Numéro 2 - Février 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2021

NATIONALITE

1re Civ., 10 février 2021, n° 20-11.694, (P)

Rejet

Nationalité française – Acquisition – Déclaration – Acquisition de la nationalité française à raison du mariage – Conditions – Communauté de vie affective et matérielle – Appréciation souveraine

L'appréciation de la communauté de vie affective et matérielle entre époux, au sens de l'article 21-2 du code civil, relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2019), le [...], M. B..., né à Pristina (Kosovo), a épousé Mme Q..., née à Lille, de nationalité française. Aucun enfant n'est issu de cette union.

Le 3 avril 2009, M. B... a souscrit une déclaration d'acquisition de la nationalité française, sur le fondement de l'article 21-2 du code civil. Cette déclaration a été enregistrée le 2 mars 2010.

Le 30 janvier 2013, M. B... et Mme Q... ont divorcé et, le [...], le premier s'est remarié à Lausanne (Suisse) avec Mme I....

Le 7 août 2015, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris l'a assigné aux fins d'annulation de l'enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité française et de constat de son extranéité, sur le fondement de l'article 26-4, alinéa 3, du code civil, au motif que celui-ci avait eu deux enfants avec celle qui allait devenir sa seconde épouse, alors qu'il était toujours marié avec Mme Q....

2. Par jugement du 10 février 2017, le tribunal a annulé l'enregistrement de la déclaration souscrite le 3 avril 2009 et dit que M. B... n'est pas français.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

4. M. B... fait grief à l'arrêt d'annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite le 3 avril 2009 devant le consul adjoint de France à Genève, sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, de dire qu'il n'est pas français et d'ordonner la mention prévue à l'article 28 du code civil, alors :

« 1°/ que l'entretien d'une relation adultère n'est pas exclusif, en soi, d'une communauté de vie tant affective que matérielle entre les époux ; qu'en l'espèce, en se fondant sur la seule circonstance tirée de ce que M. B... avait entretenu une relation adultère avec Mme I... pendant son mariage avec Mme Q... pour en conclure à l'absence d'une communauté de vie affective et matérielle entre les époux, la cour d'appel a violé l'article 21-2 du code civil ;

2°/ que le devoir de communauté de vie entre époux, qui implique, en principe, que ceux-ci vivent ensemble et aient une relation de couple, ne se confond pas avec le devoir de fidélité, lequel implique que ladite relation de couple soit exclusive et monogamique ; qu'en l'espèce, en déduisant la prétendue absence de communauté de vie entre Mme Q... et M. B... du seul manquement, par celui-ci, à son devoir de fidélité envers son épouse, en raison de sa liaison adultère avec Mme I..., la cour d'appel a violé les articles 212 et 215 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article 21-2, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, issue de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, l'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.

6. L'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le ministère public rapporte la preuve que, pendant son mariage avec Mme Q..., M. B... a maintenu une relation affective, durable et suivie avec Mme I..., qu'il connaissait depuis 1999 et retrouvait lors de ses séjours au Kosovo, et que de cette relation sont nés deux enfants, dont l'une, M... B..., le [...], avant la déclaration de nationalité.

7. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a souverainement déduit, sans se fonder uniquement sur la circonstance que M. B... entretenait une relation adultère, qu'il n'existait pas de communauté de vie affective des époux au jour de la déclaration souscrite le 3 avril 2009, de sorte que la fraude était caractérisée.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Article 21-2 du code civil.

1re Civ., 10 février 2021, n° 19-50.027, (P)

Cassation sans renvoi

Nationalité française – Acquisition – Modes – Acquisition à raison du mariage – Conditions – Communauté de vie – Caractérisation – Défaut – Cas – Bigamie

Selon l'article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, l'étranger ou l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage.

La situation de bigamie d'un des époux à la date de souscription de la déclaration, qui est exclusive de toute communauté de vie affective, fait obstacle à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger.

