Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 16 février 2022, n° 20-14.969, n° 20-14.970, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement économique – Licenciement collectif – Entreprise en difficulté – Redressement et liquidation judiciaires – Plan de sauvegarde de l'emploi – Annulation de la décision de validation ou d'homologation du plan – Effets – Octroi d'une indemnité au titre de l'article L. 1233-58, II, du code du travail – Cumul avec l'indemnité de licenciement – Exclusion – Détermination – Portée

L'indemnité prévue par l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 1er juillet 2013 au 1er juillet 2014, qui répare le préjudice résultant pour le salarié du caractère illicite de son licenciement, ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l'emploi.

Après avoir dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement des salariés, une cour d'appel rejette à bon droit leur demande en paiement d'une indemnité à ce titre, aux motifs qu'ils ne peuvent être indemnisés une seconde fois, le préjudice résultant du caractère illicite de leur licenciement étant déjà réparé par l'indemnité qu'elle leur avait allouée en application de l'article L. 1233-58, II, précité, à la suite de l'annulation de la décision d'homologation du document unilatéral de plan de sauvegarde de l'emploi.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-14.969 et 20-14.970 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Lyon, 5 février 2020), par jugement du 26 novembre 2013, le tribunal de commerce a ouvert à l'encontre de la société Mory Ducros une procédure de redressement judiciaire, et désigné MM. [XZ] et [EW] en qualité d'administrateurs judiciaires et M. [HH] en qualité de mandataire liquidateur.

Par jugement du 6 février 2014, ce tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros, avec poursuite de son activité pendant trois mois, et arrêté le plan de cession de cette société au profit de la société Arcole industries, la société Mory Global créée à cet effet procédant à la reprise des contrats de travail de deux mille vingt-neuf salariés et à la création de quarante-huit postes.

3. Le 3 mars 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a homologué le document unilatéral élaboré par les administrateurs judiciaires et fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Mory Ducros.

4. Les licenciements ont été notifiés aux salariés à compter du 13 mars 2014 et jusqu'au 15 janvier 2015. M. [P] et d'autres salariés ont saisi la juridiction prud'homale.

5. Par jugement du 7 juillet 2014, le tribunal administratif a annulé la décision d'homologation de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (la Direccte). Ce jugement a été confirmé par arrêt du 22 octobre 2014 de la cour administrative d'appel, au motif que le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements devait être apprécié au niveau de l'entreprise et non de chaque agence. Cet arrêt est devenu définitif par suite de l'arrêt du Conseil d'État du 7 décembre 2015 ayant rejeté le pourvoi formé à son encontre.

6. Par jugement du 10 février 2015, le tribunal de commerce a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société Mory Global, puis, par jugement du 31 mars 2015, il a prononcé la liquidation judiciaire de ladite société, la SCP Moyrand Bally et M. [IP] étant désignés en qualité de mandataires liquidateurs.

Examen des moyens

Sur les quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième moyens, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les premier et troisième moyens, réunis

Enoncé du moyen

8. Les salariés font grief aux arrêts de rejeter leurs demandes en fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros d'une créance de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement des articles L. 1233-4 et L. 1235-3 du code du travail, alors « que l'indemnité prévue par l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail - qui indemnise l'irrégularité du licenciement, donc le préjudice né de l'annulation de la décision ayant procédé à la validation ou à l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi - ne répare pas le préjudice subi par le salarié en raison de la perte injustifiée de l'emploi, qui est, quant à lui, réparé par l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail ; qu'il s'ensuit qu'en l'absence de disposition contraire, ces deux indemnités, qui réparent deux chefs de préjudices distincts et chacun intrinsèquement indemnisable, sont cumulables ; qu'après avoir rappelé que : ‘‘la décision d'homologation du document unilatéral prise par la Direccte ayant été annulée par arrêt de la cour administrative d'appel devenu irrévocable, le licenciement des salariés est irrégulier et donc sans cause réelle et sérieuse'' et que ‘‘les salariés invoquent par ailleurs les dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige et soutiennent que l'employeur n'a pas respecté son obligation de recherche de reclassement'', la cour d'appel a estimé que ‘‘leur préjudice résultant du licenciement étant déjà réparé par l'indemnité allouée en application de l'article L. 1233-58, II, du code du travail, les salariés ne peuvent cependant être indemnisés une seconde fois, de sorte qu'ils doivent être déboutés de leur demande en paiement de dommages et intérêts supplémentaires'' ; qu'en statuant ainsi, cependant que le préjudice subi par les salariés en raison de la perte injustifiée de leur emploi n'était pas réparé par l'indemnité prévue par l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail et que cette allocation était - en l'absence de disposition contraire - cumulable avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, la cour d'appel a violé ce texte et l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, en leur rédaction applicable au litige. »

9. Les salariés font encore grief aux arrêts de rejeter leur demande subsidiaire fondée sur la non-application des critères d'ordre, alors :

