Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

ETRANGER

1re Civ., 9 février 2022, n° 19-15.655, n° 20-11.572, n° 20-11.573, n° 20-11.574, n° 20-11.575, n° 20-11.576, n° 20-11.577, n° 20-11.578, n° 20-11.579, n° 20-11.580 et suivants, (B), FS

Rejet

Entrée en France – Maintien en zone d'attente – Zone d'attente – Appréciation de la légalité par le juge judiciaire – Exclusion

L'appréciation de la légalité des décisions administratives de placement en zone d'attente ne relève pas de la compétence du juge judiciaire mais de celle du juge administratif.

Dès lors, il n'appartient pas au juge judiciaire, saisi, sur le fondement de l'article L. 222-1, devenu L. 342-1, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), d'une demande de maintien au-delà de quatre jours à compter de la décision initiale de placement en zone d'attente, d'apprécier si, à la date de cette décision, l'arrêté préfectoral créant la zone d'attente temporaire était entré en vigueur et si cet arrêté était suffisamment précis s'agissant de la délimitation de la zone.

Il résulte des articles L. 221-4, alinéa 1, devenu L. 343-1, et R. 221-3, devenu R. 434-1, du CESEDA que l'administration n'est tenue de mettre à disposition et de rétribuer l'interprète que pour les procédures de non-admission et qu'il appartient à l'étranger, placé en zone d'attente, qui souhaite bénéficier d'une prestation d'interprétariat, en particulier lors de la venue de son avocat, d'en faire la demande, l'autorité administrative devant alors prendre les dispositions nécessaires afin que l'avocat et l'interprète puissent être contactés par l'étranger et qu'ils soient en mesure d'accéder à la zone d'attente à tout moment.

Entrée en France – Maintien en zone d'attente – Droits de l'étranger maintenu en zone d'attente – Interprétariat – Modalités

Faits et procédure

1.Selon les ordonnances attaquées, rendues par le premier président d'une cour d'appel (Saint-Denis, 20 avril 2019), le 13 avril 2019, un bateau de pêche en provenance d'Indonésie a été intercepté sur les côtes de l'île de La Réunion, avec, à son bord, cent vingt-trois ressortissants sri-lankais. Après leur débarquement, ceux-ci ont été placés dans une zone d'attente temporaire pour une durée de quatre jours.

2. Le 17 avril 2019, le juge des libertés et de la détention a été saisi de demandes de maintien des mesures sur le fondement de l'article L. 222-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième, sixième, pris en ses première, quatrième et cinquième branches, et septième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, le troisième moyen, le sixième moyen, pris en ses première, quatrième et cinquième branches, le septième moyen, pris en ses cinq premières branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le septième moyen, pris en sa sixième branche, qui sont irrecevables.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

4. Les auteurs des pourvois font grief aux ordonnances de rejeter les exceptions soulevées et de décider de leur maintien en zone d'attente, alors :

« 1°/ que le juge des libertés et de la détention est compétent pour exercer un contrôle sur l'exercice effectif des droits durant le maintien en zone d'attente ; qu'il est notamment compétent pour contrôler si une zone d'attente élargie a bien été créée par l'autorité administrative compétente à la date du maintien en zone d'attente et pendant sa durée ; qu'en effet, de l'existence de la zone d'attente élargie dépend l'exercice effectif des droits reconnus aux étrangers ; que par ailleurs, un acte réglementaire entre en vigueur le lendemain du jour de sa publication sauf s'il en disposé autrement par l'acte réglementaire ; qu'il résulte de la décision qu'un arrêté préfectoral du 13 avril 2019, publié le même jour, a créé une zone d'attente temporaire sur l'emprise du gymnase [3] à [Localité 8] et qu'une partie des étrangers a été placée en zone d'attente le 13 avril 2019, soit avant l'entrée en vigueur de l'arrêté préfectoral portant création de la zone d'attente élargie, le 14 avril 2019 à minuit ; qu'en considérant que le juge judiciaire n'était pas compétent pour opérer un contrôle sur la préexistence de la zone d'attente, aux maintiens en zone d'attente des ressortissants sri-lankais, lors même que, sans préjuger de la légalité de l'arrêté préfectoral ayant créé la zone d'attente temporaire, la préexistence de la zone d'attente, sur laquelle sont maintenus des étrangers est une condition nécessaire à l'exercice effectif de leurs droits, le délégué du premier président a violé les articles L. 221-2, L. 222-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 ;

