Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

UNION EUROPEENNE

Com., 9 février 2022, n° 17-19.441, (B), FS

Cassation

Directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 – Articles 58 et 60, § 1 – Responsabilité du prestataire de services de paiement – Action engagée par l'utilisateur – Application exclusive

Par l'arrêt CJUE, arrêt du 2 septembre 2021, caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Alpes-Provence, C-337/20, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :

1) L'article 58 et l'article 60, § 1, de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997, 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002, 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 ainsi que 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 abrogeant la directive 97/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997, doivent être interprétées en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un utilisateur de services de paiement puisse engager la responsabilité du prestataire de ces services sur le fondement d'un régime de responsabilité autre que celui prévu par ces dispositions lorsque cet utilisateur a manqué à son obligation de notification prévue audit article 58.

2) L'article 58 et l'article 60, § 1, de la directive 2007/64/CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce que la caution d'un utilisateur de services de paiement invoque, en raison d'un manquement du prestataire de services de paiement à ses obligations liées à une opération non autorisée, la responsabilité civile d'un tel prestataire, bénéficiaire du cautionnement, pour contester le montant de la dette garantie, conformément à un régime de responsabilité contractuelle de droit commun.

Il en résulte que les articles L. 133-18 et L. 133-24 du code monétaire et financier, pris pour la transposition de la directive 2007/64/CE, prévoyant le remboursement immédiat des opérations de paiement non autorisées signalées par l'utilisateur à la banque, dans le délai de treize mois, ne font pas obstacle à la mise en oeuvre, par la caution de cet utilisateur, de la responsabilité contractuelle de droit commun de la banque.

Directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 – Articles 58 et 60, § 1 – Responsabilité du prestataire de services de paiement – Action engagée par la caution de l'utilisateur – Responsabilité contractuelle de droit commun – Application

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 avril 2017), par un acte du 22 décembre 2009, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Alpes-Provence (la banque) a consenti à la société Groupe centrale automobiles (la société GCA), dont Mme [P] était la gérante, une ouverture de crédit en compte courant, garantie par le cautionnement solidaire de M. [M]. Après avoir dénoncé cette ouverture de crédit, la banque a assigné en paiement la caution, qui a soutenu que la banque avait commis une faute en procédant à des virements, sans autorisation, vers des sociétés tierces, et que leur montant devait venir en déduction de la créance.

2. Par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a déclaré M. [M] irrecevable en ses contestations pour forclusion, en retenant que la société GCA disposait d'un délai de treize mois pour contester ces opérations en application de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier.

3. Par un arrêt du 16 juillet 2020, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 58 de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE.

4. Par un arrêt du 2 septembre 2021 (C-337/20), la CJUE a répondu à la question posée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [M] fait grief à l'arrêt de le juger irrecevable en ses contestations des sommes, objet des virements litigieux, et de le condamner, en conséquence, à paiement, en qualité de caution, alors « que l'article L. 133-18 du code monétaire et financier, offrant le bénéfice d'un remboursement immédiat des opérations de paiement non autorisées signalées par l'utilisateur à la banque, ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle de la banque soit retenue, par ailleurs, en cas de manquement à son devoir de vérification s'il est apporté la preuve d'un préjudice en résultant ; qu'en jugeant, pour déclarer M. [M] irrecevable en ses contestations des sommes objets de virements du compte ouvert au nom de la société GCA à diverses sociétés pour cause de forclusion, que « M. [M] excipe de l'application des dispositions du code civil alors que le fonctionnement de ces compte est régi par les dispositions du code monétaire et financier », quand, nonobstant l'article L. 133-18 du code monétaire et financier relatif aux opérations de paiement non autorisées, M. [M] pouvait se prévaloir de la responsabilité contractuelle de la banque, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, applicable à la cause, devenu 1231-1 du même code civil et 1937 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

7. Il résulte de ce texte que toute inexécution d'une obligation contractuelle ayant causé un dommage au créancier de l'obligation oblige le débiteur de celle-ci à en répondre.

