Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

PRESCRIPTION CIVILE

2e Civ., 10 février 2022, n° 20-20.143, (B), FRH

Rejet

Prescription décennale – Article 2270-1 du code civil – Délai – Point de départ – Préjudice corporel – Date de la consolidation – Appréciation souveraine

En cas de dommage corporel ou d'aggravation du dommage, les juges du fond apprécient souverainement la date de la consolidation faisant courir le délai de prescription prévu par l'ancien article 2270-1 du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 27 mai 2020), M. [B], alors âgé de trois ans, a été victime le 15 juin 1985 d'un accident de la circulation impliquant un véhicule conduit par M. [W] et assuré auprès de la société Mutasudest, devenue la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne (la société Groupama).

2. Un arrêt du 14 avril 1994 a condamné in solidum M. [W] et la société Groupama à payer une certaine somme en réparation des préjudices subis par la victime.

3. Le 17 janvier 2001, une nouvelle expertise médicale a été ordonnée et le médecin-expert a déposé son rapport le 15 mai 2002.

4. Le 18 mai 2015, M. [B] assisté de sa curatrice a assigné M. [W] et la société Groupama, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la [Localité 3], afin d'obtenir un complément d'indemnisation de son préjudice corporel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa deuxième branche, qui est irrecevable et sur le moyen, pris en sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [B] fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action en réparation de son préjudice complémentaire, alors « qu'en cas de préjudice corporel, la date de consolidation fait courir le délai de la prescription prévue à l'article 2270-1 du code civil ; que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir ; que le délai de prescription relatif aux demandes de réparation par la victime des conséquences économiques et morales de son atteinte à l'intégrité physique dont l'évaluation est subordonnée à la consolidation, ne peut commencer à courir avant que celle-ci soit constatée et portée à la connaissance de la victime ; que, pour juger l'action engagée par M. [B] le 18 mai 2015 prescrite, la cour a relevé que les énonciations du rapport de l'expert [P] permettent de constater que la consolidation était donc acquise à la date du rapport le 15 mai 2002, même si l'expert n'a pas formellement déterminé cette date, faute de question posée sur ce point par le juge des référés ; qu'en statuant de la sorte, quand l'expert n'avait pas mission de fixer une date de consolidation et qu'il n'est à aucun moment dans le rapport d'expertise fait expressément référence à la définition de la consolidation, à l'existence d'un état « consolidé » de M. [B] ni à une date de consolidation qui aurait permis à la victime d'en avoir connaissance, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, applicable au litige, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

8. En cas de dommage corporel ou d'aggravation du dommage, c'est la date de la consolidation qui fait courir le délai de la prescription prévu par ce texte.

9. L'arrêt, exposant les constatations et conclusions de l'expert médical, relève que l'état séquellaire de la victime n'était pas susceptible d'évoluer favorablement après la date de l'examen par celui-ci et qu'il n'apparaît pas non plus que cet état se soit aggravé depuis lors. Il ajoute que les énonciations du rapport d'expertise lui permettent de constater que la consolidation était acquise à la date du rapport, le 15 mai 2002, même si l'expert n'a pas formellement déterminé cette date, faute de question posée sur ce point par le juge ayant ordonné l'expertise, de sorte que c'est à cette date que le délai de prescription a commencé à courir.

10. De ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d'appréciation de la date de consolidation, et faisant ressortir que le rapport d'expertise permettait à M. [B] de connaître celle-ci, la cour d'appel a exactement déduit que l'action en réparation de son préjudice complémentaire était prescrite.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Brouzes - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Poulet-Odent ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 2270-1 du code civil.

Com., 9 février 2022, n° 20-17.551, (B), FRH

Cassation

Prescription quinquennale – Actions personnelles ou mobilières – Point de départ – Connaissance des faits permettant l'exercice de l'action – Cas – Action en réparation exercée par l'acquéreur d'un bien immobilier – Prêt inadapté aux facultés de remboursement de l'emprunteur – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 12 février 2020) et les productions, M. [Z] a conclu une promesse d'achat portant sur un bien immobilier, sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt, lequel lui a été consenti par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Aquitaine (la banque) en novembre 2009 par l'intermédiaire de M. [F], courtier en opérations de crédit.

