Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2023

APPEL CIVIL

Com., 15 février 2023, n° 21-20.283, (B), FRH

Cassation partielle

Demande nouvelle – Recevabilité – Demande tendant au rejet des prétentions adverses – Recherche nécessaire

Une cour d'appel ne peut déclarer irrecevable une demande présentée pour la première fois en appel sans rechercher, même d'office, si cette demande ne tendait pas à faire écarter des prétentions adverses.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 2 juin 2021), par contrat du 1er août 2013, la société Albatros a acquis de la société Brooks Instrument Europe Operations BV, aux droits de laquelle est venue la société Brooks Instrument BV (la société Brooks BV), la totalité des actions de la société Brooks Instrument SAS, renommée Houdec instrument.

Le contrat précisait que les parties s'engageaient à signer des contrats de distribution et d'agent.

2. Reprochant à la société Brooks BV d'avoir refusé de signer les contrats de distribution et d'agent et d'être à l'origine de la chute du chiffre d'affaires de la société Houdec instrument en réduisant ses relations avec cette dernière dans des proportions importantes, la société Albatros a, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, demandé la réparation de ses préjudices.

En cause d'appel, elle a également demandé, à titre subsidiaire, l'annulation du contrat de cession d'actions pour dol ou absence de cause.

Examen des moyens

Sur le second moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais, sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Albatros fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables au regard de l'article 564 du code de procédure civile ses demandes tendant à l'annulation du contrat de cession d'actions pour dol ou pour absence de cause et à l'indemnisation des conséquences de cette annulation, au motif que cette annulation n'était pas poursuivie en première instance, alors « que sont recevables, même lorsqu'elles sont présentées pour la première fois en cause d'appel, les demandes qui tendent à faire écarter les prétentions adverses ; qu'est ainsi recevable en appel la demande tendant à l'annulation d'un contrat sur lequel l'adversaire fonde l'une de ses demandes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, devant les premiers juges, la société Albatros avait recherché la responsabilité contractuelle de la société Brooks BV, pour ne pas avoir conclu les contrats d'agent et de distribution prévus par le contrat de cession des actions de la société Brooks Instrument du 1er août 2013, et la condamnation de la société Brooks BV à l'indemniser de ses préjudices ; que, pour déclarer irrecevables comme nouvelles les demandes subsidiaires en appel de la société Albatros, tendant à l'annulation pour dol ou défaut de cause du contrat de cession et à l'indemnisation des conséquences de cette annulation, la cour d'appel a retenu que ces prétentions ne tendaient pas aux mêmes fins que les demandes présentées en première instance, dans la mesure où l'annulation du contrat n'était pas sollicitée en première instance, la société Albatros agissant au contraire sur le fondement de ce contrat ; qu'en statuant de la sorte, quand la société Brooks BV avait formulé une demande reconventionnelle tendant au paiement d'une somme de 190 400 euros, correspondant au solde d'une commission prévue par le contrat de cession, de sorte que les demandes en nullité de ce contrat et en indemnisation des conséquences de cette nullité, tendant à voir écarter les prétentions de la société Brooks BV, étaient recevables, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 564 du code de procédure civile :

5. Aux termes de cet article, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

6. Pour déclarer irrecevables les demandes de la société Albatros tendant à l'annulation du contrat de cession d'actions pour dol ou pour absence de cause et à l'indemnisation des conséquences de cette annulation, l'arrêt retient que, dès lors qu'une telle annulation n'était pas poursuivie en première instance, la société Albatros agissant au contraire sur le fondement du contrat, ces demandes ne peuvent être considérées comme tendant aux mêmes fins que les demandes présentées en première instance.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, même d'office, comme il lui incombait, si les demandes d'annulation du contrat de cession et d'indemnisation des conséquences de cette annulation ne lui étaient pas soumises pour faire écarter la demande de la société Brooks BV tendant à voir condamner la société Albatros au paiement d'une certaine somme en exécution de ce contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes subsidiaires de la société Albatros tendant à l'annulation du contrat de cession d'actions pour dol ou pour absence de cause et à l'indemnisation des conséquences de cette annulation, l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d'appel de Riom ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Alt - Avocat général : M. Crocq - Avocat(s) : Me Soltner -

Textes visés :

Article 564 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la recevabilié de nouvelles prétentions pour faire écarter les prétentions adverses, à rapprocher : 2e Civ., 6 décembre 1995, pourvoi n° 94-12.857, Bull. 1995, II, n° 301 (cassation partielle).

2e Civ., 2 février 2023, n° 21-18.382, (B), FRH

Cassation

Procédure avec représentation obligatoire – Conclusions – Prétentions récapitulées sous forme de dispositif – Cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif – Portée – Moyen nouveau – Recevabilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 avril 2021), M. [J], condamné par un jugement d'un tribunal de commerce, en sa qualité de caution, à payer diverses sommes à la Société générale (la banque) en a relevé appel.

Le Fonds commun de titrisation Castanea est intervenu volontairement à l'instance devant la cour d'appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [J] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande fondée sur l'article L. 332-1 du code de la consommation et de le condamner à verser à la Société Générale et au Fonds commun de titrisation Castanea diverses sommes au titre de ses engagements de caution alors « que si les parties doivent, à peine d'irrecevabilité, présenter, dès leurs premières conclusions d'appel, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, il faut, mais il suffit, que ces prétentions soient expressément formulées dans le dispositif des écritures ; que les parties sont alors recevables à invoquer, dans la discussion, tous les moyens, même nouveaux en cause d'appel, de nature à fonder ces prétentions ; qu'en retenant que, faute de discussion sur la déchéance de la banque dans le corps des conclusions du 10 mai 2019, la demande de débouté qui figure dans le dispositif de ces écritures ne renvoie à aucune prétention dûment explicitée, de sorte que doit être déclaré irrecevable le moyen de défense au fond soulevé pour la première fois dans des conclusions postérieures, la cour d'appel a violé les articles 910-4 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 910-4, alinéa 1er du code de procédure civile, créé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, dans sa version applicable du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020 et 954 dudit code :

3. Selon le premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.

L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

4. En application de l'article 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

5. Il en résulte que le respect des diligences imparties par l'article 910-4 du même code s' apprécie en considération des prescriptions de l'article 954.

6. Pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir rappelé les termes des articles 910-4 et 564 du code de procédure civile, retient que l'engagement disproportionné ouvre à la caution un moyen de défense au fond lui permettant de faire rejeter, selon l'article 71, la demande de son adversaire. Il ajoute que l'article 564 autorisant les nouvelles prétentions dès lors qu'elles ont pour objet de faire écarter les prétentions adverses, la demande tirée de la disposition n'est pas irrecevable comme nouvelle en cause d'appel. Il relève que, dans ses conclusions du 10 mai 2019, M. [J] n'a pas sollicité la déchéance de la banque dans sa motivation, la demande de débouté de la banque ne renvoyant à aucune prétention dûment explicitée et justifiée par des pièces comme l'exige l'article 564. Il retient qu'est irrecevable ce moyen de défense soulevé pour la première fois par conclusion du 26 septembre 2019 et dans son dispositif, déclare irrecevable la demande de l'appelant fondée sur l'article L. 332-1 du code de la consommation.

7. En statuant ainsi, alors que l'appelant avait, conformément à l'article 954 précité, mentionné ses prétentions tendant au débouté de la banque, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile, et que l'article 910-4 ne fait pas obstacle à la présentation d'un moyen nouveau dans des conclusions postérieures, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Zribi et Texier ; SCP Yves et Blaise Capron -

Textes visés :

Articles 905-2, 908, 910, 910-4, alinéa 1, et 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.