8. Par son arrêt précité du 2 septembre 2021, la CJUE a dit pour droit que :

1) L'article 58 et l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/00/CE ainsi que 2006/48/CE abrogeant la directive 97/5/CE, doivent être interprétées en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un utilisateur de services de paiement puisse engager la responsabilité du prestataire de ces services sur le fondement d'un régime de responsabilité autre que celui prévu par ces dispositions lorsque cet utilisateur a manqué à son obligation de notification prévue audit article 58.

2) L'article 58 et l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce que la caution d'un utilisateur de services de paiement invoque, en raison d'un manquement du prestataire de services de paiement à ses obligations liées à une opération non autorisée, la responsabilité civile d'un tel prestataire, bénéficiaire du cautionnement, pour contester le montant de la dette garantie, conformément à un régime de responsabilité contractuelle de droit commun.

9. Pour déclarer M. [M] irrecevable en ses contestations des sommes, objet de virements du compte ouvert au nom de la société GCA, à des sociétés tierces, l'arrêt retient qu'en application de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, la société disposait d'un délai de forclusion de treize mois pour contester ces opérations, que si ce délai a pu être interrompu par les courriels échangés le 3 mars 2001 par lesquels la gérante de la société demandait des renseignements sur ces opérations, un nouveau délai de treize mois a couru à compter de cette date, mais que la contestation des virements litigieux n'a été opérée que par les conclusions du 15 mai 2013, et la forclusion est, par conséquent, encourue.

10. En statuant ainsi, alors que les articles L. 133-18 et L. 133-24 du code monétaire et financier, pris pour la transposition de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, prévoyant le remboursement immédiat des opérations de paiement non autorisées signalées par l'utilisateur à la banque, dans le délai de treize mois, pris pour la transposition de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, ne font pas obstacle à la mise en oeuvre, par la caution de cet utilisateur, de la responsabilité contractuelle de droit commun de la banque, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand ; SCP Capron -

Textes visés :

Article 58 et l'article 60, § 1, de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur ; articles L. 133-18 et L. 133-24 du code monétaire et financier.

1re Civ., 9 février 2022, n° 20-19.625, (B), FS

Cassation

Obligations non contractuelles – Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 – Article 10 – Loi applicable – Loi du contrat conclu par une partie avec un tiers – Exclusion

La relation existante entre les parties à l'obligation extra-contractuelle, au sens de l'article 10.1 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), ne peut résulter d'un contrat conclu par l'une d'elles avec un tiers, ni de l'exécution par elle des obligations qu'attache à ce contrat la loi qui lui est applicable.

Obligations non contractuelles – Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 – Article 10 – Loi applicable – Contrat conclu par une partie avec un tiers – Exécution des obligations légales en découlant – Exclusion

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 30 juin 2020), un notaire allemand a été condamné par des juridictions allemandes à payer une indemnité à la société Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) en réparation du préjudice résultant d'un manquement à son obligation de vigilance. Il a formé contre son assureur de responsabilité civile professionnelle, la société allemande HDI Versicherung (HDI), une demande qui a été rejetée par les juridictions allemandes au motif que les dommages causés intentionnellement étaient exclus de la garantie contractuelle.

2. HDI a néanmoins réglé à la banque le montant de l'indemnité, en exécution de la loi fédérale allemande relative aux notaires qui fait obligation à l'assureur de responsabilité civile de prendre en charge les dommages causés par son assuré, même intentionnellement, dans la limite de son droit de recours contre le notaire.

3. Une juridiction allemande a rejeté la demande de garantie formée par la société HDI contre la chambre des notaires et son assureur au motif que le dommage causé à la banque avait été déclaré après l'expiration du délai de forclusion stipulé par le contrat d'assurance souscrit par la chambre des notaires.

