Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

Com., 9 février 2022, n° 20-17.551, (B), FRH

Cassation

Dommage – Réparation – Action en responsabilité – Prescription – Point de départ – Date de la manifestation du dommage

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 12 février 2020) et les productions, M. [Z] a conclu une promesse d'achat portant sur un bien immobilier, sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt, lequel lui a été consenti par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Aquitaine (la banque) en novembre 2009 par l'intermédiaire de M. [F], courtier en opérations de crédit.

2. Le 19 janvier 2010, M. [Z] a refusé de signer l'acte notarié de vente, estimant que le prêt obtenu était excessif au regard de ses capacités financières et qu'il ne pourrait pas le rembourser.

Les vendeurs, puis l'agence immobilière par l'intermédiaire de laquelle la promesse d'achat avait été conclue, l'ont assigné en réparation de leur préjudice respectif.

3. Condamné à payer des dommages-intérêts, tant aux vendeurs à raison de la rupture fautive du contrat de vente par un arrêt du 26 janvier 2012 qu'à l'agence immobilière au titre de sa perte de chance de percevoir sa commission par un arrêt du 16 janvier 2013, M. [Z] a assigné M. [F], le 19 décembre 2014, et la banque, le 22 décembre 2014, en réparation des préjudices subis du fait de ces deux procédures, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [Z] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme étant prescrite l'action en responsabilité fondée sur l'article 1382 du code civil qu'il a engagée à l'encontre de la banque et M. [F], alors « que la prescription d'une action en responsabilité délictuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que M. [Z] faisait valoir que la banque lui avait octroyé à tort un prêt qui constituait la condition suspensive de l'achat d'un bien immobilier alors même que sa situation financière était obérée, de sorte qu'il avait dû refuser de régulariser l'acte de vente ; que les vendeurs et l'agent immobilier avaient alors agi contre M. [Z] et obtenu sa condamnation à raison du défaut de régularisation de la vente malgré l'octroi du prêt ; que M. [Z] a ensuite recherché la responsabilité de la banque et de M. [F] à raison de l'octroi fautif du prêt, qui avait conduit in fine à sa condamnation envers les vendeurs et l'agent immobilier ; qu'en jugeant que l'action en responsabilité aurait été prescrite, aux motifs que le dommage causé par les manquements imputés à la banque et à M. [F] dans l'octroi du prêt « ne résulte pas des décisions de justice ayant condamné M. [Z] envers les vendeurs et l'agent immobilier (...) mais de l'octroi d'un financement et ses conséquences juridiques et financières », cependant que le dommage subi par M. [Z] ne s'était réalisé qu'à compter des décisions passées en force de chose jugée de la cour d'appel d'Agen des 26 janvier 2012 et 16 janvier 2013 l'ayant condamné à payer des dommages-intérêts aux vendeurs et à l'agent immobilier en raison de son refus de régulariser la vente malgré l'octroi du prêt, de sorte que la prescription n'avait pu commencer à courir qu'à partir de ces condamnations, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil ;

5. Selon ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l'exercer ;

6. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité délictuelle engagée contre la banque, l'arrêt retient que le dommage ne résulte pas des décisions de justice ayant condamné M. [Z] à payer des dommages-intérêts aux vendeurs et à l'agence immobilière à la suite de sa décision de refuser d'acquérir l'immeuble ayant fait l'objet d'un « compromis de vente » auquel il avait consenti, mais de l'octroi du crédit et de ses conséquences juridiques et financières, dont il avait eu connaissance dès le mois de novembre 2009, de sorte qu'à cette date, il était informé du dommage auquel il était exposé.

7. En statuant ainsi, alors que le dommage dont M. [Z] demandait réparation ne s'était pas manifesté aussi longtemps que les vendeurs et l'agent immobilier n'avaient pas, en l'assignant, recherché sa propre responsabilité, soit au plus tôt le 3 septembre 2010, de sorte que, à la date des assignations qu'il a lui-même fait signifier à la banque et au courtier, les 19 et 22 septembre 2014, la prescription n'était pas acquise, la cour d'appel a violé le teste susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu, le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Guérin (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Fevre - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; Me Soltner -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

2e Civ., 3 février 2022, n° 20-20.355, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Faute – Saisie immobilière – Abus – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 23 juillet 2020), sur le fondement d'un jugement du 11 décembre 2014, le Crédit foncier de France (la banque) a fait délivrer à M. [Z] et Mme [L], le 3 août 2015, un commandement de payer valant saisie immobilière sur un bien immobilier leur appartenant. Ce commandement a été publié le 22 septembre 2015.

