Numéro 2 - Février 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2021

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 10 février 2021, n° 19-14.021, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Employeur – Pouvoir de direction – Etendue – Organisation de l'entreprise – Restriction aux libertés fondamentales – Restriction à la liberté de circulation au sein de l'entreprise des représentants du personnel et des représentants syndicaux – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 janvier 2019), statuant en référé, la Société immobilière et hôtelière (Sasih) est propriétaire d'un immeuble exploité en hôtel de luxe sous la dénomination commerciale Park Hyatt Paris Vendôme.

Le nettoyage des chambres est confié à un prestataire extérieur, la société STN-Tefid, environ soixante-quinze salariés de cette société étant affectés à ces tâches.

2. Un mouvement de grève a été déclenché par ces salariés le 25 septembre 2018 portant sur leur statut et leur rémunération.

3. Le 5 octobre 2018, le syndicat CGT des hôtels de prestige et économiques (CGT-HPE), le syndicat Union locale du commerce, des services et de la distribution de Paris (US-CGT du commerce) et plusieurs salariés ont saisi le président du tribunal de grande instance en invoquant l'entrave et les atteintes au droit de grève dont ils auraient été l'objet.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les syndicats et les salariés font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes tendant à voir ordonner à la société Tefid de réunir régulièrement et sans délai le comité d'entreprise qui, à ce jour, n'a fait l'objet d'aucune procédure de dissolution et de les débouter de leur demande tendant à voir condamner la société Tefid à leur payer, à titre provisionnel une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession sur le fondement de l'article L. 2132-3 du code du travail en raison de l'atteinte portée au fonctionnement régulier du comité d'entreprise, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article 9, paragraphe III, de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, pour assurer la mise en place du comité social et économique, la durée du mandat des délégués du personnel, des membres élus du comité d'entreprise, de la délégation unique du personnel, de l'instance regroupée mise en place par accord et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut être, pour un établissement ou pour l'ensemble de l'entreprise, prorogée ou réduite, soit par accord collectif, soit par décision de l'employeur après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, le cas échéant, de la délégation unique du personnel ou de l'instance regroupée, de manière à ce que leur échéance coïncide avec la date de la mise en place du comité social et économique et, le cas échéant, du comité social et économique d'établissement et du comité social et économique central ; qu'il résulte de cette disposition que la réduction de la durée du mandat de ces institutions représentatives du personnel ne peut résulter que d'un accord collectif la prévoyant expressément ou d'une décision de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise, ou à défaut des délégués du personnel, ou le cas échéant de la délégation unique du personnel ou de l'instance regroupée ; qu'en jugeant qu'il ressortait de cette disposition que les instances représentatives ne pouvaient pas se cumuler, de sorte que les anciens mandats avaient pris fin par le seul effet de l'accord du 15 mars 2018 et de l'organisation de nouvelles élections le 2 juillet 2018 en vue de la mise en place du comité social et économique et que l'ancien comité d'établissement n'avait pas d'existence légale, quand cet accord collectif, qui ne portait que sur la mise en place du comité social et économique, ne contenait aucune disposition sur les mandats des membres du comité d'entreprise de l'établissement du Park Hyatt Paris-Vendôme qui étaient donc toujours en cours jusqu'au 29 avril 2019, la cour d'appel a violé l'article 9 paragraphe III de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ;

2°/ que caractérise une entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, l'annulation par l'employeur d'une réunion de ce comité au motif qu'il aurait déclenché une grève et qu'aucune salle ne serait disponible ; qu'en constatant que la société STN Tefid avait bien organisé une réunion le 27 septembre 2018 qu'elle avait ensuite annulée, et en déboutant les exposants de leurs demandes tendant à voir ordonner à la SAS STN Tefid de réunir régulièrement et sans délai le comité d'entreprise qui n'avait fait l'objet d'aucune procédure de dissolution et condamner cette société à leur payer, à titre provisionnel, la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel a violé l'article L. 2328-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article 9, III, de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, pour assurer la mise en place du comité social et économique, la durée du mandat des délégués du personnel, des membres élus du comité d'entreprise, de la délégation unique du personnel, de l'instance regroupée mise en place par accord et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut être, pour un établissement ou pour l'ensemble de l'entreprise, prorogée ou réduite, soit par accord collectif, soit par décision de l'employeur après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, le cas échéant, de la délégation unique du personnel ou de l'instance regroupée, de manière à ce que leur échéance coïncide avec la date de la mise en place du comité social et économique et, le cas échéant, du comité social et économique d'établissement et du comité social et économique central.

