Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Soc., 16 février 2022, n° 19-17.871, (B), FS

Cassation partielle

Article 10 – Liberté d'expression – Exercice – Abus – Caractérisation – Nécessité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2019), M. [M] a été engagé à compter du 1er octobre 2008 en qualité de directeur fiscal par la société Newedge Group (la société Newedge). Son contrat était soumis à la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000.

Le 1er mars 2012, il a été promu au grade de « senior director », puis, le 5 mars 2014, à celui de « managing director ».

2. A l'occasion du rachat par la Société générale, détentrice de 50 % des parts de la société Newedge, des parts restantes, un contrat de cession de parts a été conclu en décembre 2013 et des discussions ont été entreprises pour préparer l'absorption de la société Newedge par la Société générale.

3. Par lettre du 31 juillet 2014, la société Newedge a notifié au salarié son licenciement pour insuffisance professionnelle.

4. Arguant de ce que son licenciement serait, en réalité, la conséquence d'une alerte qu'il avait lancée le 17 juin 2014, le salarié a, le 9 octobre 2014, saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir, à titre principal, le prononcé de la nullité de son licenciement, à titre subsidiaire, la reconnaissance de ce qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et paiement de diverses sommes de nature salariale ou indemnitaire.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi incident de l'employeur, le premier moyen, pris en sa seconde branche, et les quatrième et cinquième moyens du pourvoi principal du salarié, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi incident qui n'est pas recevable ni sur les autres griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et d'une indemnité pour travail dissimulé, alors « que l'employeur est tenu d'organiser avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait jours, un entretien annuel portant sur la charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié ; que pour rejeter les demandes du salarié, l'arrêt retient que les dispositions de l'accord de branche garantissent le contrôle par l'employeur de la surcharge de travail et des moyens d'y remédier, que chaque entretien annuel réserve une partie tant à l'amplitude de travail qu'à la charge de travail et qu'il est établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié a pu y exprimer ses besoins lorsqu'il en avait, et que des solutions ont été recherchées et trouvées ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié avaient été évoquées au cours de ces entretiens, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 3121-46 du code du travail dans sa rédaction applicable. »

Réponse de la Cour

7. Ayant relevé que chaque entretien annuel réservait une partie tant à l'amplitude du travail qu'à la charge de travail et qu'il était suffisamment établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié avait pu y exprimer ses besoins, qu'il avait été écouté, et que des solutions avaient été recherchées et trouvées, la cour d'appel a fait ressortir que l'employeur avait veillé à la surcharge de travail, y avait remédié et qu'était assuré le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail.

8. Elle a ainsi pu retenir, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que les garanties mises en place par l'accord avaient été effectives et en a justement déduit que le salarié serait débouté de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à faire déclarer son licenciement nul et de ses demandes subséquentes, alors « que le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié à qui il était seulement reproché d'avoir usé, sans abus de sa part, de sa liberté d'expression, est entaché de nullité ; qu'en rejetant la demande de nullité du licenciement et en concluant à une simple absence de cause réelle et sérieuse, après avoir constaté qu'il n'était pas établi que le salarié ait exprimé son désaccord dans des termes outranciers ou injurieux et ait ainsi abusé de sa liberté d'expression, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. La Société générale conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'un licenciement ne pouvant être à la fois nul et sans cause réelle et sérieuse, le salarié, qui n'a pas remis en cause les chefs de dispositif de l'arrêt ayant jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloué des dommages-intérêts à ce titre, est irrecevable à critiquer le chef de dispositif rejetant sa demande tendant à faire juger son licenciement nul.

12. Cependant, il ressort des conclusions du salarié que celui-ci avait formé, à titre principal, la demande tendant à faire déclarer son licenciement nul et, à titre subsidiaire, celle tendant à le faire reconnaître sans cause réelle et sérieuse.

La cour d'appel a rejeté la demande principale et accueilli la demande subsidiaire.

13. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

14. Il résulte de ces textes que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

15. Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul.

