Numéro 2 - Février 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2021

SOCIETE (règles générales)

1re Civ., 3 février 2021, n° 16-19.691, (P)

Cassation partielle

Assemblée générale – Décision – Exclusion abusive d'un associé – Sanction – Détermination – Portée

Il résulte de l'article 1844-10, alinéa 3, du code civil que la décision prise abusivement par une assemblée générale d'exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l'annulation.

Assemblée générale – Délibération – Nullité – Applications diverses – Exclusion abusive d'un associé

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 juin 2016), M. Y..., avocat associé au sein de la société d'avocats [...] (la société d'avocats), était en arrêt maladie depuis le 6 février 2013 lorsque, le 29 août, il a informé celle-ci de son intention de quitter le cabinet, puis lui a adressé, le 1er octobre 2013, sa démission à effet au 31 décembre suivant.

2. Une assemblée générale extraordinaire a été convoquée au titre de cette démission sur laquelle elle n'a pas statué et par délibération du 25 novembre 2013, la société d'avocats a prononcé l'exclusion de M. Y..., en application de l'article 11 des statuts, au titre d'une incapacité d'exercice professionnel pendant une période cumulée de neuf mois au cours d'une période totale de douze mois.

3. Le 23 décembre 2013, M. Y... a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris d'une demande d'arbitrage portant sur des rappels de rétrocession d'honoraires depuis 2008 et l'octroi de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

4. M. Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de la somme de 700 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en rejetant la demande de dommages-intérêts de M. Y... motifs pris qu'il « ne verse aucune pièce de nature à établir avant septembre 2013 les comportements précise qu'il dénonce et les attestations qu'il produit, à l'exception de celle de M. N... H... avec lequel la SELAS [...] est en contentieux devant l'ordre des avocats, relatent uniquement le malaise qu'il ressentait alors dans son exercice professionnel, ce que corroborent les certificats médicaux produits qui relient l'état dépressif du patient à un contexte professionnel difficile sans autre précision », sans se prononcer, même succinctement, sur l'attestation de Mme T... laquelle démontrait que le syndrome d'épuisement de M. Y... trouvait sa source dans le mode d'exercice de la profession d'avocat qui lui était imposé par la société d'avocats en énonçant que « depuis trois ans environ, j'ai vraiment senti combien I... M... souffrait de ces méthodes de gestion de « l'humain », se traduisant par la formation de clans (...) se faisant et se défaisant et à l'égard desquels I... restait à distance ; mais aussi par une défiance injustifiée à l'égard de ses propres méthodes de travail. Une telle attitude a clairement contribué à son isolement car il était le seul à oser ouvertement contrer les excès de gestion », la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en rejetant la demande de dommages-intérêts de M. Y... motifs pris qu'il « ne verse aucune pièce de nature à établir avant septembre 2013 les comportements précise qu'il dénonce et les attestations qu'il produit, à l'exception de celle de M. N... H... avec lequel la SELAS [...] est en contentieux devant l'ordre des avocats, relatent uniquement le malaise qu'il ressentait alors dans son exercice professionnel, ce que corroborent les certificats médicaux produits qui relient l'état dépressif du patient à un contexte professionnel difficile sans autre précision », sans se prononcer, même succinctement sur l'attestation de M. et Mme W... dont il s'évinçait très clairement que l'exercice de la profession d'avocat tel qu'il était imposé par la société d'avocats affectait énormément M. Y..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve produits, la cour d'appel a estimé, sans être tenue de s'expliquer sur chaque élément de preuve invoqué, que la réalité d'un comportement fautif des dirigeants de la société d'avocats, à l'origine du syndrome d'épuisement professionnel dont M. Y... avait été victime en février 2013, n'était pas démontrée.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

7. M. Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en annulation de la résolution n° 1 votée par l'assemblée générale le 25 novembre 2013 ayant prononcé son exclusion de la société d'avocats, et sa demande en paiement de sa rémunération pour un montant de 627 519,10 euros au titre de l'année 2013, alors « qu'est nulle la délibération abusive de l'assemblée générale extraordinaire des associés d'une SELAS ; qu'en considérant qu'en raison du caractère abusif de l'exclusion de M. Y..., « seuls peuvent être alloués à M. Y... des dommages-intérêts s'il démontre que la décision litigieuse lui a causé un préjudice », la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1832 et 1833 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1832, 1833 et 1844-10, alinéa 3, du code civil :

8. Il résulte du dernier de ces textes que la décision prise abusivement par une assemblée générale d'exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l'annulation.

9. Pour rejeter la demande d'annulation de la résolution d'assemblée générale du 25 novembre 2013 et la demande en paiement de la rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, l'arrêt énonce que, si l'exclusion prononcée par l'assemblée générale est abusive, dès lors que cette assemblée avait été convoquée pour prendre acte de la démission de M. Y... et que la mesure prononcée était motivée par la volonté de résister à ses prétentions financières, seuls peuvent être alloués à celui-ci des dommages-intérêts s'il démontre que cette décision lui a causé un préjudice.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'annulation de la délibération n° 1 votée lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 et la demande de rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, l'arrêt rendu le 15 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 1844-10 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 11 octobre 2000, pourvoi n° 99-11.430, Bull. 2000, III, n° 161 (cassation partielle) ; Ch. mixte., 16 décembre 2005, pourvoi n° 04-10.986, Bull. 2005, Ch. mixte, n° 9 (cassation partielle).

