Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

3e Civ., 17 février 2022, n° 21-12.934, (B), FS

Rejet

Cautionnement – Conditions de validité – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Cautionnement relatif à un bail d'habitation

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 janvier 2021), par acte sous seing privé du 12 mai 2011, la société civile immobilière L'Oiseau de feu (la SCI) a donné à bail à M. et Mme [X] un local à usage d'habitation. Dans le même acte, M. [R] s'est porté caution solidaire des engagements des locataires.

2. A la suite de leur défaillance, la SCI a assigné M. et Mme [X] en paiement de leur dette locative, ainsi que M. [R], pris en sa qualité de caution solidaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. M. [R] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à dire que la SCI a la qualité de créancier professionnel et à prononcer l'annulation du cautionnement, alors :

« 1°/ que les articles L. 341-1, L. 341-2, L. 341-3, L. 341-5 et L. 341-6, dans leur version applicable en la cause, du code de la consommation s'appliquent à toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, lequel s'entend de celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ; qu'une société civile immobilière qui a pour objet social l'investissement et la gestion immobiliers exerce une activité professionnelle ; qu'en affirmant, pour décider que le cautionnement donné par M. [R] en garantie de la créance de loyers détenue par la SCI L'Oiseau de feu n'était pas soumis aux règles protectrices du consommateur, qu'il n'était pas démontré qu'elle exerçait une activité autre que purement privée de gestion de son patrimoine immobilier, comme une activité commerciale, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1, L. 341-2, L. 341-3, L. 341-5 et L. 341-6, dans leur version applicable en la cause, du code de la consommation ;

2°/ qu'en affirmant, pour décider que le cautionnement donné par M. [R] en garantie de la créance de loyers détenue par la SCI L'Oiseau de feu n'était pas soumis aux règles protectrices du consommateur, qu'elle n'était pas un créancier professionnel sans vérifier, comme cela lui était demandé, preuves à l'appui, si cette qualité ne résultait pas de l'extrait de son Kbis, de sa présentation générale, de sa propriété de nombreux biens immobiliers destinés à la location, notamment, dans l'immeuble portant son nom, bâti en vue d'une exploitation locative, de 29 appartements, 29 caves et 45 garages ou parkings et du fait que son siège apparaissait sur une plaque professionnelle « Entreprise Cortellini SCI L'Oiseau de feu » (conclusions, p. 9 et 10 ; productions n° 7 à 10), la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles L. 341-1, L. 341-2, L. 341-3, L. 341-5 et L. 341-6, dans leur version applicable en la cause, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

5. Le cautionnement relatif à un bail d'habitation étant spécifiquement régi par les dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, les articles L. 341-1 à L. 341-3, L. 341-5 et L. 341-6 du code de la consommation ne lui sont pas applicables.

6. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, et substitué à ceux critiqués en application de l'article 620, alinéa 1, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Gallet - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Poulet-Odent ; SCP Richard -

Rapprochement(s) :

3e Civ., 26 janvier 2017, pourvoi n° 15-27.580, Bull. 2017, III, n° 12 (cassation) ; 3e Civ., 26 janvier 2017, pourvoi n° 16-10.389, Bull. 2017, III, n° 12 (cassation) ; 3e Civ., 26 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.791, Bull. 2017, III, n° 12 (cassation).

1re Civ., 2 février 2022, n° 20-22.938, (B), FS

Rejet

Cautionnement des crédits réglementés par le code de la consommation – Caution solidaire – Pluralité – Caractère manifestement disproportionné – Appréciation – Modalités

La disproportion des engagements de cautions mariées sous le régime légal doit s'apprécier au regard de l'ensemble de leurs biens et revenus propres et communs.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 23 octobre 2020), le 6 mai 2008, la Société générale (la banque) a consenti à la société [K] finance (la société) un prêt de 300 000 euros.

Le 26 avril 2008, par actes séparés, M. et Mme [K] (les cautions), mariés sous le régime de la communauté légale, se sont portés chacun caution solidaire des engagements de la société à l'égard de la banque, à concurrence respectivement de 273 000 euros et 117 000 euros.