« 1°/ que l'indemnité prévue par l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail - qui indemnise l'irrégularité du licenciement, donc le préjudice né de l'annulation de la décision ayant procédé à la validation ou à l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi - ne répare pas le préjudice subi par le salarié en raison de la perte injustifiée de l'emploi, qui est, lui, indemnisé par l'allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 1233-5 du code du travail à raison de la méconnaissance des critères d'ordre des licenciements ; qu'il s'ensuit qu'en l'absence de disposition contraire, ces deux indemnités, qui réparent deux chefs de préjudices distincts et indemnisables, sont cumulables ; qu'en jugeant dès lors que ‘‘le licenciement est déclaré irrégulier et donc sans cause réelle et sérieuse en raison de l'annulation de la décision d'homologation, si bien que le préjudice lié à la perte de l'emploi a déjà été indemnisé de ce chef et que les salariés ne peuvent prétendre à des dommages-intérêts supplémentaires, au motif du non-respect du périmètre d'application des critères d'ordre'', cependant que le préjudice subi par les salariés en raison de la perte injustifiée de leur emploi n'était pas réparé par l'indemnité prévue par l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail et que cette allocation était - en l'absence de disposition contraire - cumulable avec des dommages-intérêts pour non-respect des critères d'ordre des licenciements sur le fondement de l'article L. 1233-5 du code du travail, la cour d'appel a violé ces deux textes, en leur rédaction applicable au litige.

2°/ que c'est seulement lorsque le juge a alloué au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse une indemnité à ce titre qu'il lui est fait interdiction d'octroyer à celui-ci des dommages-intérêts pour inobservation de l'ordre des licenciements ; qu'en statuant comme elle l'a fait, cependant qu'elle rejetait les demandes des salariés exposants en fixation d'une créance de dommages-intérêts sur la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros au motif d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement des articles L. 1233-4 et L. 1235-3 du code du travail, ce dont il résultait que le préjudice subi par les salariés à raison de la perte injustifiée de leur emploi n'avait pas fait l'objet d'une indemnisation, la cour d'appel a violé ce dernier texte et l'article L. 1233-5 du même code, en leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, selon l'alinéa 5 de l'article L. 1233-58, II, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 1er juillet 2013 au 1er juillet 2014, en cas de licenciements intervenus en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation ou en cas d'annulation d'une décision ayant procédé à la validation de l'accord collectif ou à l'homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

11. Cette indemnité est due quel que soit le motif d'annulation de la décision administrative ayant procédé à la validation de l'accord collectif ou à l'homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi établi dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, laquelle ne prive pas les licenciements économiques intervenus à la suite de cette décision de cause réelle et sérieuse.

12. Cette indemnité, qui répare le préjudice résultant pour les salariés du caractère illicite de leur licenciement, ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l'emploi.

13. En second lieu, l'inobservation des règles de l'ordre des licenciements, qui n'a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, constitue une illégalité qui entraîne pour le salarié un préjudice, pouvant aller jusqu'à la perte de son emploi, sans cumul possible avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou avec l'indemnité prévue par l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail.

14. La cour d'appel, qui a constaté que la décision d'homologation du document unilatéral prise par la Direccte avait été annulée par arrêt de la cour administrative d'appel devenu irrévocable, a retenu à bon droit que le préjudice résultant pour les salariés du caractère illicite de leur licenciement était déjà réparé par l'indemnité allouée en application de l'article L. 1233-58, II, et qu'ils ne pouvaient dès lors être indemnisés une seconde fois, de sorte qu'ils devaient être déboutés de leurs demandes en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts supplémentaires pour non-respect du périmètre d'application des critères d'ordre.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. Les salariés font grief aux arrêts de limiter leur créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros au titre de l'annulation de l'homologation administrative du plan de sauvegarde de l'emploi aux sommes énoncées au dispositif du jugement entrepris, et de les débouter du surplus de leurs demandes, alors « qu'en cas de licenciements intervenus en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation ou en cas d'annulation d'une décision ayant procédé à la validation ou à l'homologation, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; que, si l'article L. 1233-58, II, du code du travail fixe ainsi un seuil minimal d'indemnisation, les juges du fond n'en doivent pas moins réparer l'entier préjudice subi par le salarié résultant de l'annulation de l'homologation administrative du plan de sauvegarde de l'emploi, en tenant compte de la situation personnelle du salarié (âge, ancienneté, situation de famille ?) ; qu'en allouant dès lors à tous les salariés exposants une indemnité forfaitaire correspondant aux salaires des six derniers mois, la cour d'appel - qui n'a pas apprécié l'étendue du préjudice subi par chacun des salariés à l'aune de leur situation personnelle et professionnelle particulière, ainsi qu'en considération de leur ancienneté et de leur capacité à retrouver un emploi - a procédé à une évaluation forfaitaire des préjudices, en violation du texte susvisé en sa rédaction applicable litige, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-58, II, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 1er juillet 2013 au 1er juillet 2014 :

17. Il résulte de ce texte que la perte injustifiée de son emploi par le salarié licencié en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation, ou en cas d'annulation d'une décision ayant procédé à la validation de l'accord collectif ou à l'homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, lui cause un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue.

18. Pour limiter aux sommes énoncées dans le dispositif des jugements la créance des salariés au passif de la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros, la cour d'appel a retenu que le conseil de prud'hommes a fait une exacte appréciation du montant de l'indemnité allouée pour chacun des salariés en application dudit article L. 1233-58, II, du code du travail, en la fixant au salaire des six derniers mois.