4. HDI a alors assigné la banque en restitution de la somme versée, outre intérêts, sur le fondement de l'article 812 du code civil allemand, qui permet à celui qui a payé une somme d'en obtenir restitution lorsque la cause juridique du versement initial a disparu.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer la société HDI recevable en ses demandes et de la condamner à payer à celle-ci une somme de 89 944,92 euros, avec intérêts au taux égal au taux d'intérêt de base publié par la Deutsche Bundesbank majoré de neuf points à compter du 12 mars 2015, alors « que les quasi-contrats dont le fait générateur est antérieur au 11 janvier 2009 ne sont pas soumis au règlement 864/2007 du 11 juillet 2007 du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ; qu'au cas présent, la société HDI Versicherung se prévalait d'une créance quasi-contractuelle de restitution dont le fait générateur réside dans le versement au profit de la banque de la somme de 89 944,92 euros le 30 octobre 2008 ; que pour dire la loi allemande applicable à la demande de la société HDI Versicherung, la cour d'appel a mis en oeuvre la règle de conflit de lois instaurée par l'article 10.1 du règlement 864/2007 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 31 du règlement 864/2007. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société HDI conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et contraire aux conclusions d'appel de la banque.

7. La banque, qui s'est fondée devant la cour d'appel sur l'article 10 du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit « Rome II »), n'est pas recevable à soutenir un moyen contraire devant la Cour de cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à supposer le règlement 864/2007 applicable, son article 10.1 dispose que, si l'obligation quasi-contractuelle invoquée se rattache à une relation existante entre les parties au quasi-contrat, la loi applicable est celle régissant cette relation ; qu'en l'absence de relation existante entre ces parties, la loi applicable au quasi-contrat est déterminée selon les critères de rattachement prévus par les paragraphes 2 à 4 de l'article 10 ; qu'au cas présent, aucune relation juridique n'existait entre la société HDI Versicherung, assureur de responsabilité du notaire, et la banque, victime du détournement commis par ce dernier, lors de la réalisation du versement du 30 octobre 2008, fait générateur de la créance quasi-contractuelle invoquée ; qu'en soumettant le présent litige à la loi allemande sur le fondement de l'article 10.1 du règlement 864/2007, la cour d'appel en a violé les dispositions par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») :

9. Ce texte dispose :

« 1. Lorsqu'une obligation non contractuelle découlant d'un enrichissement sans cause, y compris un paiement indu, se rattache à une relation existante entre les parties, telle qu'une obligation découlant d'un contrat ou d'un fait dommageable présentant un lien étroit avec cet enrichissement sans cause, la loi applicable est celle qui régit cette relation.

2. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 et que les parties ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment où le fait donnant lieu à l'enrichissement sans cause survient, la loi applicable est celle de ce pays.

3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base des paragraphes 1 ou 2, la loi applicable est celle du pays dans lequel l'enrichissement sans cause s'est produit.

4. S'il résulte de toutes les circonstances que l'obligation non contractuelle découlant d'un enrichissement sans cause présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1, 2 et 3, la loi de cet autre pays s'applique. »

10. Pour dire, sur le fondement de l'article 10, paragraphe 1, la loi allemande applicable à l'action en répétition de l'indu engagée par la société HDI contre la banque, l'arrêt, après avoir énoncé que la première a versé une somme à la seconde en exécution de dispositions qui imposent à l'assureur de responsabilité civile professionnelle d'un notaire d'indemniser la victime des agissements volontaires de son assuré, nonobstant l'exclusion de garantie stipulée par le contrat d'assurance, avant d'agir, en tant que subrogé dans les droits de la victime, contre la chambre des notaires et l'assureur auprès duquel celle-ci a souscrit une assurance couvrant les manquements volontaires de ses membres, retient que le versement litigieux a eu lieu en raison des relations existant entre HDI et le notaire et du fait dommageable subi par la banque, que le contrat conclu par HDI avec le notaire était soumis au droit allemand et que le paiement a eu lieu en application des dispositions impératives de ce droit.