2. Le 12 février 2014, à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société, convertie en liquidation judiciaire, la banque a assigné les cautions en paiement. Celles-ci lui ont opposé la disproportion de leur engagement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle ne peut se prévaloir des cautionnements conclus le 26 avril 2008 et de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que lorsque des époux communs en biens se sont portés cautions solidaires d'une même dette à hauteur de montants différents, la disproportion manifeste de leurs cautionnements s'apprécie au regard du montant de l'engagement le plus élevé des deux, et non pas au regard du montant cumulé des deux engagements ; que, le 26 avril 2008, M. et Mme [K], mariés sous le régime légal, se sont portés cautions d'une même dette à hauteur de montants différents, à savoir à hauteur de 117 000 euros pour Mme [K] et de 273 000 euros pour M. [K], avec solidarité à hauteur de l'engagement de Mme [K] ; qu'en appréciant la disproportion manifeste des cautionnements de M. et Mme [K] (au jour de leur conclusion et au jour où ils ont été appelés) au regard du montant cumulé des deux engagements, soit 390 000 euros, au lieu du montant de l'engagement le plus élevé des deux, soit 273 000 euros, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;

2°/ que lorsque des époux communs en biens se sont portés cautions solidaires d'une même dette à hauteur de montants différents, la disproportion manifeste de leurs cautionnements s'apprécie séparément pour chaque époux ; que la cour d'appel a jugé que les cautionnements de M. et Mme [K] étaient manifestement disproportionnés au jour de leur conclusion en comparant l'actif net de M. et Mme [K], composé de biens, revenus et charges communs et s'élevant à cette date à 207 319,07 euros, au montant cumulé de leurs engagements, soit 390 000 euros, quand elle aurait dû apprécier la disproportion manifeste du cautionnement de Mme [K] (au jour de sa conclusion) au regard du seul montant de l'engagement de celle-ci, soit 117 000 euros ; que, partant, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;

3°/ que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution commune en biens s'apprécie, à l'actif, par rapport à ses biens et revenus propres et aux biens communs, incluant les revenus de son conjoint, et, au passif, par rapport à ses charges propres et aux charges de la communauté ; que, partant, ne doivent pas être prises en compte les charges propres de son conjoint ; qu'en appréciant la disproportion manifeste du cautionnement de Mme [K] (au jour où il a été appelé) au regard du montant cumulé de son engagement et de celui de son époux, au lieu du seul montant de l'engagement de Mme [K], et en prenant en considération des charges propres de son mari – notamment la somme qu'il a été condamné à verser à la Société générale en exécution du cautionnement qu'il a souscrit le 17 mars 2009 –, au lieu des seules charges de la communauté et des charges propres de Mme [K], la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel a, d'abord, retenu à bon droit que la disproportion des engagements de cautions mariées sous le régime légal doit s'apprécier au regard de l'ensemble de leurs biens et revenus propres et communs.

5. C'est, ensuite, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et au vu des revenus des cautions, de leurs charges et de leur patrimoine qu'elle a estimé que les cautionnements souscrits étaient manifestement disproportionnés et que la banque ne rapportait pas la preuve qu'à la date où elles avaient été appelées en paiement, leur patrimoine leur permettait de faire face à leurs obligations.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 27 mai 2003, pourvoi n° 00-14.302, Bull. 2003, I, n° 132 (rejet) ; Com., 22 février 2017, pourvoi n° 15-14.915, Bull. 2017, IV, n° 26 (rejet), et l'arrêt cité.

1re Civ., 2 février 2022, n° 19-20.640, (B), FS

Cassation partielle

Clauses abusives – Caractère abusif – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 11 avril 2019), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) a consenti à [D] [N] et son épouse, Mme [L], le 28 janvier 2005, trois prêts immobiliers libellés en devises CHF (franc suisse), assurés auprès de la société CNP Caution, et, le 18 juillet 2006, un prêt immobilier en devises CHF, en garantie duquel a été signé un acte de nantissement des troisièmes piliers suisses des emprunteurs contractés auprès de la société Axa.

