Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

CAUTIONNEMENT

1re Civ., 2 février 2022, n° 20-22.938, (B), FS

Rejet

Conditions de validité – Acte de cautionnement – Proportionnalité de l'engagement (article L. 341-4 du code de la consommation) – Critère d'appréciation – Biens et revenus à considérer – Cas – Epoux cautions soumis au régime de la communauté légale – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 23 octobre 2020), le 6 mai 2008, la Société générale (la banque) a consenti à la société [K] finance (la société) un prêt de 300 000 euros.

Le 26 avril 2008, par actes séparés, M. et Mme [K] (les cautions), mariés sous le régime de la communauté légale, se sont portés chacun caution solidaire des engagements de la société à l'égard de la banque, à concurrence respectivement de 273 000 euros et 117 000 euros.

2. Le 12 février 2014, à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société, convertie en liquidation judiciaire, la banque a assigné les cautions en paiement. Celles-ci lui ont opposé la disproportion de leur engagement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle ne peut se prévaloir des cautionnements conclus le 26 avril 2008 et de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que lorsque des époux communs en biens se sont portés cautions solidaires d'une même dette à hauteur de montants différents, la disproportion manifeste de leurs cautionnements s'apprécie au regard du montant de l'engagement le plus élevé des deux, et non pas au regard du montant cumulé des deux engagements ; que, le 26 avril 2008, M. et Mme [K], mariés sous le régime légal, se sont portés cautions d'une même dette à hauteur de montants différents, à savoir à hauteur de 117 000 euros pour Mme [K] et de 273 000 euros pour M. [K], avec solidarité à hauteur de l'engagement de Mme [K] ; qu'en appréciant la disproportion manifeste des cautionnements de M. et Mme [K] (au jour de leur conclusion et au jour où ils ont été appelés) au regard du montant cumulé des deux engagements, soit 390 000 euros, au lieu du montant de l'engagement le plus élevé des deux, soit 273 000 euros, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;

2°/ que lorsque des époux communs en biens se sont portés cautions solidaires d'une même dette à hauteur de montants différents, la disproportion manifeste de leurs cautionnements s'apprécie séparément pour chaque époux ; que la cour d'appel a jugé que les cautionnements de M. et Mme [K] étaient manifestement disproportionnés au jour de leur conclusion en comparant l'actif net de M. et Mme [K], composé de biens, revenus et charges communs et s'élevant à cette date à 207 319,07 euros, au montant cumulé de leurs engagements, soit 390 000 euros, quand elle aurait dû apprécier la disproportion manifeste du cautionnement de Mme [K] (au jour de sa conclusion) au regard du seul montant de l'engagement de celle-ci, soit 117 000 euros ; que, partant, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;

3°/ que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution commune en biens s'apprécie, à l'actif, par rapport à ses biens et revenus propres et aux biens communs, incluant les revenus de son conjoint, et, au passif, par rapport à ses charges propres et aux charges de la communauté ; que, partant, ne doivent pas être prises en compte les charges propres de son conjoint ; qu'en appréciant la disproportion manifeste du cautionnement de Mme [K] (au jour où il a été appelé) au regard du montant cumulé de son engagement et de celui de son époux, au lieu du seul montant de l'engagement de Mme [K], et en prenant en considération des charges propres de son mari – notamment la somme qu'il a été condamné à verser à la Société générale en exécution du cautionnement qu'il a souscrit le 17 mars 2009 –, au lieu des seules charges de la communauté et des charges propres de Mme [K], la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel a, d'abord, retenu à bon droit que la disproportion des engagements de cautions mariées sous le régime légal doit s'apprécier au regard de l'ensemble de leurs biens et revenus propres et communs.

5. C'est, ensuite, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et au vu des revenus des cautions, de leurs charges et de leur patrimoine qu'elle a estimé que les cautionnements souscrits étaient manifestement disproportionnés et que la banque ne rapportait pas la preuve qu'à la date où elles avaient été appelées en paiement, leur patrimoine leur permettait de faire face à leurs obligations.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 27 mai 2003, pourvoi n° 00-14.302, Bull. 2003, I, n° 132 (rejet) ; Com., 22 février 2017, pourvoi n° 15-14.915, Bull. 2017, IV, n° 26 (rejet), et l'arrêt cité.