6. Ayant constaté qu'un accord avait été conclu au sein de la société STN-Tefid le 15 mars 2018 entre l'employeur et trois syndicats représentatifs, dont le syndicat CGT, prévoyant la mise en place d'un comité social et économique unique pour toute l'entreprise, et que des élections avaient eu lieu le 2 juillet 2018 à cet effet, la cour d'appel en a exactement déduit que l'accord avait implicitement mais nécessairement réduit les mandats en cours des membres des anciens comités d'entreprise qui avaient pris fin au jour de la mise en place du comité social et économique peu important la convocation, ultérieurement annulée par l'employeur, d'un ancien comité d'entreprise postérieurement au 2 juillet 2018.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis

Enoncé du deuxième moyen

8. Les syndicats et les salariés font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à voir ordonner à la société Sasih de laisser circuler librement au sein de l'établissement Park Hyatt Vendôme les représentants du personnel et les représentants syndicaux conformément à leurs mandats sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et à condamner la société Sasih à leur payer, à titre provisionnel, à titre de dommages-intérêts en réparation des entraves répétées à la libre circulation des représentants du personnel et des représentants syndicaux, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession (article L. 2132-3 du code du travail), de rappeler à tout salarié de la société STN Tefid employé sur le site Park Hyatt Paris-Vendôme et participant au mouvement de grève susmentionné soutenu par le syndicat CGT-HPE et le syndicat Union syndicale CGT du Commerce, des services et de la distribution de Paris (US-CGT du Commerce) l'interdiction de faire entrave à la liberté du travail des salariés de la société STN Tefid ne participant pas à ce mouvement de grève et désirant rejoindre leur poste de travail sur le site susmentionné ou quitter ce site en direction de la voie publique, ordonner à Mme O... E... et à M. H..., avec interdiction similaire à toute autre personne participant au mouvement de grève susmentionné, avec au besoin le concours de la force publique, de cesser tout agissement d'entraves à la liberté du travail des salariés de la société STN Tefid ne participant pas à ce mouvement de grève et désirant rejoindre leur poste de travail sur le site susmentionné, consistant notamment à empêcher toute personne de pénétrer depuis la voie publique à l'intérieur de cet hôtel ou de sortir de cet hôtel en direction de la voie publique et de leur interdire l'entrée dans les chambres de l'hôtel Hyatt sans autorisation et l'occupation des bars et restaurants de l'hôtel Hyatt, et de dire que la société Sasih pourra faire appel au concours de la force publique pour faire respecter ces interdictions, alors :

