Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

ELECTIONS PROFESSIONNELLES

Soc., 2 février 2022, n° 20-60.262, (B), FRH

Annulation

Comité social et économique – Collèges électoraux – Répartition des sièges et des électeurs – Accord entre l'employeur et les organisations syndicales intéressées – Défaut – Saisine de l'autorité administrative – Effets – Suspension du processus électoral – Portée

Selon l'article L. 2314-6, alinéa 3, du code du travail, la saisine de l'autorité administrative, aux fins de fixer la répartition des sièges entre les différents établissements, suspend le processus électoral jusqu'à la décision administrative. Aux termes de l'article L. 2316-8 du même code, dernier alinéa, la décision administrative peut faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux. Il en résulte que la décision implicite de rejet d'une demande de procéder à la répartition des sièges entre les différents établissements au sein du comité social et économique central ne peut être retirée par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

Comité social et économique – Collèges électoraux – Répartition des sièges et des électeurs – Accord entre l'employeur et les organisations syndicales intéressées – Défaut – Décision de l'autorité administrative – Contestation – Modalités – Détermination – Portée

Comité social et économique – Collèges électoraux – Répartition des sièges et des électeurs – Accord entre l'employeur et les organisations syndicales intéressées – Défaut – Saisine de l'autorité administrative – Répartition des sièges du comité social et économique central – Répartition entre établissements – Décision implicite de rejet – Retrait – Directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) – Possibilité (non)

Faits et procédure

1. Selon les jugements attaqués (tribunal judiciaire de Nanterre, 17 juillet 2020, et tribunal judiciaire de Versailles, 25 août 2020), des négociations ont été engagées en 2019 pour la mise en place de comités sociaux et économiques au sein de l'unité économique et sociale (l'UES) constituée par les sociétés Altran technologies, Altran lab, Altran éducation services et Altran prototypes automobiles (les sociétés).

2. En l'absence d'accord conclu à la double majorité au sens de l'article L. 2314-6 du code du travail, les sociétés ont saisi le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France aux fins de fixer le nombre et la répartition entre établissements des sièges au comité social et économique central. Celui-ci n'a pas statué dans le délai de deux mois de la réception, le 23 septembre 2019, de cette demande.

3. Entre-temps, les négociations ayant repris, un accord sur le dialogue social et la mise en place du comité social et économique a été signé le 28 octobre 2019 par deux organisations syndicales majoritaires. Cet accord prévoit notamment la mise en place de six comités sociaux et économiques d'établissement (CSEE) et un comité social et économique (CSE) central ainsi que la composition de ce dernier, en répartissant le nombre de sièges entre les six établissements, soit cinq titulaires et cinq suppléants pour le CSEE d'Île-de-France.

4. Suite aux élections des membres des différents CSEE les 16 et 20 décembre 2019, le CSEE d'Île-de-France a élu le 20 février 2020 ses cinq représentants, titulaires et suppléants, au CSE central selon le nombre fixé par l'accord du 28 octobre 2019.

5. Le 28 février 2020, le DIRECCTE d'Île-de-France a retiré la décision implicite de rejet du 23 novembre 2019 et a fixé la répartition des sièges par établissement au CSE central, en attribuant au CSEE d'Île-de-France deux sièges de titulaires et deux sièges de suppléants.

6. Le 4 mars 2020, les sociétés composant l'UES ont saisi le tribunal judiciaire de Versailles aux fins de contester cette élection par le CSEE d'Île-de-France de ses cinq représentants au CSE central. Lors des débats, M. [Z] a déclaré intervenir volontairement en qualité d'élu du CSEE.

Le tribunal judiciaire a statué par jugement du 25 août 2020.

7. Le 15 mai 2020, le syndicat CGT Fédération des bureaux d'études (le syndicat), le CSEE d'Ile-de-France, MM. [H], [W], [D], [L], [F] et [G] ont saisi le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de contester la décision du DIRECCTE d'Île-de-France du 28 février 2020, en demandant en dernier lieu d'annuler cette décision et de fixer le nombre et la répartition des sièges au CSE central dans les mêmes termes que l'accord du 28 octobre 2019.

Le tribunal judiciaire a statué par jugement du 17 juillet 2020.

