Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

SECURITE SOCIALE

2e Civ., 17 février 2022, n° 20-19.493, (B), FRH

Cassation

Assujettissement – Généralités – Conditions – Lien de subordination – Caractérisation

Selon l'article L. 8221-6, I, du code du travail, les personnes physiques, dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation aux registres ou répertoires que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail. L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, le travail au sein d'un service organisé pouvant constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

Assujettissement – Généralités – Conditions – Lien de subordination – Définition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 30 juin 2020), à la suite d'un contrôle en vue de la recherche des infractions de travail dissimulé, l'URSSAF de Bretagne (l'URSSAF) a notifié à la société « [2] » (la société) une lettre d'observations du 14 février 2013, suivie d'une mise en demeure de payer du 5 juin 2013.

2. Contestant le bien-fondé de ce redressement, la société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail accompli dans un lien de subordination, ce lien étant caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, le travail au sein d'un service organisé pouvant constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions l'exécution du travail ; qu'en jugeant que M. [V], inscrit au registre des agents commerciaux, était lié à la société par un contrat de travail salarié aux motifs que le contrat de prestations de services conclu entre eux ne correspondait pas aux fonctions d'un agent commercial, que M. [V] était dans une dépendance économique à l'égard de la société qui lui versait une rémunération forfaitaire, qu'il participait aux réunions de la société sur sa stratégie commerciale et les points d'activité et qu'enfin ses missions avaient été ultérieurement confiées à un salarié de l'entreprise embauché à cet effet, sans qu'aucune de ces constatations ne permette de révéler l'exercice par la société d'un pouvoir de direction de contrôle ou de sanction à son endroit, la cour d'appel qui n'a pas même relevé l'intégration de l'activité dans un service organisé, a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique entre les contractants et a violé les articles L. 242-1 et L. 311-2 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 242-1 et L. 311-11, alinéa 1, du code de la sécurité sociale et L. 8221-6, I, du code du travail, le premier et le troisième dans leur rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations et contributions litigieuses :

4. Selon le dernier de ces textes, les personnes physiques, dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation aux registres ou répertoires que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail.

L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.

5. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, le travail au sein d'un service organisé pouvant constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

6. Pour valider le redressement, l'arrêt retient qu'il existe un faisceau d'indices démontrant le lien de subordination existant entre M. [V] et la société, par le fait que la mission confiée au premier (suivi commercial de clients existants démarchés antérieurement) n'entrait pas dans la définition de l'agent commercial, lequel n'était chargé d'aucune mission de négociation et/ou de conclusion de contrats pour le compte de la société, qu'il travaillait exclusivement pour le compte de la société et était placé dans une situation de dépendance économique à son égard, sans supporter aucun risque économique en ce qu'il percevait une rémunération forfaitaire mensuelle de 2 000 euros HT sans lien avec le chiffre d'affaires réalisé auprès des clients de son portefeuille, qu'il participait aux réunions de la société, notamment celles sur la stratégie commerciale et les points d'activité et qu'à la fin de sa mission, ses fonctions ont été intégralement confiées à un salarié recruté en contrat à durée indéterminée, l'intitulé de son poste étant celui de « chef de secteur ».

7. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique permanente, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Rovinski - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 8221-6, I, du code du travail.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 7 juillet 2016, pourvoi n° 15-16.110, Bull. 2016, II, n° 190 (rejet) ; 2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n° 20-13.944, Bull., (cassation partielle).

2e Civ., 17 février 2022, n° 20-18.104, (B), FRH

Cassation partielle

Cotisations – Assiette – Abattements pour frais professionnels – Arrêté du 20 décembre 2002 – Convention ou accord collectif – Déduction forfaitaire spécifique – Effets – Application obligatoire à l'ensemble des salariés

Selon l'article 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale modifié, pour les professions, prévues à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, l'employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique, dans la limite de 7600 euros par année civile, lorsqu'une convention ou un accord collectif de travail l'a explicitement prévu ou lorsque le comité d'entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord.

Cette option s'applique à l'ensemble des salariés entrant dans le champ d'application de cette déduction spécifique quel que soit le montant des frais réels engagés.