2°/ que les ordonnances de référé n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée ; qu'en se fondant sur l'autorité de la chose attachée à la décision du juge des référés administratif du 17 avril 2019 pour écarter le moyen de nullité tiré de l'absence de zone d'attente au 13 avril 2019, le délégué du premier président a violé l'article L. 511-1 du code de justice administrative ;

3°/ que les décisions par lesquelles le juge administratif se déclare incompétent sans statuer sur une demande ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée ; qu'en se fondant sur l'autorité de la chose attachée à la décision du juge des référés administratif du 17 avril 2019 après avoir énoncé que le juge administratif s'était déclaré incompétent et avait « rejeté la requête des avocats des migrants au motif qu'il ne lui appartenait pas de remettre en liberté des personnes présentes dans une zone d'attente sans porter une quelconque appréciation sur cette décision », le délégué du premier président a méconnu l'article 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. L'appréciation de la légalité des décisions administratives de placement en zone d'attente ne relève pas de la compétence du juge judiciaire mais de celle du juge administratif.

6. Dès lors, il n'appartenait pas au juge judiciaire, saisi, sur le fondement de l'article L. 222-1, devenu L. 342-1, du CESEDA, d'une demande de maintien au-delà de quatre jours à compter de la décision initiale de placement en zone d'attente, d'apprécier si, à la date de cette décision, l'arrêté préfectoral créant la zone d'attente temporaire était entré en vigueur.

7. Le premier président a relevé qu'il était saisi d'une exception tirée de ce que l'arrêté préfectoral portant création de la zone d'attente temporaire, publié le 13 avril 2019, ne comportait aucune mention permettant son application immédiate et qu'entré en vigueur le 14 avril 2019, il n'était pas opposable aux personnes placées en zone d'attente la veille.

8. Il en résulte que cette exception ne pouvait qu'être écartée.

9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée de ce chef.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

10. Les auteurs des pourvois font le même grief aux ordonnances, alors :

« 1°/ que le juge judiciaire ne saurait prolonger le maintien d'un étranger en zone d'attente, lorsqu'elle n'est pas délimitée conformément à la loi ; que dans cette hypothèse, il est en effet nécessairement porté atteinte à l'exercice effectif des droits de l'étranger ; qu'il en est plus particulièrement ainsi, lorsque la zone d'attente temporaire n'est pas raccordée juridiquement au point frontalier le plus proche, et qu'ainsi, l'étranger ne peut exercer son droit à quitter à tout moment la zone d'attente ; que par ailleurs, lorsqu'il est manifeste qu'un groupe d'au moins dix étrangers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres, la zone d'attente s'étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que l'arrêté préfectoral, portant création d'une zone d'attente ad hoc, portait sur la seule emprise du gymnase [3] à [Localité 8] ; qu'en prolongeant le maintien en zone d'attente des étrangers sur une telle zone d'attente, qui n'était pas raccordée au point frontalier le plus proche, et partant, qui ne permettait pas à l'étranger d'exercer son droit de quitter à tout moment la zone d'attente, tout départ du gymnase impliquant son entrée sur le territoire, le délégué du premier président a violé les articles L. 221-2 et L. 222- 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers ;

2°/ que la zone d'attente est délimitée par l'autorité administrative compétente ; que lorsqu'il est manifeste qu'un groupe d'au moins dix étrangers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres, la zone d'attente s'étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche ; qu'il résulte ainsi de l'article L. 221-2 du même code que dans cette hypothèse, un arrêté préfectoral doit délimiter une zone d'attente dite élargie qui doit s'étendre du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que l'arrêté préfectoral, portant création d'une zone d'attente ad hoc, portait sur la seule emprise du gymnase [3] à [Localité 8] ; qu'en jugeant que la zone d'attente délimitée par l'arrêté préfectoral pouvait ne concerner qu'un gymnase, dès lors qu'il était situé à 3 km d'un aéroport, sans qu'il soit nécessaire pour l'autorité administrative de prendre une décision administrative particulière pour que cette zone s'étende jusqu'au point de passage frontalier, le délégué du premier président a violé l'article L. 221-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers. »

Réponse de la Cour

11. Après avoir énoncé à bon droit qu'il n'appartient pas au juge judiciaire d'apprécier par la voie de l'exception un acte administratif autre que celui pour lequel le législateur l'a expressément reconnu compétent, le premier président en a exactement déduit qu'il n'entrait pas dans son office d'apprécier si l'arrêté préfectoral portant création d'une zone d'attente temporaire était suffisamment précis s'agissant de la délimitation de cette zone.