« 1°/ que les salariés investis d'un mandat représentatif peuvent, tant durant les heures de délégation qu'en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise ; que cette liberté de circulation, d'ordre public absolu, n'a pas pour seule finalité de prendre les contacts utiles auprès des salariés travaillant dans l'entreprise, sous réserve de ne pas porter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés ; qu'en affirmant que la finalité reconnue à la liberté de circulation était de prendre les contacts utiles auprès des salariés travaillant dans l'entreprise, pour en déduire que la société Sasih avait à juste titre adopté la décision, au cours des journée des 1er et 3 octobre 2018, d'empêcher toute nouvelle intrusion au sein de l'hôtel Park Hyatt et rejeter la demande des exposants tendant à voir ordonner à la société Sasih de laisser circuler librement au sein de l'établissement Park Hyatt Paris-Vendôme les représentants du personnel et syndicaux conformément à leurs mandats, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-5, L. 2325-11 et L. 2143-20 du code du travail dans leurs rédactions alors applicables, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 12 et 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2°/ que les salariés investis d'un mandat représentatif peuvent, tant durant les heures de délégation qu'en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise ; que cette liberté de circulation, d'ordre public absolu, n'a pas pour seule finalité de prendre les contacts utiles auprès des salariés travaillant dans l'entreprise, sous réserve de ne pas porter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés, et qu'elle ne peut être restreinte par l'employeur en cas de grève dans l'entreprise ; qu'en affirmant, par motifs adoptés, que la société Sasih pouvait interdire l'intrusion de tout instrument d'émission sonore et faire suivre à l'intérieur de son établissement les représentants du personnel et syndicaux par des membres de sa direction ou de son service de sécurité dans le but de prévenir la réalisation de débordements et de garantir la sérénité et la sécurité au travail des personnels non grévistes, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-5, L. 2325-11 et L. 2143-20 du code du travail dans leurs rédactions alors applicables, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 12 et 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°/ qu'à tout le moins, en s'abstenant de préciser dans quelle mesure ces restrictions auraient été justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but légitime recherché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2315-5, L. 2325-11 et L. 2143-20 du code du travail dans leurs rédactions alors applicables, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 12 et 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Enoncé du troisième moyen

9. Les syndicats et les salariés font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que les salariés investis d'un mandat représentatif peuvent, tant durant les heures de délégation qu'en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise ; que cette liberté de circulation, d'ordre public absolu, n'a pas pour seule finalité de prendre les contacts utiles auprès des salariés travaillant dans l'entreprise, sous réserve de ne pas porter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés et qu'elle peut être utilisée aux fins d'exercer des actions revendicatives ; qu'en affirmant que la liberté de circulation des élus et délégués ne devait pas être utilisée aux fins d'exercer des actions revendicatives, pour leur interdire l'entrée dans les chambres de l'hôtel Hyatt sans autorisation et l'occupation des bars et restaurants de l'hôtel Hyatt, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-5, L. 2325-11 et L. 2143-20 du code du travail dans leurs rédactions alors applicables, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 12 et 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2°/ que les salariés investis d'un mandat représentatif peuvent, tant durant les heures de délégation qu'en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise ; que cette liberté de circulation, d'ordre public absolu, n'a pas pour seule finalité de prendre les contacts utiles auprès des salariés travaillant dans l'entreprise, sous réserve de ne pas porter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés et qu'elle peut être utilisée aux fins d'exercer des actions revendicatives ; qu'en affirmant que la liberté de circulation des élus et délégués ne sera rétablie que lorsque le conflit social aura pris fin, « dans le seul but d'exercer leurs mandats et prendre contact avec les salariés et non pour y exercer des actions revendicatives », la cour d'appel a violé les articles L. 2315-5, L. 2325-11 et L. 2143-20 du code du travail dans leurs rédactions alors applicables, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 12 et 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°/ que l'occupation des lieux de restauration d'un hôtel par les représentant du personnel n'est pas constitutive d'un trouble manifestement illicite dés lors qu'elle ne vise que l'information des salariés ; qu'en affirmant que l'occupation des lieux de restauration de l'hôtel était constitutive d'un trouble manifestement illicite aux seuls motifs qu'elle emportait une atteinte évidente à l'image de l'hôtel à l'égard de la clientèle sans avoir précisé combien de temps avait duré cette occupation et si elle avait dépassé la simple information des salariés, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard des articles L. 2315-5, L. 2325-11 et L. 2143-20 du code du travail dans leurs rédactions alors applicables, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 12 et 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article L. 2143-20 du code du travail, et des articles L. 2315-5 et L. 2325-11 alors applicables du même code, que les représentants du personnel et les représentants syndicaux peuvent, tant durant les heures de délégation qu'en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission, notamment auprès d'un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés.