1re Civ., 17 février 2021, n° 19-22.964, (P)

Rejet

Parts sociales – Cession – Prix – Fixation – Fixation par expert – Article 1843-4 du code civil – Domaine d'application – Exclusion – Association d'avocats

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 23 juillet 2019), le 15 janvier 2012, MM. U... et H... et Mme W..., avocats, ont conclu ensemble une convention d'association. M. U... a décidé de se retirer de l'association à compter du 1er novembre 2016, ce dont sont convenus les associés par une convention du 15 novembre 2016.

2. Aucun accord n'étant intervenu sur les modalités de son retrait, M. U... a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de la Haute-Loire d'une demande d'arbitrage.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. U... fait grief à l'arrêt de limiter à 14 664,64 euros la somme lui demeurant due par ses anciens associés, alors « que l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, ne dérogeait pas à l'article 1843-4 du code civil ; que, dans sa rédaction issue de cette dernière loi, il n'y déroge qu'en ce qu'il donne compétence au bâtonnier pour procéder à la désignation d'un expert aux fins d'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats ; qu'en ayant refusé l'arbitrage à dire d'expert demandé par M. U... pour l'évaluation de ses droits dans l'association d'avocats l'ayant lié à M. H... et Mme W..., au motif que la procédure d'arbitrage par le bâtonnier était dérogatoire au droit commun et excluait l'application de l'article 1843-4 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 1843-4 du code civil, en cas de contestation sur la valeur des droits sociaux cédés par un associé ou rachetés par la société en cause, un expert désigné par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés détermine cette valeur.

6. Si une association d'avocats se trouve soumise aux dispositions des articles 1832 à 1844-17 du code civil, cependant, l'article 1843-4 ne lui est pas applicable en l'absence de capital social et ne peut être étendu aux comptes à effectuer lors du départ d'un avocat.

7. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Poulet-Odent ; SCP Caston -

Textes visés :

Article 1843-4 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-12.073, Bull. 2019, (cassation partielle), et les arrêts cités.

Com., 10 février 2021, n° 19-10.006, (P)

Rejet

Société en formation – Actes conclus par la société elle-même – Portée – Gérant tenu des obligations résultant des contrats (non)

Une cour d'appel a exactement retenu qu'un gérant d'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) ne pouvait être tenu des obligations résultant de contrats conclus pendant la période de formation de la société dès lors, qu'à la lecture de ces contrats, il apparaissait que le co-contractant du tiers était l'EURL, en cours d'immatriculation au RCS, représentée par son gérant, ce dont il se déduisait que ce n'était pas ce dernier qui avait agi pour le compte de la société en sa qualité d'associé ou de gérant mais la société elle-même, peu important qu'il ait été indiqué que celle-ci était en cours d'immatriculation, et alors, que les contrats conclus par une société non immatriculée, donc dépourvue de personnalité juridique, sont nuls.

Société en formation – Personnalité morale – Défaut – Effets – Convention – Nullité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 6 novembre 2008), la société Coop Atlantique a conclu, le 18 mai 2015, plusieurs contrats avec l'EURL [...], désignée comme société en cours d'immatriculation, représentée par son gérant, M. F....

2. Immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 26 juin 2015, la société [...] a été mise en liquidation judiciaire le 6 octobre 2015.

3. Estimant que M. F... était solidairement responsable des engagements souscrits le 18 mai 2015, la société Coop Atlantique l'a assigné en paiement de diverses sommes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Coop Atlantique fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement, alors :

« 1°/ que les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant l'immatriculation de celle-ci sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis ; qu'en retenant, pour rejeter les demandes de la société Coop Atlantique, que « n'ayant pas agi au nom de la société en formation, M. F... ne peut être tenu des obligations résultant des contrats », après avoir pourtant constaté que les contrats litigieux précisaient que l'EURL [...] « était en cours d'immatriculation » et « représentée par son gérant M. S... F... », ce dont il résultait qu'elle était en formation et que M. F..., signataire desdits contrats, agissait au nom de celle-ci, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a ainsi violé les articles L. 210-6 du code de commerce et 1843 du code civil ;

2°/ que le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en affirmant que les statuts de la société EURL [...] sont « datés et signés du 10 juin 2015 », cependant que les statuts de ladite société comportent la mention dactylographiée de la date du 9 mai 2015, rayée à la main et remplacée par la mention manuscrite de la date du 20 juin 2015, ce dont il ressort que lesdits statuts ne sont en aucun cas datés et signés du 10 juin 2015, la cour d'appel a dénaturé les statuts litigieux et violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir relevé que l'EURL [...] avait été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 26 juin 2015, postérieurement à la conclusion des contrats dont se prévalait la société Coop Atlantique au soutien de sa demande, datés du 18 mai 2015, l'arrêt énonce que, pour être fondée à agir à l'encontre de l'associé de la société [...], la société Coop Atlantique doit démontrer que celui-ci avait contracté pour le compte de la société en cours de formation.

L'arrêt retient qu'à la lecture des contrats, il apparaît que le co-contractant de la société Coop Atlantique est la société [...], en cours d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, représentée par son gérant M. F..., ce dont il déduit que ce n'est pas ce dernier qui a agi pour le compte de la société en sa qualité d'associé ou de gérant mais la société elle même, peu important qu'il ait été indiqué que celle-ci était en cours d'immatriculation, cette précision ne modifiant en rien l'indication de la société elle-même comme partie contractante.

En l'état de ces motifs, et dès lors que les contrats conclus par une société non immatriculée, donc dépourvue de personnalité juridique, sont nuls, la cour d'appel a exactement retenu, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la seconde branche, que M. F... ne pouvait être tenu des obligations résultant des contrats litigieux.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article L. 210-6 du code de commerce ; article 1843 du code civil.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens, à rapprocher : Com., 21 février 2012, pourvoi n° 10-27.630, Bull. 2012, IV, n° 49 (rejet).

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