Numéro 2 - Février 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2021

URBANISME

3e Civ., 18 février 2021, n° 17-26.156, (P)

Rejet

Logements – Changement d'affectation – Article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation – Domaine d'application – Location réitérée d'un local meublé pour une courte durée à une clientèle de passage qui n'y élit pas sa résidence principale – Définition – Portée

Hormis les cas d'une location consentie à un étudiant pour une durée d'au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d'un bail mobilité d'une durée de un à dix mois et de la location, pour une durée maximale de quatre mois, du local à usage d'habitation constituant la résidence principale du loueur, le fait de louer, à plus d'une reprise au cours d'une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu'une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n'y fixe pas sa résidence principale au sens de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d'usage d'un local destiné à l'habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

Les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation sont conformes à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006.

Logements – Changement d'affectation – Article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation – Local à usage d'habitation – Affectation à d'autres fins – Location réitérée d'un local meublé pour une courte durée à une clientèle de passage qui n'y élit pas sa résidence principale – Définition – Portée

Logements – Changement d'affectation – Article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation – Local à usage d'habitation – Affectation à d'autres fins – Location réitérée d'un local meublé pour une courte durée à une clientèle de passage qui n'y élit pas sa résidence principale – Autorisation administrative préalable à la signature du bail – Régime – Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 – Compatibilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2017), le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a assigné en référé, sur le fondement de l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation, la société civile immobilière Cali Apartments (la société Cali Apartments), propriétaire d'un studio situé à Paris, afin de la voir condamner au paiement d'une amende et de voir ordonner le retour du bien à son usage d'habitation.

Le maire de la Ville de Paris est intervenu volontairement à l'instance.

2. Par arrêt du 15 novembre 2018 (3e Civ., pourvoi n° 17-26.156, publié), la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur l'applicabilité de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, à la location, même à titre non professionnel, de manière répétée et pour de courtes durées, d'un local meublé à usage d'habitation ne constituant pas la résidence principale du loueur à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile et, dans l'affirmative, sur l'applicabilité à une réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, des articles 9 à 13 de la directive et, le cas échéant, sur l'interprétation des articles 9, paragraphe 1, sous b) et c) et 10, paragraphe 2, sous d) à g), de la directive au regard des articles L. 631-7 et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Cali Apartments fait grief à l'arrêt de faire application des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 651-2, alinéa 1er, du code de la construction et de l'habitation, alors :

« 1°/ qu'en appliquant les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 651-2, alinéa 1, du code de la construction et de l'habitation qui subordonnent la location d'un local meublé à l'obtention d'une autorisation administrative, sans établir, ainsi que l'exige l'article 9, paragraphe 1, sous b) de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, que cette restriction à la libre prestation de service est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général, la cour d'appel a violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

2°/ qu'en appliquant les articles L. 631-7, alinéa 6 et L. 651-2, alinéa 1 du code de la construction et de l'habitation, sans établir, ainsi que l'exige l'article 9, paragraphe 1, sous c) de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, si l'objectif poursuivi par ces dispositions pouvait être réalisé par une mesure moins contraignante, la cour d'appel a violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

3°/ qu'en appliquant les dispositions précitées, lorsque, relatives à la location d'un « local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile », leur mise en oeuvre ne dépend pas de critères qui, comme l'exige pourtant l'article 10 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, encadrent l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire, le juge a méconnu ce texte et violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

4°/ qu'en appliquant les dispositions précitées, lorsqu'il résulte de l'article L. 631-7-1 que les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations nécessaires sont « fixées par une délibération du conseil municipal », au regard des « objectifs de mixité sociale » et en fonction notamment des « caractéristiques des marchés de locaux d'habitation » et de « la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements », la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 10 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 et violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

5. Par arrêt du 22 septembre 2020 (Cali Apartments SCI et HX contre procureur général près la cour d'appel de Paris et Ville de Paris, C-724/18 et C-727/18), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :

1°/ Les articles 1er et 2 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doivent être interprétés en ce sens que cette directive s'applique à une réglementation d'un État membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel.

2°/ L'article 4 de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l'exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l'habitation relève de la notion de « régime d'autorisation », au sens du point 6 de cet article.

3°/ L'article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'une réglementation nationale qui, pour des motifs visant à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables, soumet certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à un régime d'autorisation préalable applicable dans certaines communes où la tension sur les loyers est particulièrement marquée est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l'objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

4°/ L'article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale instituant un régime qui subordonne à une autorisation préalable l'exercice de certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation, qui est fondée sur des critères tenant au fait de louer le local en cause « de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » et qui confie aux autorités locales le pouvoir de préciser, dans le cadre fixé par cette réglementation, les conditions d'octroi des autorisations prévues par ce régime au regard d'objectifs de mixité sociale et en fonction des caractéristiques des marchés locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, en les assortissant au besoin d'une obligation de compensation sous la forme d'une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, pour autant que ces conditions d'octroi soient conformes aux exigences fixées par cette disposition et que cette obligation puisse être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles.

6. Il s'ensuit, en premier lieu, que l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation, qui soumet à autorisation préalable le fait, dans certaines communes, de louer un local meublé destiné à l'habitation d'une manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile, est justifié par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionné à l'objectif poursuivi en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. Il satisfait donc aux exigences de l'article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123.

7. En second lieu, l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014 applicable au litige, définit, en son alinéa 2, les locaux destinés à l'habitation comme « toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1. »

8. L'article L. 632-1 du même code renvoie au titre Ier bis de la loi du 6 juillet 1989, relatif aux « rapports entre bailleurs et locataires dans les logements meublés résidence principale ».

