Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 7 février 2022, n° 22-04.233, (B)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige portant sur l'exécution d'une transaction – Conditions – Litige entre personnes morales de droit privé – Litige ne ressortissant pas principalement de la compétence de la juridiction administrative

Litige portant sur l'exécution d'une transaction conclue entre personnes morales de droit privé et ayant pour objet le règlement de différends pour lesquels la juridiction administrative n'est pas principalement compétente ressortit de la compétence de la juridiction judiciaire.

Relève en conséquence de la compétence du juge judiciaire un litige entre une société publique locale créée par une collectivité territoriale pour transférer des missions à une personne morale de droit privée et qui ne peut être regardée comme une entité transparente portant sur un différend né de l'exécution d'un contrat passé en application de l'ordonnance du 6 juin 2005, non soumis au code des marchés publics et qui ne saurait présenter le caractère de contrat administratif pourvu que les différends nés de l'exécution d'un contrat comportant occupation du domaine public et relevant de la compétence de la juridiction administrative ne soient qu'accessoires aux différends nés de l'exécution des contrats de droit privé, et qu'en conséquence leur règlement ne ressortit pas principalement de la compétence de la juridiction administrative.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à un contrat de droit privé – Contrat de droit privé – Caractérisation – Cas – Personne morale de droit privée non transparente

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à un contrat de droit privé – Contrat de droit privé – Caractérisation – Cas – Contrat non soumis au code des marchés publics

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Différend né de l'exécution d'un contrat – Litige ne ressortissant pas principalement de la compétence de la juridiction administrative

Vu, enregistrée à son secrétariat le 15 juillet 2021, l’expédition du jugement du 8 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de la Guyane, saisi de la demande de la SARL Guyacom tendant à la condamnation de la société publique locale pour l’aménagement numérique de la Guyane (SPLANG) à lui verser la somme de 428 220,75 euros au titre de l’exécution de la transaction conclue le 25 septembre 2017 entre ces sociétés, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu, enregistré le 26 août 2021, le mémoire présenté par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; elle fait valoir que le régime des sociétés publiques locales est défini au code général des collectivités territoriales et que ces sociétés ne peuvent en principe être regardées comme des entités transparentes ou comme agissant comme mandataire des collectivités qui sont leurs actionnaires ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été communiquée à la SARL Guyacom, à la société publique locale pour l’aménagement numérique de la Guyane (SPLANG), à la collectivité territoriale de Guyane et au ministre de l’économie, des finances et de la relance, qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n°2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code civil ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 ;

Vu l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention du 29 août 2013, la région Guyane, devenue la collectivité territoriale de Guyane, a chargé la société publique locale pour l’aménagement numérique de la Guyane (SPLANG) d’organiser la desserte en télécommunications mobiles et en accès internet de dix-sept sites isolés de la Guyane. Pour réaliser cette mission, la SPLANG a conclu avec la société Guyacom, par un acte d’engagement du 10 janvier 2014, un contrat, dit « marché Continuité », ayant pour objet le déploiement d’équipements en vue d’offrir des services de téléphonie mobile sur ces dix-sept sites.

Par un acte d’engagement du 15 février 2015, la SPLANG a conclu avec la société Guyacom un autre contrat, dit « marché Modernisation », ayant pour objet la modernisation des installations de télécommunications de ces sites.

Par des conventions signées le même 15 février 2015, la SPLANG a délivré à la société Guyacom dix-sept permissions d’accès au réseau régional d’information, dites « conventions PARRI », autorisant une occupation temporaire des sites pour les infrastructures et équipements ainsi que pour utiliser la bande passante, par satellite ou par voie hertzienne, nécessaire aux communications.

2. Pour régler plusieurs différends nés de l’exécution des contrats ainsi passés entre la SPLANG et la société Guyacom, ces deux sociétés ont conclu, le 25 septembre 2017, une transaction pour y mettre fin. Un litige sur l’exécution de cette transaction étant né entre les parties, la société Guyacom a saisi, le 30 août 2019, le tribunal administratif de la Guyane d’une demande tendant à la condamnation de la SPLANG à lui verser la somme de 428 220,75 euros au titre de l’exécution de la transaction du 25 septembre 2017. A titre reconventionnel, la SPLANG a demandé au tribunal administratif la condamnation de la société Guyacom à lui verser la somme de 334 967,04 euros.