Com., 9 février 2022, n° 19-21.942, (B), FRH

Rejet

Sous-caution – Obligation – Naissance – Date – Détermination – Date à laquelle le débiteur principal a contracté les dettes

L'obligation de garantie de la caution, qui ne devient exigible que dans l'hypothèse où le débiteur principal ne remplit pas ses obligations envers son créancier, a pour objet de couvrir les dettes que le débiteur a contractées pendant la période de couverture de cet engagement. Elle prend donc naissance à la date à laquelle le débiteur principal contracte ces dettes. L'obligation de la sous-caution, qui a pour objet de garantir la caution non pas contre le risque auquel cette dernière est exposée de devoir payer le créancier à la place du débiteur principal défaillant mais contre celui de ne pas pouvoir obtenir du débiteur principal le remboursement des sommes qu'elle a payées pour son compte en exécution de son propre engagement, prend naissance à la même date et couvre l'intégralité de ces sommes, peu important la date de leur exigibilité et le fait que les paiements aient été effectués par la caution après l'expiration de la période de couverture de l'engagement de la sous-caution.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 21 mai 2019), M. [E] et M. [T] étaient les dirigeants d'un groupe de promotion immobilière dénommé Finaxiome, composé notamment de sociétés civiles de construction vente (les Sccv), dont les sociétés [O], [F], [R], [Y], [W], [C] et [H], destinées, chacune, à réaliser ou faire réaliser un ensemble immobilier.

2. Pour chacune des résidences à construire, la société Groupement français de caution (le GFC) a fourni une garantie d'achèvement, contre-garantie par les cautionnements de M. [E] et M. [T].

3. Les Sccv ayant été mises en liquidation judiciaire, tandis que la construction des immeubles n'était pas achevée, le GFC a payé les sommes nécessaires à leur achèvement, puis a assigné M. [E] et M. [T] en exécution de leurs engagements.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [E] et M. [T] font grief à l'arrêt de recevoir le GFC en ses demandes concernant les Sccv [Y], [R], [C], [H], [W], [F] et [O] et, en conséquence, de les condamner à lui payer diverses sommes, au titre de leurs engagements de caution de ces sociétés, alors :

« 1°/ que le cautionnement ne peut être entendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ; que la cour d'appel a constaté que par un acte du 11 mai 2010, MM. [T] et [E] s'étaient chacun, portés caution personnelle et solidaire, avec renonciation au bénéfice de discussion au profit du GFC, dans la limite de 100 000 euros, pour une durée expirant le 30 septembre 2012, s'engageant ainsi à rembourser les sommes dues si la Sccv [O] n'y satisfaisait pas ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger recevable le GFC en ses demandes à l'encontre des cautions, que la comparaison de la pièce n° 29 (tableau récapitulatif de ses dépenses) et de la pièce 11 (estimation des travaux d'achèvement de la Sccv avec les chèques et quittances subrogatives produits (pièce 31) établissait la réalité des paiements excédant le montant des cautionnements, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la circonstance que les paiements avaient tous été effectués postérieurement au 30 septembre 2012, n'établissait que la dette était née postérieurement à l'expiration de l'obligation de couverture et étant donc exclue de la garantie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 du même code, ensemble l'article 2292 du même code ;

2°/ que le cautionnement ne peut être étendu au-delà, des limites dans lesquelles il a été contracté ; que la cour d'appel a constaté que par un acte du 28 juin 2010, MM. [T] et [E] s'était, chacun, portés caution personnelle et solidaire, avec renonciation au bénéfice de discussion au profit du GFC, dans la limite de 100 000 euros, pour une durée expirant le 30 septembre 2012, s'engageant ainsi à rembourser les sommes dues si la Sccv [F] n'y satisfaisait pas ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger recevable le GFC en ses demandes à l'encontre des cautions, que la comparaison de la pièce n° 30 (tableau récapitulatif de ses dépenses) et de la pièce 12 (estimation des travaux d'achèvement de la Sccv avec les chèques et quittances subrogatives produits (pièce 32) établissait la réalité des paiements excédant le montant des cautionnements, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la circonstance que les paiements avaient tous été effectués postérieurement au 30 septembre 2012, n'établissait pas l'existence d'une dette née postérieurement à l'expiration de l'obligation de couverture et donc exclue de la garantie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 du même code, ensemble l'article 2292 du même code ;

3°/ que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'admission définitive d'une créance à la procédure collective d'un débiteur n'interdit pas à la caution solidaire d'opposer au créancier toutes les exceptions qui lui sont personnelles, dont celle tirées de ce que la créance n'était pas née durant la période de garantie ; que la cour d'appel a constaté que par un acte du 29 octobre 2010, MM. [E] et [T] s'étaient, chacun, portés caution personnelle et solidaire, avec renonciation au bénéfice de discussion au profit du GFC, dans la limite de 150 000 euros, pour une durée expirant le 31 décembre 2011, s'engageant ainsi à rembourser les sommes dues si la Sccv [R] n'y satisfaisait pas ; qu'en énonçant, pour dire que la créance du GFC était née pendant la durée des engagements de caution, que cette créance avait été admise pour un montant de 1 154 407,30 euros par un arrêt irrévocable du 23 mars 2017, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, la décision d'admission de la créance établissant le principe et le quantum de la créance du GFC vis-à-vis de la Sccv [R] mais étant inopérante à établir que cette dette était née avant le 31 décembre 2011, date de l'expiration de l'obligation de couverture ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, devenu 1103 du même code, ensemble l'article 2292 du même code ;