2. A la suite du décès de [D] [N], survenu le [Date décès 1] 2012, la société CNP Caution a versé à la banque les prestations correspondant à la prise en charge des trois premiers prêts, mais ne couvrant pas l'intégralité des sommes dues.

3. Le 21 septembre 2012, la banque a informé Mme [L] que le montant versé par la société Axa au titre des troisièmes piliers était insuffisant pour couvrir le montant contractuellement exigible au titre du dernier prêt.

4. Le 6 juin 2014, la banque a prononcé la déchéance du terme des prêts et mis en demeure Mme [L] de payer les sommes restant dues.

5. Le 7 août 2014, la banque a assigné Mme [L] en paiement, laquelle a attrait à l'instance Mme [P], mère de [D] [N], représentée par l'UDAF de la Drôme en qualité de tuteur, et invoqué des manquements de la banque et le caractère abusif de certaines clauses des prêts souscrits.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'emprunteur des dommages-intérêts au titre de manquements, d'une part, à son devoir de mise en garde, d'autre part, à son devoir d'information et de conseil et de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde, consistant en la perte de la chance de ne pas contracter ou d'éviter le risque qui s'est réalisé se manifeste dès l'octroi du crédit, à moins que l'emprunteur ne démontre qu'il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage ; que la banque faisait valoir que l'action était prescrite le 19 juin 2013, soit cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ; qu'en considérant que l'emprunteur a pris connaissance du fait que la police d'assurance, souscrite à 100 % s'agissant de [D] [N], ne couvrait nullement le remboursement intégral des crédits, qu'à compter de la lettre de la banque du 4 septembre 2012 portant à sa connaissance le solde restant à payer postérieurement au décès de son mari, que de même, c'est par un courrier du 21 septembre 2012 que la banque a spécifié à l'emprunteur que le montant versé par Axa au titre du 3ème pilier s'avérait insuffisant pour couvrir le montant contractuellement exigible au titre du prêt n° 017798401, pour en déduire que l'action en responsabilité ayant été développée en première instance par l'emprunteur au terme de conclusions du 10 mars 2017, le délai de prescription quinquennal n'était nullement expiré à cette date, sans nullement rechercher ni préciser d'où il ressortait que celui-ci démontrait qu'il pouvait, à la date des prêts litigieux, souscrits en 2005 et 2006, légitimement ignorer le dommage la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil ;

2°/ que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde, consistant en la perte de la chance de ne pas contracter ou d'éviter le risque qui s'est réalisé se manifeste dès l'octroi du crédit, à moins que l'emprunteur ne démontre qu'il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage ; que celui-ci faisait valoir s'agissant du prêt garanti par le nantissement sur le contrat 3ème pilier souscrit auprès d'Axa que c'est [D] [N] qui avait cessé de régler ses cotisations auprès de cet assureur, ajoutant que cette dernière « a réclamé à plusieurs reprises les règlements des cotisations de M. [N], en vain », que « avertie de la situation, la banque a elle-même pris soin d'alerter [D] [N] sur les conséquences de ce défaut de paiement », et que « tant aux termes du contrat souscrit avec Axa qu'à la lecture du courrier adressé le 20 juillet 2011 par la banque, [D] [N] était parfaitement informé des risques qu'il encourait en cessant de régler ses cotisations d'assurance » ; qu'en considérant que l'emprunteur a pris connaissance du fait que la police d'assurance, souscrite à 100 % s'agissant de [D] [N], ne couvrait nullement le remboursement intégral des crédits, qu'à compter de la lettre de la banque du 4 septembre 2012 portant à sa connaissance le solde restant à payer postérieurement au décès de son mari, que de même, c'est par un courrier du 21 septembre 2012 que la banque a spécifié à l'emprunteur que le montant versé par Axa au titre du 3ème pilier s'avérait insuffisant pour couvrir le montant contractuellement exigible au titre du prêt n° 017798401, pour en déduire que l'action en responsabilité ayant été développée en première instance par celui-ci au terme de conclusions du 10 mars 2017, le délai de prescription quinquennal n'était nullement expiré à cette date, la cour d'appel qui s'est attachée seulement à la date à laquelle l'emprunteur avait eu connaissance de l'insuffisance de la somme versée par l'assureur Axa, pour vérifier si l'action en responsabilité était prescrite, sans rechercher si ce dernier n'avait pas connaissance dès les mois de juin ou juillet 2011, des premières difficultés de paiement et partant de ce que, faute de paiement des échéances du contrat afférent au 3ème pilier suisse, la garantie ne couvrait plus le prêt dans les mêmes conditions a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Dès lors qu'il résulte des productions que la banque s'est bornée, en appel, à invoquer la prescription de la demande indemnitaire au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde, sans reprendre cette fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions, la cour d'appel n'en était pas saisie.