Par un jugement du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de la Guyane a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

3. Une transaction est, en principe, un contrat de nature civile et son homologation comme les litiges nés de son exécution relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, hormis le cas où elle a pour objet le règlement ou la prévention de différends pour le jugement desquels la juridiction administrative est principalement compétente.

4. La transaction conclue le 25 septembre 2017 entre la SPLANG et la société Guyacom a entendu mettre fin à l’ensemble des différends, opposant ces deux sociétés, nés de l’exécution des contrats passés entre elles en 2014 et 2015.

5. En vertu de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer des sociétés publiques locales dont elles détiennent le capital et qui revêtent la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce.

La SPLANG a été créée sur le fondement de ces dispositions par la région Guyane et une communauté d’agglomération en 2012. Ainsi créée dans le cadre institué par le législateur pour permettre à une collectivité territoriale de transférer certaines missions à une personne morale de droit privé contrôlée par elle, la SPLANG ne peut être regardée comme une entité transparente.

En concluant avec la société Guyacom les contrats dits « marché Continuité » et « marché Modernisation », respectivement les 10 janvier 2014 et 15 février 2015, la SPLANG a agi en son nom et pour son propre compte.

6. Par ailleurs, ces deux contrats ont été passés non en application du code des marchés publics mais sur le fondement de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. Ils ne sauraient présenter le caractère de contrat administratif par détermination de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.

7. Il résulte de ce qui précède que ces deux contrats, conclus entre personnes morales de droit privé, présentent le caractère de contrat de droit privé et que les différends nés de leur exécution relèveraient de la juridiction judiciaire.

8. Si les différends nés de l’exécution des permissions d’accès dites « conventions PARRI » relèveraient, en revanche, de la compétence de la juridiction administrative en vertu des dispositions de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui attribuent à la juridiction administrative le jugement des litiges relatifs aux contrats comportant occupation du domaine public conclus par les concessionnaires de service public, il ressort des pièces du dossier que ces différends présentent un caractère accessoire par rapport à ceux nés des contrats dits « marché Continuité » et « marché Modernisation ».

9. Il résulte de tout ce qui précède que la transaction conclue le 25 septembre 2017 entre la SPLANG et la société Guyacom a eu pour objet le règlement de différends pour lesquels la juridiction administrative n’est pas principalement compétente. Il s’ensuit que le litige relatif à l’exécution de cette transaction ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Stahl - Avocat général : M. Chaumont (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Melka-Prigent-Drusch ; SCP Poulet - Odent -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; article L. 1531.1 code général des collectivités territoriales ; article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques ; loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 ; ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005.

Tribunal des conflits, 7 février 2022, n° 22-04.234, (B)

Impôts et taxes – Redressement et vérifications (règles communes) – Visites domiciliaires (article L. 16 B du livre des procédures fiscales) – Déroulement des opérations – Saisie de pièces et documents – Obstacle à l'accès aux pièces et documents sur support informatique – Amende – Demande de décharge – Juge compétent – Cas

La demande tendant à la décharge de l'amende prononcée en application de l'article 1375 quater du code général des impôts à l'encontre de l'occupant des lieux ou de son représentant légal ayant fait obstacle à l'accès aux pièces ou documents sur un support informatique, à leur lecture ou à leur saisie lors d'une visite domiciliaire, doit être portée devant le juge compétent pour connaître des litiges relatifs aux impositions faisant l'objet des opérations de visite ou de saisie au cours desquelles le manquement a été constaté.

Une telle demande doit en conséquence être portée devant le juge administratif dès lors que les opérations menées en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales visent à l'établissement des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaire.

Vu, enregistrée à son secrétariat, l’expédition du jugement du 2 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, saisi par M. [M] [R] d’une demande tendant à la décharge de l’amende d’un montant de 10 000 euros mise à sa charge en application de l’article 1735 quater du code général des impôts, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider de la question de compétence ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M. [R], au ministre de l’économie, des finances et de la relance et au ministre de l’action et des comptes publics, qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une ordonnance du 4 juillet 2017, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d’Annecy a autorisé les agents de l’administration fiscale à effectuer des opérations de visite et de saisie, sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, à l’encontre de la société de droit luxembourgeois Diamco, au sein de locaux situés à [Localité 1], occupés d’une part par M. [M] [R] et sa famille et d’autre part par la SARL Antares et la SAS Diamco Engineering.

