Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

REPRESENTATION DES SALARIES

Soc., 16 février 2022, n° 20-14.416, (B), FS

Cassation partielle

Comité social et économique – Fonctionnement – Affichage – Renseignements pouvant être affichés – Informations tirées de la vie personnelle du salarié – Domaine d'application – Caractère indispensable pour la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs – Conditions

Il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 2315-15 du code du travail que le respect de la vie personnelle d'un salarié n'est pas en lui-même un obstacle à l'application de l'article L. 2315-15 du code du travail, nonobstant l'obligation de discrétion à laquelle sont tenus les représentants du personnel à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel, dès lors que l'affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d'informations relevant de la vie personnelle d'un salarié est indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l'article L. 2312-9 du code du travail, et que l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle est proportionnée au but poursuivi.

Comité social et économique – Fonctionnement – Affichage – Renseignements pouvant être affichés – Domaine d'application – Informations tirées de la vie personnelle du salarié – Atteinte proportionnée au but poursuivi – Conditions – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 21 janvier 2020), la société Valéo systèmes thermiques (la société) est divisée en plusieurs établissements distincts, dont celui de Reims qui compte un effectif d'environ cinq cents salariés.

Le 5 mai 2019, M. [C], secrétaire du comité social et économique, a procédé à l'affichage, sur le panneau destiné aux communications de l'ancien comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), d'un extrait des conclusions déposées par ce dernier au soutien d'une citation directe de la société, examinée par le tribunal correctionnel le même jour. Cet extrait reproduisait le contenu d'un courriel adressé le 18 janvier 2016 par l'ancien directeur de l'établissement au directeur en charge de certaines missions d'hygiène, de sécurité et d'environnement.

2. Le 7 mai 2019, la société a fait assigner M. [C] devant le président du tribunal de grande instance afin que soit ordonné, sous astreinte, le retrait de l'affichage.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'ordonner le retrait de tout panneau d'affichage en son sein du courriel daté du 18 janvier 2016 échangé entre M. [T] et M. [N], alors :

« 4°/ qu'à supposer que, nonobstant son obligation de discrétion, un représentant du personnel puisse diffuser auprès de l'ensemble du personnel de l'entreprise un courrier privé contenant des données personnelles relatives à un salarié, une telle diffusion doit se rattacher aux missions qui lui sont confiées en vertu de son mandat, être strictement nécessaire à l'exercice de ces missions et présenter un caractère strictement proportionnel au but recherché ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que le l'affichage avait été effectué le 3 mai 2019 et était « constitué d'un mail échangé le 18 janvier 2016 soit plus de 3 ans plus tôt entre Monsieur [T] directeur de l'établissement et Monsieur [N], responsable sécurité » ; qu'il résulte, par ailleurs, que ce mail était « un avertissement tout au moins une mise en garde » et que « l'affichage concerne une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié » ; que, pour refuser néanmoins le retrait de cet affichage, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'en diffusant une sanction adressée au responsable sécurité et faisant référence à la communication en matière d'amiante, qui est un sujet à la source d'inquiétude pour le personnel, M. [C] aurait « agi dans le cadre des intérêts défendus » par le CHSCT, devenu comité social et économique ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à faire ressortir que l'affichage du courrier litigieux se rattachait aux missions confiées à M. [C], était nécessaire à l'exercice de ces missions à la date où il a été effectué et si les modalités de diffusion étaient proportionnées au but recherché, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-3, L. 2315-15 du code du travail, 809 du code de procédure civile, 9 du code civil, et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans répondre aux moyens déterminants développés par les parties dans leurs conclusions et sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [N] qui avait donné lieu à une mise à pied disciplinaire qui avait été jugée justifiée par le conseil de prud'hommes ; qu'elle produisait à cet égard un tract qui avait été distribué aux salariés et qui surnommait M. [N] de « cowboy de la sécurité » et lui imputait l'idée selon laquelle il serait indifférent au fait que : »[les salariés] peuvent mourir brûlés vifs, ce n'est pas bien important ?? la priorité reste le fric » ; qu'elle produisait également les comptes rendus de cinq entretiens individuels réalisés au cours de l'enquête interne attestant notamment, que « tout le monde est au courant, tout le monde est en copie des mails : il recevait des mails tous les jours. C'est un sentiment qui traine depuis deux ans, et là c'est la goutte d'eau. Maintenant il a peur d'ouvrir ses mails, il a une boule au ventre, il m'a parlé de cette situation en privé. J'ai vu [Y] en pleurs. Il remet tout en question » ou encore que « sur la situation de [Y], j'ai constaté un homme abattu et blessé, suite aux attaques à répétition, à tout ce qu'on essaie de lui mettre sur le dos. Je fais référence aux différents mails, à la visite de l'inspecteur du travail, de la DREAK, quand [S] [C] essayait de démonter tout ce qu'on met en place par les mensonges. Il y a des attaques personnelles dans les mails. » ; qu'en se bornant à énoncer qu'il résultait du contenu du courriel litigieux que M. [C] avait agi dans « le cadre des intérêts défendus » par le comité social et économique, sans répondre aux conclusions qui faisaient valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [U], la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 9 du code civil et l'article L. 2315-15 du code du travail :