Ayant constaté qu'une société avait opté, durant les années contrôlées, en faveur de la déduction forfaitaire spécifique, conformément à l'accord collectif autorisant ce choix, la cour d'appel en a exactement déduit que l'option s'appliquait obligatoirement à l'ensemble des salariés qui y sont éligibles au titre de l'activité qu'ils exercent et que l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) avait procédé à juste titre à la réintégration dans l'assiette des cotisations de la fraction excédant le plafond de 7600 euros par année civile et par salarié.

Cotisations – Assiette (régime de la loi n° 54-301du 20 mars 1954) – Abattement pour frais professionnels – Domaine d'application – Arrêté du 20 décembre 2002 – convention ou accord collectif – Abattement forfaitaire spécifique – Effets – Application obligatoire à l'ensemble des salariés

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 28 mai 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2011 à 2013, l'URSSAF d'Alsace (l'URSSAF) a notifié à la [3] (la société) un redressement comportant plusieurs chefs, dont l'un relatif aux frais professionnels des chauffeurs routiers et l'autre au dépassement de la déduction forfaitaire spécifique.

2. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de valider le chef de redressement opéré à hauteur de 16 553 euros sur les frais professionnels-déduction spécifique-dépassement de la limite, alors « que les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction ne peuvent être opposées au contribuable si l'interprétation qu'elles prescrivent soit méconnaît le sens ou la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elles entendent expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ; que, pour contester l'analyse de l'administration selon laquelle, lorsqu'un accord collectif prévoit l'application de la déduction forfaitaire spécifique, les salariés entrant dans son champ

d'application ne peuvent s'y soustraire et l'employeur doit l'appliquer pour tous les salariés éligibles, quel que soit le montant des frais réels engagés, l'exposante faisait valoir que le juge n'était pas tenu par les circulaires sur lesquels l'administration fondait son analyse et qu'en particulier celle du 19 août 2005 devait être écartée en ce qu'elle ajoutait aux dispositions réglementaires des conditions qu'elles ne prévoyaient pas ; qu'en se bornant à retenir que les circulaires DSS/SDFSS/5 B n° 2005-376 du 4 août 2005 modifiant la circulaire DSS/SDFSS/5 B n° 2003-07 du 7 janvier 2003 et DSS/SDFSS/5 B n° 2005-389 du 19 août 2005, ayant été publiées au Bulletin officiel du ministère chargé des affaires sociales n° 2005/9, étaient opposables et valaient si elles n'étaient pas remises en cause par une loi ou un décret ou abrogées ou remplacées par une nouvelle circulaire, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces circulaires contenaient des dispositions impératives à caractère général et si l'interprétation qu'elles prescrivaient méconnaissait le sens ou la portée des dispositions réglementaires qu'elles entendaient expliciter ou réitérait une règle contraire à une norme juridique supérieure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe susvisé. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale modifié, pour les professions, prévues à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, l'employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique, dans la limite de 7 600 euros par année civile, lorsqu'une convention ou un accord collectif du travail l'a explicitement prévu ou lorsque le comité d'entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord.

5. L'option s'applique à l'ensemble des salariés entrant dans le champ d'application de cette déduction spécifique quel que soit le montant des frais réels engagés.

6. Ayant constaté que la société avait opté, durant les années contrôlées, en faveur de la déduction forfaitaire spécifique, conformément à l'accord collectif autorisant ce choix, la cour d'appel en a exactement déduit que l'option s'appliquait obligatoirement à l'ensemble des salariés qui y sont éligibles au titre de l'activité qu'ils exercent et que l'URSSAF avait procédé à juste titre à la réintégration dans l'assiette des cotisations de la fraction excédant le plafond de 7 600 euros par année civile et par salarié.