Recevabilité des pourvois incidents formés par M. [Z], examinée d'office, après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile

8. En application de l'article 1014, alinéa 1, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces pourvois incidents qui sont irrecevables.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident formé par les sociétés à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 25 août 2020, qui est préalable,

Enoncé du moyen

9. Les sociétés composant l'UES font grief au jugement de rejeter la demande d'annulation de l'élection intervenue le 20 février 2020 au sein du CSEE d'Île-de-France des membres titulaires et suppléants au CSE central et de dire n'y avoir lieu à juger sans effet et inopposables aux sociétés les sections 1 et 2 du chapitre 1 partie VI de l'accord sur le dialogue social et la mise en place du CSE au sein de l'UES en date du 28 octobre 2019, alors :

« 1°/ que selon l'article R. 2316-1 du code du travail, dans sa version issue du décret n° 2019-1548 du 30 décembre 2019 en vigueur à la date des élections contestées, en l'absence de stipulation contraire d'un accord conclu avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives, chaque établissement peut être représenté au comité social et économique central soit par un seul délégué, titulaire ou suppléant, soit par un ou deux délégués titulaires et un ou deux délégués suppléants ; qu'en conséquence, un accord collectif qui n'a pas été conclu à l'unanimité ne peut servir de fondement à l'élection, par les membres d'un comité social et économique d'établissement, de plus de deux délégués au comité social et économique central ; qu'en l'espèce, il est constant que l'accord sur le dialogue social et la mise en place du CSE du 28 octobre 2019, qui attribue à l'établissement Île-de-France cinq délégués titulaires et cinq délégués suppléants au comité social et économique central, a été conclu par deux organisations syndicales représentatives et majoritaires, mais pas par l'ensemble des organisations syndicales représentatives ; qu'en refusant néanmoins de déclarer sans effet les dispositions de cet accord en ce qu'elles fixent à plus de deux les délégués titulaires de l'établissement Île-de-France au comité social et économique central et d'annuler en conséquence les élections des délégués de cet établissement organisées sur la base de cet accord, aux motifs tout aussi inopérants qu'erronés que « la remise en cause de cet accord ne peut se faire que par le biais d'une contestation de sa validité », que la validité de cet accord n'est pas contestée et que l'inopposabilité d'un acte ne peut être invoquée que par un tiers, le tribunal judiciaire a violé l'article R. 2316-1 du code du travail dans sa version applicable au litige ;

2°/ que selon l'article L. 2316-8 du code du travail, en l'absence d'accord conclu à la double majorité, la répartition des sièges au comité social et économique central entre les différents établissements doit être opérée par l'autorité administrative ; que, selon l'article L. 2343-3 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative peut retirer un acte réglementaire ou un décision non-réglementaire non créateur de droits, si cet acte est illégal, dans le délai de quatre mois suivant son édiction ; qu'en l'absence d'un accord conclu à la double majorité, est illégal le refus de l'administration de procéder, à la demande de l'employeur, à la répartition des sièges entre les établissements ; qu'en conséquence, faute de recours exercé contre cette décision implicite de refus, l'autorité administrative peut la retirer dans le délai de quatre mois et prendre une nouvelle décision fixant la répartition entre les établissements des sièges au comité social et économique central conformément aux dispositions légales en vigueur ; qu'en retenant que les élections des délégués du comité social et économique de l'établissement Île-de-France au comité social et économique central avaient pu se tenir conformément aux dispositions d'un accord collectif qui ne satisfaisait pas à la condition de double majorité, au motif qu'aucun recours n'avait été formé contre la décision implicite de refus de l'administration et que le processus électoral n'était donc plus suspendu, cependant que la répartition des sièges au comité central entre les établissements ne pouvait être opérée par un accord collectif conclu à la majorité simple, que l'autorité administrative était saisie d'une demande de retrait de sa décision implicite de rejet à la date des élections litigieuses et que le retrait de sa décision, intervenue dans le délai de contestation des élections, a privé cette décision de tout effet, y compris pour le passé, le tribunal judiciaire a violé les textes précités. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, ayant constaté que les sociétés avaient signé l'accord collectif du 28 octobre 2019 qui a, notamment, fixé le nombre de représentants du CSEE d'Île-de-France au CSE central, le tribunal en a déduit à bon droit que le moyen d'inopposabilité d'une partie de cet accord collectif invoqué par les sociétés au soutien de leur demande d'annulation des élections des représentants du CSEE d'Île-de-France au CSE central n'était pas recevable.

11. En second lieu, selon l'article L. 2314-6, alinéa 3, du code du travail, la saisine de l'autorité administrative, aux fins de fixer la répartition des sièges entre les différents établissements, suspend le processus électoral jusqu'à la décision administrative.