16. Pour débouter le salarié de sa demande en nullité de son licenciement, l'arrêt, après avoir relevé que l'expression par le salarié de son désaccord sur les modalités d'intégration de Newedge au sein de la Société générale et notamment sur le transfert des comptes de compensation de [Localité 3] à [Localité 2] était au coeur des reproches faits par l'employeur et constaté qu'aucun des éléments versés aux débats ne démontrait que le salarié se fût exprimé sur ce désaccord dans des termes outranciers ou injurieux, retient que l'intéressé n'a pas abusé de sa liberté d'expression et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

17. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les propos litigieux sur lesquels était fondé le licenciement ne caractérisaient pas un abus par le salarié de sa liberté d'expression, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire la nullité du licenciement, a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche, et le sixième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, réunis

Enoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure et de sa demande tendant à faire ordonner la publication de la décision, alors :

« 1°/ que lorsque le licenciement irrégulier est, au surplus, déclaré nul, l'irrégularité de procédure doit être réparée par le juge, soit par une indemnité distincte, soit par une somme comprise dans l'évaluation globale du préjudice résultant de la nullité du licenciement ; que partant, la cassation à intervenir sur le deuxième moyen relatif à la nullité du licenciement entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ici querellé, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ayant débouté le salarié de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

19. La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif relatifs à l'indemnité pour non-respect de la procédure et à la publication de la décision, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le septième moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident se rapportant à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul et de toutes ses demandes subséquentes à cette nullité, dit que le licenciement de M. [M] est sans cause réelle et sérieuse, condamne la Société générale à payer à M. [M] les sommes de 250 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, déboute M. [M] de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure et de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, l'arrêt rendu le 16 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Rémery et Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail ; article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la nullité du licenciement en cas d'atteinte à une liberté fondamentale, et notamment à la liberté d'expression du salarié : Soc., 27 mars 2013, pourvoi n° 11-19.734, Bull. 2013, V, n° 95 (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 23 septembre 2015, pourvoi n° 14-14.021, Bull. 2015, V, n° 177 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-10.057, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

Com., 16 février 2022, n° 20-13.542, (B), FS

Rejet

Article 10 – Liberté d'expression – Limites – Dépassement – Appréciation – Proportionnalité – Analyse concrète

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 décembre 2019), la Société protectrice des animaux (la SPA), association reconnue d'utilité publique, dont l'objet social est la protection des animaux, a lancé une campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans le cadre de l'abattage, de l'expérimentation animale et de la corrida.

2. L'association La Manif pour tous (l'association LMPT), qui a pour objet la coordination d'actions de promotion du mariage homme-femme, de la famille, de la parenté et de l'adoption, a diffusé sur son site internet des « visuels » reprenant les codes et certains éléments de cette campagne, pour dénoncer la procréation médicalement assistée (PMA) sans père et la gestation pour autrui (GPA).

3. La Fondation [4], qui agit au profit des personnes atteintes de maladies génétiques, a également repris des éléments de cette campagne nationale sur son site internet, pour dénoncer l'avortement « tardif » et l'euthanasie.

4. A la demande de la SPA, un juge des référés a, notamment, interdit sous astreinte aux deux défenderesses de poursuivre l'utilisation des visuels litigieux, leur a ordonné la publication d'un communiqué sur leurs sites internet respectifs et a accordé à la SPA à titre de provision la somme de un euro de dommages-intérêts.

5. Considérant que ces faits étaient constitutifs de parasitisme, la SPA a assigné l'association LMPT et la Fondation [4] sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, aux fins d'indemnisation du préjudice en résultant.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et cinquième branches ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. L'association LMPT fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SPA la somme de 15 000 euros en réparation de préjudices subis du fait d'actes de parasitisme et de dire que la Fondation [4] y était tenue à hauteur de 5 000 euros, alors « que le parasitisme consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'un autre pour tirer indûment un profit économique de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'une campagne à des fins politiques n'a pas pour finalité de tirer un profit économique d'une notoriété acquise ou des investissements ; qu'il est constant que la campagne engagée par la SPA n'a pour finalité que d'attirer l'attention du public et des politiques sur la nécessité de mettre fin à certaines pratiques nuisibles pour les animaux et n'a pas de finalités économiques ; que la parodie des affiches par les associations LMPT et [4] avait pour finalité d'accentuer ce trait, par un humour caustique, en montrant la nécessité que l'enfant soit protégé de la même façon, sans aucune finalité économique ; qu'en retenant l'existence d'un parasitisme sans caractériser aucune finalité économique de la part de l'une (la SPA) ou de l'autre (la LMPT) de ces associations, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. L'action en parasitisme, fondée sur l'article 1382, devenu 1240, du code civil, qui implique l'existence d'une faute commise par une personne au préjudice d'une autre, peut être mise en oeuvre quels que soient le statut juridique ou l'activité des parties, dès lors que l'auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements.