2. Le 19 janvier 2010, M. [Z] a refusé de signer l'acte notarié de vente, estimant que le prêt obtenu était excessif au regard de ses capacités financières et qu'il ne pourrait pas le rembourser.

Les vendeurs, puis l'agence immobilière par l'intermédiaire de laquelle la promesse d'achat avait été conclue, l'ont assigné en réparation de leur préjudice respectif.

3. Condamné à payer des dommages-intérêts, tant aux vendeurs à raison de la rupture fautive du contrat de vente par un arrêt du 26 janvier 2012 qu'à l'agence immobilière au titre de sa perte de chance de percevoir sa commission par un arrêt du 16 janvier 2013, M. [Z] a assigné M. [F], le 19 décembre 2014, et la banque, le 22 décembre 2014, en réparation des préjudices subis du fait de ces deux procédures, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [Z] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme étant prescrite l'action en responsabilité fondée sur l'article 1382 du code civil qu'il a engagée à l'encontre de la banque et M. [F], alors « que la prescription d'une action en responsabilité délictuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que M. [Z] faisait valoir que la banque lui avait octroyé à tort un prêt qui constituait la condition suspensive de l'achat d'un bien immobilier alors même que sa situation financière était obérée, de sorte qu'il avait dû refuser de régulariser l'acte de vente ; que les vendeurs et l'agent immobilier avaient alors agi contre M. [Z] et obtenu sa condamnation à raison du défaut de régularisation de la vente malgré l'octroi du prêt ; que M. [Z] a ensuite recherché la responsabilité de la banque et de M. [F] à raison de l'octroi fautif du prêt, qui avait conduit in fine à sa condamnation envers les vendeurs et l'agent immobilier ; qu'en jugeant que l'action en responsabilité aurait été prescrite, aux motifs que le dommage causé par les manquements imputés à la banque et à M. [F] dans l'octroi du prêt « ne résulte pas des décisions de justice ayant condamné M. [Z] envers les vendeurs et l'agent immobilier (...) mais de l'octroi d'un financement et ses conséquences juridiques et financières », cependant que le dommage subi par M. [Z] ne s'était réalisé qu'à compter des décisions passées en force de chose jugée de la cour d'appel d'Agen des 26 janvier 2012 et 16 janvier 2013 l'ayant condamné à payer des dommages-intérêts aux vendeurs et à l'agent immobilier en raison de son refus de régulariser la vente malgré l'octroi du prêt, de sorte que la prescription n'avait pu commencer à courir qu'à partir de ces condamnations, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil ;

5. Selon ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l'exercer ;

6. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité délictuelle engagée contre la banque, l'arrêt retient que le dommage ne résulte pas des décisions de justice ayant condamné M. [Z] à payer des dommages-intérêts aux vendeurs et à l'agence immobilière à la suite de sa décision de refuser d'acquérir l'immeuble ayant fait l'objet d'un « compromis de vente » auquel il avait consenti, mais de l'octroi du crédit et de ses conséquences juridiques et financières, dont il avait eu connaissance dès le mois de novembre 2009, de sorte qu'à cette date, il était informé du dommage auquel il était exposé.

7. En statuant ainsi, alors que le dommage dont M. [Z] demandait réparation ne s'était pas manifesté aussi longtemps que les vendeurs et l'agent immobilier n'avaient pas, en l'assignant, recherché sa propre responsabilité, soit au plus tôt le 3 septembre 2010, de sorte que, à la date des assignations qu'il a lui-même fait signifier à la banque et au courtier, les 19 et 22 septembre 2014, la prescription n'était pas acquise, la cour d'appel a violé le teste susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu, le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Guérin (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Fevre - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; Me Soltner -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

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