11. La liberté de circulation des représentants du personnel et des représentants syndicaux au sein de l'entreprise est un principe d'ordre public, qui ne peut donner lieu à restrictions qu'au regard d'impératifs de santé, d'hygiène ou de sécurité ou en cas d'abus. Elle s'exerce de la même façon en cas de mouvement de grève.

12. En l'espèce, sans remettre en cause la légitimité d'une action revendicative des représentants du personnel et syndicaux, pouvant s'exercer sous la forme d'une cessation collective et concertée du travail, la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, qu'il avait été constaté, notamment par des actes d'huissier, de la part des représentants participant au mouvement de grève des comportements apportant une gêne anormale au travail des salariés et à la clientèle de l'hôtel, les 25 septembre 2018 (usage de mégaphone et montée dans les étages de l'hôtel pour interpeller les salariés non grévistes) et 30 septembre 2018 (distribution de tracts aux clients, cris et usage de sifflets, montée dans les étages de l'hôtel pour intimider les salariés non grévistes ; entrée de force dans une chambre de l'hôtel). Estimant que ces comportements étaient abusifs et constituaient par conséquent un trouble manifestement illicite, elle a pu en déduire que les restrictions provisoires imposées par l'employeur, consistant dans un premier temps dans l'interdiction d'accès à l'hôtel, puis, après quelques jours, à conditionner l'accès (entrée sans sifflets, ni mégaphone, ni chasubles ; contact à distance par un membre de la direction ou de la sécurité, interdiction d'entrée dans les chambres d'hôtel sans autorisation), étaient justifiées et proportionnées aux abus constatés.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche : Publication sans intérêt

Portée et conséquences de la cassation

17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. La cassation prononcée par voie de retranchement n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du quatrième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il interdit aux grévistes et à toute personne agissant de concert avec eux, d'utiliser des instruments sonores sur la voie publique en-deçà d'un périmètre de 200 mètres autour de l'hôtel Hyatt, et dit que la société Sashi pourra faire appel au concours de la force publique pour faire respecter cette interdiction, l'arrêt rendu le 24 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 9, III, de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales ; articles L. 2315-5, L. 2325-11, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 13 mars 2007, et L. 2143-20 du code du travail ; loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; principe de la séparation des pouvoirs.

Rapprochement(s) :

Sur la liberté de circulation des représentants du personnel et des représentants syndicaux au sein de l'entreprise, à rapprocher : Crim., 8 mai 1973, pourvoi n° 72-92.386, Bull. crim. 1973, n° 212 (rejet).

Soc., 10 février 2021, n° 19-13.225, n° 19-13.226, n° 19-13.227, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Employeur – Redressement et liquidation judiciaires – Créances des salariés – Assurance contre le risque de non-paiement – Garantie – Domaine d'application – Contribution au financement de l'allocation servie aux bénéficiaires de la convention de reclassement personnalisé – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-13.225, 19-13.226 et 19-13.227 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Orléans, 13 décembre 2018), M. L... et dix autres salariés se sont vu notifier leur licenciement pour motif économique à la suite de la liquidation judiciaire de leur employeur, la société Proma France (la société), prononcée le 11 mars 2010, M. N... étant désigné en qualité de liquidateur. Ils ont accepté la convention de reclassement personnalisé.

3. Après la reconnaissance, par des décisions de justice irrévocables, de l'absence de cause réelle et sérieuse ou de la nullité de leur licenciement, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour contester le montant des créances salariales arrêté par le liquidateur au passif de la liquidation de la société et le plafond de garantie de l'AGS.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'AGS et l'UNEDIC font grief aux arrêts de dire que le plafond de garantie des salaires de l'AGS s'entend de la totalité des créances salariales, en ce compris le précompte effectué par l'employeur en vertu de l'article L. 242-3 du code de la sécurité sociale mais à l'exclusion du montant de la contribution au dispositif de la convention de reclassement personnalisé versée à Pôle emploi du chef de l'adhésion des salariés à ce dispositif, alors :