L'article 25-7 de cette loi prévoit que les locations de logements meublés, lorsqu'ils constituent la résidence principale du locataire, sont consenties pour une durée minimale d'un an, sauf le cas des étudiants pour lesquels cette durée est réduite à neuf mois.

9. Il en résulte qu'hormis les cas d'une location consentie à un étudiant pour une durée d'au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d'un bail mobilité d'une durée de un à dix mois et de la location, pour une durée maximale de quatre mois, du local à usage d'habitation constituant la résidence principale du loueur, le fait de louer, à plus d'une reprise au cours d'une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu'une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n'y fixe pas sa résidence principale au sens de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d'usage d'un local destiné à l'habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

10. Il s'ensuit que l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation répond aux exigences de clarté, d'objectivité et de non-ambiguïté de l'article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive 2006/123.

11. En dernier lieu, s'agissant de la conformité, aux exigences prévues à l'article 10 de la directive, des critères énoncés par le législateur pour encadrer les conditions d'octroi des autorisations, il convient de relever que l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation, qui confie au maire de la commune de situation de l'immeuble la faculté de délivrer l'autorisation préalable de changement d'usage et attribue au conseil municipal le soin de fixer les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations, au regard des objectifs de mixité sociale en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, impose ainsi aux autorités locales de fixer les conditions d'obtention des autorisations en considération de l'objectif d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements. Il en résulte que les critères posés par l'article L. 631-7-1, alinéa 1er, pour encadrer l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités compétentes sont, en eux-mêmes, justifiés par une raison d'intérêt général au sens de l'article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive.

12. S'agissant de l'exigence de proportionnalité des conditions d'octroi de l'autorisation de changement d'usage à l'objectif poursuivi, prévue par l'article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive, il convient de relever :

1°/ qu'en ce qu'elle réserve aux autorités locales la compétence pour fixer les conditions de délivrance des autorisations et, le cas échéant, pour décider d'imposer une obligation de compensation, la réglementation de l'article L. 631-7-1 est apte à garantir l'adéquation du régime d'autorisation aux circonstances spécifiques de chacune des communes concernées, dont les autorités locales ont une connaissance privilégiée ;

2°/ que la réglementation locale de la Ville de Paris, en ce qu'elle instaure une obligation de compensation, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif recherché puisqu'il résulte des pièces produites que cette obligation répond effectivement à une pénurie de logements, la demande de logements destinés à l'habitation à des conditions économiques acceptables peinant, dans l'ensemble de cette commune, à y être satisfaite et le développement de la location de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, au préjudice de l'offre de location de locaux à usage d'habitation, entraînant une raréfaction du marché locatif traditionnel et contraignant les habitants à s'éloigner pour trouver un logement ;

3°/ que l'obligation de compensation prévue par la réglementation de la Ville de Paris, dans son règlement municipal adopté en décembre 2008, modifié les 17, 18 et 19 novembre 2014, comme dans celui adopté en décembre 2018, est proportionnée à l'objectif poursuivi, en ce que le quantum de cette obligation, qui porte sur des locaux de surface équivalente, sauf dans les secteurs dits de « compensation renforcée » où les locaux proposés en compensation doivent représenter une surface double de celle faisant l'objet de la demande de changement d'usage, secteurs qui correspondent à des zones dans lesquelles la Ville de Paris fait de la protection de l'habitat un objectif prioritaire, apparaît adapté à la situation tendue du marché locatif dans l'ensemble de la commune et à l'objectif de développer l'offre de locaux d'habitation dans certaines zones où l'habitat est plus particulièrement protégé, en favorisant l'objectif de mixité sociale ; en effet, le quantum de la compensation porte, dans le secteur de « compensation renforcée », sur des locaux de surface équivalente si ces locaux sont transformés en logements locatifs sociaux ; ce dispositif est compatible avec le maintien d'une activité de location de locaux meublés à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile dès lors que, même dans les secteurs de compensation renforcée, il ne fait pas obstacle à l'exercice de cette activité eu égard à la rentabilité accrue de ce type de location par rapport aux baux à usage d'habitation et à la possibilité de satisfaire à l'obligation de compensation, non seulement par la transformation en habitation d'autres locaux détenus par la personne concernée et ayant un autre usage, mais également par d'autres mécanismes, tel l'achat de droits dits de « commercialité » auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d'habitation des locaux destinés à un autre usage, contribuant ainsi au maintien à un niveau stable du parc de logement de longue durée.

13. Les critères prévus par l'article L. 631-7-1, tels que mis en oeuvre par la Ville de Paris, sont donc conformes au principe de proportionnalité de l'article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive.

14. S'agissant du respect des conditions de clarté, de non-ambiguïté et d'objectivité prévues par l'article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive, l'article L. 631-7-1, s'il ne fixe pas lui-même les conditions de délivrance des autorisations, mais donne compétence à cette fin aux autorités locales, encadre les modalités de détermination par ces autorités des conditions d'octroi des autorisations prévues en fixant les objectifs poursuivis et en imposant les critères en fonction desquels les conditions d'octroi doivent être déterminées. Il est ainsi suffisamment clair et précis pour éviter le risque d'arbitraire dans la détermination des conditions de délivrance des autorisations par les autorités locales.

15. S'agissant, enfin, des exigences de publicité préalable, de transparence et d'accessibilité des conditions d'octroi des autorisations, prévues à l'article 10, paragraphe 2, sous f) et g), de la directive, l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation, en ce qu'il renvoie aux conseils municipaux le soin de déterminer les conditions de délivrance des autorisations de changement d'usage et le quantum éventuel des compensations, n'est pas contraire à ces exigences dès lors qu'en application de l'article L. 2121-25 du code général des collectivités territoriales, les comptes rendus des séances du conseil municipal sont affichés en mairie et mis en ligne sur le site internet de la commune concernée, ce qui permet à toute personne souhaitant solliciter une telle autorisation d'être informée des conditions de son obtention.