19. En statuant ainsi, sans apprécier l'étendue du préjudice subi par chacun des salariés au vu de leur situation personnelle et professionnelle particulière respective, la cour d'appel, qui a procédé à une évaluation forfaitaire des préjudices, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation du chef de dispositif confirmant les jugements en ce qu'ils fixent à six mois de salaire la créance des salariés au passif de la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros à titre de dommages-intérêts en application de l'article L. 1233-58, II, du code du travail n'emporte pas cassation du chef de dispositif confirmant les jugements en ce qu'ils disent le licenciement des salariés pour motif économique dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils fixent la créance des salariés au passif de la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros à différentes sommes à titre de dommages-intérêts au titre de l'annulation de l'homologation administrative du plan de sauvegarde de l'emploi, les arrêts rendus le 5 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prache - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller -

Textes visés :

Article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 1er juillet 2013 au 1er juillet 2014.

Rapprochement(s) :

Sur le non-cumul d'indemnités réparant un préjudice identique lié à la perte injustifiée de l'emploi, en cas d'annulation de la décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) d'une entreprise in bonis, à rapprocher : Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-21.140, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 16 février 2022, n° 19-21.140, n° 19-21.141, n° 19-21.142, n° 19-21.143, n° 19-21.144, n° 19-21.145, n° 19-21.146, n° 19-21.147, n° 19-21.149, n° 19-21.150 et suivants, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Annulation de la décision de validation ou d'homologation du plan – Effets – Indemnités – Cumul avec d'autres indemnités – Exclusion – Cas – Réparation du préjudice lié à la perte injustifiée de l'emploi – Portée

L'indemnité prévue par l'article L. 1235-16 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, qui répare le préjudice résultant pour le salarié du caractère illicite de son licenciement, ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l'emploi.

Doit en conséquence être censurée la cour d'appel qui condamne l'employeur à payer aux salariés une indemnité sur le fondement de l'article L. 1235-16 du code du travail, à la suite de l'annulation de la décision d'homologation du document unilatéral de plan de sauvegarde de l'emploi, alors qu'elle avait jugé que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse et avait alloué aux intéressés une indemnité à ce titre.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-21.140 à 19-21.147, 19-21.149, 19-21.150 et 19-21.152 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société Kantar TNS-MB, anciennement dénommée Taylor Nelson Sofres, du désistement de ses pourvois en ce qu'ils sont dirigés contre Pôle emploi.

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 19 juin 2019), M. [I] et dix autres salariés de la société TNS Sofres, désormais dénommée Kantar TNS-MB, initialement engagés par plusieurs contrats à durée déterminée d'usage en qualité d'enquêteurs vacataires ont conclu à des dates différentes, un contrat de chargé d'enquête intermittent à garantie annuelle dit CEIGA.

4. La convention collective applicable est la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.

5. Dans le courant de l'année 2013, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale afin que les contrats à durée déterminée d'usage soient requalifiés en contrat à durée indéterminée et que leur soient allouées diverses sommes à titre d'indemnité de requalification et de rappel de salaire.

6. Les salariés ont tous été licenciés pour motif économique par lettres des 2 et 27 janvier 2014.

7. Le document unilatéral établi par l'employeur fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, transmis le 6 novembre 2013, a été homologué par décision de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (la Direccte) d'Ile-de-France le 27 novembre 2013. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif le 22 avril 2014 en raison d'un défaut de motivation de la décision d'homologation, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel le 16 septembre 2014.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et sixième branches, ci-après annexé

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait grief aux arrêts de requalifier les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et de le condamner à verser aux salariés certaines sommes à titre de rappel de salaire outre congés payés afférents, alors :

« 1°/ qu'en cas de requalification de plusieurs contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, il appartient au salarié qui sollicite le paiement d'un rappel de salaire au titre des périodes non-travaillées entre deux contrats de démontrer qu'il devait rester à la disposition permanente de l'employeur pendant ces périodes ; que les seules conditions générales d'emploi d'un salarié qui a travaillé dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée pour le même employeur ne peuvent établir sa disponibilité permanente à l'égard de cet employeur au cours des périodes non-travaillées ; que les juges doivent apprécier in concreto en fonction des éléments lui permettant d'apprécier la situation individuelle du salarié pendant les périodes non-travaillées, s'il était ou non tenu de rester disponible ; qu'en se fondant sur les seules mentions du guide de l'enquêteur, qui décrivent les conditions et délais d'attribution des missions aux enquêteurs en fonction des disponibilités que les salariés ont eux-mêmes préalablement déclarées, pour accorder aux salariés un rappel de salaire, la cour d'appel, qui n'a pas fait ressortir que chaque salarié était effectivement tenu de de rester disponible, a privé sa décision de base légale au regard les articles L. 1245-1 et L. 1245-2 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1315 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que la contradiction de motifs équivaut à l'absence de motifs ; que la cour d'appel a constaté que les horaires des études réalisées auprès des professionnels étaient du lundi au vendredi de 9h30 à 17h, et ceux des études réalisées auprès des particuliers étaient de 17h à 21h en semaine et de 9h30 à 13h le samedi ; qu'en affirmant néanmoins, pour dire que les salariés qui ne travaillaient qu'en fonction des disponibilités qu'ils avaient eux-mêmes déclarées étaient tenus de rester à la disposition de la société Taylor Nelson Sofres pendant les périodes interstitielles, que les horaires fixés avaient un caractère aléatoire, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en cas de requalification de plusieurs contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, il appartient au salarié qui sollicite le paiement d'un rappel de salaire au titre des périodes non-travaillées entre deux contrats de démontrer qu'il sont restés à la disposition permanente de l'employeur pendant ces périodes ; qu'en relevant encore, pour admettre que les salariés pouvaient prétendre au paiement d'un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées entre deux contrats, qu'ils n'ont pas notifié leur indisponibilité, en dehors de quelques jours de vacances, cependant que cette faculté de notifier leur indisponibilité, fût-ce pour prendre des vacances, démontrait qu'ils n'étaient pas tenus de rester à la disposition permanente de l'exposante, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et violé articles L. 1245-1 et L. 1245-2 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1315 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

