Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2022

ASSURANCE DOMMAGES

3e Civ., 16 février 2022, n° 20-22.618, (B), FS

Cassation partielle

Assurance dommages-ouvrage – Sinistre – Déclaration – Effets – Indemnisation – Emploi de l'indemnité à la réparation de l'ouvrage – Contestation par l'assureur de la définition des travaux – Délai – Expiration – Effet

Il résulte des articles L. 242-1, alinéa 4, du code des assurances et 1235, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que l'assureur dommages-ouvrage ne peut plus contester, après l'expiration du délai de quatre-vingt-dix jours courant à compter de la réception de la déclaration de sinistre, la définition des travaux propres à remédier aux dommages déclarés et dont il a offert l'indemnisation.

Il en résulte, encore, que l'assureur ne peut réclamer la restitution d'indemnités affectées par l'assuré à l'exécution des travaux qu'elles étaient destinées à financer.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 10 septembre 2020), la société Rive droite a fait construire des bâtiments à usage de bureaux.

2. Elle a souscrit deux polices d'assurance de dommages-ouvrage auprès de la société Allianz IARD (la société Allianz).

3. La réception est intervenue le 1er août 2013, avec des réserves concernant notamment l'état des cassettes de bardage recouvrant les façades.

4. Après la réception, la société Rive droite a déclaré un sinistre à la société Allianz concernant la chute de cassettes de bardage.

5. Au vu du rapport de l'expert qu'elle avait désigné, la société Allianz a proposé une indemnité de 366 999,75 euros à l'assuré, qui l'a acceptée.

6. La société Rive droite a alors fait procéder aux travaux de réparation.

7. Considérant que l'indemnité versée incluait indûment la réparation de dommages non déclarés et réservés à la réception, la société Allianz a réclamé à l'assuré, en vain, le remboursement de la somme de 192 275,03 euros, puis l'a assigné en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société Rive droite fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Allianz, alors « que l'assureur dommage ouvrage qui a accepté de prendre en charge un sinistre de nature décennale et s'est définitivement engagé à indemniser des désordres précis ne peut ultérieurement contester cette nature, ni demander restitution que des sommes qu'il a versées à l'assuré à ce titre, sauf si ce dernier n'a pas affecté la totalité des sommes à la réparation des désordres indemnisés ; qu'en se bornant à considérer que l'assureur pouvait solliciter, sur le fondement de la restitution de l'indu, le montant versé correspondant à des dommages n'ayant pas de nature décennale, sans rechercher si l'engagement d'indemnisation pris par l'assureur n'avait pas un caractère définitif tant sur le montant que sur le caractère décennal de sorte qu'il ne pouvait plus revenir dessus après expiration des délais ouverts pour présenter une offre d'indemnisation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-1 et L. 242-1 du code des assurances, ensemble l'article 1235 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 242-1, alinéa 4, du code des assurances et 1235, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. Selon le premier de ces textes, lorsqu'il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, l'assureur présente, dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d'indemnité, revêtant le cas échéant un caractère provisionnel et destinée au paiement des travaux de réparation des dommages.

En cas d'acceptation, par l'assuré, de l'offre qui lui a été faite, le règlement de l'indemnité par l'assureur intervient dans un délai de quinze jours.

10. Selon le second, tout paiement suppose une dette ; ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition.

11. Il résulte de ces dispositions que l'assureur ne peut plus contester, après l'expiration du délai de quatre-vingt-dix jours, la définition des travaux propres à remédier aux dommages déclarés et dont il a offert l'indemnisation.

12. Il en résulte, encore, que l'assureur ne peut réclamer la restitution d'indemnités affectées par l'assuré à l'exécution des travaux que cette indemnité était destinée à financer.

13. Pour condamner l'assuré à restituer à l'assureur une partie des indemnités convenues entre les parties, l'arrêt retient qu'il ne résulte pas des écritures de la société Allianz qu'elle entend revenir sur la reconnaissance du caractère généralisé du désordre ni sur la mobilisation de sa garantie, mais sur la nature des éléments devant donner lieu à indemnisation, et que l'indemnité due par l'assureur de dommages-ouvrage ne concerne que le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l'article 1792 du code civil, l'indemnité versée ne pouvant excéder le paiement des travaux ainsi définis, le surplus relevant d'un paiement indu.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si le délai de quatre-vingt-dix jours pour formuler une offre d'indemnisation n'était pas expiré ou sans constater que l'assuré n'avait pas employé l'indemnité versée à la réparation des désordres, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Rive droite à payer à la société Allianz IARD la somme de 192 274,93 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2017, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article L. 242-1, alinéa 4, du code des assurances ; article 1235, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

1re Civ., 2 février 2022, n° 20-10.855, (B), FS

Rejet

Recours contre le tiers responsable – Subrogation conventionnelle – Prescription – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 14 mai 2019), le 20 janvier 2011, la société SGB Finance (l'acquéreur) a acquis un navire de la société Turquoise yachting alliance yacht, devenue la société Alliance yacht (le vendeur). Ce navire a été donné en location, avec option d'achat, à M. [M] (le locataire), assuré auprès de la société Groupama transports, aux droits de laquelle se trouve la société Helvetia assurances (l'assureur).