8. Il s'ensuit que le moyen, qui critique des motifs surabondants écartant la prescription, est inopérant.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la banque faisait valoir que l'emprunteur ne rapportait pas la preuve d'une disproportion entre le montant des prêts litigieux et les ressources des emprunteurs et leur capacité de remboursement et qu'elle avait scrupuleusement étudié la capacité financière des époux [N] qui, à l'époque des prêts, disposaient de 7 190 euros de revenus par mois alors que les charges mensuelles des prêts et des cotisations d'assurances du 3ème pilier s'élevaient à la somme globale de 2 009 euros, laissant au couple 5 181 euros par mois, le taux d'endettement étant de 28 % ; qu'en retenant que les capacités du couple ont manifestement été surévaluées dans la mesure où [D] [N] s'est trouvé en difficulté, courant 2011, pour honorer le versement des cotisations afférentes au 3ème pilier suisse qu'il avait souscrit, qu'en outre, les quatre contrats de prêt ont fait l'objet d'avenants les 11, 20 et 21 octobre 2011 en vue d'un rééchelonnement de la dette, pour en déduire que la banque, qui ne justifie nullement des modalités d'information de ses clients au titre de son obligation de mise en garde, a donc engagé sa responsabilité de ce chef et doit être condamnée à payer à l'emprunteur la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts, sans prendre en considération le moyen par lequel la banque faisait valoir qu'au jour de l'octroi des prêts litigieux, le taux d'endettement était de 28 % et qu'il n'y avait aucun risque d'endettement excessif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

2°/ que la banque faisait valoir que l'emprunteur ne rapportait pas la preuve d'une disproportion entre le montant des prêts litigieux et les ressources des emprunteurs et leur capacité de remboursement et qu'elle avait scrupuleusement étudié la capacité financière des époux [N] qui, à l'époque des prêts, disposaient de 7 190 euros de revenus par mois alors que les charges mensuelles des prêts et des cotisations d'assurances du 3ème pilier s'élevaient à la somme globale de 2 009 euros, laissant au couple 5 181 euros par mois, le taux d'endettement étant de 28 % ; qu'en affirmant que les capacités du couple ont « manifestement été surévaluées dans la mesure où [D] [N] s'est trouvé en difficulté, courant 2011, pour honorer le versement des cotisations afférentes au 3ème pilier suisse qu'il avait souscrit » et où « les quatre contrats de prêt ont fait l'objet d'avenants les 11, 20 et 21 octobre 2011 en vue d'un rééchelonnement de la dette », pour en déduire que la banque a engagé sa responsabilité et la condamner au paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel se prononce par des motifs inopérants comme impropres à caractériser qu'au jour de la souscription des prêts litigieux, soit en 2005 et 2006, les engagements étaient disproportionnés au regard des capacités financières des emprunteurs et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

10. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, après avoir constaté que les emprunteurs n'étaient pas avertis, que la cour d'appel a estimé, en se fondant notamment sur le montant élevé des prêts consentis et des échéances à acquitter et sur l'absence de fiche de patrimoine permettant d'apprécier la surface financière des emprunteurs, que leurs capacités de remboursement avaient été manifestement surévaluées et que la banque ne justifiait pas les avoir informés des risques afférents à l'octroi des prêts, justifiant ainsi légalement sa décision.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