10. Le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur et de la portée des éléments produits dont ils ont pu, sans statuer par motifs contradictoires et analysant les conditions propres de travail de chaque salarié, déduire qu'ils rapportaient la preuve de s'être tenus à la disposition de l'employeur pendant les périodes interstitielles.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser à chaque salarié des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'une certaine somme au titre de l'article L. 1235-16 du code du travail, alors « qu'un salarié ne peut obtenir deux fois la réparation d'un même préjudice ; que l'indemnité minimale de six mois de salaires prévue par l'article L. 1235-16 du code du travail, en cas d'annulation de la décision d'homologation ou de validation du plan de sauvegarde de l'emploi pour un motif autre que l'absence ou l'insuffisance du plan, a pour objet d'assurer au salarié licencié une indemnisation minimale de la perte injustifiée de son emploi ; qu'en conséquence, cette indemnité, qui a le même objet que l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne peut se cumuler avec cette dernière ; qu'en condamnant néanmoins la société Taylor Nelson Sofres à payer à chaque salarié une indemnité de six mois de salaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l'existence d'une menace sur la compétitivité n'était pas établie, et une indemnité sur le fondement de l'article L. 1235-16 du code du travail en raison de l'annulation de la décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3 et L. 1235-16 du code du travail, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

13. Les salariés contestent la recevabilité du moyen en soutenant qu'il est nouveau.

14. Cependant, le moyen est de pur droit.

15. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l'article L. 1235-16 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :

16. Aux termes du premier de ces textes, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9.

17. Selon le second, l'annulation de la décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 1235-10 donne lieu, sous réserve de l'accord des parties, à la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9.

18. Il en résulte que l'indemnité prévue par l'article L. 1235-16 du code du travail, qui répare le préjudice résultant pour le salarié du caractère illicite de son licenciement, ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l'emploi.

19. Pour condamner l'employeur au paiement de sommes au titre de l'article L. 1235-16 du code du travail, les arrêts, après avoir rappelé les dispositions légales dans leur version applicable au litige, retiennent que dès lors que l'article L. 1235-16 vise expressément l'hypothèse dans laquelle la décision d'homologation est annulée pour une raison autre que l'absence ou l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi, peu important que l'article soit intégré dans une sous-section « sanction des irrégularités », les salariés sont bien fondés à en demander l'application.

20. Les arrêts ajoutent que par arrêt du 16 septembre 2014, la cour administrative d'appel a confirmé l'annulation de la décision de la Direccte du 27 novembre 2013 ayant homologué le plan de sauvegarde de l'emploi, en se fondant sur l'absence de motivation de cette décision, ce dont ils déduisent qu'il convient de faire droit à la demande des salariés limitée au montant des six derniers mois de salaire.

21. En statuant ainsi, alors qu'elle avait jugé que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse et avait alloué une indemnité à ce titre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à verser à chaque salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une certaine somme sur le fondement de l'article L. 1235-16 du code du travail n'emporte pas cassation des chefs de dispositif des arrêts condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Taylor Nelson Sofres à verser à chaque salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une somme sur le fondement de l'article L. 1235-16 du code du travail, les arrêts rendus le 19 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prache - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Articles L. 1235-3, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et L. 1235-16, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le principe de non-cumul d'indemnités réparant des préjudices identiques, liés à la perte injustifiée de l'emploi, à rapprocher : Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 18-23.535, Bull., (rejet).

Soc., 16 février 2022, n° 19-17.871, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Nullité – Cas – Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale – Applications diverses – Dénonciation de faits dont le salarié a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2019), M. [M] a été engagé à compter du 1er octobre 2008 en qualité de directeur fiscal par la société Newedge Group (la société Newedge). Son contrat était soumis à la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000.

Le 1er mars 2012, il a été promu au grade de « senior director », puis, le 5 mars 2014, à celui de « managing director ».

2. A l'occasion du rachat par la Société générale, détentrice de 50 % des parts de la société Newedge, des parts restantes, un contrat de cession de parts a été conclu en décembre 2013 et des discussions ont été entreprises pour préparer l'absorption de la société Newedge par la Société générale.

3. Par lettre du 31 juillet 2014, la société Newedge a notifié au salarié son licenciement pour insuffisance professionnelle.