4. Il résulte des textes susvisés que le respect de la vie personnelle d'un salarié n'est pas en lui-même un obstacle à l'application de l'article L. 2315-15 du code du travail, nonobstant l'obligation de discrétion à laquelle sont tenus les représentants du personnel à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel, dès lors que l'affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d'informations relevant de la vie personnelle d'un salarié est indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l'article L. 2312-9 du code du travail, et que l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle est proportionnée au but poursuivi.

5. Après avoir constaté que l'e-mail litigieux adressé par le directeur d'établissement au directeur chargé des questions d'hygiène et de sécurité à qui il s'adresse personnellement et exclusivement mentionne notamment « je fais suite à notre conversation téléphonique du [...] et notre conversation orale [...] un tel écart dans la forme et le fond ne saurait se reproduire sans que cela vienne questionner ton aptitude [...] pour la bonne forme merci de m'accuser réception de ce mail par retour » et retenu qu'il résultait du contenu et de la conclusion de ce message qu'il constituait un avertissement ou tout au moins une mise en garde de nature disciplinaire, l'arrêt en a déduit exactement qu'il constituait un élément relevant de la vie personnelle du salarié.

6. Toutefois, pour rejeter la demande de retrait de cet e-mail du panneau d'affichage du comité social et économique, l'arrêt retient que le directeur chargé des questions d'hygiène et de sécurité n'est pas intervenu volontairement à la procédure pour défendre ses droits et la société ne dispose d'aucun élément démontrant qu'il s'associe à son action en référé, que l'e-mail litigieux marque au responsable hygiène et sécurité sa réprobation aux propos qu'il a tenus dans la forme et le fond le 12 janvier 2016 mais également fixe désormais la position de la direction sur la communication au titre de l'amiante, qu'en diffusant un e-mail dans lequel la direction sanctionne son responsable sécurité pour avoir communiqué sur le sujet de l'amiante avec le secrétaire du CHSCT, dans lequel la direction lui retire tout droit à communiquer sur l'amiante sans autorisation préalable de sa hiérarchie et se réserve seule le droit de transmettre des informations, le secrétaire du CHSCT et désormais du CSE a agi dans le cadre des intérêts défendus par celui-ci, que ce sujet de l'amiante qui est de haute sécurité pour la santé des travailleurs était l'objet de toute leur inquiétude et qu'ils s'estimaient mal renseignés et mal protégés depuis de nombreuses années, qu'en conséquence l'intérêt de cet e-mail était suffisant pour justifier l'atteinte aux droits fondamentaux du salarié concerné.

7. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à démontrer que l'affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d'un courriel relevant de la vie personnelle d'un salarié, datant de trois années auparavant et qui concernait seulement les modalités de communication en matière de santé et de sécurité entre deux membres de la direction, était indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l'article L. 2312-9 du code du travail, et que l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle de ce salarié était proportionnée au but poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit l'action dirigée contre M. [C] recevable, l'arrêt rendu le 21 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil ; articles L. 2312-9 et L. 2315-15 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le caractère nécessaire et proportionné de l'atteinte portée à la vie personnelle du salarié, à rapprocher : Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-26.144, Bull., (2) (cassation).

Soc., 16 février 2022, n° 20-16.171, (B), FRH

Cassation partielle

Règles communes – Contrat de travail – Licenciement – Mesures spéciales – Domaine d'application – Salarié protégé dont le mandat est venu à expiration – Licenciement pour des faits commis pendant la période de protection – Autorisation administrative – Nécessité – Exclusion – Cas – Persistance du comportement fautif du salarié – Comportement fautif après l'expiration de la période de protection – Office du juge – Détermination – Portée

Est irrégulier le licenciement du salarié au terme de la période de protection prononcé en raison de faits commis pendant cette période et qui auraient dû être soumis à l'inspecteur du travail. Toutefois, la persistance du comportement fautif du salarié après l'expiration de la période de protection peut justifier le prononcé d'un licenciement.