7. Par ce seul motif, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par le moyen, elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. La société fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a annulé le chef de redressement relatif aux frais professionnels des chauffeurs routiers et de décider que la procédure d'échantillonnage et d'extrapolation appliquée par l'URSSAF concernant ces frais est régulière, alors « que la mise en oeuvre des méthodes de vérification par échantillonnage et extrapolation suit un protocole composé de quatre phases, le contribuable objet de la vérification devant être associé à chacune d'elles ; que la société soutenait qu'elle n'avait pas été mise en mesure, lors de la phase n° 3, de présenter ses observations sur la régularisation correspondant à l'échantillon définitif avant qu'il ne soit procédé à l'extrapolation, la communication faite par l'URSSAF le 2 juillet 2014 ne concernant que les premières anomalies constatées et non pas l'analyse exhaustive de l'échantillon avant extrapolation ; qu'après avoir rappelé que lors de la phase 3, à l'issue de l'examen exhaustif des pièces justificatives, l'inspecteur du recouvrement informe l'employeur des résultats des vérifications effectuées sur la mise en oeuvre des méthodes de vérification par échantillonnage et extrapolation suit un protocole composé de quatre phases, le contribuable objet de la vérification devant être associé à chacune d'elles ; que la société soutenait qu'elle n'avait pas été mise en mesure, lors de la phase n° 3, de présenter ses observations sur la régularisation correspondant à l'échantillon définitif avant qu'il ne soit procédé à l'extrapolation, la communication faite par l'URSSAF le 2 juillet 2014 ne concernant que les premières anomalies constatées et non pas l'analyse exhaustive de l'échantillon avant extrapolation ; qu'après avoir rappelé que lors de la phase 3, à l'issue de l'examen exhaustif des pièces justificatives, l'inspecteur du recouvrement informe l'employeur des résultats des vérifications effectuées sur chaque individu composant l'échantillon et des régularisations envisagées, l'arrêt attaqué a néanmoins retenu que la communication du 2 juillet 2014 était suffisante au prétexte que la procédure convenue entre les parties n'excluait pas que la phase d'analyse exhaustive se déroulât sur une seule journée et que le 2 juillet 2014, début des opérations, l'URSSAF était convenue avec la société que les ratios de réintégration obtenus sur 2013 seraient retenus pour le chiffrage 2011 et 2012, l'entreprise ne souhaitant pas procéder à de nouveaux échantillons ; qu'en statuant ainsi sans constater que la communication du 2 juillet 2014 contenait une analyse exhaustive de l'ensemble des anomalies constatées et que l'inspecteur du recouvrement avait informé l'employeur des résultats des vérifications effectués sur chaque individu composant l'échantillon et des régularisations envisagées, la cour d'appel a violé l'article R. 243-59-2 du code de la sécurité sociale, ensemble l'arrêté du 11 avril 2007 définissant les méthodes de vérification par échantillonnage et extrapolation pris pour son application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 243-59-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-941 du 8 juillet 2016, applicable au litige, et l'arrêté du 11 avril 2007 définissant les méthodes de vérification par échantillonnage et extrapolation pris en application de cet article :

9. Selon le second de ces textes, la mise en oeuvre, aux fins de régulation du point de législation, des méthodes de vérification par échantillonnage et extrapolation suit un protocole composé de quatre phases : la constitution d'une base de sondage, le tirage d'un échantillon, la vérification exhaustive de l'échantillon et l'extrapolation à la population ayant servi de base à l'échantillon. Dans le cadre de la procédure contradictoire, l'employeur est associé à chacune de ces phases et doit notamment être informé à l'issue de l'examen exhaustif des pièces justificatives, correspondant à la troisième phase, des résultats des vérifications effectuées sur chaque individu composant l'échantillonnage et des régularisations envisagées et être invité à faire part de ses remarques afin que les régularisations soient, le cas échéant, rectifiées.

10. Pour rejeter le recours de la société, après avoir rappelé que le descriptif des opérations du 24 juin 2014 prévoyait que l'analyse exhaustive devait débuter le 2 juillet 2014 et que les résultats seraient examinés par les inspecteurs et transmis chaque jour à l'employeur par mail pour observations et compléments, l'arrêt relève que cette procédure n'excluait pas que cette phase d'analyse se déroule sur une seule journée et que dès le début de l'opération, l'URSSAF avait convenu avec la société que les ratios de réintégration obtenus sur 2013 seraient retenus pour le chiffrage 2011 et 2012 avant de transmettre le résultat à l'employeur par mail du même jour.

11. En statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ces constatations que la société avait été informée des résultats des vérifications effectués sur chaque individu composant l'échantillon et des régularisations envisagées après une analyse exhaustive des pièces justificatives ni qu'elle avait été invitée à faire part de ses remarques pour la rectification éventuelle des régularisations envisagées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette le recours de la société contre le redressement relatif aux frais professionnels des chauffeurs routiers et valide la procédure d'échantillonnage et d'extrapolation appliquée par l'URSSAF, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Leblanc - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.