4. Arguant de ce que son licenciement serait, en réalité, la conséquence d'une alerte qu'il avait lancée le 17 juin 2014, le salarié a, le 9 octobre 2014, saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir, à titre principal, le prononcé de la nullité de son licenciement, à titre subsidiaire, la reconnaissance de ce qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et paiement de diverses sommes de nature salariale ou indemnitaire.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi incident de l'employeur, le premier moyen, pris en sa seconde branche, et les quatrième et cinquième moyens du pourvoi principal du salarié, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi incident qui n'est pas recevable ni sur les autres griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et d'une indemnité pour travail dissimulé, alors « que l'employeur est tenu d'organiser avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait jours, un entretien annuel portant sur la charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié ; que pour rejeter les demandes du salarié, l'arrêt retient que les dispositions de l'accord de branche garantissent le contrôle par l'employeur de la surcharge de travail et des moyens d'y remédier, que chaque entretien annuel réserve une partie tant à l'amplitude de travail qu'à la charge de travail et qu'il est établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié a pu y exprimer ses besoins lorsqu'il en avait, et que des solutions ont été recherchées et trouvées ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié avaient été évoquées au cours de ces entretiens, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 3121-46 du code du travail dans sa rédaction applicable. »

Réponse de la Cour

7. Ayant relevé que chaque entretien annuel réservait une partie tant à l'amplitude du travail qu'à la charge de travail et qu'il était suffisamment établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié avait pu y exprimer ses besoins, qu'il avait été écouté, et que des solutions avaient été recherchées et trouvées, la cour d'appel a fait ressortir que l'employeur avait veillé à la surcharge de travail, y avait remédié et qu'était assuré le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail.

8. Elle a ainsi pu retenir, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que les garanties mises en place par l'accord avaient été effectives et en a justement déduit que le salarié serait débouté de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à faire déclarer son licenciement nul et de ses demandes subséquentes, alors « que le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié à qui il était seulement reproché d'avoir usé, sans abus de sa part, de sa liberté d'expression, est entaché de nullité ; qu'en rejetant la demande de nullité du licenciement et en concluant à une simple absence de cause réelle et sérieuse, après avoir constaté qu'il n'était pas établi que le salarié ait exprimé son désaccord dans des termes outranciers ou injurieux et ait ainsi abusé de sa liberté d'expression, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. La Société générale conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'un licenciement ne pouvant être à la fois nul et sans cause réelle et sérieuse, le salarié, qui n'a pas remis en cause les chefs de dispositif de l'arrêt ayant jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloué des dommages-intérêts à ce titre, est irrecevable à critiquer le chef de dispositif rejetant sa demande tendant à faire juger son licenciement nul.

12. Cependant, il ressort des conclusions du salarié que celui-ci avait formé, à titre principal, la demande tendant à faire déclarer son licenciement nul et, à titre subsidiaire, celle tendant à le faire reconnaître sans cause réelle et sérieuse.

La cour d'appel a rejeté la demande principale et accueilli la demande subsidiaire.

13. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

14. Il résulte de ces textes que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

15. Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul.

16. Pour débouter le salarié de sa demande en nullité de son licenciement, l'arrêt, après avoir relevé que l'expression par le salarié de son désaccord sur les modalités d'intégration de Newedge au sein de la Société générale et notamment sur le transfert des comptes de compensation de [Localité 3] à [Localité 2] était au coeur des reproches faits par l'employeur et constaté qu'aucun des éléments versés aux débats ne démontrait que le salarié se fût exprimé sur ce désaccord dans des termes outranciers ou injurieux, retient que l'intéressé n'a pas abusé de sa liberté d'expression et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

17. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les propos litigieux sur lesquels était fondé le licenciement ne caractérisaient pas un abus par le salarié de sa liberté d'expression, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire la nullité du licenciement, a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche, et le sixième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, réunis

Enoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure et de sa demande tendant à faire ordonner la publication de la décision, alors :

« 1°/ que lorsque le licenciement irrégulier est, au surplus, déclaré nul, l'irrégularité de procédure doit être réparée par le juge, soit par une indemnité distincte, soit par une somme comprise dans l'évaluation globale du préjudice résultant de la nullité du licenciement ; que partant, la cassation à intervenir sur le deuxième moyen relatif à la nullité du licenciement entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ici querellé, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ayant débouté le salarié de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

19. La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif relatifs à l'indemnité pour non-respect de la procédure et à la publication de la décision, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le septième moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident se rapportant à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul et de toutes ses demandes subséquentes à cette nullité, dit que le licenciement de M. [M] est sans cause réelle et sérieuse, condamne la Société générale à payer à M. [M] les sommes de 250 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, déboute M. [M] de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure et de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, l'arrêt rendu le 16 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Rémery et Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail ; article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la nullité du licenciement en cas d'atteinte à une liberté fondamentale, et notamment à la liberté d'expression du salarié : Soc., 27 mars 2013, pourvoi n° 11-19.734, Bull. 2013, V, n° 95 (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 23 septembre 2015, pourvoi n° 14-14.021, Bull. 2015, V, n° 177 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-10.057, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 16 février 2022, n° 20-16.171, (B), FRH

Cassation partielle

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Domaine d'application – Salarié dont le mandat est venu à expiration – Licenciement pour des faits commis pendant la période de protection – Autorisation administrative – Nécessité – Exclusion – Cas – Persistance du comportement fautif du salarié – Comportement fautif après l'expiration de la période de protection – Office du juge – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 11 février 2020), engagé le 1er mars 1989 par la société Clear Channel France en qualité d'attaché technico-commercial, M. [R] occupait en dernier lieu les fonctions de responsable clientèle master. Du 19 mars au 18 septembre 2015, le salarié a bénéficié d'une période de protection attachée à sa candidature aux élections professionnelles. Il a été désigné en qualité de représentant syndical au comité de groupe le 28 octobre 2015.

