Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

FONDS DE GARANTIE

2e Civ., 10 février 2022, n° 20-20.814, (B), FRH

Cassation

Actes de terrorisme et autres infractions – Recours subrogatoire – Recours contre l'auteur de l'infraction – Effets – Dérogation au principe de réparation intégrale – Exclusion – Cas – Plafond de garantie des transporteurs aériens

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 22 septembre 2020), [C] [X] a pris place, le 12 septembre 2013, comme passager, dans l'aéronef piloté par [S] [O], le père de sa compagne, Mme [O], pour un vol au départ de Poitiers et à destination de Cannes.

2. L'appareil a percuté un massif montagneux, en Auvergne, et les deux hommes sont décédés.

3. Un tribunal de grande instance a, notamment, déclaré [S] [O] seul responsable de l'accident et fixé l'indemnisation revenant aux ayants droit de [C] [X] ainsi qu'à Mme [O], en réparation des préjudices occasionnés par le décès de celui-ci, dans la limite du plafond de 114 336 euros mentionné à l'article L. 6421-4 du code des transports, qui a été réparti entre les différentes victimes par ricochet, au « marc l'euro ».

4. Mme [O], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs [Y], [J], [P] et [D] [T], ainsi qu'[L] [T], la soeur de ces derniers, déjà majeure (les consorts [O]-[T]), ont saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) pour obtenir la réparation de leur entier préjudice, consécutif au décès de [C] [X].

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et le second moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Les consorts [O]-[T] font grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de leurs demandes tendant à la réparation intégrale des préjudices subis du fait du décès de [C] [X], alors « que l'article 706-3 du code de procédure pénale prévoyant que la victime d'un acte présentant le caractère matériel d'une infraction a droit à l'indemnisation intégrale de ses préjudices auprès du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, aux seules conditions que cet acte revête le caractère matériel d'une infraction et qu'il ait entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, institue un mode de réparation autonome répondant à des règles qui lui sont propres, les indemnités ainsi allouées n'étant pas subsidiaires aux réparations éventuellement allouées par ailleurs ; qu'il en résulte nécessairement que ce mode particulier de réparation échappe aux diverses dispositions limitant la responsabilité civile de droit commun, et notamment à celles fixées par l'article L. 6421-4 du code des transports et des articles 22 et 29 de la convention de Varsovie du 12 octobre 1929 ; qu'en disant le FGTI fondé à se prévaloir du plafond institué par ladite convention de Varsovie pour limiter le montant de l'indemnisation à laquelle pouvait prétendre Mme [O] tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, tout en constatant que les faits dont cette dernière était victime présentaient le caractère matériel d'une infraction, en l'occurrence d'un homicide par imprudence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales nécessaires de ses propres constatations au regard de l'ensemble des textes et convention susvisés, ensemble l'article 706-9 du code de procédure pénale, qu'elle a donc violés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 706-3 et 706-9 du code de procédure pénale, et L. 6421-4 du code des transports, dans leur rédaction applicable au litige :

7. Il résulte du premier des textes susvisés que, sous certaines conditions, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne.

8. Selon le second, la commission tient compte, dans le montant des sommes allouées à la victime, des prestations perçues par cette dernière, qu'il énumère, ainsi que des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs au titre du même préjudice.

9. Il résulte du dernier que la responsabilité du transporteur aérien qui n'est pas titulaire d'une licence d'exploitation délivrée en application du règlement (CE) n° 1008/2008 du 24 septembre 2008 est régie par les stipulations de la convention de Varsovie du 12 octobre 1929, même si le transport n'est pas international au sens de cette convention, dans la limite de 114 336 euros par passager.

10. Il s'induit de l'ensemble de ces dispositions que lorsqu'elle est saisie par la victime d'une infraction imputable à un transporteur aérien, sur le fondement du premier des textes susvisés, la CIVI, tenue d'assurer la réparation intégrale du dommage, suivant les règles du droit commun de la responsabilité, sans perte ni profit pour la victime, ne peut limiter l'indemnisation mise à la charge du FGTI au plafond de garantie prévu par le dernier de ces textes, qui ne régit que la responsabilité des transporteurs aériens.