9. L'arrêt constate d'abord que la SPA, dont la notoriété est établie auprès du public français qui la place en troisième position des associations caritatives les plus connues, justifie d'investissements publicitaires pour une opération de communication dénonçant la maltraitance animale, qui a été relayée dans des médias nationaux, et ensuite que l'association LMPT et la Fondation [4] ont détourné ses affiches, sur leurs sites internet respectifs, pour traiter des causes qui leurs sont propres, quelques jours seulement après le lancement de la campagne nationale de la SPA.

10. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a établi l'utilisation, par l'association LMPT et la Fondation [4], des outils de communication conçus et financés par la SPA, a pu en déduire, peu important la finalité de leurs campagnes respectives, qu'elles avaient commis des actes de parasitisme.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

12. L'association LMPT fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'utilisation de la marque, des concepts ou des idées d'autrui est permise à des fins polémiques ou humoristiques, sauf abus ; qu'en particulier, les buts de santé publique ou de protection de l'environnement sont considérés comme justifiant même des dénigrements de produits ou services, à plus forte raison s'il s'y ajoute une pointe d'humour ; qu'en l'espèce, en l'absence même de tout dénigrement du bien-fondé de la poursuite de la santé animale, la reprise humoristique d'une campagne d'information en vue de la protection de la santé humaine relève de la liberté d'expression et ne pouvait être qualifiée de fautive sans que soit caractérisé l'abus ; qu'en considérant que le parasitisme était constitué, nonobstant la liberté d'expression, du seul fait que la « campagne » menée par LMPT aurait « brouillé » celle de la SPA, sans que soit caractérisée ni volonté de nuire, ni aucun abus dans la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ensemble l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

13. Après avoir exactement énoncé que la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peut faire l'objet de restrictions prévues par la loi, qui doivent constituer des mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour atteindre des buts légitimes et notamment la protection des droits d'autrui, l'arrêt constate que le message de la SPA était destiné à sensibiliser le public au problème de la maltraitance animale et que l'association LMPT et la Fondation [4] ont détourné cette campagne d'affichage au profit de leurs propres causes, notamment l'opposition à la PMA sans père et la GPA, faisant ainsi ressortir que ces campagnes participaient à des débats intéressant le grand public et portaient sur des questions d'intérêt général.

14. L'arrêt relève ensuite que l'association LMPT affirmait que ce qui touche la personne humaine est plus grave et plus important que la maltraitance animale. Il considère que du fait du détournement volontaire de la campagne de la SPA par l'association LMPT au profit de ses propres causes, la campagne de la SPA a perdu en clarté et en efficacité, a été en partie brouillée en ce qu'elle s'est trouvée associée à des organisations et à des causes qui lui sont étrangères voire antagonistes, et qu'elle a été aussi affaiblie en ce que sa cause est présentée comme moins importante.

15. L'arrêt retient en outre, par motifs adoptés, que les thèmes de l'association LMPT, tels que « enfermée pour enfanter », « l'exploitation des femmes », « arrachée à sa mère dès la naissance », ne sont pas employés dans les « visuels » litigieux dans le but de provoquer le rire ou de manière humoristique.

16. De cette analyse concrète de l'ensemble des faits de l'espèce, la cour d'appel, qui n'avait pas à établir l'existence d'une intention de nuire, a pu déduire que l'ingérence causée à l'association LMPT et à la Fondation [4] par leur condamnation au paiement de dommages-intérêts, à raison de leur comportement fautif, constituait une mesure proportionnée au but légitime de la protection des droits de la SPA.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bessaud - Avocat général : Mme Beaudonnet - Avocat(s) : SARL Corlay ; SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur les limites de la liberté d'expression en matière de concurrence déloyale ou illicite, à rapprocher : 2e Civ., 19 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.489, Bull. 2006, II, n° 282 (cassation).