4°/ que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'admission définitive d'une créance à la procédure collective d'un débiteur n'interdit pas à la caution solidaire d'opposer au créancier toutes les exceptions qui lui sont personnelles, dont celle tirées de ce que la créance n'était pas née durant la période de garantie ; que la cour d'appel a constaté que par un acte du 29 octobre 2010, MM. [E] et [T] s'étaient, chacun, portés caution personnelle et solidaire, avec renonciation au bénéfice de discussion au profit du GFC, dans la limite de 150 000 euros, pour une durée expirant le 31 décembre 2011, s'engageant ainsi à rembourser les sommes dues si la Sccv [Y] n'y satisfaisait pas ; qu'en énonçant pour dire que la créance du GFC était née pendant la durée des engagements de caution, que cette créance avait été admise pour un montant de 1 711 606,30 euros par un arrêt irrévocable du 30 janvier 2014, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, la décision d'admission de la créance établissant le principe et le quantum de la créance du GFC vis-à-vis de la Sccv [Y] mais étant inopérante à établir que cette dette était née avant le 31 décembre 2011, date de l'expiration de l'obligation de couverture ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, devenu 1103 du même code, ensemble l'article 2292 du même code. »

Réponse de la Cour

6. L'obligation de garantie de la caution, qui ne devient exigible que dans l'hypothèse où le débiteur principal ne remplit pas ses obligations envers son créancier, a pour objet de couvrir les dettes que le débiteur a contractées pendant la période de couverture de cet engagement. Elle prend donc naissance à la date à laquelle le débiteur principal contracte ces dettes.

L'obligation de la sous-caution, qui a pour objet de garantir la caution non pas contre le risque auquel cette dernière est exposée de devoir payer le créancier à la place du débiteur principal défaillant mais contre celui de ne pas pouvoir obtenir du débiteur principal le remboursement des sommes qu'elle a payées pour son compte en exécution de son propre engagement, prend naissance à la même date et couvre l'intégralité de ces sommes, peu important la date de leur exigibilité et le fait que les paiements ont été effectués par la caution après l'expiration de la période de couverture de l'engagement de la sous-caution.

7. Ayant d'abord relevé que M. [E] et M. [T] s'étaient, chacun, rendu caution, pour une durée expirant le 30 septembre 2012, de la garantie d'achèvement délivrée par le GFC, respectivement à la Sccv [O] et à la Sccv [F], et que cette date constituait le terme de l'obligation de couverture, puisqu'il résultait de l'article 5.3 des conditions particulières du contrat, avec lesquelles les cautionnements faisaient corps, que les cautions s'engageaient à remplir l'obligation principale comme si elles étaient le débiteur principal, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par les première et deuxième branches que ses constatations rendaient inopérante dès lors que la date de naissance de l'obligation couverte par la garantie extrinsèque, cautionnée par M. [E] et M. [T], correspondait à celle des contrats de vente en l'état futur d'achèvement couverts par la garantie d'achèvement du GFC, dont il n'était pas contesté qu'ils étaient antérieurs au 30 septembre 2012, a légalement justifié sa décision en retenant que les dettes des sous-cautions étaient nées pendant la durée de leur engagement.

8. Après avoir ensuite relevé que M. [E] et M. [T] s'étaient, chacun, rendu caution, pour une durée expirant le 31 décembre 2011, terme de leur obligation de couverture, de la garantie d'achèvement délivrée par le GFC, respectivement à la Sccv [R] et à la Sccv [Y], et exactement énoncé que ce n'est pas la date à laquelle le paiement a été réclamé aux cautions qui doit être prise en compte pour dire si elles sont tenues ou pas, mais celle de la naissance de l'obligation garantie, l'arrêt retient que la créance du GFC a été admise par arrêt irrévocable à la liquidation judiciaire de la Sccv [R] et par ordonnance du juge-commissaire à celle de la Sccv [Y], et qu'au vu des motifs de ces décisions, il s'agit de sommes payées par le garant d'achèvement à la suite de la défaillance desdites Sccv, de sorte que ces créances ont pris naissance avant l'expiration des cautionnements, faisant ressortir que les sommes payées par le GFC concernaient des contrats de vente en l'état futur d'achèvement conclus avant le terme des sous-cautionnements litigieux.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Guérin (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 1134, devenu article 1103, et 2292 du code civil.

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