Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

QUASI-CONTRAT

1re Civ., 9 février 2022, n° 20-19.625, (B), FS

Cassation

Enrichissement sans cause – Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 – Article 10 – Loi applicable – Loi du contrat conclu par une partie avec un tiers – Exclusion

Enrichissement sans cause – Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 – Article 10 – Loi applicable – Contrat conclu par une partie avec un tiers – Exécution des obligations légales en découlant – Exclusion

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 30 juin 2020), un notaire allemand a été condamné par des juridictions allemandes à payer une indemnité à la société Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) en réparation du préjudice résultant d'un manquement à son obligation de vigilance. Il a formé contre son assureur de responsabilité civile professionnelle, la société allemande HDI Versicherung (HDI), une demande qui a été rejetée par les juridictions allemandes au motif que les dommages causés intentionnellement étaient exclus de la garantie contractuelle.

2. HDI a néanmoins réglé à la banque le montant de l'indemnité, en exécution de la loi fédérale allemande relative aux notaires qui fait obligation à l'assureur de responsabilité civile de prendre en charge les dommages causés par son assuré, même intentionnellement, dans la limite de son droit de recours contre le notaire.

3. Une juridiction allemande a rejeté la demande de garantie formée par la société HDI contre la chambre des notaires et son assureur au motif que le dommage causé à la banque avait été déclaré après l'expiration du délai de forclusion stipulé par le contrat d'assurance souscrit par la chambre des notaires.

4. HDI a alors assigné la banque en restitution de la somme versée, outre intérêts, sur le fondement de l'article 812 du code civil allemand, qui permet à celui qui a payé une somme d'en obtenir restitution lorsque la cause juridique du versement initial a disparu.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer la société HDI recevable en ses demandes et de la condamner à payer à celle-ci une somme de 89 944,92 euros, avec intérêts au taux égal au taux d'intérêt de base publié par la Deutsche Bundesbank majoré de neuf points à compter du 12 mars 2015, alors « que les quasi-contrats dont le fait générateur est antérieur au 11 janvier 2009 ne sont pas soumis au règlement 864/2007 du 11 juillet 2007 du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ; qu'au cas présent, la société HDI Versicherung se prévalait d'une créance quasi-contractuelle de restitution dont le fait générateur réside dans le versement au profit de la banque de la somme de 89 944,92 euros le 30 octobre 2008 ; que pour dire la loi allemande applicable à la demande de la société HDI Versicherung, la cour d'appel a mis en oeuvre la règle de conflit de lois instaurée par l'article 10.1 du règlement 864/2007 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 31 du règlement 864/2007. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société HDI conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et contraire aux conclusions d'appel de la banque.

7. La banque, qui s'est fondée devant la cour d'appel sur l'article 10 du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit « Rome II »), n'est pas recevable à soutenir un moyen contraire devant la Cour de cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à supposer le règlement 864/2007 applicable, son article 10.1 dispose que, si l'obligation quasi-contractuelle invoquée se rattache à une relation existante entre les parties au quasi-contrat, la loi applicable est celle régissant cette relation ; qu'en l'absence de relation existante entre ces parties, la loi applicable au quasi-contrat est déterminée selon les critères de rattachement prévus par les paragraphes 2 à 4 de l'article 10 ; qu'au cas présent, aucune relation juridique n'existait entre la société HDI Versicherung, assureur de responsabilité du notaire, et la banque, victime du détournement commis par ce dernier, lors de la réalisation du versement du 30 octobre 2008, fait générateur de la créance quasi-contractuelle invoquée ; qu'en soumettant le présent litige à la loi allemande sur le fondement de l'article 10.1 du règlement 864/2007, la cour d'appel en a violé les dispositions par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») :

9. Ce texte dispose :

« 1. Lorsqu'une obligation non contractuelle découlant d'un enrichissement sans cause, y compris un paiement indu, se rattache à une relation existante entre les parties, telle qu'une obligation découlant d'un contrat ou d'un fait dommageable présentant un lien étroit avec cet enrichissement sans cause, la loi applicable est celle qui régit cette relation.

2. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 et que les parties ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment où le fait donnant lieu à l'enrichissement sans cause survient, la loi applicable est celle de ce pays.

3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base des paragraphes 1 ou 2, la loi applicable est celle du pays dans lequel l'enrichissement sans cause s'est produit.

4. S'il résulte de toutes les circonstances que l'obligation non contractuelle découlant d'un enrichissement sans cause présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1, 2 et 3, la loi de cet autre pays s'applique. »

10. Pour dire, sur le fondement de l'article 10, paragraphe 1, la loi allemande applicable à l'action en répétition de l'indu engagée par la société HDI contre la banque, l'arrêt, après avoir énoncé que la première a versé une somme à la seconde en exécution de dispositions qui imposent à l'assureur de responsabilité civile professionnelle d'un notaire d'indemniser la victime des agissements volontaires de son assuré, nonobstant l'exclusion de garantie stipulée par le contrat d'assurance, avant d'agir, en tant que subrogé dans les droits de la victime, contre la chambre des notaires et l'assureur auprès duquel celle-ci a souscrit une assurance couvrant les manquements volontaires de ses membres, retient que le versement litigieux a eu lieu en raison des relations existant entre HDI et le notaire et du fait dommageable subi par la banque, que le contrat conclu par HDI avec le notaire était soumis au droit allemand et que le paiement a eu lieu en application des dispositions impératives de ce droit.

11. En statuant ainsi, alors que la relation existante entre les parties à l'obligation extra-contractuelle ne pouvait résulter d'un contrat conclu par l'une d'elles avec un tiers, ni de l'exécution par elle des obligations qu'attachait à ce contrat la loi qui lui était applicable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP L. Poulet-Odent ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 10 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007.