2. Convoqué par lettre du 19 puis du 21 octobre 2015 à un entretien préalable fixé au 4 novembre 2015, le salarié et a été licencié pour faute le 23 novembre suivant.

Le 29 janvier 2016, il a saisi la juridiction prud'homale en contestation de son licenciement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3.L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que les faits reprochés au salarié ont été commis pour partie pendant la période de protection, de déclarer nul le licenciement pour défaut d'autorisation de l'inspecteur du travail, d'ordonner la réintégration du salarié, de le condamner à payer à celui-ci certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour violation de son statut protecteur, d'indemnité correspondant aux salaires que l'intéressé aurait perçus entre le 24 février 2016 et le 30 avril 2019 et d'indemnité mensuelle brute à compter de la signification de l'arrêt jusqu'à la réintégration, alors :

« 1°/ que si un salarié protégé ne peut être licencié au terme de son mandat en raison de faits commis pendant la période de protection, qui auraient dû être soumis à l'inspecteur du travail, il en va autrement lorsque le comportement fautif du salarié s'est renouvelé ou a persisté après l'expiration de la période de protection ; qu'en l'espèce, M. [R] dont la période de protection avait pris fin le 18 septembre 2015, soit plus d'un mois avant sa convocation à entretien préalable, avait été licencié en raison d'un « comportement irrespectueux et humiliant à l'encontre de votre collaboratrice et de vos collègues », un « comportement entraînant tensions et stress au sein de l'agence de [Localité 5] nuisant à l'accomplissement serein et efficace du fonctionnement du service » et une « persistance de comportements dégradants et irrespectueux malgré une mise à pied disciplinaire », ces faits s'étant notamment manifestés au retour de l'arrêt pour maladie de Mme [O], le 24 septembre 2015 ainsi qu'à plusieurs reprises « sur cette période », tout comme « le 1er octobre » [en réalité le 8 octobre], et continument après le « 2 octobre 2015 » [lire le 9 octobre] vis-à-vis de Mme [Z] [P], la lettre de rupture visant encore un autre événement survenu le 8 octobre 2015 ; que pour juger que l'employeur aurait dû solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail, la cour d'appel a relevé que la lettre de licenciement évoquait, au titre de la persistance d'un comportement agressif, insultant et dénigrant, des faits datant de 2012 et 2013, les seconds ayant donné lieu à une mise à pied, et que ce manquement n'avait pas évolué depuis cette date, y compris pendant la période de protection dont bénéficiait le salarié ; qu'en statuant ainsi, lorsque la persistance de ces faits après l'expiration de la période de protection autorisait l'employeur à licencier le salarié, sans avoir à demander une autorisation de licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-8 et L. 2411-10 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 dudit code ;

2°/ que l'employeur n'est pas tenu de demander une autorisation de l'administration s'il n'a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié qu'après l'expiration de la période de protection ; qu'en l'espèce, la société Clear Channel France faisait valoir, preuves à l'appui, qu'elle n'avait pu avoir une connaissance exacte des agissements du salarié vis-à-vis de Mmes [P] et [O] qu'à l'occasion d'un déplacement du directeur des ressources humaines réalisé le 16 octobre 2015 et après les déclarations de main-courante effectuées par les intéressées le 13 octobre, soit après l'expiration de la période de protection dont bénéficiait le salarié survenue le 18 septembre 2015, ce qu'avait du reste admis le conseil de prud'hommes ; que pour juger que l'employeur aurait dû solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail, la cour d'appel s'est bornée à relever que Mme [P] rapportait, dans son attestation, des faits qu'elle datait elle-même de mi-septembre, et donc du 15 septembre, soit pendant la période de protection ainsi que des propos insultants que le salarié aurait tenus à son encontre au cours de « l'hiver dernier », là encore pendant la période de protection ; qu'en s'en tenant à la seule date réelle ou supposée de ces faits, sans constater que l'employeur avait pu avoir une connaissance exacte de leur réalité, de leur nature et de leur ampleur dès avant l'expiration de la période de protection, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2411-8 et L. 2411-10 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2411-10 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 :

4. Est irrégulier le licenciement du salarié au terme de la période de protection prononcé en raison de faits commis pendant cette période et qui auraient dû être soumis à l'inspecteur du travail. Toutefois, la persistance du comportement fautif du salarié après l'expiration de la période de protection peut justifier le prononcé d'un licenciement.

5. Pour juger qu'était nécessaire l'autorisation de licenciement du salarié convoqué à un entretien préalable plus d'un mois après l'expiration de la période de protection dont il disposait au titre de sa candidature aux élections professionnelles, annuler le licenciement et ordonner la réintégration, l'arrêt constate que la lettre de licenciement fait expressément référence à la persistance depuis l'expiration de la période de protection, malgré une sanction disciplinaire en 2013, d'un comportement agressif, insultant et dénigrant du salarié envers ses collaborateurs, soit un comportement qui n'a pas évolué et qui a depuis lors toujours été le même, y compris pendant la période de protection.