11. En statuant ainsi, alors que la relation existante entre les parties à l'obligation extra-contractuelle ne pouvait résulter d'un contrat conclu par l'une d'elles avec un tiers, ni de l'exécution par elle des obligations qu'attachait à ce contrat la loi qui lui était applicable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP L. Poulet-Odent ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 10 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007.

1re Civ., 2 février 2022, n° 19-20.640, (B), FS

Cassation partielle

Protection des consommateurs – CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08 – Clauses abusives – Caractère abusif – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Protection des consommateurs – CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Médius, C-495/19 – Clauses abusives – Caractère abusif – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 11 avril 2019), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) a consenti à [D] [N] et son épouse, Mme [L], le 28 janvier 2005, trois prêts immobiliers libellés en devises CHF (franc suisse), assurés auprès de la société CNP Caution, et, le 18 juillet 2006, un prêt immobilier en devises CHF, en garantie duquel a été signé un acte de nantissement des troisièmes piliers suisses des emprunteurs contractés auprès de la société Axa.

2. A la suite du décès de [D] [N], survenu le [Date décès 1] 2012, la société CNP Caution a versé à la banque les prestations correspondant à la prise en charge des trois premiers prêts, mais ne couvrant pas l'intégralité des sommes dues.

3. Le 21 septembre 2012, la banque a informé Mme [L] que le montant versé par la société Axa au titre des troisièmes piliers était insuffisant pour couvrir le montant contractuellement exigible au titre du dernier prêt.

4. Le 6 juin 2014, la banque a prononcé la déchéance du terme des prêts et mis en demeure Mme [L] de payer les sommes restant dues.

5. Le 7 août 2014, la banque a assigné Mme [L] en paiement, laquelle a attrait à l'instance Mme [P], mère de [D] [N], représentée par l'UDAF de la Drôme en qualité de tuteur, et invoqué des manquements de la banque et le caractère abusif de certaines clauses des prêts souscrits.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'emprunteur des dommages-intérêts au titre de manquements, d'une part, à son devoir de mise en garde, d'autre part, à son devoir d'information et de conseil et de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde, consistant en la perte de la chance de ne pas contracter ou d'éviter le risque qui s'est réalisé se manifeste dès l'octroi du crédit, à moins que l'emprunteur ne démontre qu'il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage ; que la banque faisait valoir que l'action était prescrite le 19 juin 2013, soit cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ; qu'en considérant que l'emprunteur a pris connaissance du fait que la police d'assurance, souscrite à 100 % s'agissant de [D] [N], ne couvrait nullement le remboursement intégral des crédits, qu'à compter de la lettre de la banque du 4 septembre 2012 portant à sa connaissance le solde restant à payer postérieurement au décès de son mari, que de même, c'est par un courrier du 21 septembre 2012 que la banque a spécifié à l'emprunteur que le montant versé par Axa au titre du 3ème pilier s'avérait insuffisant pour couvrir le montant contractuellement exigible au titre du prêt n° 017798401, pour en déduire que l'action en responsabilité ayant été développée en première instance par l'emprunteur au terme de conclusions du 10 mars 2017, le délai de prescription quinquennal n'était nullement expiré à cette date, sans nullement rechercher ni préciser d'où il ressortait que celui-ci démontrait qu'il pouvait, à la date des prêts litigieux, souscrits en 2005 et 2006, légitimement ignorer le dommage la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil ;