Dès lors, prive sa décision de base légale au regard de l'article L. 2411-10 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, la cour d'appel qui ne recherche pas, comme cela lui était demandé, d'une part si ce n'était pas postérieurement à l'expiration de la période de protection que l'employeur avait eu une exacte connaissance des faits reprochés au salarié commis durant cette période, et d'autre part si le comportement fautif reproché au salarié n'avait pas persisté après l'expiration de la période de protection.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 11 février 2020), engagé le 1er mars 1989 par la société Clear Channel France en qualité d'attaché technico-commercial, M. [R] occupait en dernier lieu les fonctions de responsable clientèle master. Du 19 mars au 18 septembre 2015, le salarié a bénéficié d'une période de protection attachée à sa candidature aux élections professionnelles. Il a été désigné en qualité de représentant syndical au comité de groupe le 28 octobre 2015.

2. Convoqué par lettre du 19 puis du 21 octobre 2015 à un entretien préalable fixé au 4 novembre 2015, le salarié et a été licencié pour faute le 23 novembre suivant.

Le 29 janvier 2016, il a saisi la juridiction prud'homale en contestation de son licenciement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3.L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que les faits reprochés au salarié ont été commis pour partie pendant la période de protection, de déclarer nul le licenciement pour défaut d'autorisation de l'inspecteur du travail, d'ordonner la réintégration du salarié, de le condamner à payer à celui-ci certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour violation de son statut protecteur, d'indemnité correspondant aux salaires que l'intéressé aurait perçus entre le 24 février 2016 et le 30 avril 2019 et d'indemnité mensuelle brute à compter de la signification de l'arrêt jusqu'à la réintégration, alors :

« 1°/ que si un salarié protégé ne peut être licencié au terme de son mandat en raison de faits commis pendant la période de protection, qui auraient dû être soumis à l'inspecteur du travail, il en va autrement lorsque le comportement fautif du salarié s'est renouvelé ou a persisté après l'expiration de la période de protection ; qu'en l'espèce, M. [R] dont la période de protection avait pris fin le 18 septembre 2015, soit plus d'un mois avant sa convocation à entretien préalable, avait été licencié en raison d'un « comportement irrespectueux et humiliant à l'encontre de votre collaboratrice et de vos collègues », un « comportement entraînant tensions et stress au sein de l'agence de [Localité 5] nuisant à l'accomplissement serein et efficace du fonctionnement du service » et une « persistance de comportements dégradants et irrespectueux malgré une mise à pied disciplinaire », ces faits s'étant notamment manifestés au retour de l'arrêt pour maladie de Mme [O], le 24 septembre 2015 ainsi qu'à plusieurs reprises « sur cette période », tout comme « le 1er octobre » [en réalité le 8 octobre], et continument après le « 2 octobre 2015 » [lire le 9 octobre] vis-à-vis de Mme [Z] [P], la lettre de rupture visant encore un autre événement survenu le 8 octobre 2015 ; que pour juger que l'employeur aurait dû solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail, la cour d'appel a relevé que la lettre de licenciement évoquait, au titre de la persistance d'un comportement agressif, insultant et dénigrant, des faits datant de 2012 et 2013, les seconds ayant donné lieu à une mise à pied, et que ce manquement n'avait pas évolué depuis cette date, y compris pendant la période de protection dont bénéficiait le salarié ; qu'en statuant ainsi, lorsque la persistance de ces faits après l'expiration de la période de protection autorisait l'employeur à licencier le salarié, sans avoir à demander une autorisation de licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-8 et L. 2411-10 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 dudit code ;

2°/ que l'employeur n'est pas tenu de demander une autorisation de l'administration s'il n'a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié qu'après l'expiration de la période de protection ; qu'en l'espèce, la société Clear Channel France faisait valoir, preuves à l'appui, qu'elle n'avait pu avoir une connaissance exacte des agissements du salarié vis-à-vis de Mmes [P] et [O] qu'à l'occasion d'un déplacement du directeur des ressources humaines réalisé le 16 octobre 2015 et après les déclarations de main-courante effectuées par les intéressées le 13 octobre, soit après l'expiration de la période de protection dont bénéficiait le salarié survenue le 18 septembre 2015, ce qu'avait du reste admis le conseil de prud'hommes ; que pour juger que l'employeur aurait dû solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail, la cour d'appel s'est bornée à relever que Mme [P] rapportait, dans son attestation, des faits qu'elle datait elle-même de mi-septembre, et donc du 15 septembre, soit pendant la période de protection ainsi que des propos insultants que le salarié aurait tenus à son encontre au cours de « l'hiver dernier », là encore pendant la période de protection ; qu'en s'en tenant à la seule date réelle ou supposée de ces faits, sans constater que l'employeur avait pu avoir une connaissance exacte de leur réalité, de leur nature et de leur ampleur dès avant l'expiration de la période de protection, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2411-8 et L. 2411-10 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2411-10 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 :

4. Est irrégulier le licenciement du salarié au terme de la période de protection prononcé en raison de faits commis pendant cette période et qui auraient dû être soumis à l'inspecteur du travail. Toutefois, la persistance du comportement fautif du salarié après l'expiration de la période de protection peut justifier le prononcé d'un licenciement.