16. Il s'ensuit que les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation sont conformes à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006.

17. Ayant retenu qu'il résultait des éléments produits que le bien de la société Cali Apartments avait fait l'objet de locations de courte durée, épisodiques, à l'usage d'une clientèle de passage sans que n'eût été sollicitée d'autorisation de changement d'usage, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans violer le principe de primauté du droit de l'Union européenne, que celle-ci avait enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation et encourait l'amende prévue par l'article L. 651-2 du même code.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Collomp - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation ; directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 19-13.191, Bull. 2021, (cassation).

3e Civ., 18 février 2021, n° 19-13.191, (P)

Cassation

Logements – Changement d'affectation – Article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation – Local à usage d'habitation – Affectation à d'autres fins – Définition

Constitue un changement d'usage d'un local destiné à l'habitation, au sens de l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation, le fait, pour le propriétaire d'un local meublé à usage d'habitation, de le donner en location à deux reprises en moins d'un an, pour des durées respectives de quatre et six mois, inférieures à un an ou à neuf mois.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 décembre 2018), M. T... et Mme L... sont propriétaires à Paris d'un appartement de deux pièces à usage d'habitation.

2. Soutenant qu'en 2016 cet appartement avait fait l'objet de deux locations meublées de courte durée au profit d'une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, d'une durée respective de quatre et six mois, sans autorisation préalable de changement d'usage, la Ville de Paris les a assignés, sur le fondement des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, afin de les voir condamner au paiement d'une amende et de voir ordonner le retour du bien à son usage d'habitation.

3. Par arrêt du 28 mai 2020, la Cour de cassation a sursis à statuer sur le pourvoi formé par la Ville de Paris, contre l'arrêt ayant rejeté les demandes, jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans les affaires C-724/18 et C-727/18.

4. La Cour de justice de l'Union européenne a statué par arrêt du 22 septembre 2020 (Cali Apartments SCI et HX contre procureur général près la cour d'appel de Paris et Ville de Paris, C-724/18 et C-727/18).

Sur la conformité des dispositions des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006, examinée d'office

5. Après avis donné aux parties par le rapport complémentaire, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

6. Par arrêt du 22 septembre 2020 (Cali Apartments SCI et HX contre procureur général près la cour d'appel de Paris et Ville de Paris, C-724/18 et C-727/18), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :

1°/ Les articles 1er et 2 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doivent être interprétés en ce sens que cette directive s'applique à une réglementation d'un État membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel.

2°/ L'article 4 de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l'exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l'habitation relève de la notion de « régime d'autorisation », au sens du point 6 de cet article.

3°/ L'article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'une réglementation nationale qui, pour des motifs visant à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables, soumet certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à un régime d'autorisation préalable applicable dans certaines communes où la tension sur les loyers est particulièrement marquée est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l'objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

4°/ L'article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale instituant un régime qui subordonne à une autorisation préalable l'exercice de certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation, qui est fondée sur des critères tenant au fait de louer le local en cause « de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » et qui confie aux autorités locales le pouvoir de préciser, dans le cadre fixé par cette réglementation, les conditions d'octroi des autorisations prévues par ce régime au regard d'objectifs de mixité sociale et en fonction des caractéristiques des marchés locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, en les assortissant au besoin d'une obligation de compensation sous la forme d'une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, pour autant que ces conditions d'octroi soient conformes aux exigences fixées par cette disposition et que cette obligation puisse être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles.

7. Il s'ensuit, en premier lieu, que l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation, qui soumet à autorisation préalable le fait, dans certaines communes, de louer un local meublé destiné à l'habitation d'une manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile, est justifié par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionné à l'objectif poursuivi en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. Il satisfait donc aux exigences de l'article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123.

8. En second lieu, l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014 applicable au litige, définit, en son alinéa 2, les locaux destinés à l'habitation comme « toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1. »

9. L'article L. 632-1 du même code renvoie au titre Ier bis de la loi du 6 juillet 1989, relatif aux « rapports entre bailleurs et locataires dans les logements meublés résidence principale ».

L'article 25-7 de cette loi prévoit que les locations de logements meublés, lorsqu'ils constituent la résidence principale du locataire, sont consenties pour une durée minimale d'un an, sauf le cas des étudiants pour lesquels cette durée est réduite à neuf mois.

10. Il en résulte qu'hormis les cas d'une location consentie à un étudiant pour une durée d'au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d'un bail mobilité d'une durée de un à dix mois et de la location du local à usage d'habitation constituant la résidence principale du loueur pour une durée maximale de quatre mois, le fait de louer, à plus d'une reprise au cours d'une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu'une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n'y fixe pas sa résidence principale au sens de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d'usage d'un local destiné à l'habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

11. Il s'ensuit que l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation répond aux exigences de clarté, d'objectivité et de non-ambiguïté de l'article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive 2006/123.

12. En dernier lieu, s'agissant de la conformité, aux exigences prévues à l'article 10 de la directive, des critères énoncés par le législateur pour encadrer les conditions d'octroi des autorisations, il convient de relever que l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation, qui confie au maire de la commune de situation de l'immeuble la faculté de délivrer l'autorisation préalable de changement d'usage et attribue au conseil municipal le soin de fixer les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations, au regard des objectifs de mixité sociale en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, impose ainsi aux autorités locales de fixer les conditions d'obtention des autorisations en considération de l'objectif d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements. Il en résulte que les critères posés par l'article L. 631-7-1, alinéa 1er, pour encadrer l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités compétentes sont, en eux-mêmes, justifiés par une raison d'intérêt général au sens de l'article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive.