2°/ que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde, consistant en la perte de la chance de ne pas contracter ou d'éviter le risque qui s'est réalisé se manifeste dès l'octroi du crédit, à moins que l'emprunteur ne démontre qu'il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage ; que celui-ci faisait valoir s'agissant du prêt garanti par le nantissement sur le contrat 3ème pilier souscrit auprès d'Axa que c'est [D] [N] qui avait cessé de régler ses cotisations auprès de cet assureur, ajoutant que cette dernière « a réclamé à plusieurs reprises les règlements des cotisations de M. [N], en vain », que « avertie de la situation, la banque a elle-même pris soin d'alerter [D] [N] sur les conséquences de ce défaut de paiement », et que « tant aux termes du contrat souscrit avec Axa qu'à la lecture du courrier adressé le 20 juillet 2011 par la banque, [D] [N] était parfaitement informé des risques qu'il encourait en cessant de régler ses cotisations d'assurance » ; qu'en considérant que l'emprunteur a pris connaissance du fait que la police d'assurance, souscrite à 100 % s'agissant de [D] [N], ne couvrait nullement le remboursement intégral des crédits, qu'à compter de la lettre de la banque du 4 septembre 2012 portant à sa connaissance le solde restant à payer postérieurement au décès de son mari, que de même, c'est par un courrier du 21 septembre 2012 que la banque a spécifié à l'emprunteur que le montant versé par Axa au titre du 3ème pilier s'avérait insuffisant pour couvrir le montant contractuellement exigible au titre du prêt n° 017798401, pour en déduire que l'action en responsabilité ayant été développée en première instance par celui-ci au terme de conclusions du 10 mars 2017, le délai de prescription quinquennal n'était nullement expiré à cette date, la cour d'appel qui s'est attachée seulement à la date à laquelle l'emprunteur avait eu connaissance de l'insuffisance de la somme versée par l'assureur Axa, pour vérifier si l'action en responsabilité était prescrite, sans rechercher si ce dernier n'avait pas connaissance dès les mois de juin ou juillet 2011, des premières difficultés de paiement et partant de ce que, faute de paiement des échéances du contrat afférent au 3ème pilier suisse, la garantie ne couvrait plus le prêt dans les mêmes conditions a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Dès lors qu'il résulte des productions que la banque s'est bornée, en appel, à invoquer la prescription de la demande indemnitaire au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde, sans reprendre cette fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions, la cour d'appel n'en était pas saisie.

8. Il s'ensuit que le moyen, qui critique des motifs surabondants écartant la prescription, est inopérant.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la banque faisait valoir que l'emprunteur ne rapportait pas la preuve d'une disproportion entre le montant des prêts litigieux et les ressources des emprunteurs et leur capacité de remboursement et qu'elle avait scrupuleusement étudié la capacité financière des époux [N] qui, à l'époque des prêts, disposaient de 7 190 euros de revenus par mois alors que les charges mensuelles des prêts et des cotisations d'assurances du 3ème pilier s'élevaient à la somme globale de 2 009 euros, laissant au couple 5 181 euros par mois, le taux d'endettement étant de 28 % ; qu'en retenant que les capacités du couple ont manifestement été surévaluées dans la mesure où [D] [N] s'est trouvé en difficulté, courant 2011, pour honorer le versement des cotisations afférentes au 3ème pilier suisse qu'il avait souscrit, qu'en outre, les quatre contrats de prêt ont fait l'objet d'avenants les 11, 20 et 21 octobre 2011 en vue d'un rééchelonnement de la dette, pour en déduire que la banque, qui ne justifie nullement des modalités d'information de ses clients au titre de son obligation de mise en garde, a donc engagé sa responsabilité de ce chef et doit être condamnée à payer à l'emprunteur la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts, sans prendre en considération le moyen par lequel la banque faisait valoir qu'au jour de l'octroi des prêts litigieux, le taux d'endettement était de 28 % et qu'il n'y avait aucun risque d'endettement excessif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