11. Mme [L] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses prétentions visant à obtenir l'annulation de stipulations contractuelles abusives, d'accueillir la demande en paiement de la banque et de rejeter sa demande tendant à ce que les éventuelles condamnations prononcées en faveur de celle-ci le soient solidairement entre elle et Mme [P], représentée par l'UDAF de la Drôme, alors « que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ; que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; qu'en considérant, pour écarter le moyen de l'emprunteur tiré de ce que les clauses des contrats n° 0177991-01, 0177976-01 et 025685301 faisant peser le risque de change sur les seuls emprunteurs étaient abusives, qu'il s'agissait d'une « prétention » qui, faute d'avoir été présentée dès le premier jeu de conclusions d'appel, était irrecevable, la cour d'appel, qui disposait des éléments de droit et de fait nécessaires pour examiner d'office le caractère abusif des clauses invoquées, et qui était donc tenue de procéder à un tel examen, a violé, par fausse application, l'article 910-4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1, devenu L. 212-1, alinéa 1, du code de la consommation, et 910-4 du code de procédure civile :

12. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

13. La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08).

14. En outre, il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l'ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d'être interprétée en conformité avec la directive 93/13 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale. A défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette directive, les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d'instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s'opposent à un tel examen (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Médius, C-495/19).

15. Selon le deuxième de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

16. Il s'en déduit que le principe de concentration temporelle des prétentions posé par le troisième de ces textes ne s'oppose pas à l'examen d'office du caractère abusif d'une clause contractuelle par le juge national, qui y est tenu dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.

17. Pour déclarer irrecevables les prétentions de Mme [L] en annulation de stipulations contractuelles abusives, l'arrêt retient que celles-ci auraient dû être présentées dans le premier jeu de conclusions d'appel, qu'elles ont été formées dans le troisième et qu'elles ne sont nullement destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

18. En statuant ainsi, sans examiner d'office le caractère abusif des clauses invoquées au regard des éléments de droit et de fait dont elle disposait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

19. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause l'UDAF de la Drôme, en qualité de tuteur de Mme [P], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les prétentions de Mme [L] visant à obtenir l'annulation de stipulations contractuelles abusives, l'arrêt rendu le 11 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Met hors de cause l'UDAF de la Drôme, prise en qualité de tuteur de Mme [P] ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SAS Colin - Stoclet ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article 910-4 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 mars 2017, pourvoi n° 16-13.050, Bull. 2017, n° 78 (cassation partielle).

1re Civ., 2 février 2022, n° 20-10.855, (B), FS

Rejet

Conformité des produits – Action résultant du défaut de conformité – Action du subrogé – Prescription – Point de départ – Détermination

En vertu des règles générales qui gouvernent la subrogation, prévues par les articles 1250 et suivants du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le débiteur, poursuivi par un créancier subrogé dans les droits de son créancier originaire, peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense que ceux dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire. Il en résulte que celui qui est subrogé dans les droits de la victime d'un dommage ne dispose que des actions bénéficiant à celle-ci, de sorte que son action contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action de la victime et que le point de départ de la prescription de l'action du subrogé est identique à celui de l'action du subrogeant.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 14 mai 2019), le 20 janvier 2011, la société SGB Finance (l'acquéreur) a acquis un navire de la société Turquoise yachting alliance yacht, devenue la société Alliance yacht (le vendeur). Ce navire a été donné en location, avec option d'achat, à M. [M] (le locataire), assuré auprès de la société Groupama transports, aux droits de laquelle se trouve la société Helvetia assurances (l'assureur).

Le 28 janvier 2011, le locataire a signé un procès-verbal de réception. A la suite de la destruction du navire par un incendie survenu le 29 octobre 2011, l'assureur a indemnisé le locataire et l'acquéreur, lequel en a donné quittance le 27 février 2012.