13. S'agissant de l'exigence de proportionnalité des conditions d'octroi de l'autorisation de changement d'usage à l'objectif poursuivi, prévue par l'article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive, il convient de relever :

1°/ qu'en ce qu'elle réserve aux autorités locales la compétence pour fixer les conditions de délivrance des autorisations et, le cas échéant, pour décider d'imposer une obligation de compensation, la réglementation de l'article L. 631-7-1 est apte à garantir l'adéquation du régime d'autorisation aux circonstances spécifiques de chacune des communes concernées, dont les autorités locales ont une connaissance privilégiée ;

2°/ que la réglementation locale de la Ville de Paris, en ce qu'elle instaure une obligation de compensation, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif recherché puisqu'il résulte des pièces produites que cette obligation répond effectivement à une pénurie de logements, la demande de logements destinés à l'habitation à des conditions économiques acceptables peinant, dans l'ensemble de cette commune, à y être satisfaite et le développement de la location de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, au préjudice de l'offre de location de locaux à usage d'habitation, entraînant une raréfaction du marché locatif traditionnel et contraignant les habitants à s'éloigner pour trouver un logement ;

3°/ que l'obligation de compensation prévue par la réglementation de la Ville de Paris, dans son règlement municipal adopté en décembre 2008, modifié les 17, 18 et 19 novembre 2014, comme dans celui adopté en décembre 2018, est proportionnée à l'objectif poursuivi, en ce que le quantum de cette obligation, qui porte sur des locaux de surface équivalente, sauf dans les secteurs dits de « compensation renforcée » où les locaux proposés en compensation doivent représenter une surface double de celle faisant l'objet de la demande de changement d'usage, secteurs qui correspondent à des zones dans lesquelles la Ville de Paris fait de la protection de l'habitat un objectif prioritaire, apparaît adapté à la situation tendue du marché locatif dans l'ensemble de la commune et à l'objectif de développer l'offre de locaux d'habitation dans certaines zones où l'habitat est plus particulièrement protégé, en favorisant l'objectif de mixité sociale ; en effet, le quantum de la compensation porte, dans le secteur de « compensation renforcée », sur des locaux de surface équivalente si ces locaux sont transformés en logements locatifs sociaux ; ce dispositif est compatible avec le maintien d'une activité de location de locaux meublés à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile dès lors que, même dans les secteurs de compensation renforcée, il ne fait pas obstacle à l'exercice de cette activité eu égard à la rentabilité accrue de ce type de location par rapport aux baux à usage d'habitation et à la possibilité de satisfaire à l'obligation de compensation, non seulement par la transformation en habitation d'autres locaux détenus par la personne concernée et ayant un autre usage, mais également par d'autres mécanismes, tel l'achat de droits dits de « commercialité » auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d'habitation des locaux destinés à un autre usage, contribuant ainsi au maintien à un niveau stable du parc de logement de longue durée.

14. Les critères prévus par l'article L. 631-7-1, tels que mis en oeuvre par la Ville de Paris, sont donc conformes au principe de proportionnalité de l'article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive.

15. S'agissant du respect des conditions de clarté, de non-ambiguïté et d'objectivité prévues par l'article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive, l'article L. 631-7-1, s'il ne fixe pas lui-même les conditions de délivrance des autorisations, mais donne compétence à cette fin aux autorités locales, encadre les modalités de détermination par ces autorités des conditions d'octroi des autorisations prévues en fixant les objectifs poursuivis et en imposant les critères en fonction desquels les conditions d'octroi doivent être déterminées. Il est ainsi suffisamment clair et précis pour éviter le risque d'arbitraire dans la détermination des conditions de délivrance des autorisations par les autorités locales.

16. S'agissant, enfin, des exigences de publicité préalable, de transparence et d'accessibilité des conditions d'octroi des autorisations, prévues à l'article 10, paragraphe 2, sous f) et g), de la directive, l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation, en ce qu'il renvoie aux conseils municipaux le soin de déterminer les conditions de délivrance des autorisations de changement d'usage et le quantum éventuel des compensations, n'est pas contraire à ces exigences dès lors qu'en application de l'article L. 2121-25 du code général des collectivités territoriales, les comptes rendus des séances du conseil municipal sont affichés en mairie et mis en ligne sur le site internet de la commune concernée, ce qui permet à toute personne souhaitant solliciter une telle autorisation d'être informée des conditions de son obtention.

17. Il s'ensuit que les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation sont conformes à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

18. La Ville de Paris fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu'il résulte des articles L. 631-7 et L. 632-1 du code de la construction et de l'habitation et des articles 2, 25-3, 25-4 et 25-7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, qui doivent être rapprochés pour en fixer le sens comme formant un tout indivisible, que la location meublée constitue un changement d'usage soumis à autorisation lorsqu'elle intervient de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile, soit lorsqu'elle n'est pas consentie pour une durée d'un an au moins à une personne qui y fixe sa résidence principale ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L. 632-1 du code de la construction et de l'habitation et les articles 2, 25-3, 25-4 et 25-7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 631-7, alinéas 2 et 6, du code de la construction et de l'habitation, ce dernier dans sa version issue de la loi du 24 mars 2014, et l'article L. 632-1 du même code :

19. Selon l'article L. 631-7, alinéa 2, précité, constituent des locaux destinés à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1.

