Numéro 2 - Février 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2021

VENTE

3e Civ., 11 février 2021, n° 20-11.037, (P)

Rejet

Résolution – Effets – Restitution des fruits – Restitution des fruits effectivement perçus – Conditions – Possesseur de bonne foi – Office du juge

Si la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente constitue une conséquence légale de l'anéantissement du contrat, le juge ne peut la prononcer d'office, dès lors qu'en application des dispositions des articles 549 et 550 du code civil, une telle restitution est subordonnée à la bonne foi du possesseur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 14 novembre 2019), par acte notarié du 3 juillet 2015, la société civile immobilère Carsen (la SCI) a vendu à Mme A... épouse V... un immeuble à usage d'habitation composé de deux appartements.

2. Invoquant l'absence de raccordement de l'un de ces appartements au réseau d'assainissement collectif et la présence d'étais de chantiers dans des cloisons, Mme A... a assigné la SCI en résolution de la vente pour vices cachés, paiement de frais et indemnisation de ses préjudices.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La SCI fait grief à l'arrêt de limiter à l'immeuble vendu la restitution consécutive à la résolution de la vente, alors « que la restitution des fruits tirés du bien vendu étant une conséquence légale de la résolution de la vente, le juge qui prononce cette résolution est tenu de condamner le vendeur à restituer à l'acquéreur, en même temps que l'immeuble, les fruits de ce dernier entre la date de conclusion de la vente et la date de résolution ; que pour refuser à la SCI Carsen la restitution par Mme A... des loyers et de l'avantage fiscal perçus avant le prononcé de la résolution, la cour d'appel s'est contentée de relever que la SCI Carsen n'avait formé dans le dispositif de ses conclusions aucune demande à ce titre ; qu'en statuant ainsi cependant qu'il lui appartenait de tirer les conséquences légales de la résolution qu'elle prononçait et donc d'ordonner d'office la restitution des fruits perçus par Mme A... entre la conclusion de la vente et sa résolution, la cour d'appel a violé l'article 1641du code civil, ensemble l'article 1644 du même code. »

Réponse de la Cour

4. Si la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente constitue une conséquence légale de l'anéantissement du contrat, le juge ne peut la prononcer d'office, dès lors qu'en application des dispositions des articles 549 et 550 du code civil,,une telle restitution est subordonnée à la bonne foi du possesseur.

5. La cour d'appel a relevé que la SCI, qui soutenait que Mme A... ne pouvait à la fois solliciter la résolution de la vente avec les conséquences de droit en termes de restitutions et conserver les loyers perçus et l'avantage fiscal, ne formait cependant aucune demande à ce titre.

6. C'est par conséquent à bon droit qu'elle a limité la restitution à l'immeuble vendu.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Abgrall - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Articles 549 et 550 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 29 juin 2005, pourvoi n° 04-12.987, Bull. 2005, III, n° 148 (rejet), et les arrêts cités.

Com., 17 février 2021, n° 18-15.012, (P)

Cassation partielle

Vendeur – Obligations – Délivrance – Accessoires de la chose vendue – Applications diverses – Procès-verbal d'essais sur banc – Document indispensable à l'utilisation normale du moteur (non)

Viole l'article 1615 du code civil la cour d'appel qui retient que, dans la mesure où un moteur avait dû être adapté par le vendeur pour en réduire la puissance et devait encore faire l'objet de travaux d'adaptation après sa livraison, le procès-verbal d'essais sur banc devait être considéré comme constituant un accessoire de la chose vendue, ces motifs étant impropres à justifier que le rapport de banc d'essai établi par le professionnel ayant réalisé les travaux modifiant les caractéristiques du moteur était un document, non pas seulement de nature à informer l'acquéreur de celui-ci sur ses caractéristiques, mais indispensable à l'utilisation normale du moteur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 14 septembre 2017), le 21 octobre 2011, la société Mécanique tréportaise a fourni et installé sur le chalutier « [...] », appartenant à M. et Mme Y..., un moteur d'occasion qu'elle avait acquis auprès de M. I..., lequel l'avait acheté à la société KJ services.

Le bateau ayant subi, le 3 mai 2012, une avarie due à l'inadaptation du moteur de remplacement, destiné à un bateau de plaisance et non de pêche, M. et Mme Y... ont assigné la société Mécanique tréportaise et l'assureur de celle-ci, la société Gan assurances (la société Gan), en invoquant, à titre principal, un défaut de conformité et, à titre subsidiaire, la garantie des vices cachés.

