de préemption en l'absence d'occupation légitime ; qu'en statuant ainsi lorsque M. [L], preneur au bail non annulé, était titulaire d'un droit de préemption qui, s'il n'était pas opposable à la liquidation, était opposable aux tiers, la cour d'appel a confondu inopposabilité et nullité violant ainsi l'article L. 641-9-I du code de commerce ensemble l'article L. 145-46-1 du même code. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article L. 642-18 du code de commerce que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice.

8. Dès lors, les dispositions de l'article L. 145-46-1 du même code, qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables, de sorte qu'une telle vente ne peut donner lieu à l'exercice du droit de préférence par un locataire commercial.

9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SARL Cabinet Briard ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 145-46-1 et L. 642-18 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Com., 23 mars 2022, pourvoi n° 20-19.174, Bull., (cassation partielle sans renvoi).

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