11. Pour juger que Mme [O] a été remplie de ses droits en percevant le maximum de l'indemnisation à laquelle elle pouvait prétendre au vu du plafond institué par la convention de Varsovie, l'arrêt énonce que ce plafond est issu d'une convention internationale dont la valeur, dans la hiérarchie des normes, est supérieure à la loi nationale qui, à l'article 706-3 du code de procédure pénale, retient le principe de réparation intégrale du préjudice des personnes qui subissent un préjudice résultant de faits, volontaires ou non, présentant le caractère matériel d'une infraction.

12. L'arrêt ajoute qu'en vertu de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le FGTI sera, après paiement, subrogé dans les droits de la victime, et qu'à l'occasion de son recours contre les ayants droit et/ou l'assureur du responsable, ces derniers seront en droit de lui opposer ce plafond de garantie.

13. L'arrêt énonce encore que la circonstance que les faits présentent le caractère matériel d'une infraction n'est pas de nature à justifier que les victimes du préjudice éludent ce régime, issu d'un traité international, qui gouverne leur indemnisation et considère qu'au regard du fait que Mme [O] a expressément indiqué, dans ses écritures, que les sommes déjà reçues de l'assureur de l'aéronef étaient à déduire de l'indemnité réclamée devant la CIVI, il en résulte qu'elle est remplie de ses droits, ce qui justifie le rejet de ses demandes envers le FGTI.

14. En statuant ainsi, alors que le FGTI, légalement tenu de réparer intégralement le préjudice subi par la victime, indépendamment de l'étendue de son recours subrogatoire ultérieur, ne pouvait pas bénéficier du plafond de garantie institué par la convention de Varsovie en faveur du transporteur aérien, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 706-3 et 706-9 du code de procédure pénale ; article L. 6421-4 du code des transports.

2e Civ., 10 février 2022, n° 20-13.779, (B), FRH

Cassation partielle

Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) – Demande d'indemnisation – Action subrogatoire – Recevabilité

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 452-1, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale que, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, d'une part, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues, d'autre part, si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

Selon l'article 53, VI, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, à l'occasion de l'action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale. L'indemnisation à la charge du fonds est alors révisée en conséquence.

Dès lors, peu important qu'il n'ait pas préalablement indemnisé les ayants droit de la victime au titre de l'indemnité forfaitaire ou ne leur ait pas présenté une offre complémentaire à ce titre, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), recevable à exercer l'action en reconnaissance de faute inexcusable, l'est par là même à demander la fixation de la majoration de la rente et l'allocation de l'indemnité forfaitaire qui constituent des prestations sociales.

Désistement partiel

1. Il est donné acte au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre, d'une part, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 février 2019, d'autre part, le ministre chargé de la sécurité sociale.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 janvier 2020), après avoir indemnisé les ayants droit de [F] [R], ancien salarié de la société SNECMA, actuellement dénommée Safran Aircraft Engines, en raison d'une affection reconnue au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles à l'origine de son décès, le FIVA, d'une part, a saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur et d'obtenir, notamment, la fixation des sommes correspondant à la majoration de la rente et à l'indemnité forfaitaire, d'autre part, est intervenu à l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur qui avait été engagée par Mme [R], veuve de [F] [R]. Ces deux instances ont été jointes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le FIVA fait grief à l'arrêt de dire irrecevables ses demandes tendant au versement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et à la majoration de rente d'ayant droit, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article 53 VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, à l'occasion de l'action à laquelle le FIVA est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale, l'indemnisation à la charge du FIVA étant alors révisée en conséquence de sorte que le Fonds, recevable à exercer l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, est recevable, par là même, à demander le versement de la majoration de rente d'ayant droit, peu important qu'il n'ait pas préalablement présenté d'offre d'indemnisation complémentaire de ce chef à la victime ou à ses ayants droit ; qu'en énonçant, pour déclarer le FIVA irrecevable à solliciter la majoration de la rente d'ayant droit attribuée par la CPAM de Seine et Marne à Mme [R], que le FIVA, subrogé dans les droits des ayants droit de M. [F] [R], ne présentait aucun mandat de Mme [R] et ne pouvait dès lors formuler de majoration de rente en son nom ou pour son compte, la cour d'appel a violé l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et les articles L. 452-1 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale ;