Selon l'article L. 631-7, alinéa 6, précité, le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage soumis à autorisation préalable.

Selon l'article L. 632-1 précité, une location d'un logement meublé constituant la résidence principale du preneur est soumise au titre 1erbis de la loi du 6 juillet 1989.

20. Hormis les cas d'une location consentie à un étudiant pour une durée d'au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d'un bail mobilité d'une durée de un à dix mois et de la location du local à usage d'habitation constituant la résidence principale du loueur pour une durée maximale de quatre mois, le fait de louer, à plus d'une reprise au cours d'une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu'une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n'y fixe pas sa résidence principale au sens de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d'usage d'un local destiné à l'habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

21. Pour rejeter les demandes de la Ville de Paris, l'arrêt retient d'abord, d'une part, que l'article L. 631-7, en ce qu'il apporte une restriction aux conditions d'exercice du droit de propriété, doit faire l'objet d'une interprétation stricte, d'autre part, que seules les locations d'un local meublé à usage d'habitation qui répondent aux quatre conditions énoncées à l'alinéa ajouté à l'article L. 631-7 par la loi ALUR relèvent du champ d'application de ce texte et doivent être soumises à une autorisation préalable ; il retient ensuite que, selon le Conseil Constitutionnel, les locations d'un meublé qui ne remplissent pas toutes ces conditions ne sont pas soumises à ce régime d'autorisation préalable et que l'emploi de l'adverbe « notamment » avant la référence aux locations visées à l'article L. 632-1 confirme que ces dernières ne sont citées qu'à titre d'exemple ; il en déduit que, la notion de « courte durée » visée à l'article L. 631-7, dernier alinéa, ne recouvre pas toute location d'une durée inférieure à un an ou à neuf mois lorsque le local meublé est loué à un étudiant, de sorte que les deux seules locations d'une durée de quatre et six mois à deux sociétés pour y loger le même salarié ne constituaient pas des locations de courte durée à une clientèle de passage au sens de l'article L. 631-7.

22. En statuant ainsi, alors que les deux locations litigieuses avaient été conclues, entre mars 2016 et janvier 2017, pour des durées inférieures à un an ou à neuf mois, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

DIT que les articles L. 631-7 et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation sont conformes à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris ;

Remet, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Collomp - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer -

Textes visés :

Article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 17-26.156, Bull. 2021, (rejet).

3e Civ., 18 février 2021, n° 19-11.462, (P)

Cassation

Logements – Changement d'affectation – Article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation – Local à usage d'habitation – Preuve – Déclaration de la contribution foncière des propriétés bâties postérieure au 1er janvier 1970 – Valeur probante – Office du juge

Le formulaire « H2 » rempli par les redevables de la contribution foncière des propriétés bâties en application de l'article 16 de la loi n° 68-108 du 2 février 1968 comporte, à la date de sa souscription, les renseignements utiles à l'évaluation de chaque propriété ou fraction de propriété, à l'exception du montant du loyer qui est celui du 1er janvier 1970.

Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui retient que le fait que ladite déclaration ait été remplie en juin 1978 ne saurait la priver de sa valeur probante de l'usage du bien au 1er janvier 1970, sans expliquer en quoi les renseignements figurant dans ce formulaire établissent l'usage d'habitation du bien au 1er janvier 1970.

Affectation des immeubles – Local à usage d'habitation – Preuve – Déclaration de la contribution foncière des propriétés bâties postérieure au 1er janvier 1970 – Valeur probante – Office du juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 novembre 2018), la Ville de Paris a assigné en la forme des référés, sur le fondement des articles L. 631-7, L. 632-1 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, la SCI Herlytte, propriétaire d'un appartement situé à Paris, afin de la voir condamner au paiement d'une amende et de voir ordonner le retour du bien à son usage d'habitation, pour l'avoir loué de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage.

2. Par arrêt du 6 février 2020, la Cour de cassation a sursis à statuer sur le pourvoi formé par la SCI Herlytte, contre l'arrêt ayant accueilli les demandes, jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans les affaires C-724/18 et C-727/18.

3. La Cour de justice de l'Union européenne a statué par arrêt du 22 septembre 2020 (Cali Apartments SCI et HX contre Procureur général près la cour d'appel de Paris et Ville de Paris, C-724/18 et C-727/18).

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

5. La SCI Herlytte fait grief à l'arrêt de faire application des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 651-2, alinéa 1er, du code de la construction et de l'habitation, alors :

« 1°/ que, conformément à l'article 9, paragraphe 1, sous b) de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, les États membres ne peuvent subordonner l'accès à une activité de service et son exercice à un régime d'autorisation que si la nécessité d'un tel régime est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; qu'en affirmant, s'agissant des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation que « le législateur a pris des dispositions destinées à lutter contre la pénurie de locaux offerts à la location dans des zones géographiques dans lesquelles il existe une grande disparité entre l'offre et la demande », sans établir qu'une telle réglementation nationale, qui subordonne la location d'un local meublé, pour une courte durée, à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, à l'obtention d'une autorisation administrative, serait justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général, la cour d'appel a violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

2°/ qu'en appliquant les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 651-2 alinéa 1 du code de la construction et de l'habitation, sans établir, ainsi que l'exige l'article 9, paragraphe 1, sous c) de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, si l'objectif poursuivi par ces dispositions pouvait être réalisé par une mesure moins contraignante, la cour d'appel a violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

3°/ qu'en appliquant les dispositions précitées, lorsque, relatives à la location d'un « local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile », leur mise en oeuvre ne dépend pas de critères qui, comme l'exige pourtant l'article 10 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, encadrent l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire, la cour d'appel a méconnu ce texte et violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

4°/ qu'en appliquant les dispositions précitées, lorsqu'il résulte de l'article L. 631-7-1 que les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations nécessaires sont « fixées par une délibération du conseil municipal », au regard des « objectifs de mixité sociale » et en fonction notamment des « caractéristiques des marchés de locaux d'habitation » et de « la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements », la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 10 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 et violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

6. Par arrêt du 22 septembre 2020 (Cali Apartments SCI et HX contre Procureur général près la cour d'appel de Paris et Ville de Paris, C-724/18 et C-727/18), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :

1) Les articles 1er et 2 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doivent être interprétés en ce sens que cette directive s'applique à une réglementation d'un État membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel.