« 1°/ que la garantie de l'AGS couvre les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposée la convention de reclassement personnalisé, sous réserve que l'administrateur, l'employeur ou le liquidateur, selon le cas, ait proposé cette convention aux intéressés au cours de l'une des périodes indiquées au 2° de l'article L. 3253-8, y compris les contributions dues par l'employeur dans le cadre de cette convention et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié ; que le plafond des créances garanties par l'AGS doit être déterminé en tenant compte de l'ensemble des créances objets de la garantie ; qu'en disant que la contribution de l'employeur au financement de la convention de reclassement personnalisé ne devait pas être prise en compte pour la détermination du plafond de garantie, la cour d'appel a violé les articles L. 3253-8 3° et L. 3253-17 du code du travail dans leur version applicable au litige ;

2°/ que les contributions dues par l'employeur dans le cadre d'une convention de reclassement personnalisé et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié sont des créances du salarié résultant de la rupture du contrat de travail ; qu'en décidant le contraire et en refusant de tenir compte de la contribution au financement de la convention de reclassement personnalisé pour apprécier le montant maximum de la garantie de l'AGS, la cour d'appel a violé les articles L. 3253-8 et L. 3253-17 du code du travail, dans leur version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3253-17 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et les articles L. 1233-67, alinéa 2, L. 1233-69 et L. 3253-8 3° du même code, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 :

5. Selon le premier de ces textes, la garantie des institutions de garantie est limitée, toutes créances du salarié confondues, à un ou des montants déterminés par décret, en référence au plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions du régime d'assurance chômage.

6. Il résulte du deuxième de ces textes, que la rupture du contrat de travail d'un salarié ayant accepté de bénéficier d'une convention de reclassement personnalisé ne comporte pas de préavis.

7. Selon le troisième de ces textes, l'employeur contribue au financement de l'allocation servie aux bénéficiaires de la convention de reclassement personnalisé par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1, pour le compte de l'organisme mentionné à l'article L. 5427-1 par un versement à l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 équivalent au minimum à deux mois de salaire de l'intéressé, sous réserve que la durée légale du préavis soit au moins égale à deux mois.

8. Enfin, en application du dernier texte, l'AGS couvre les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposée la convention de reclassement personnalisé, y compris les contributions dues par l'employeur dans le cadre de cette convention.

9. Il résulte de la combinaison de ces textes que la contribution due par l'employeur à l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du code du travail, qui équivaut au salaire auquel le salarié aurait eu droit au titre du préavis et participe au financement de l'allocation perçue par l'intéressé, est une créance du salarié au sens de l'article L. 3253-17 du même code, et entre dans le calcul des créances garanties par l'AGS.

10. Pour exclure du plafond de la garantie de l'AGS le montant des contributions au dispositif de la convention de reclassement personnalisé versées par cet organisme à Pôle emploi, la cour d'appel a retenu que le montant des contributions s'analysait en réalité en la couverture, par cette institution, de la contribution de l'employeur au financement de ce dispositif et non en une créance des salariés.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le premier des textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Sur la demande de l'AGS et de l'UNEDIC, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Il y a lieu de dire que le plafond de garantie des salaires de l'AGS comprend le montant de la contribution due par l'employeur dans le cadre de la convention de reclassement personnalisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils disent que le plafond de garantie des salaires de l'AGS s'entend à l'exclusion du montant de la contribution au dispositif de la convention de reclassement personnalisé qu'elle a versée à Pôle emploi du chef de l'adhésion des salariés à ce dispositif, les arrêts rendus le 13 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que le plafond de garantie des salaires de l'AGS comprend le montant de la contribution due par l'employeur dans le cadre de la convention de reclassement personnalisé.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Pietton - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 3253-17, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, L. 1233-67, alinéa 2, L. 1233-69 et L. 3253-8, 3°, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011, du code du travail.