Les visites ont été eu lieu le 6 juillet 2017 et un procès-verbal de visite et de saisie a été établi le même jour. M. [R], représentant légal de la société Diamco, ayant refusé, lors de la visite effectuée dans ses locaux d’habitation, de communiquer par téléphone le mot de passe donnant accès à des données bancaires accessibles à partir de son ordinateur personnel, il a été informé, par courrier du 24 juillet 2017, qu’une amende de 10 000 euros serait mise à sa charge pour avoir fait obstacle à l’accès aux pièces ou documents sur support informatique, en application des dispositions combinées de l’article 1735 quater du code général des impôts et du IV bis de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales. L’amende a été mise en recouvrement le 29 décembre 2017 et M. [R], par une demande enregistrée le 19 octobre 2018, a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’en prononcer la décharge.

Par un jugement du 2 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

2.Aux termes de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales : « I - Lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d'affaires (...), elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l'administration des impôts (...) à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support. / II - Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. (...) / L'ordonnance peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure. (...) / Suivant les règles prévues par le code de procédure civile, cet appel doit être exclusivement formé par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou (...) par voie électronique, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter soit de la remise, soit de la réception, soit de la signification de l'ordonnance. Cet appel n'est pas suspensif. (...) / IV - Un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l'opération et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents de l'administration des impôts. Un inventaire des pièces et documents saisis lui est annexé s'il y a lieu. (...) / IV bis - Lorsque l'occupant des lieux ou son représentant fait obstacle à l'accès aux pièces ou documents présents sur un support informatique, à leur lecture ou à leur saisie, mention en est portée au procès-verbal. / Les agents de l'administration des impôts peuvent alors procéder à la copie de ce support et saisir ce dernier, qui est placé sous scellés. (...) V - (...) / Le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie. (...) Suivant les règles prévues par le code de procédure civile, ce recours doit être exclusivement formé par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou (...) par voie électronique, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter de la remise ou de la réception soit du procès-verbal, soit de l'inventaire, mentionnés au premier alinéa. Ce recours n'est pas suspensif (...) ».

3.Aux termes de l’article 1735 quater du code général des impôts : « L'obstacle à l'accès aux pièces ou documents sur support informatique, à leur lecture ou à leur saisie, mentionné au IV bis de l'article L. 16 B et au 4 bis de l'article L. 38 du livre des procédures fiscales entraîne l'application d'une amende égale à : / 1° 10 000 euros, ou 5 % des droits rappelés si ce dernier montant est plus élevé, lorsque cet obstacle est constaté dans les locaux occupés par le contribuable mentionné au I de ce même article ; / 2° 1 500 euros dans les autres cas, portée à 10 000 euros lorsque cet obstacle est constaté dans les locaux occupés par le représentant en droit ou en fait du contribuable mentionné au même I ».

4.Il résulte des dispositions de l’article 1735 quater du code général des impôts que la demande tendant à la décharge de l’amende qu’elles prévoient doit être portée devant le juge compétent pour connaître des litiges relatifs aux impositions faisant l’objet des opérations de visite et de saisie au cours desquelles le manquement a été constaté. Lorsque le manquement a été constaté lors d’opérations menées en application de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, qui vise à l’établissement des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, le juge compétent est, en vertu des dispositions de l’article L. 199 du même livre, le tribunal administratif.

5.Dès lors, la demande de M. [R], qui tend à la décharge d’une amende prononcée en application de l’article 1735 quater du code général des impôts à raison d’un comportement constaté lors d’opérations de visite et de saisie autorisées sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, relève de la compétence de la juridiction de l’ordre administratif.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande présentée par M. [R].

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Goulard - Avocat général : M. Chaumont (rapporteur public) -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; article 1735 quater code général des impôts ; articles L. 16 B et L. 199 du livre des procédures fiscales.

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