L'arrêt relève ensuite que certains des faits visés dans la lettre de licenciement et rapportés par une salariée dans une attestation, à savoir des critiques permanentes sur son physique et des propos insultants que le salarié avait notamment tenus devant elle au sujet de son assistante entrain de fumer une cigarette, étaient respectivement datés par cette salariée « depuis mi-septembre 2015 » ou de « l'hiver dernier », soit pendant la période de protection.

L'arrêt en déduit que les faits reprochés au salarié ont été commis pour partie pendant la période de protection, qu'il s'agisse du comportement insultant du salarié envers son assistante, des critiques envers le physique d'une autre salariée ou de la persistance d'un comportement agressif, en sorte que l'autorisation de l'inspecteur du travail était requise.

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme cela lui était demandé, d'une part si ce n'était pas postérieurement à l'expiration de la période de protection que l'employeur avait eu une exacte connaissance des faits reprochés au salarié commis durant cette période, et d'autre part si le comportement fautif reproché au salarié n'avait pas persisté après l'expiration de la période de protection, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cassation à intervenir de l'arrêt en ce qu'il a déclaré nul le licenciement du salarié pour défaut d'autorisation de l'inspecteur du travail (premier moyen) s'étendra au chef de dispositif ayant condamné la société Clear Channel France à allouer au salarié des sommes au titre de la violation de son statut protecteur et d'autres jusqu'à sa réintégration, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

7. La cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif critiqués par le deuxième moyen relatifs aux condamnations de l'employeur à payer au salarié des sommes au titre de la violation de son statut protecteur, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au syndicat CGT FILPAC de la Moselle la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts outre les dépens tant d'appel que de première instance, alors « que la cassation à intervenir de l'arrêt sur le premier moyen s'étendra au chef de dispositif ayant condamné la société Clear Channel France à payer, au syndicat CGT FILPAC de la Moselle, la somme de 1 euro au titre de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

9. La cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif critiqué par le troisième moyen relatif aux dommages-intérêts octroyés au syndicat CGT FILPAC, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Et sur le troisième moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs, alors « que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que satisfait à cette exigence le salarié qui produit au soutien de sa demande le décompte hebdomadaire de ses heures de travail ; qu'en retenant que les éléments produits par le salarié n'étaient pas de nature à étayer sa demande au titre des heures supplémentaires et repos compensateurs quand il résultait de ses constatations qu'était versé aux débats un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires que le salarié prétendait avoir effectuées entre janvier 2014 et octobre 2015, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

11. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

12. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

13. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

14. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs, l'arrêt constate que le salarié produit un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires qu'il dit avoir effectuées et verse aux débats des courriels attestant de l'amplitude de sa journée de travail et de l'obligation qui lui est faite de travailler jusqu'à 21 heures en moyenne. Il relève que, cependant, ces courriels en date du 14 octobre 2012 à 20h25 et du 18 février 2013 à 20h11 ne font pas preuve, en l'absence de réponse du salarié, que celui-ci les ait lus à l'heure de leur envoi et que le salarié ne produit qu'un courriel envoyé un samedi à 22h10 ne prouvant ni l'amplitude de sa journée de travail, ni les heures supplémentaires effectuées.

L'arrêt en déduit que les éléments produits par le salarié ne sont pas de nature à étayer ses prétentions.

15. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur les premier et deuxième moyens du pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la convention de forfait jours inopposable à M. [R], l'arrêt rendu le 11 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 2411-10 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur l'irrégularité du licenciement du salarié protégé prononcé postérieurement à l'échéance de cette protection pour des faits commis pendant celle-ci, à rapprocher : Soc., 30 janvier 2013, pourvoi n° 11-13.286, Bull. 2013, V, n° 25 (cassation partielle), et les arrêts cités.

Soc., 16 février 2022, n° 20-16.184, (B), FS

Cassation partielle

Résiliation judiciaire – Action intentée par le salarié – Résiliation prononcée aux torts de l'employeur – Effets – Effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse – Versement des indemnités – Etendue – Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – Montant – Détermination – Portée

Lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié aux torts de l'employeur et que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dispositions issues de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relatives au montant de l'indemnité due à ce titre sont applicables dès lors que la résiliation judiciaire prend effet à une date postérieure à celle de la publication de l'ordonnance.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix en Provence, 17 janvier 2020), M. [O] a été engagé comme salarié par la société Industrie concept étude réalisation en 1994.

En 2014, le contrat de travail a été transféré à la société SNEF (la société).

Le salarié a été élu membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société le 18 septembre 2014, pour une durée de deux ans.

2. Le 26 avril 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, en invoquant des modifications de son contrat de travail, un harcèlement moral et une discrimination syndicale.