Soc., 10 février 2021, n° 19-20.397, (P)

Rejet

Harcèlement – Harcèlement moral – Dénonciation de faits de harcèlement moral – Sanction interdite – Réintégration du salarié – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 20 février 2019), rendu après cassation (Soc., 14 février 2018, pourvoi n° 16-22.360), M. N..., engagé le 17 mai 1995 par la société Air Corsica (la société), a été licencié le 31 mai 2012 pour motif personnel.

2. Soutenant que cette rupture était en lien avec des agissements de harcèlement moral dont il se considérait victime, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en vue d'obtenir la nullité du licenciement.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal du salarié

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le moyen du pourvoi incident de la société

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration, par elle, du salarié dans l'emploi précédemment occupé ou dans un emploi équivalent, dans le même secteur géographique, à savoir celui de Marseille, avec le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière, avec reprise de l'ancienneté au 1er septembre 2012 et paiement du salaire conventionnel à compter de la date de la réintégration, alors « qu'en présence d'un licenciement nul, le juge doit ordonner la réintégration du salarié si celui-ci la demande sauf si la réintégration est matériellement impossible ; qu'est matériellement impossible la réintégration du salarié qui se trouve lié par un contrat de travail en cours avec un autre employeur au jour où le juge statue sur sa demande de réintégration ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt qu'au jour où elle statuait, le salarié était titulaire d'un contrat de travail le liant à la commune d'Ajaccio renouvelé du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021 et que sa réintégration n'était donc pas alors possible, le salarié devant préalablement démissionner de son emploi en respectant un préavis de deux mois ; qu'en jugeant néanmoins que sa réintégration n'était pas matériellement impossible, la cour d'appel a violé les articles L 1152-2 et L 1152-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté que la société ne justifiait pas que la réintégration du salarié était matériellement impossible, la cour d'appel a exactement retenu que le fait pour le salarié d'être entré au service d'un autre employeur n'était pas de nature à le priver de son droit à réintégration.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 1152-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la constatation d'une impossibilité de réintégration dans l'entreprise, à rapprocher : Soc., 25 février 1998, pourvoi n° 95-44.019, Bull. 1998, V, n° 102 (cassation) ; Soc., 30 avril 2003, pourvoi n° 00-44.811, Bull. 2003, V, n° 152 (cassation partielle) ; Soc., 14 septembre 2016, pourvoi n° 15-15.944, Bull. 2016, V, n° 164 (cassation partielle), et les arrêts cités.

Soc., 17 février 2021, n° 18-15.972, (P)

Cassation partielle

Maladie du salarié – Accident du travail ou maladie professionnelle – Suspension du contrat – Rupture pendant la période de suspension – Nullité – Cas – Contrat de mission – Terme du contrat – Survenance du terme – Requalification en contrat à durée indéterminée – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 2 mars 2018), M. E... a été engagé par les société SIM travail temporaire et SIM 50 pour être mis à la disposition de la société I... (la société), en qualité de manoeuvre BTP, dans le cadre de contrats de mission du 15 septembre 2008 au 31 octobre 2012.

2. A cette dernière date, il a été victime d'un accident du travail, à la suite duquel il a été en arrêt de travail puis en invalidité et placé sous la curatelle de l'UDAF de la Manche.

3. Le salarié assisté de son curateur a saisi la juridiction prud'homale de demandes de requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée et au titre de la rupture.