2. Le 19 avril 2013, l'assureur, invoquant un défaut de conformité, a assigné en résolution de la vente le vendeur, qui a opposé la prescription de l'action.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Il est statué sur ce moyen après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.

Enoncé du moyen

3. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action, alors « que la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir ; qu'à ce titre la prescription de l'action fondée sur la subrogation ne peut commencer à courir avant le paiement subrogatoire ; qu'en se bornant à retenir que l'action du subrogé est soumise à la prescription applicable à l'action directe de la victime pour retenir que le délai de prescription de l'action du subrogé devait être fixé au jour de la délivrance du navire, quand seul le paiement subrogatoire intervenu ultérieurement était de nature à faire courir le délai de prescription à l'égard de l'assureur subrogé, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil, ensemble l'article 1252 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 121-12 du code des assurances, dans les assurances de dommages, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

5. En vertu des règles générales qui gouvernent la subrogation, prévues par les articles 1250 et suivants du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicables à la cause, le débiteur, poursuivi par un créancier subrogé dans les droits de son créancier originaire, peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense que ceux dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire (1re Civ., 4 avril 1984, pourvoi n° 82-16.683, Bull. 1984, I, n° 131 ; 1re Civ., 18 octobre 2005, pourvoi n° 04-15.295, Bull. 2005, I, n° 375 ; Com., 11 décembre 2007, pourvoi n° 06-13.592, Bull. 2007, IV, n° 261). Il en résulte que celui qui est subrogé dans les droits de la victime d'un dommage ne dispose que des actions bénéficiant à celle-ci, de sorte que son action contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action directe de la victime (1re Civ., 4 février 2003, pourvoi n° 99-15.717, Bull. 2003, I, n° 30 ; 2e Civ., 15 mars 2007, pourvoi n° 06-11.509).

6. En application de ces principes, le point de départ de la prescription de l'action du subrogé est identique à celui de l'action du subrogeant (1re Civ., 4 février 2003, pourvoi n° 99-15.717, Bull. 2003, I, n° 30 ; 2e Civ., 17 janvier 2013, pourvoi n° 11-25.723, Bull. 2013, II, n° 8 ; 2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi n° 19-22.179 ; Com., 5 mai 2021, pourvoi n° 19-14.486, Bull., (cassation)).

7. Après avoir énoncé à bon droit que l'action de la personne subrogée dans les droits de la victime d'un dommage contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action de la victime et retenu qu'était applicable à l'action subrogatoire de l'assureur l'article L. 211-12 du code de la consommation, selon lequel l'action résultant du défaut de conformité se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien, la cour d'appel en a exactement déduit que le point de départ du délai de prescription devait être fixé à cette date.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. L'assureur fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'action résultant du défaut de conformité se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien ; que la délivrance suppose la remise de la chose et de ses accessoires ; que le certificat de francisation d'un navire en constitue l'accessoire ; qu'en décidant que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour du procès-verbal de réception quand il résultait de ses constatations qu'à cette date, le certificat du navire n'avait pas encore été établi, la cour d'appel a violé l'article L. 211-12 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause, ensemble les articles 1604 et 1615 du code civil ;

2°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitait l'assureur, si le procès verbal de livraison réception n'avait pas été signé dans le seul but de permettre que les fonds soit débloqués par l'acquéreur de sorte qu'il n'avait pas vocation à rapporter la preuve de l'exécution de l'obligation de délivrance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 211-12 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause, et des articles 1604 et 1615 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation que la cour d'appel a estimé que la délivrance était intervenue lorsque, dans le procès-verbal du 28 janvier 2011, le locataire, agissant en qualité de mandataire de l'acquéreur, avait attesté prendre livraison du navire, muni des pièces en permettant sa francisation et son immatriculation, le vendeur avait reconnu l'avoir livré et le locataire et le vendeur avaient demandé à l'acquéreur le paiement du prix, de sorte que l'action de l'assureur, engagée plus de deux ans après, le 28 avril 2013, était prescrite.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; Me Haas -

Textes visés :

Article 1250 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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