Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

TRANSPORTS EN COMMUN

Soc., 16 février 2022, n° 20-21.758, (B), FS

Rejet

Régie autonome des transports parisiens (RATP) – Personnel – Statut du personnel – Article 9 – Déclaration d'inopposabilité erga omnes – Compétence judiciaire (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2020), le syndicat SAT RATP (le syndicat) a saisi le 17 juillet 2019 le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire, pour faire dire et juger que l'article 9 du statut du personnel de la RATP, en ce qu'il institue une condition d'âge maximal de trente-cinq ans pour l'accès à un emploi du cadre permanent, est inopposable en tant qu'il est discriminatoire et contraire à la directive n° 2000/78/CE du Conseil de l'Union européenne, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

2. La RATP a soulevé l'incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le syndicat fait grief à l'arrêt de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors « que le juge judiciaire est compétent pour déclarer inopposable erga omnes un article du statut du personnel de la RATP en ce qu'il est contraire à une directive ; que la directive 2000/78/CE est d'effet direct et que sa violation par une norme interne peut être constatée ; qu'en estimant le juge judiciaire incompétent pour connaître de la demande de l'exposant visant à ce que l'article 9 du statut du personnel de la RATP soit déclaré inopposable en raison de sa méconnaissance des principes de lutte contre la discrimination posés par la directive n° 2000/78/CE, la cour d'appel a violé les articles 288 du TFUE et 6 de ladite directive. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article 6, paragraphe 1, de la directive n° 2000/78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail que, nonobstant l'article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

5. Dès lors que la directive n° 2000/78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000 consacre un principe général du droit de l'Union, le juge saisi de demandes fondées sur le caractère discriminatoire, à raison de l'âge, de dispositions à valeur réglementaire fixant une limite d'âge pour l'accès à un emploi ou à un statut, doit, quelle que soit leur date d'effet, rechercher si la différence de traitement fondée sur l'âge est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et si les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

6. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, 9 mars 1978, [N], aff. 106/77) le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel.

7. En l'absence de règles de l'Union en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre, en vertu du principe d'autonomie procédurale, de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union (en dernier lieu CJUE, 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, aff. C- 485/19, § 52).

8. Il résulte de l'article 5 du code civil que le juge judiciaire ne peut se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui lui sont soumises.

9. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat (CE Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia, n° 74 052), il ressort clairement des stipulations de l'article 189 du traité du 25 mars 1957 que les directives du Conseil des Communautés économiques européennes lient les Etats membres « quant au résultat à atteindre » ; si, pour atteindre ce résultat, les autorités nationales qui sont tenues d'adapter leur législation et leur réglementation aux directives qui leur sont destinées, restent seules compétentes pour décider de la forme à donner à l'exécution de ces directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire leurs effets en droit interne, ces autorités ne peuvent légalement, après l'expiration des délais impartis, ni laisser subsister des dispositions réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis par les directives dont s'agit, ni édicter des dispositions réglementaires qui seraient contraires à ces objectifs.

10. Il en résulte que le juge judiciaire n'est pas compétent pour déclarer inopposable erga omnes une disposition de nature réglementaire, quand bien même il est allégué que cette disposition est incompatible avec une directive de l'Union européenne, une telle action relevant de la juridiction administrative chargée d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l'Union européenne.

11. La cour d'appel, qui a retenu que l'action du syndicat, de nature collective, ne se référait à aucune situation précontractuelle ou contractuelle précise, et ne tendait qu'à obtenir du juge judiciaire une déclaration générale d'inopposabilité erga omnes d'une disposition de nature réglementaire au motif de sa contrariété avec la directive précitée, en a déduit à bon droit que le juge judiciaire n'avait pas compétence pour statuer sur une telle demande.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Huglo - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : Me Occhipinti ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 5 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge judiciaire pour l'application du droit de l'Union européenne, à rapprocher : Tribunal des conflits, 17 octobre 2011, n° 11-03.828, Bull. 2011. T. conflits, n° 24.

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