4. La société I... a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 8 janvier 2019 et la Selarl [...] désignée en qualité de liquidatrice.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Énoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme le montant du rappel de salaire pour l'année 2012, alors « que toute décision judiciaire doit être motivée ; de sorte qu'en fixant le montant du rappel de salaire pour l'année 2012 à la somme de 991,72 euros, sans donner aucune explication sur la base de calcul de ce rappel de salaire, après avoir retenu, pour fixer le montant des indemnités de rupture, que le salaire mensuel moyen perçu par M. E... avant la cessation des relations contractuelles s'élevait à 1 930,52 euros, tout en contestant, par la suite, cette base de calcul pour fixer le montant de l'indemnité de requalification, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a souverainement retenu l'existence d'heures supplémentaires et fixé la créance s'y rapportant.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Énoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour les années 2008, 2009, 2010 et 2011 et de limiter le montant de l'indemnité pour repos compensateur non pris à une certaine somme, alors « que les juges du fond ne peuvent rejeter une demande fondée sur l'accomplissement d'heures de travail impayées sans exiger de l'employeur qu'il fournisse des éléments précis de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; de sorte qu'en l'espèce, en rejetant la demande de rappel de salaire découlant de l'accomplissement d'heures supplémentaires en se fondant exclusivement sur le caractère insuffisamment étayé de la demande du salarié pour les années 2008, 2009, 2010 et 2011, tout en constatant la production d'un décompte d'heures qu'il prétendait avoir réalisées, auquel l'employeur pouvait répondre, sans exiger de l'employeur qu'il fournisse, comme il y était tenu, des éléments contraires, de nature à justifier précisément les horaires effectivement réalisés par le salarié au cours des années 2008, 2009, 2010 et 2011, la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié et violé les dispositions de l'article 3171-4 du code du travail et 1315 du code civil dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

9. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

10. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

11. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

12. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires pour les années 2008 à 2011, l'arrêt retient que l'intéressé expose que la situation n'était pas nouvelle en 2012, que depuis le début de la relation de travail il accomplissait des heures supplémentaires attestées par son entourage et il présente, pour la période 2008-2011, un décompte (« forfaitaire » selon ses propres termes) établi sur la base du décompte de 2012. Il retient encore que la société ne fournit aucun élément de nature à justifier les horaires réalisés. Il ajoute que pour le surplus correspondant aux années antérieures à l'année 2012, la réclamation ne saurait être considérée comme étayée par la seule affirmation que « des heures supplémentaires ont été faites » et la présentation d'un décompte établi sur la base forfaitaire des heures réalisées en 2012.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

14. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rappel de salaire pour les années 2008 à 2011, alors « que la cassation du chef du dispositif de l'arrêt attaqué à intervenir sur le premier moyen de cassation, relatif à la preuve des heures de travail accomplies au cours des années 2008 à 2011, aux motifs desquels la cour d'appel renvoie, entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef du dispositif rejetant la demande de rappel de salaire pour les années 2008 à 2011, ce en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

15. La cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef du dispositif déboutant le salarié de sa demande de rappel de salaire pour ces mêmes années, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Sur le troisième moyen

Énoncé du moyen

16. Le salarié fait grief à l'arrêt de décider que la rupture du contrat de travail ne devait pas s'analyser en un licenciement nul, alors « que lorsqu'un contrat de mission a été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, qu'un accident du travail est intervenu alors que le salarié se trouvait au service de l'entreprise utilisatrice et que la cessation des relations de travail est une conséquence directe et immédiate de l'accident du travail, la rupture du contrat de travail doit s'analyser en un licenciement nul, pour être intervenu en cours de suspension du contrat de travail provoquée par un accident du travail ; de sorte qu'en décidant que l'accident du travail survenu le 31 octobre 2012 n'avait pas fait obstacle à la survenance du terme du contrat à durée déterminée dans le cadre duquel M. E... était embauché et que la cause de la rupture n'avait pas été l'accident du travail mais la survenance de ce terme, tout en considérant, par ailleurs, que l'ensemble de la relation contractuelle devait être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée de septembre 2008 à la cessation de la relation de travail, après avoir constaté que lors de l'accident M. E... était au service de la société I..., entreprise utilisatrice, dans le cadre d'un contrat de travail temporaire (ayant pour terme le 31 octobre au soir), sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'interruption de paiement de son salaire le jour même de son accident du travail et le fait qu'il n'ait jamais pu reprendre le travail par la suite compte tenu de la gravité des conséquences de son accident du travail n'avaient pas eu pour conséquence la rupture définitive des relations de travail le 31 octobre 2012, immédiatement après l'accident du travail, soit pendant la période de suspension, de sorte que la rupture du contrat de travail devait s'analyser en un licenciement nul, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail, dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail :

17. Selon ces textes, au cours des périodes de suspension du contrat de travail du salarié consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l'employeur ne peut rompre ce contrat que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance de ces dispositions étant nulle.