2°/ qu'aux termes de l'article 53 VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, à l'occasion de l'action à laquelle le FIVA est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale, incluant l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale en cas d'incapacité permanente de la victime de 100 %, l'indemnisation à la charge du FIVA étant alors révisée en conséquence de sorte que le Fonds, recevable à exercer l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, est recevable, par là même, à demander l'allocation de l'indemnité forfaitaire, peu important qu'il n'ait pas préalablement présenté d'offre d'indemnisation complémentaire de ce chef à la victime ou à ses ayants droit ; qu'en énonçant, pour déclarer le FIVA irrecevable à solliciter le versement de l'indemnité forfaitaire, qu'il n'apparaissait pas de quelconque référence à cette indemnité dans les indemnisations acceptées par les ayants droit, qu'en application de l'article 53 VI de la loi du 23 décembre 2000, le FIVA était subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits que les personnes qu'il a indemnisées possèdent contre le responsable du dommage, et qu'il s'en déduisait que la subrogation transmettait au FIVA la créance et ses accessoires uniquement pour les chefs de préjudices qu'il avait indemnisés, la cour d'appel a violé l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et les articles L. 452-1 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 452-1, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale et l'article 53 VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 :

4. Il résulte des dispositions combinées des trois premiers de ces textes que, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, d'une part, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues, d'autre part, si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

5. Selon le quatrième de ces textes, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, à l'occasion de l'action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale.

L'indemnisation à la charge du fonds est alors révisée en conséquence.

6. Pour dire irrecevables les demandes du FIVA tendant au versement de l'indemnité forfaitaire et à la majoration de rente d'ayant droit perçue par Mme [R], l'arrêt, après avoir constaté qu'il n'apparaît pas dans les indemnisations acceptées par les ayants droit une quelconque référence à cette indemnité, rappelle que le FIVA est subrogé, à concurrence des sommes versées dans les droits que les personnes qu'il a indemnisées possèdent contre le responsable, et en déduit que la subrogation ne joue au profit du FIVA que pour les chefs de préjudices qu'il a indemnisés.

7. Il ajoute, s'agissant de la demande de majoration de la rente versée à Mme [R], que le FIVA ne justifie d'aucun mandat que celle-ci lui aurait confié, de sorte qu'il ne peut formuler une telle demande en son nom et pour son compte.

8. En statuant ainsi, alors que la majoration de rente constitue une prestation de sécurité sociale due par l'organisme social dans tous les cas où la maladie professionnelle consécutive à une faute inexcusable entraîne le versement d'une rente, de même que l'indemnité forfaitaire due lorsque la victime est atteinte d'incapacité permanente de 100 %, de sorte que le FIVA, recevable à exercer l'action en reconnaissance de faute inexcusable, l'est, par là même, à demander la fixation de la majoration de la rente et l'allocation de l'indemnité forfaitaire, peu important qu'il n'ait ni justifié d'un mandat de Mme [R], ni préalablement indemnisé les ayants droit de la victime au titre de l'indemnité forfaitaire ou leur ait présenté une offre complémentaire à ce titre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement en ce qu'il a fixé à son maximum la majoration de la rente due à [F] [R], dit que la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne versera cette majoration au FIVA à charge pour lui de faire une proposition d'indemnisation complémentaire aux ayants droit de [F] [R], alloué au FIVA l'indemnité forfaitaire de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale à charge pour lui de faire une proposition d'indemnisation complémentaire aux ayants droit de [F] [R] et, statuant à nouveau des chefs infirmés, déclaré irrecevables les demandes du FIVA relatives à l'indemnité forfaitaire et à la majoration de la rente, l'arrêt rendu le 10 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 452-1, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; article 53, VI, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000.

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