La société Mécanique tréportaise a appelé en la cause M. I..., lequel a fait intervenir la société KJ services. M. et Mme Y... ont dirigé leurs demandes en réparation de leur préjudice contre ces trois défendeurs.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

2. M. I... fait grief à l'arrêt de condamner in solidum la société Mécanique tréportaise, la société Gan et lui-même, dans la limite, en ce qui le concerne, de 50 % du montant des condamnations, à payer à M. et Mme Y..., diverses sommes à titre de dommages-intérêts et de le condamner à garantir la société Mécanique tréportaise et la société Gan à concurrence de 50 % des condamnations prononcées à l'encontre de celles-ci, alors « qu'en statuant par des motifs impropres à caractériser que le rapport d'essais au banc constituait un accessoire à la chose vendue indispensable à son utilisation, la cour d'appel a violé l'article 1615 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1615 du code civil :

3. Aux termes de ce texte, l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui est destiné à son usage perpétuel.

4. Pour fixer à 50 %, dans les rapports entre la société Mécanique tréportaise et M. I..., la part de responsabilité de ce dernier, l'arrêt retient que dans la mesure où le moteur proposé par la société KJ services à M. I... avait dû être adapté par celle-ci pour en réduire la puissance et que, même après la livraison, le moteur devait encore faire l'objet de travaux d'adaptation, le procès-verbal d'essais sur banc établi par la société KJ services devait être considéré comme constituant un accessoire de la chose vendue et que M. I... avait manqué à ses obligations contractuelles en ne le transmettant pas spontanément à la société Mécanique tréportaise.

5. En statuant par de tels motifs, impropres à justifier que le rapport de banc d'essai établi par le professionnel ayant réalisé les travaux modifiant les caractéristiques du moteur était un document, non pas seulement de nature à informer l'acquéreur de celui-ci sur ces caractéristiques, mais indispensable à l'utilisation normale du moteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

6. M. I... fait le même grief à l'arrêt, alors « que la réception sans réserve de la chose vendue couvre ses défauts apparents de conformité ; qu'en imputant un manquement à l'obligation de délivrance à M. I... quand elle constatait qu'en sa qualité de professionnel en matière de réparations navales, la société Mécanique tréportaise était en mesure de connaître le défaut de conformité du moteur livré et qu'elle ne pouvait ignorer que le moteur à deux turbines, destiné à équiper des bateaux de plaisance ne pouvait être installé en l'état sur un bateau de pêche, de sorte que la réception sans réserve du moteur excluait qu'un manquement à l'obligation de délivrance puisse être imputé M. I..., la cour d'appel a violé les articles 1603 et 1604 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. La société Mécanique tréportaise conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est contraire à la thèse que soutenait M. I... devant la cour d'appel.

8. Cependant, M. I... a fait valoir, dans ses conclusions, qu'à la livraison du moteur, la société Mécanique tréportaise avait constaté qu'il comportait deux turbos à la place d'un seul et que, pourtant, elle avait accepté ce moteur en l'état, sans formuler de réserves.

9. Le moyen, qui n'est pas contraire à la thèse soutenue devant la cour d'appel, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1604 et 1610 du code civil :

10. Il résulte de ces textes que l'acceptation sans réserve de la marchandise vendue par l'acheteur lui interdit de se prévaloir de ses défauts apparents de conformité.

11. Pour fixer à 50 %, dans les rapports entre la société Mécanique tréportaise et M. I..., la part de responsabilité de ce dernier, l'arrêt retient que les désordres résultent en partie d'un manquement de M. I... à ses obligations contractuelles envers la société Mécanique tréportaise.

12. En statuant ainsi, après avoir constaté qu'en sa qualité de professionnel de la réparation navale, la société Mécanique tréportaise, qui avait remarqué, à la livraison, que le moteur litigieux comportait deux turbines, ne pouvait ignorer que ce type de moteur, destiné à équiper des bateaux de plaisance, ne pouvait être installé en l'état sur un bateau de pêche, et qu'elle était ainsi en mesure de connaître le défaut de conformité du moteur livré, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

13. La cassation prononcée sur le deuxième moyen, pris en ses cinquième et sixième branches, du chef de l'arrêt fixant à 50 %, dans les rapports entre la société Mécanique tréportaise et M. I..., la part de responsabilité de celui-ci, entraîne, par voie de conséquence, la cassation de la disposition critiquée par le quatrième qui, condamnant M. I... à payer à M. et Mme Y... diverses sommes à titre de dommages-intérêts, au titre de l'action directe exercée par ces derniers à son encontre pour défaut de conformité de la chose vendue, s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, le vendeur originaire étant en droit d'opposer au sous-acquéreur tous les moyens de défense qu'il pouvait opposer à son propre cocontractant.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. I..., in solidum avec la société Mécanique tréportaise et la société Gan assurances, dans la limite de 50 % du montant des condamnations, à payer à M. et Mme Y... avec intérêts au taux légal à compter du 20 septembre 2012 et capitalisation des intérêts, les sommes de 63 267,21 euros au titre du préjudice matériel, 340 000 euros, au titre du préjudice immatériel, condamne M. I..., in solidum avec la société Mécanique tréportaise et la société Gan assurances, dans la limite de 50 % du montant des condamnations, à payer au titre du préjudice moral à M. Y... la somme de 4 000 euros, et à M. Y... la somme de 3 000 euros et condamne M. I... à garantir la société Mécanique tréportaise et la société Gan assurances à concurrence de 50 % des condamnations prononcées à l'encontre de celles-ci en principal, intérêts, capitalisation des intérêts, et frais hors dépens et dépens, l'arrêt rendu le 14 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Cabinet Briard ; SCP Lévis ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 1615 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la notion d'accessoire de la chose vendue, à rapprocher : Com., 17 juin 2020, pourvoi n° 18-23.620, Bull. 2020, (cassation partielle).

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