1re Civ., 16 février 2022, n° 21-10.211, (B), FS

Rejet

Article 6 – Présomption d'innocence – Atteinte – Cas – Affirmation publique et prématurée de culpabilité – Exclusion – Absence de procédure pénale en cours

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [T] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [V] et la société Editrice de Mediapart.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 octobre 2020), rendu en référé, le 26 novembre 2018, M. [T] a été placé en garde à vue à la suite d'une plainte pour des faits de viol qui auraient été commis en 2011.

Le 11 mars 2019, cette plainte a fait l'objet d'un classement sans suite au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée.

3. Le 25 juin 2019, M. [H] dit [S] a mis en ligne sur son blog [05], ainsi que sur son compte facebook, un article intitulé « #Metoo, le théâtre français aussi », dans lequel il évoque des agressions sexuelles de la part d'un tiers et de M. [T] sur plusieurs femmes et met en exergue, notamment, la plainte classée sans suite déposée contre ce dernier.

4. Le 23 juillet 2019, M. [T], estimant que cet article avait porté atteinte à sa présomption d'innocence, a assigné M. [S], M. [V] en qualité de directeur de publication et la société Editrice de Mediapart sur le fondement des articles 809 du code de procédure civile, 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9-1 du code civil, 6-I-2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et de l'article préliminaire du code de procédure pénale, afin d'obtenir la suppression de l'article en cause, la publication d'un communiqué sur le blog et le compte facebook de M. [S] et la condamnation solidaire de celui-ci, de M. [V] et de la société Editrice de Mediapart à lui payer une indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de son préjudice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. [T] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé, alors :

« 1°/ que l'atteinte à la présomption d'innocence consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne ayant fait l'objet d'une enquête de police ; qu'en retenant que « la protection de la présomption d'innocence [était] [...] limitée à la durée de l'enquête ou de l'instruction judiciaire », quand elle bénéficie aussi, jusqu'à ce qu'une éventuelle décision de condamnation devienne définitive, à celui qui a été placé en garde à vue dans le cadre d'une enquête préliminaire, la cour d'appel a violé les articles 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9-1 du code civil et préliminaire du code de procédure pénale ;

2°/ que, en retenant, pour le débouter de ses demandes, que « M. [T] ne faisa[it] l'objet d'aucune poursuite pénale du fait du classement sans suite de la plainte déposée à son encontre », après avoir elle-même relevé que ce classement sans suite ne constituait qu'un « abandon provisoire des poursuites » et quand le droit au respect de la présomption d'innocence n'est pas subordonné à l'existence de poursuites actuelles, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les articles 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9-1 du code civil et préliminaire du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en toute hypothèse la présomption d'innocence exige de tenir compte, après l'abandon de poursuites pénales, du fait que l'intéressé n'a pas été condamné ; qu'en déboutant M. [T] de ses demandes, quand elle relevait elle-même qu'il avait bénéficié d'un « classement sans suite de la plainte déposée à son encontre », en sorte qu'il ne pouvait être publiquement présenté comme coupable des faits dénoncés dans la plainte, la cour d'appel a violé les articles 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9-1 du code civil et préliminaire du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 9-1 du code civil et de l'article préliminaire, III, alinéa 1, du code de procédure pénale que le droit au respect de la présomption d'innocence est celui de ne pas être présenté publiquement comme coupable d'une infraction, tant qu'une procédure pénale est en cours.

7. En l'absence d'une telle procédure, les propos imputant à autrui une infraction sont susceptibles de caractériser une diffamation.

8. Après avoir constaté que, lors de la parution de l'article litigieux, M. [T] ne faisait l'objet d'aucune poursuite pénale, dès lors que la plainte déposée à son encontre avait été classée sans suite, la cour d'appel a, à bon droit, écarté l'application des dispositions protégeant la présomption d'innocence et déduit qu'il n'y avait pas lieu à référé.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Article 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9-1 du code civil ; article préliminaire, III, alinéa 1, du code de procédure pénale.

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