3. Par arrêt du 17 janvier 2020, la cour d'appel a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société, au jour du licenciement du salarié pour inaptitude, soit le 14 février 2018.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié diverses sommes au titre des salaires de la période de protection et des congés payés afférents à cette période, à titre d'indemnité pour la perte de participation patronale sur la mutuelle complémentaire, à titre d'indemnité au titre de la perte de l'indemnité de panier, au titre de la perte de pension de retraite ETAM/IACtrA et au titre de la perte de pension de retraite complémentaire, alors « que l'indemnité pour violation du statut protecteur n'est pas due lorsque la période de protection du salarié a expiré au jour du prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail ; qu'en jugeant qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes le 26 avril 2016, le salarié avait droit à une « indemnité au titre de la période de protection », égale à la rémunération pour la période allant du 26 avril 2016 au 18 mars 2017, soit 59.414,47 euros, outre les congés payés y afférents, après avoir pourtant constaté que la période de protection du salarié, élu membre du CHSCT, s'achevait le 18 mars 2017 et que la demande de résiliation judiciaire devait être prononcée au jour du licenciement, soit le 14 février 2018, ce dont il résultait qu'au jour du prononcé de la résiliation judiciaire, le salarié n'était plus salarié protégé et ne pouvait donc prétendre au versement d'une quelconque indemnité pour violation du statut protecteur ou au titre « des salaires de la période de protection », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ainsi que les articles L. 4613-1 et L. 2411-13 du code du travail dans leurs rédactions alors applicables. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2411-13 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 et l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

6. Il résulte de l'application de ces textes que le salarié protégé dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie n'a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, qu'au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de sa demande en résiliation.

7. Pour condamner l'employeur à verser au salarié des dommages-intérêts pour violation du statut protecteur, l'arrêt retient que le salarié a droit à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de la demande de résiliation judiciaire, soit du 26 avril 2016, date de la saisine du conseil de prud'hommes, au 18 mars 2017, date de la fin de son statut protecteur.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la période de protection en cours au moment de la demande était expirée lorsqu'elle a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, en sorte que le salarié ne pouvait prétendre à l'allocation d'une indemnité pour violation du statut protecteur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié la somme de 105 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'aux termes de l'article L. 1235-3-2 du code du travail, « Lorsque la rupture du contrat de travail est prononcée par le juge aux torts de l'employeur ou fait suite à une demande du salarié dans le cadre de la procédure mentionnée à l'article L. 1451-1, le montant de l'indemnité octroyée est déterminé selon les règles fixées à l'article L. 1235-3, sauf lorsque cette rupture produit les effets d'un licenciement nul afférent aux cas mentionnés au 1° à 6° de l'article L. 1235-3-1, pour lesquels il est fait application du premier alinéa du même article L. 1235-3-1 » ; qu'il en résulte que lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge doit appliquer le barème fixé par l'article L. 1235-3, qui prévoit que pour une ancienneté de 22 ans, l'indemnité minimale en mois de salaire brut est de 3 mois de salaires bruts et au maximum de 16,5 mois de salaires bruts ; qu'en condamnant la SNEF à payer à M. [O] la somme de 105.000 euros (soit 19 mois de salaire) nets à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, après avoir estimé qu'il y avait lieu de faire droit à sa demande de résiliation judicaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur prononcée au jour du licenciement, soit le 14 février 2018 et affirmé que l'indemnité minimale pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour un salarié de 22 ans d'ancienneté, ne pouvait être inférieure à six mois de salaire, quand en application du barème, la somme maximum à laquelle pouvait prétendre le salarié ayant 22 ans d'ancienneté était de 16,5 mois de salaires bruts, soit la somme de 91.327,50 euros maximum, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3-2 et L. 1235-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1235-3 et L. 1235-3-2 du code du travail, et l'article 40-1 de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

10. Selon le premier des textes susvisés, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, à défaut de réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau annexé à cet article.

11. Il résulte du second de ces textes que lorsque la rupture du contrat de travail est prononcée par le juge aux torts de l'employeur ou fait suite à une demande du salarié dans le cadre de la procédure mentionnée à l'article L. 1451-1, le montant de l'indemnité octroyée est déterminé selon les règles fixées à l'article L. 1235-3, sauf lorsque cette rupture produit les effets d'un licenciement nul.

12. Aux termes de l'article 40-1 de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 les dispositions ci-dessus sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de l'ordonnance.

13. Il s'en déduit que lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié aux torts de l'employeur et que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dispositions issues de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relatives au montant de l'indemnité due à ce titre sont applicables dès lors que la résiliation judiciaire prend effet à une date postérieure à celle de la publication de l'ordonnance.

14. En l'espèce la cour d'appel, après avoir fixé le salaire moyen du salarié à la somme de 5 535,51 euros bruts, lui a alloué une somme de 105 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

15. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de déterminer le montant de l'indemnité par application des règles fixées à l'article L. 1235-3 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société SNEF à verser à M. [O] une indemnité au titre des salaires de la période de protection d'un montant de 59 414,47 euros, une indemnité de congés payés afférents à cette période de 5 941,40 euros, une indemnité au titre de la perte de participation patronale sur la mutuelle complémentaire de 841,70 euros nets, une indemnité au titre de la perte de panier de 343,46 euros, une indemnité au titre de la perte de pension retraite ETAM de 1 726,99 euros nets, une indemnité au titre de la perte de pension de retraite complémentaire de 7 591,26 euros nets et une somme de 105 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 17 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Huglo - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1235-3 et L. 1235-3-2 du code du travail ; article 40-1 de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur la date d'effet de la résiliation judiciaire, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-10.346, Bull. 2017, V, n° 154 (2) (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.