5. Pour juger qu'était nécessaire l'autorisation de licenciement du salarié convoqué à un entretien préalable plus d'un mois après l'expiration de la période de protection dont il disposait au titre de sa candidature aux élections professionnelles, annuler le licenciement et ordonner la réintégration, l'arrêt constate que la lettre de licenciement fait expressément référence à la persistance depuis l'expiration de la période de protection, malgré une sanction disciplinaire en 2013, d'un comportement agressif, insultant et dénigrant du salarié envers ses collaborateurs, soit un comportement qui n'a pas évolué et qui a depuis lors toujours été le même, y compris pendant la période de protection.

L'arrêt relève ensuite que certains des faits visés dans la lettre de licenciement et rapportés par une salariée dans une attestation, à savoir des critiques permanentes sur son physique et des propos insultants que le salarié avait notamment tenus devant elle au sujet de son assistante entrain de fumer une cigarette, étaient respectivement datés par cette salariée « depuis mi-septembre 2015 » ou de « l'hiver dernier », soit pendant la période de protection.

L'arrêt en déduit que les faits reprochés au salarié ont été commis pour partie pendant la période de protection, qu'il s'agisse du comportement insultant du salarié envers son assistante, des critiques envers le physique d'une autre salariée ou de la persistance d'un comportement agressif, en sorte que l'autorisation de l'inspecteur du travail était requise.

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme cela lui était demandé, d'une part si ce n'était pas postérieurement à l'expiration de la période de protection que l'employeur avait eu une exacte connaissance des faits reprochés au salarié commis durant cette période, et d'autre part si le comportement fautif reproché au salarié n'avait pas persisté après l'expiration de la période de protection, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cassation à intervenir de l'arrêt en ce qu'il a déclaré nul le licenciement du salarié pour défaut d'autorisation de l'inspecteur du travail (premier moyen) s'étendra au chef de dispositif ayant condamné la société Clear Channel France à allouer au salarié des sommes au titre de la violation de son statut protecteur et d'autres jusqu'à sa réintégration, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

7. La cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif critiqués par le deuxième moyen relatifs aux condamnations de l'employeur à payer au salarié des sommes au titre de la violation de son statut protecteur, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au syndicat CGT FILPAC de la Moselle la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts outre les dépens tant d'appel que de première instance, alors « que la cassation à intervenir de l'arrêt sur le premier moyen s'étendra au chef de dispositif ayant condamné la société Clear Channel France à payer, au syndicat CGT FILPAC de la Moselle, la somme de 1 euro au titre de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

9. La cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif critiqué par le troisième moyen relatif aux dommages-intérêts octroyés au syndicat CGT FILPAC, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Et sur le troisième moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs, alors « que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que satisfait à cette exigence le salarié qui produit au soutien de sa demande le décompte hebdomadaire de ses heures de travail ; qu'en retenant que les éléments produits par le salarié n'étaient pas de nature à étayer sa demande au titre des heures supplémentaires et repos compensateurs quand il résultait de ses constatations qu'était versé aux débats un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires que le salarié prétendait avoir effectuées entre janvier 2014 et octobre 2015, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

11. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

12. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

13. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

14. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs, l'arrêt constate que le salarié produit un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires qu'il dit avoir effectuées et verse aux débats des courriels attestant de l'amplitude de sa journée de travail et de l'obligation qui lui est faite de travailler jusqu'à 21 heures en moyenne. Il relève que, cependant, ces courriels en date du 14 octobre 2012 à 20h25 et du 18 février 2013 à 20h11 ne font pas preuve, en l'absence de réponse du salarié, que celui-ci les ait lus à l'heure de leur envoi et que le salarié ne produit qu'un courriel envoyé un samedi à 22h10 ne prouvant ni l'amplitude de sa journée de travail, ni les heures supplémentaires effectuées.

L'arrêt en déduit que les éléments produits par le salarié ne sont pas de nature à étayer ses prétentions.

15. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur les premier et deuxième moyens du pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la convention de forfait jours inopposable à M. [R], l'arrêt rendu le 11 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 2411-10 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur l'irrégularité du licenciement du salarié protégé prononcé postérieurement à l'échéance de cette protection pour des faits commis pendant celle-ci, à rapprocher : Soc., 30 janvier 2013, pourvoi n° 11-13.286, Bull. 2013, V, n° 25 (cassation partielle), et les arrêts cités.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.