Le 28 janvier 2011, le locataire a signé un procès-verbal de réception. A la suite de la destruction du navire par un incendie survenu le 29 octobre 2011, l'assureur a indemnisé le locataire et l'acquéreur, lequel en a donné quittance le 27 février 2012.

2. Le 19 avril 2013, l'assureur, invoquant un défaut de conformité, a assigné en résolution de la vente le vendeur, qui a opposé la prescription de l'action.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Il est statué sur ce moyen après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.

Enoncé du moyen

3. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action, alors « que la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir ; qu'à ce titre la prescription de l'action fondée sur la subrogation ne peut commencer à courir avant le paiement subrogatoire ; qu'en se bornant à retenir que l'action du subrogé est soumise à la prescription applicable à l'action directe de la victime pour retenir que le délai de prescription de l'action du subrogé devait être fixé au jour de la délivrance du navire, quand seul le paiement subrogatoire intervenu ultérieurement était de nature à faire courir le délai de prescription à l'égard de l'assureur subrogé, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil, ensemble l'article 1252 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 121-12 du code des assurances, dans les assurances de dommages, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

5. En vertu des règles générales qui gouvernent la subrogation, prévues par les articles 1250 et suivants du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicables à la cause, le débiteur, poursuivi par un créancier subrogé dans les droits de son créancier originaire, peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense que ceux dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire (1re Civ., 4 avril 1984, pourvoi n° 82-16.683, Bull. 1984, I, n° 131 ; 1re Civ., 18 octobre 2005, pourvoi n° 04-15.295, Bull. 2005, I, n° 375 ; Com., 11 décembre 2007, pourvoi n° 06-13.592, Bull. 2007, IV, n° 261). Il en résulte que celui qui est subrogé dans les droits de la victime d'un dommage ne dispose que des actions bénéficiant à celle-ci, de sorte que son action contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action directe de la victime (1re Civ., 4 février 2003, pourvoi n° 99-15.717, Bull. 2003, I, n° 30 ; 2e Civ., 15 mars 2007, pourvoi n° 06-11.509).

6. En application de ces principes, le point de départ de la prescription de l'action du subrogé est identique à celui de l'action du subrogeant (1re Civ., 4 février 2003, pourvoi n° 99-15.717, Bull. 2003, I, n° 30 ; 2e Civ., 17 janvier 2013, pourvoi n° 11-25.723, Bull. 2013, II, n° 8 ; 2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi n° 19-22.179 ; Com., 5 mai 2021, pourvoi n° 19-14.486, Bull., (cassation)).

7. Après avoir énoncé à bon droit que l'action de la personne subrogée dans les droits de la victime d'un dommage contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action de la victime et retenu qu'était applicable à l'action subrogatoire de l'assureur l'article L. 211-12 du code de la consommation, selon lequel l'action résultant du défaut de conformité se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien, la cour d'appel en a exactement déduit que le point de départ du délai de prescription devait être fixé à cette date.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. L'assureur fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'action résultant du défaut de conformité se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien ; que la délivrance suppose la remise de la chose et de ses accessoires ; que le certificat de francisation d'un navire en constitue l'accessoire ; qu'en décidant que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour du procès-verbal de réception quand il résultait de ses constatations qu'à cette date, le certificat du navire n'avait pas encore été établi, la cour d'appel a violé l'article L. 211-12 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause, ensemble les articles 1604 et 1615 du code civil ;

2°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitait l'assureur, si le procès verbal de livraison réception n'avait pas été signé dans le seul but de permettre que les fonds soit débloqués par l'acquéreur de sorte qu'il n'avait pas vocation à rapporter la preuve de l'exécution de l'obligation de délivrance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 211-12 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause, et des articles 1604 et 1615 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation que la cour d'appel a estimé que la délivrance était intervenue lorsque, dans le procès-verbal du 28 janvier 2011, le locataire, agissant en qualité de mandataire de l'acquéreur, avait attesté prendre livraison du navire, muni des pièces en permettant sa francisation et son immatriculation, le vendeur avait reconnu l'avoir livré et le locataire et le vendeur avaient demandé à l'acquéreur le paiement du prix, de sorte que l'action de l'assureur, engagée plus de deux ans après, le 28 avril 2013, était prescrite.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; Me Haas -

Textes visés :

Article 1250 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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