12. Le moyen, qui critique des motifs surabondants, est inopérant.

Sur le sixième moyen pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

13. Les auteurs des pourvois font le même grief aux ordonnances, alors :

« 2°/ que l'étranger maintenu en zone d'attente a le droit à l'assistance d'un interprète, lors de ses entretiens avec son avocat ; qu'en considérant que la mise à disposition obligatoire de l'interprète est limitée aux actes de procédure de non admission et qu'en dehors de cette hypothèse, le texte de l'article R. 221-3 ne prévoit pas l'obligation pour l'administration de mettre à disposition un interprète et de le rétribuer, la charge incombant dès lors à l'étranger, le délégué du premier président de la cour d'appel, qui a ainsi dénié tout droit à l'interprète à l'étranger durant ses entretiens avec un avocat, hors des actes de procédure de non admission, a violé les articles L. 221-4 et R. 221-3 du CESEDA.

3°/ qu'en tout état de cause, s'il était considéré que l'article R. 221-3 du CESEDA déniait tout droit à l'interprète du maintenu en zone d'attente, hors des actes de procédure de non admission, les droits de la défense impliquent nécessairement que le droit à l'assistance d'un avocat s'accompagne du droit à un interprète ; que dès lors, l'article précité, en ce qu'il méconnaît les droits de la défense, doit être écarté ; que dès lors en se fondant sur ce texte pour dénier tout droit à l'interprète des maintenus en zone d'attente, hors des actes de la procédure de non-admission, le délégué du premier président de la cour d'appel a violé l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

14.Selon l'article L. 221-4, alinéa 1, devenu L. 343-1, du CESEDA, l'étranger placé en zone d'attente est informé, dans les meilleurs délais, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète et communiquer avec un conseil.

15. Aux termes de l'article R. 221-3, devenu R. 434-1, du même code, l'administration met un interprète à la disposition des étrangers maintenus en zone d'attente qui ne comprennent pas le français, dans le seul cadre des procédures de non-admission dont ils font l'objet. Dans les autres cas, la rétribution du prestataire est à la charge de l'étranger.

16. Il résulte de ces textes, d'une part, que l'étranger placé en zone d'attente dispose d'un droit de communiquer avec un conseil et non d'un droit à l'assistance d'un avocat pendant son maintien en zone d'attente, d'autre part, que, l'administration n'étant tenue de mettre à disposition et de rétribuer l'interprète que pour les procédures de non-admission, il appartient à l'étranger qui souhaite bénéficier d'une prestation d'interprétariat, en particulier lors de la venue de son avocat, d'en faire la demande, l'autorité administrative devant alors prendre les dispositions nécessaires afin que l'avocat et l'interprète puissent être contactés par l'étranger et qu'ils soient en mesure d'accéder à la zone d'attente à tout moment.

17. Ayant retenu que l'administration avait respecté son obligation de mettre à disposition des interprètes pour les actes de procédure de non-admission, et énoncé à bon droit qu'une telle obligation ne lui incombait pas lorsque les avocats se présentaient en zone d'attente, le premier président, qui n'était pas saisi d'une contestation portant sur une impossibilité pour les interprètes d'accéder à la zone d'attente, a exactement retenu que le moyen tiré du défaut d'interprétariat lors des entretiens avec les avocats, venus communiquer avec les étrangers maintenus en zone d'attente, devait être rejeté.

18. Le moyen, inopérant en sa troisième branche, en ce qu'il se prévaut d'un droit à l'assistance d'un avocat en zone d'attente, non prévu par la loi, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Feydeau-Thieffry - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Articles L. 222-1, devenu L. 342-1, L. 221-4, alinéa 1, devenu L. 343-1 et R. 221-3, devenu R. 434-1, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

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