2) L'article 4 de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l'exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l'habitation relève de la notion de « régime d'autorisation », au sens du point 6 de cet article.

3) L'article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'une réglementation nationale qui, pour des motifs visant à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables, soumet certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à un régime d'autorisation préalable applicable dans certaines communes où la tension sur les loyers est particulièrement marquée est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l'objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

4) L'article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale instituant un régime qui subordonne à une autorisation préalable l'exercice de certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l'habitation, qui est fondée sur des critères tenant au fait de louer le local en cause « de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » et qui confie aux autorités locales le pouvoir de préciser, dans le cadre fixé par cette réglementation, les conditions d'octroi des autorisations prévues par ce régime au regard d'objectifs de mixité sociale et en fonction des caractéristiques des marchés locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, en les assortissant au besoin d'une obligation de compensation sous la forme d'une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, pour autant que ces conditions d'octroi soient conformes aux exigences fixées par cette disposition et que cette obligation puisse être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles.

7. Il s'ensuit, en premier lieu, que l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation, qui soumet à autorisation préalable le fait, dans certaines communes, de louer un local meublé destiné à l'habitation d'une manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile, est justifié par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionné à l'objectif poursuivi en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. Il satisfait donc aux exigences de l'article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123.

8. En second lieu, l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014 applicable au litige, définit, en son alinéa 2, les locaux destinés à l'habitation comme « toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1. »

9. L'article L. 632-1 du même code renvoie au titre Ier bis de la loi du 6 juillet 1989, relatif aux « rapports entre bailleurs et locataires dans les logements meublés résidence principale ».

L'article 25-7 de cette loi prévoit que les locations de logements meublés, lorsqu'ils constituent la résidence principale du locataire, sont consenties pour une durée minimale d'un an, sauf le cas des étudiants pour lesquels cette durée est réduite à neuf mois.

10. Il en résulte qu'hormis les cas d'une location consentie à un étudiant pour une durée d'au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d'un bail mobilité d'une durée de un à dix mois et de la location, pour une durée maximale de quatre mois, du local à usage d'habitation constituant la résidence principale du loueur, le fait de louer, à plus d'une reprise au cours d'une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu'une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n'y fixe pas sa résidence principale au sens de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d'usage d'un local destiné à l'habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

11. Il s'ensuit que l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation répond aux exigences de clarté, d'objectivité et de non-ambiguïté de l'article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive 2006/123.

12. En dernier lieu, s'agissant de la conformité, aux exigences prévues à l'article 10 de la directive, des critères énoncés par le législateur pour encadrer les conditions d'octroi des autorisations, il convient de relever que l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation, qui confie au maire de la commune de situation de l'immeuble la faculté de délivrer l'autorisation préalable de changement d'usage et attribue au conseil municipal le soin de fixer les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations, au regard des objectifs de mixité sociale en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, impose ainsi aux autorités locales de fixer les conditions d'obtention des autorisations en considération de l'objectif d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements. Il en résulte que les critères posés par l'article L. 631-7-1, alinéa 1er, pour encadrer l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités compétentes sont, en eux-mêmes, justifiés par une raison d'intérêt général au sens de l'article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive.

13. S'agissant de l'exigence de proportionnalité des conditions d'octroi de l'autorisation de changement d'usage à l'objectif poursuivi, prévue par l'article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive, il convient de relever :

1) qu'en ce qu'elle réserve aux autorités locales la compétence pour fixer les conditions de délivrance des autorisations et, le cas échéant, pour décider d'imposer une obligation de compensation, la réglementation de l'article L. 631-7-1 est apte à garantir l'adéquation du régime d'autorisation aux circonstances spécifiques de chacune des communes concernées, dont les autorités locales ont une connaissance privilégiée ;

2) que la réglementation locale de la Ville de Paris, en ce qu'elle instaure une obligation de compensation, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif recherché puisqu'il résulte des pièces produites que cette obligation répond effectivement à une pénurie de logements, la demande de logements destinés à l'habitation à des conditions économiques acceptables peinant, dans l'ensemble de cette commune, à y être satisfaite et le développement de la location de locaux meublés destinés à l'habitation à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, au préjudice de l'offre de location de locaux à usage d'habitation, entraînant une raréfaction du marché locatif traditionnel et contraignant les habitants à s'éloigner pour trouver un logement ;