Rabat de l'arrêt n° 648 FS-P+B du 4 novembre 2020 examiné d'office

Vu les avis donnés aux parties et au ministère public :

1. Par arrêt n° 648 FS-P+B rendu le 4 novembre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai, dit n'y avoir lieu à renvoi, infirmé le jugement du 19 octobre 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Lille, sauf en ce qu'il constate l'accomplissement de la formalité prescrite à l'article 1043 du code de procédure civile et déclare recevable l'action du procureur de la République, annulé l'enregistrement effectué le 9 février 2015 de la déclaration de nationalité française souscrite par Mme I... G... le 6 mai 2014, et constaté l'extranéité de Mme G....

2. Cependant, il résulte des pièces de la procédure que Mme G... n'a pas été rendue destinataire de l'avis prévu par l'article 1015 du code de procédure civile, destiné à recueillir les observations des parties sur une éventuelle cassation sans renvoi.

3. Il y a lieu, en conséquence, de rabattre l'arrêt du 4 novembre 2020 et de statuer à nouveau.

Faits et procédure

4. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 17 janvier 2019), Mme G..., originaire d'Algérie, a contracté mariage en 1998, dans ce pays, avec un Français. Cette union a été transcrite sur les registres de l'état civil français le 30 juillet 2007. Mme G... a souscrit, le 6 mai 2014, une déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, laquelle a été enregistrée le 9 février 2015.

5. Le 14 mars 2016, le ministère public l'a assignée en nullité de cet enregistrement, en soutenant que l'état de bigamie de son conjoint français excluait toute communauté de vie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

7. Le ministère public fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la déclaration d'acquisition de la nationalité française par mariage souscrite par Mme G..., alors :

« 1°/ qu'en application l'article 26-4, alinéa 3, du code civil, l'enregistrement d'une déclaration acquisitive nationalité française peut, en cas de mensonge ou de fraude, être contesté par le ministère public dans le délai de deux ans à compter de leur découverte ; que ce texte ne distingue pas, en matière d'acquisition de la nationalité française par mariage, selon l'époux auteur du mensonge ou la fraude ; qu'en l'espèce, lors de la déclaration de nationalité française souscrite le 6 mai 2014 par Mme G..., le nouveau mariage de M. P... avec Mme M..., célébré [...], a été dissimulé ; que dès lors, en retenant l'existence d'une vie commune entre Mme G... et M. P..., sans reconnaître la fraude commise lors de la souscription de la déclaration, peu important que cette fraude émane de M. P... ou des deux époux, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que la communauté de vie requise pour acquérir la nationalité française par mariage, et à laquelle s'obligent les époux en application de l'article 215 du code civil, est un élément de la conception monogamique française du mariage ; que la bigamie est incompatible avec l'existence d'une communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil ; que la cour d'appel a constaté la bigamie de l'époux en relevant que M. P... s'est marié en 1998 avec Mme G... puis le [...] avec Mme M... ; que dès lors, en considérant qu'en dépit de la nouvelle union de M. P... en 2010, la persistance de la vie commune avec Mme G... au jour de la déclaration était caractérisée par le fait que les époux avaient fondé une famille nombreuse et avaient un domicile commun, la cour d'appel a violé l'article 21-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 :

8. Selon ce texte, l'étranger ou l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage.

9. La situation de bigamie d'un des époux à la date de souscription de la déclaration, qui est exclusive de toute communauté de vie affective, fait obstacle à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger.

10. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que les époux ont vécu ensemble pendant près de vingt ans et donné naissance à cinq enfants dont les deux derniers sont nés sur le territoire français en 2005 et 2013, ce qui caractérise l'existence d'une intention matrimoniale persistante ainsi qu'une communauté de vie réelle et constante au sens de l'article 215 du code civil.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le conjoint français de Mme G... avait contracté en 2010 une nouvelle union, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RABAT l'arrêt n° 648 FS-P+B rendu le 4 novembre 2020 par la première chambre civile ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Infirme le jugement du 19 octobre 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Lille, sauf en ce qu'il constate l'accomplissement de la formalité prescrite à l'article 1043 du code de procédure civile et déclare recevable l'action du procureur de la République ;

Annule l'enregistrement effectué le 9 février 2015 de la déclaration de nationalité française souscrite par Mme I... G... le 6 mai 2014 ;

Constate l'extranéité de Mme G... ;

Ordonne la mention prescrite par l'article 28 du code civil.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : Me Balat -

Textes visés :

Article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011.

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