2°/ que la banque faisait valoir que l'emprunteur ne rapportait pas la preuve d'une disproportion entre le montant des prêts litigieux et les ressources des emprunteurs et leur capacité de remboursement et qu'elle avait scrupuleusement étudié la capacité financière des époux [N] qui, à l'époque des prêts, disposaient de 7 190 euros de revenus par mois alors que les charges mensuelles des prêts et des cotisations d'assurances du 3ème pilier s'élevaient à la somme globale de 2 009 euros, laissant au couple 5 181 euros par mois, le taux d'endettement étant de 28 % ; qu'en affirmant que les capacités du couple ont « manifestement été surévaluées dans la mesure où [D] [N] s'est trouvé en difficulté, courant 2011, pour honorer le versement des cotisations afférentes au 3ème pilier suisse qu'il avait souscrit » et où « les quatre contrats de prêt ont fait l'objet d'avenants les 11, 20 et 21 octobre 2011 en vue d'un rééchelonnement de la dette », pour en déduire que la banque a engagé sa responsabilité et la condamner au paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel se prononce par des motifs inopérants comme impropres à caractériser qu'au jour de la souscription des prêts litigieux, soit en 2005 et 2006, les engagements étaient disproportionnés au regard des capacités financières des emprunteurs et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

10. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, après avoir constaté que les emprunteurs n'étaient pas avertis, que la cour d'appel a estimé, en se fondant notamment sur le montant élevé des prêts consentis et des échéances à acquitter et sur l'absence de fiche de patrimoine permettant d'apprécier la surface financière des emprunteurs, que leurs capacités de remboursement avaient été manifestement surévaluées et que la banque ne justifiait pas les avoir informés des risques afférents à l'octroi des prêts, justifiant ainsi légalement sa décision.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

11. Mme [L] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses prétentions visant à obtenir l'annulation de stipulations contractuelles abusives, d'accueillir la demande en paiement de la banque et de rejeter sa demande tendant à ce que les éventuelles condamnations prononcées en faveur de celle-ci le soient solidairement entre elle et Mme [P], représentée par l'UDAF de la Drôme, alors « que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ; que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; qu'en considérant, pour écarter le moyen de l'emprunteur tiré de ce que les clauses des contrats n° 0177991-01, 0177976-01 et 025685301 faisant peser le risque de change sur les seuls emprunteurs étaient abusives, qu'il s'agissait d'une « prétention » qui, faute d'avoir été présentée dès le premier jeu de conclusions d'appel, était irrecevable, la cour d'appel, qui disposait des éléments de droit et de fait nécessaires pour examiner d'office le caractère abusif des clauses invoquées, et qui était donc tenue de procéder à un tel examen, a violé, par fausse application, l'article 910-4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1, devenu L. 212-1, alinéa 1, du code de la consommation, et 910-4 du code de procédure civile :

12. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

13. La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08).

14. En outre, il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l'ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d'être interprétée en conformité avec la directive 93/13 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale. A défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette directive, les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d'instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s'opposent à un tel examen (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Médius, C-495/19).

15. Selon le deuxième de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

16. Il s'en déduit que le principe de concentration temporelle des prétentions posé par le troisième de ces textes ne s'oppose pas à l'examen d'office du caractère abusif d'une clause contractuelle par le juge national, qui y est tenu dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.

17. Pour déclarer irrecevables les prétentions de Mme [L] en annulation de stipulations contractuelles abusives, l'arrêt retient que celles-ci auraient dû être présentées dans le premier jeu de conclusions d'appel, qu'elles ont été formées dans le troisième et qu'elles ne sont nullement destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

18. En statuant ainsi, sans examiner d'office le caractère abusif des clauses invoquées au regard des éléments de droit et de fait dont elle disposait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

19. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause l'UDAF de la Drôme, en qualité de tuteur de Mme [P], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les prétentions de Mme [L] visant à obtenir l'annulation de stipulations contractuelles abusives, l'arrêt rendu le 11 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Met hors de cause l'UDAF de la Drôme, prise en qualité de tuteur de Mme [P] ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SAS Colin - Stoclet ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article 910-4 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 mars 2017, pourvoi n° 16-13.050, Bull. 2017, n° 78 (cassation partielle).

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