3) que l'obligation de compensation prévue par la réglementation de la Ville de Paris, dans son règlement municipal adopté en décembre 2008, modifié les 17, 18 et 19 novembre 2014, comme dans celui adopté en décembre 2018, est proportionnée à l'objectif poursuivi, en ce que le quantum de cette obligation, qui porte sur des locaux de surface équivalente, sauf dans les secteurs dits de « compensation renforcée » où les locaux proposés en compensation doivent représenter une surface double de celle faisant l'objet de la demande de changement d'usage, secteurs qui correspondent à des zones dans lesquelles la Ville de Paris fait de la protection de l'habitat un objectif prioritaire, apparaît adapté à la situation tendue du marché locatif dans l'ensemble de la commune et à l'objectif de développer l'offre de locaux d'habitation dans certaines zones où l'habitat est plus particulièrement protégé, en favorisant l'objectif de mixité sociale ; en effet, le quantum de la compensation porte, dans le secteur de « compensation renforcée », sur des locaux de surface équivalente si ces locaux sont transformés en logements locatifs sociaux ; ce dispositif est compatible avec le maintien d'une activité de location de locaux meublés à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile dès lors que, même dans les secteurs de compensation renforcée, il ne fait pas obstacle à l'exercice de cette activité eu égard à la rentabilité accrue de ce type de location par rapport aux baux à usage d'habitation et à la possibilité de satisfaire à l'obligation de compensation, non seulement par la transformation en habitation d'autres locaux détenus par la personne concernée et ayant un autre usage, mais également par d'autres mécanismes, tel l'achat de droits dits de « commercialité » auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d'habitation des locaux destinés à un autre usage, contribuant ainsi au maintien à un niveau stable du parc de logement de longue durée.

14. Les critères prévus par l'article L. 631-7-1, tels que mis en oeuvre par la Ville de Paris, sont donc conformes au principe de proportionnalité de l'article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive.

15. S'agissant du respect des conditions de clarté, de non-ambiguïté et d'objectivité prévues par l'article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive, l'article L. 631-7-1, s'il ne fixe pas lui-même les conditions de délivrance des autorisations, mais donne compétence à cette fin aux autorités locales, encadre les modalités de détermination par ces autorités des conditions d'octroi des autorisations prévues en fixant les objectifs poursuivis et en imposant les critères en fonction desquels les conditions d'octroi doivent être déterminées. Il est ainsi suffisamment clair et précis pour éviter le risque d'arbitraire dans la détermination des conditions de délivrance des autorisations par les autorités locales.

16. S'agissant, enfin, des exigences de publicité préalable, de transparence et d'accessibilité des conditions d'octroi des autorisations, prévues à l'article 10, paragraphe 2, sous f) et g), de la directive, l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation, en ce qu'il renvoie aux conseils municipaux le soin de déterminer les conditions de délivrance des autorisations de changement d'usage et le quantum éventuel des compensations, n'est pas contraire à ces exigences dès lors qu'en application de l'article L. 2121-25 du code général des collectivités territoriales, les comptes rendus des séances du conseil municipal sont affichés en mairie et mis en ligne sur le site internet de la commune concernée, ce qui permet à toute personne souhaitant solliciter une telle autorisation d'être informée des conditions de son obtention.

17. Il s'ensuit que les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation sont conformes à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

19. La SCI Herlytte fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la Ville de Paris une amende civile de 25 000 euros sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, alors :

« 1°/ que les articles 38 et 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969, pris pour l'application de la loi n° 68-108 du 2 février 1968 relative aux évaluations servant de base à certains impôts locaux, prévoient que les déclarations qui devaient être remplies, dans le cadre de la révision générale des évaluations foncières de 1970, étaient établies sur des formules spéciales fournies par l'administration (correspondant aux déclarations « H2 ») et que ces formules « comportent, à la date de leur souscription, les renseignements utiles à l'évaluation de chaque propriété ou fraction de propriété définies à l'article 1er du présent décret », tout en précisant que « toutefois, en cas de location, le montant annuel du loyer est celui en vigueur au 1er janvier 1970, date à retenir également pour l'évaluation des charges » ; qu'il en résulte que les informations figurant sur les déclarations H2, à l'exception de celles relatives au montant annuel du loyer, ont pour objet de décrire l'usage du bien à la date de leur souscription, et non au 1er janvier 1970 ; qu'en retenant, en l'espèce, que le fait que la déclaration en cause a été remplie en juin 1978 ne saurait justifier de la priver de sa valeur probante de l'usage de ce bien au 1er janvier 1970, dès lors qu'elle aurait « pour objet de décrire l'usage dudit bien à cette date », et que « les réponses manuscrites de ses propriétaires, selon lesquelles ce bien est occupé par une tierce personne dont le nom est cité et qu'il est loué en meublé, établissent à suffisance de droit que le bien litigieux était affecté à usage d'habitation au 1er janvier 1970 », la cour d'appel a violé les articles 16 de la loi n° 68-108 du 2 février 1968 et 36 à 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969 ;

4°/ qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur le fait que la seule rubrique faisant référence à la date du 1er janvier 1970, à savoir la rubrique « loyer annuel au 1er janvier 1970 », n'était pas renseignée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 38 et 40 du décret du 28 novembre 1969 :

20. Selon ces textes, les déclarations souscrites par les redevables de la propriété foncière en application de l'article 16 de la loi du 2 février 1968 sont établies sur des formules spéciales qui sont fournies par l'administration et qui comportent, à la date de leur souscription, les renseignements utiles à l'évaluation de chaque propriété ou fraction de propriété.

21. Pour condamner la SCI Herlytte à payer à la Ville de Paris une amende civile de 25 000 euros, l'arrêt retient que la déclaration établie selon le modèle H2 et fournie par l'administration fiscale correspond aux appartements et aux dépendances situés dans un immeuble collectif, que les propriétaires, comme l'examen de la déclaration produite par la Ville de Paris le démontre, devaient préciser l'état d'occupation du local et indiquer le montant du loyer au 1er janvier 1970 pour les locations autres que commerciales ou en meublé, que le fait que ladite déclaration ait en l'espèce été remplie en juin 1978 ne saurait justifier de la priver de sa valeur probante de l'usage du bien au 1er janvier 1970, alors qu'elle a pour objet de décrire l'usage dudit bien à cette date, et que les réponses manuscrites de ses propriétaires, selon lesquelles ce bien est occupé par une tierce personne dont le nom est cité et qu'il est loué en meublé, établissent à suffisance de droit que le bien litigieux était affecté à usage d'habitation au 1er janvier 1970.