1re Civ., 2 février 2022, n° 20-19.728, (B), FRH

Cassation partielle

Gestion d'affaires – Gérant – Obligations – Contrat passé avec un tiers – Contrat passé en son nom personnel – Exécution du contrat – Révélation de l'identité du maître de l'affaire – Absence d'influence

Il résulte des articles 1372 et 1375 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le gérant d'affaires qui contracte avec un tiers dans l'intérêt du maître de l'affaire, mais en son nom personnel, est personnellement tenu de l'exécution des obligations du contrat, même après révélation de l'identité du maître de l'affaire, laquelle n'a pas pour effet de substituer ce dernier au gérant d'affaires dans l'exécution du contrat conclu, et que le maître dont l'affaire a été bien administrée doit rembourser au gérant toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu'il a exposées.

Gestion d'affaires – Maître d'affaire – Obligations – Remboursement des dépenses utiles ou nécessaires

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Bel air transports du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] et contre la société Swisslife assurance de biens.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 mai 2020), le 4 mars 2015, la société Cabinet [X], syndic du syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 3] (le syndic), a accepté un devis établi, à sa demande par la société Bel air transport et portant sur le déménagement et la mise en garde-meubles de cartons et marchandises à la suite d'un effondrement partiel survenu dans l'immeuble.

3. A l'issue de la réalisation des prestations et de l'émission de plusieurs factures par la société Bel air transport, le syndic a contesté devoir les sommes réclamées et soutenu que la facturation devait être établie au nom de M. [D], exploitant du commerce Galactic Stories, seul bénéficiaire des prestations effectuées.

4. Le 18 mai 2016, la société Bel air transport a assigné en paiement des factures, le syndicat des copropriétaires, le syndic et M. [D], ès qualités.

Le 24 octobre 2016, le syndicat des copropriétaires a appelé en garantie la société Swisslife, son assureur.

5. Le 7 décembre 2017,la liquidation judiciaire de M. [D] a été prononcée, la Selarl [S] [C], prise en la personne de M. [C], étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

La société Bel air transports a déclaré sa créance à la procédure collective, puis a assigné le mandataire liquidateur en intervention forcée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société Bel air transport fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation du syndic à lui payer le montant de sa créance pour la période postérieure au 26 janvier 2016, alors « que le gérant d'affaire qui contracte avec un tiers dans l'intérêt du maître de l'affaire, mais en son nom personnel, est personnellement tenu de l'exécution des obligations résultant du contrat ; que la révélation de l'identité du maître de l'affaire au tiers cocontractant n'opère pas novation, le gérant d'affaire engagé sans représentation demeurant obligé à l'égard du tiers ; qu'en retenant néanmoins, pour décider qu'à compter du mois de février 2016 et jusqu'à la résiliation du contrat, la créance de la société Bel air transports afférente aux frais de garde-meuble n'était plus à la charge du Cabinet [X], mais à celle de M. [D], que le Cabinet [X] avait expressément indiqué à la société Bel air transports, à cette date qu'il avait agi en qualité de gérant de l'affaire de M. [D], bien que la révélation de l'existence d'une gestion d'affaire et de l'identité de M. [D] comme maître de l'affaire n'ait pu avoir eu pour effet de substituer ce dernier au Cabinet [X] dans l'exécution du contrat de dépôt conclu par celui-ci en son nom personnel, la cour d'appel a violé les articles 1372 et 1375 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 1372 et 1375 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Il résulte de ces textes que le gérant d'affaires qui contracte avec un tiers dans l'intérêt du maître de l'affaire, mais en son nom personnel, est personnellement tenu de l'exécution des obligations du contrat, même après la révélation de l'identité du maître de l'affaire, laquelle n'a pas pour effet de substituer ce dernier au gérant d'affaires dans l'exécution du contrat conclu, et que le maître dont l'affaire a été bien administrée doit rembourser au gérant toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites.

8. Pour limiter la condamnation du syndic à payer les factures émises par la société Bel air transport jusqu'au 26 janvier 2016, l'arrêt retient que l'initiative du syndic relève de la gestion d'affaires pour M. [D], que le syndic a entretenu une confusion, en n'énonçant pas clairement agir en qualité de gérant d'affaire pour M. [D] dont le nom ne figure pas sur la commande, mais que, le 26 janvier 2016, il a expressément indiqué à la société Bel air transports qu'il ne prenait pas en charge le déménagement des marchandises stockées et lui a demandé de ne plus lui envoyer les factures, de sorte que si, dans un premier temps, cette société avait pu croire légitimement avoir conclu avec le syndic, elle était clairement informée à cette date de la gestion pour le compte du maître de l'affaire.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée de la cassation

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

11. La cassation des dispositions de l'arrêt, en ce qu'il limite la condamnation du syndic au paiement des factures à la société Bel air transports jusqu'au 26 janvier 2016, entraîne la cassation du chef du dispositif qui fixe la créance de la société Bel air transports à la liquidation judiciaire de M. [D], en la personne de M. [A] [C], en sa qualité de mandataire liquidateur, correspondant à l'équivalent en euros des factures du mois de février 2016 à la date de résiliation du contrat, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société Cabinet [X] au paiement des factures à la société Bel air transports jusqu'au 26 janvier 2016 et en ce qu'il fixe la créance de la société Bel Air transports à la liquidation judiciaire de M. [D], en la personne de M. [A] [C], en sa qualité de mandataire liquidateur correspondant à l'équivalent en euros des factures du mois de février 2016 à la date de résiliation du contrat], l'arrêt rendu le 25 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Kerner-Menay - Avocat(s) : SCP Richard -

Textes visés :

Articles 1372 et 1375 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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