18. Pour dire que la rupture constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non un licenciement nul comme le soutenait le salarié, l'arrêt retient que l'accident du travail survenu le 31 octobre 2012 n'a pas fait obstacle à la survenance du terme du contrat à durée déterminée dans le cadre duquel le salarié était embauché et que la cause de la rupture n'a pas été l'accident du travail mais la survenance de ce terme.

19. En statuant ainsi, après avoir requalifié les contrats de mission de travail temporaire en contrat à durée indéterminée à compter du mois de septembre 2008, la cour d'appel, qui a constaté que le salarié avait été placé en arrêt de travail dès la survenance de son accident de travail jusqu'au 2 septembre 2015, en sorte qu'à la date de la rupture, le contrat de travail était suspendu, ce dont elle aurait dû déduire que la cessation de la relation contractuelle au cours de la période de suspension s'analysait en un licenciement nul, a violé les textes susvisés.

Et sur le quatrième moyen, pris en ses deux premières branches

Énoncé du moyen

20. Le salarié fait grief à l'arrêt de fixer le montant de l'indemnité de requalification à la somme de 1 555,24 euros, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 1251-41 du code du travail qu'en cas de requalification d'un contrat de mission en contrat à durée indéterminée, le juge doit accorder au salarié, à la charge de l'utilisateur, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ; que le salaire mensuel de référence ne peut être inférieur, non pas au salaire moyen perçu par le salarié, mais au dernier salaire mensuel perçu, avant la saisine de la juridiction, au sein de l'entreprise utilisatrice ; de sorte qu'en fixant à la somme de 1 555,24 euros le montant de l'indemnité de requalification sans vérifier si ce montant n'était pas inférieur au dernier salaire mensuel perçu, avant la saisine de la juridiction, au sein de l'entreprise qui avait conclu le contrat à durée déterminée, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1251-41 du code du travail ;

2°/ qu'en excluant expressément, comme salaire de référence, le salaire de 1 930,52 euros, tout en confirmant les condamnations des premiers juges s'agissant des indemnités de préavis (1 930,52 euros x 2) et de licenciement (1 930,52 euros x [(4 années x 1/5) + (1/12 années x 1/5)]), retenant, implicitement mais nécessairement, le salaire de 1 930,52 euros comme salaire de référence, en se bornant à affirmer ensuite que l'examen des bulletins de paie ne faisait pas apparaître que « la dernière moyenne de salaire mensuel » s'élèverait à un montant supérieur à celui de 1 555,24 euros indiqué par la société I..., sans s'expliquer sur la différence entre le salaire mensuel moyen retenu pour fixer les indemnités de rupture et celui retenu pour fixer l'indemnité de requalification, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1251-41 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

21. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

22. Pour fixer le montant de l'indemnité de requalification à la somme de 1 555,24 euros, l'arrêt retient que l'examen des bulletins de paie ne fait pas apparaître que la dernière moyenne de salaire mensuel s'élèverait à un montant supérieur à celui de 1 555,24 euros indiqué par la société.

23. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Mise hors de cause

24. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause les sociétés SIM travail temporaire et SIM 50, le pourvoi ne formulant aucune critique contre le chef de l'arrêt les ayant mis hors de cause, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Met hors de cause les sociétés SIM travail temporaire et SIM 50 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la rupture du contrat de travail constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non un licenciement nul, déboute M. E... de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement nul, le déboute de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour les années 2008, 2009, 2010 et 2011, limite le montant de l'indemnité pour repos compensateur non pris à la somme de 1 256,08 euros, et condamne la société I... à payer à M. E... la somme de 1 555,24 euros à titre d'indemnité de requalification, l'arrêt rendu le 2 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens, à rapprocher : Soc., 14 novembre 2018, pourvoi n° 17-18.891, Bull. 2018, (cassation partielle).

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