22. En se déterminant ainsi, alors que le formulaire fourni par l'administration en application du décret du 28 novembre 1969, intitulé « déclaration H2 », comporte, à la date de sa souscription, les renseignements utiles à l'évaluation de chaque propriété ou fraction de propriété, à l'exception du montant du loyer qui est celui du 1er janvier 1970, la cour d'appel, qui n'a pas expliqué en quoi les renseignements figurant dans le formulaire H2 produit par la Ville de Paris étaient de nature à établir l'usage d'habitation du bien au 1er janvier 1970, n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef.

Sur le troisième moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

23. La SCI Herlytte fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toutes hypothèses, en relevant que « le relevé cadastral de propriété de la SCI Herlytte relatif à ce local, dans laquelle figure la lettre H pour habitation dans la case Af pour affectation, indique que ce local n'a pas fait l'objet de travaux ayant eu pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 et, ainsi, d'avoir changé l'usage qu'il avait à cette date », sans établir que ce relevé cadastral de propriété serait de nature à rapporter la preuve que le local de de la SCI Herlytte était affecté à l'usage d'habitation au 1er janvier 1970, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation :

24. Selon ce texte, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970.

25. Pour condamner la SCI Herlytte à payer à la Ville de Paris une amende civile de 25 000 euros, l'arrêt retient encore que le relevé cadastral de propriété relatif à ce local, dans laquelle figure la lettre H pour habitation dans la case Af pour affectation, indique que ce local n'a pas fait l'objet de travaux ayant eu pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 et de modifier ainsi l'usage qu'il avait à cette date.

26. En statuant ainsi, alors que l'absence de mention de travaux postérieurement au 1er janvier 1970 dans le relevé cadastral n'est pas de nature à établir que le local était affecté à usage d'habitation au 1er janvier 1970, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Collomp - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 16 de la loi n° 68-108 du 2 février 1968 ; articles 38 et 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 28 mai 2020, pourvoi n° 18-26.366, Bull. 2020, (rejet), et l'arrêt cité.

3e Civ., 11 février 2021, n° 20-13.627, (P)

Rejet

Permis de construire – Annulation ou péremption postérieure à la construction – Article L. 480-13 du code de l'urbanisme – Action des tiers en responsabilité civile – Démolition – Conditions – Localisation de la construction – Appréciation – Date – Détermination

Lorsqu'il est saisi d'une demande de démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire qui a été annulé, c'est à la date à laquelle il statue que le juge doit apprécier la condition de localisation dans l'une des zones énumérées au 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 19 décembre 2019), M. T... D..., Mmes W... X... et C... D... et M. V... D... (les consorts D...) sont propriétaires d'un terrain sur lequel ils ont édifié une maison d'habitation en vertu d'un permis de construire initial délivré le 24 décembre 2010 et d'un permis modificatif délivré le 1er février 2011.

2. La société Laurie, ayant obtenu le 10 avril 2015 l'annulation de ces permis par la juridiction administrative, a assigné les consorts D... en démolition et en dommages-intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. Les consorts D... font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes, alors :

« 1°/ que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas située, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées, mais a néanmoins estimé pouvoir passer outre cette condition et ordonner la démolition de la construction érigée en énonçant que le risque ayant conduit au classement postérieur au sein d'un PPRI aurait existé dès 2010 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fondé sa décision sur des motifs inopérants et ainsi violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme ;

2°/ que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; que cette condition, introduite en 2015, a pour but de donner effet au caractère exécutoire du permis de construire attribué s'agissant des zones non-mentionnées par la loi en permettant au propriétaire de démarrer les travaux de construction sans attendre la purge des recours ; que dès lors, l'appréciation du caractère protégé ou non l'environnement doit se faire au jour de l'attribution du permis de construire ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas située, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées ; que cependant, elle a ordonné la démolition de la maison d'habitation des exposants ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, si l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, limite l'action des tiers en démolition du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique aux seules zones mentionnées au 1°, ce même texte, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, confère au représentant de l'Etat dans le département la faculté d'engager l'action en démolition, y compris lorsque la construction n'est pas située dans l'une de ces zones.

6. S'il a entendu prévenir les recours abusifs de tiers, le législateur n'a donc pas conféré une impunité aux propriétaires de constructions situées en dehors des zones spécifiquement mentionnées, lesquels demeurent exposés à l'action du représentant de l'Etat.

7. En second lieu, en maintenant la possibilité pour les tiers d'agir en démolition dans certaines zones présentant une importance particulière, le législateur a entendu assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de sécurisation des projets de construction et, d'autre part, la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain, ainsi que la prévention des risques naturels ou technologiques.

8. Or, ne pas permettre au juge d'ordonner la démolition d'une construction qui, au jour où il statue, est située dans l'une des zones mentionnées au 1° de l'article L. 480-13 serait de nature à méconnaître l'équilibre ainsi recherché au détriment de ces objectifs de protection et de prévention.

9. La cour d'appel a constaté que, à la date à laquelle elle statuait, la construction des consorts D... était située dans un périmètre classé en zone rouge du plan de prévention du risque d'inondation.

10. Elle a exactement déduit, de ces seuls motifs, que la condition tenant à la localisation de la construction dans l'une des zones mentionnées au 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme était remplie.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; Me Haas -

Textes visés :

Article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.