Aux termes de l'article L. 2316-8 du même code, dernier alinéa, la décision administrative peut faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux. Il en résulte que la décision implicite de rejet d'une demande de procéder à la répartition des sièges entre les différents établissements au sein du comité social et économique central ne peut être retirée.

12. Ayant d'une part relevé l'absence de tout recours formé à l'encontre de la décision de rejet implicite du 23 novembre 2019, ce dont il a exactement déduit que le processus électoral n'était plus suspendu à la décision du DIRECCTE, d'autre part constaté qu'il n'était pas saisi du recours formé contre la décision prise le 28 février 2020 par le DIRECCTE de retirer sa décision de rejet implicite, le tribunal, qui a rejeté la demande en annulation des élections des membres du CSEE d'Île-de-France au CSE central, a légalement justifié sa décision.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

14. Le syndicat, le CSEE d'Île-de-France et MM. [H], [W], [D], [L], [F] et [G] font grief aux jugements attaqués, pour l'un de refuser d'annuler la décision du DIRECCTE du 28 février 2020 et d'ordonner l'élection des représentants du CSEE d'Île-de-France au CSE central conformément à cette décision et pour l'autre de rejeter la demande d'annulation de l'élection intervenue le 20 février 2020 au sein du CSEE d'Île-de-France au CSE central conformément à l'accord sur le dialogue social et la mise en place du CSE en date du 28 octobre 2019, alors « que lorsque deux décisions, même non rendues en dernier ressort et dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont inconciliables, elles peuvent être frappées de pourvoi, la Cour de cassation si la contrariété est constatée, annulant l'une des décisions ou, s'il y a lieu, les deux ; que le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 17 juillet 2020 a rejeté la demande du syndicat CGT Fédération des bureaux d'études, du CESE Altran IDF et de 5 salariés tendant à l'annulation de la décision du DIRECCTE du 28 février 2020 et ordonné l'élection des représentants du CESE Altran IDF au CCSE conformément à cette décision ; que le jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 25 août 2020 a rejeté la demande d'annulation, par les sociétés composant l'UES Altran, de l'élection intervenue le 20 février 2020 au sein du CESE Altran IDF au CCSE conformément à l'accord sur le dialogue social et la mise en place du CSE en date du 28 octobre 2019 ; que la décision du DIRECCTE prévoyant que le CESE Altran IDF désignerait au CCSE deux titulaires et deux suppléants, tandis que l'accord du 28 octobre 2019 prévoit que cet établissement désignerait cinq titulaires et cinq suppléants, les jugements attaqués sont inconciliables dans leur exécution et le premier doit être annulé en application de l'article 618 du code procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 618 du code de procédure civile :

15. Statuant par jugement du 17 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a rejeté la demande en annulation de la décision du 28 février 2020 du DIRECCTE d'Île-de-France, fixant à deux le nombre de représentants du CSEE d'Île-de-France au CSE central, et a ordonné au CSEE d'Île-de-France de se conformer à la décision du DIRECCTE et de désigner au CSE central deux membres titulaires et deux membres suppléants.

16. Statuant par jugement du 25 août 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a rejeté la demande en annulation de l'élection intervenue le 20 février 2020 au sein du CSEE d'Île-de-France des cinq membres titulaires et suppléants au CSE central et dit n'y avoir lieu à juger sans effet et inopposables aux sociétés les sections 1 et 2 du chapitre 1 partie VI de l'accord sur le dialogue social et la mise en place du CSE au sein de l'UES relatives au nombre par établissements de représentants au CSE central.

17. Dès lors que, de leur rapprochement, il résulte tout à la fois que le CSEE d'Île-de-France est représenté au CSE central de l'UES par cinq titulaires et cinq suppléants et par deux titulaires et deux suppléants, ces décisions, dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont inconciliables.

18. Dès lors que la décision du tribunal judiciaire de Versailles du 25 août 2020 est conforme à la doctrine de la Cour de cassation, il convient d'annuler la décision du tribunal judiciaire de Nanterre du 17 juillet 2020.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLES les pourvois incidents formés par M. [Z] ;

REJETTE le pourvoi incident formé par les sociétés Altran technologies, Altran lab, Altran éducation services et Altran prototypes automobiles ;

ANNULE le jugement rendu le 17 juillet 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Nanterre.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 2314-6, alinéa 3, et L. 2316-8, dernier alinéa, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le cas d'un recours devant le tribunal judiciaire d'une décision de retrait, fixant en se substituant à la décision initiale, la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux : Soc., 22 janvier 2020, pourvoi n° 19-12.896, Bull., (rejet).

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