2. Le 12 octobre 2015, un notaire a adressé à la banque une lettre indiquant que M. [Z] et Mme [L] envisageaient de vendre l'immeuble saisi et a sollicité de la banque qu'elle l'informe du montant de sa créance.

Le 2 novembre 2015, M. [Z] s'est personnellement adressé à la banque pour connaître le montant actualisé de sa créance et obtenir son accord en vue de procéder à la vente amiable du bien saisi.

3. La banque a indiqué, par lettre du 6 novembre 2015, ne pas s'opposer sur le principe à la vente amiable du bien.

4. Le 20 novembre 2015, la banque a assigné M. [Z] et Mme [L] à une audience d'orientation.

5. Par un jugement du 26 juillet 2016, un juge de l'exécution a fixé la créance de la banque à une certaine somme et autorisé M. [Z] et Mme [L] à vendre amiablement leur bien.

6. Le 15 mai 2017, le juge de l'exécution a constaté l'absence de réalisation de la vente au prix déterminé par la juridiction et a fixé la date de la vente forcée au 14 novembre 2017.

7. Reprochant à la banque d'avoir compromis la réalisation d'une vente amiable d'un prix supérieur au prix d'adjudication, M. [Z] et Mme [L] ont assigné la banque en réparation de leur préjudice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Le Crédit foncier de France fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [Z] et à Mme [L] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que tout créancier poursuivant est libre de déterminer les modalités de recouvrement de sa créance et d'exercer les droits dont il dispose dans le cadre de la procédure de saisie immobilière selon ce qu'il estime être le plus conforme à ses intérêts ; que le créancier ayant initié une procédure de saisie ne saurait par conséquent voir sa responsabilité engagée à l'égard de son propre débiteur pour avoir refusé de consentir à la vente amiable du bien saisi ou pour ne pas avoir accédé suffisamment tôt à la demande du débiteur tendant à être autorisé à procéder à cette vente, motif pris qu'il en allait de son intérêt ou de l'intérêt de son débiteur ; qu'en jugeant cependant que le Crédit Foncier de France avait commis une « faute de négligence » en ne répondant pas avec suffisamment de célérité aux courriers par lesquels le notaire des époux [Z] avait sollicité son accord afin qu'il soit procédé à la vente amiable du bien dont il avait entrepris la saisie, au motif qu'un tel retard était de nature à dissuader l'acquéreur avec lequel les époux [Z] étaient en négociation, la cour d'appel a violé l'article 1382 (devenu 1240) du code civil, ensemble les articles L. 111-1 et L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 111-1, L. 111-7 et L. 321-1 du code des procédures civiles d'exécution :

9. Selon les deux premiers de ces textes, tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard.

Le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance.

L'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.

10. Aux termes de l'article L. 321-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'acte de saisie rend l'immeuble indisponible.

11. Selon les articles R. 322-15, R. 322-17 et R. 322-20 du code des procédures civiles d'exécution, le débiteur saisi peut demander au juge de l'exécution l'autorisation de vendre amiablement le bien, y compris avant la signification de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation.

12. Il en résulte que, après avoir délivré un commandement de payer valant saisie immobilière, le créancier poursuivant ne peut, sauf abus de saisie, voir sa responsabilité engagée à raison de ce qu'il aurait tardé à répondre, avant le jugement d'orientation autorisant la vente amiable, à une sollicitation du débiteur saisi tendant à l'autoriser à vendre amiablement le bien saisi.

13. Pour condamner la banque à payer à M. [Z] et Mme [L] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient, d'une part, que la banque prétendant ne pas avoir reçu le courrier du 21 septembre 2015, le délai pris pour y répondre n'est pas admissible, le retard pris étant de nature à décourager l'acheteur, d'autre part, que même si le prix n'était pas mentionné dans les lettres du notaire, la banque pouvait subordonner son accord à la mise en vente au prix qu'il lui appartenait de fixer et qu'enfin, le fait qu'elle était en droit de refuser la vente amiable et qu'une procédure de saisie rendait le bien indisponible n'expliquent pas sa négligence.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

17. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe 12 que la banque n'a pas commis de faute en répondant tardivement à la proposition de vente amiable des débiteurs saisis.

Le jugement du 23 mai 2018 doit donc être confirmé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du 23 mai 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Paris.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; Me Le Prado -

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