Numéro 2 - Février 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2021

CONFLIT DE LOIS

1re Civ., 10 février 2021, n° 19-17.028, (P)

Rejet

Application de la loi étrangère – Revendication de la loi française – Droits dont les parties ont la libre disposition – Accord de celles-ci sur l'application de la loi française du for saisi malgré l'existence d'une règle de conflit désignant la loi compétente – Conséquences sur la loi applicable aux procédures subséquentes – Détermination – Portée

Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent, par un accord procédural qui peut résulter de conclusions concordantes sur ce point, choisir, pour régir une situation juridique déterminée, la loi française du for et évincer celle désignée par la règle de conflit applicable.

L'accord procédural des parties sur la loi applicable à la détermination de leur régime matrimonial a vocation à produire effet tant pour l'instance en partage au cours de laquelle il est intervenu que pour celle, engagée ensuite par l'un des ex-époux afin de voir dire que la loi applicable à leur régime matrimonial est la loi portugaise, qui n'en est que la conséquence.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 février 2019), un jugement du 15 mars 2002 a prononcé le divorce de M. K... et de Mme Y..., tous deux de nationalité portugaise, mariés en France le [...] 1970 sans contrat préalable, et a ordonné la liquidation de la communauté ayant existé entre les époux.

2. Des difficultés s'étant élevées pour la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux, un jugement irrévocable du 21 décembre 2012 a statué sur la composition de la communauté de biens existant entre eux et renvoyé les copartageants devant un notaire pour établir l'acte constatant le partage.

3. Par acte du 27 novembre 2013, M. K... a assigné Mme Y... aux fins de voir dire que la loi applicable à leur régime matrimonial est la loi portugaise et, en conséquence, que celui-ci est la séparation de biens.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième à sixième branches, et le troisième moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses troisième à sixième branches, et le troisième moyen, pris en sa première branche, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, qui est irrecevable.

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

5. M. K... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande, alors :

« 1°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a été expressément tranché dans le dispositif ; qu'en l'espèce, M. K... demandait qu'il soit jugé que le régime matrimonial était régi par la loi portugaise et qu'en conséquence ce régime était celui impératif de séparation de biens instauré par cette loi ; qu'en retenant, pour dire que ces demandes se heurtaient à l'autorité de chose jugée attachée aux jugements des 15 mars 2002 et 21 décembre 2012 et étaient dès lors irrecevables, que si l'autorité de chose jugée s'attache seulement au dispositif des décisions de justice et non à leurs motifs, elle s'étend néanmoins à ce qui est implicitement compris dans ce dispositif » et qu' en statuant sur la composition de la communauté de biens entre eux et les modalités de la liquidation de cette communauté de biens, les jugements des 15 mars 2002 et 21 décembre 2012, dont le caractère définitif n'est pas contesté, ont nécessairement déclaré applicable le régime légal de communauté de droit français, application sur laquelle le juge aux affaires familiales n'avait pas à se prononcer explicitement dans le dispositif de ses décisions dès lors qu'elle n'était pas contestée par les parties qui se sont mariées sur la commune d'Etigny en France et résidaient sur la commune de [...] en France lors de la demande de divorce », la cour d'appel a violé l'article 480 du code de procédure civile, ensemble l'article 1351, devenu l'article 1355, du code civil ;

2°/ que l'autorité de chose jugée ne peut être opposée que si la demande dont le juge est saisi a le même objet qu'une demande sur laquelle il a été précédemment statué ; que la demande tendant à ce que le juge se prononce sur la loi applicable au régime matrimonial n'a pas le même objet que la demande tendant à ce qu'il se prononce sur les éléments patrimoniaux constitutifs de la communauté qui aurait pu exister entre époux et sur les modalités de sa liquidation ; qu'en retenant néanmoins, pour en déduire qu'elles étaient irrecevables, que les demandes formées par M. K..., qui tendaient à ce qu'il soit jugé que le régime matrimonial était régi par la loi portugaise et était en conséquence celui impératif de séparation de biens instauré par cette loi, avaient le même objet que celles tranchées par les jugements des 15 mars 2002 et 21 décembre 2012, lesquels se bornaient pourtant à ordonner la liquidation de la communauté ayant existé entre les époux et à en déterminer les éléments constitutifs, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu l'article 1355, du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent, par un accord procédural qui peut résulter de conclusions concordantes sur ce point, choisir, pour régir une situation juridique déterminée, la loi française du for et évincer celle désignée par la règle de conflit applicable.

7. L'arrêt relève, par motifs adoptés, qu'au cours de la procédure tendant à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux, M. K... et Mme Y..., chacun assisté par un avocat, ont tous deux conclu au regard des codes civil et de procédure civile français. Il en déduit que les deux parties ont entendu soumettre la détermination et la liquidation de leur régime matrimonial à la loi française.

8. La cour d'appel a ainsi caractérisé l'existence d'un accord procédural des parties sur la loi applicable à la détermination de leur régime matrimonial, lequel avait vocation à produire effet tant pour l'instance en partage au cours de laquelle il était intervenu que pour celle, engagée ensuite par M. K..., qui n'en était que la conséquence.

9. Par ces seuls motifs, elle a légalement justifié sa décision de ce chef.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. M. K... fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à Mme Y... une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « qu'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient au juge de spécifier, dégénérer en abus de droit ; que le seul fait qu'une demande se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à une précédente décision ne suffit pas caractériser un abus lorsque l'étendue de la chose jugée est sérieusement contestée ; qu'en l'espèce, M. K... faisait valoir que le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Sens ne s'était pas prononcé, dans le dispositif de son jugement du 21 décembre 2012, sur la loi applicable au régime matrimonial ayant existé entre lui et son épouse, pour demander ensuite au juge aux affaires familiales de statuer sur ce point ; qu'en se bornant à affirmer, pour condamner M. K..., que par son action celui-ci cherchait à remettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 21 décembre 2012, dont il n'avait pas interjeté appel, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé la faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, a violé l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil, ensemble l'article 32-1 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. L'arrêt relève que M. K... a, par son fait, délibérément contribué à retarder les opérations de liquidation du régime matrimonial des époux pourtant arrêtées par jugement du 21 décembre 2012, dont il n'a pas interjeté appel, mais qu'il n'a pas hésité à remettre en cause en assignant le 27 novembre 2013 Mme Y... devant le juge aux affaires familiales.

12. Ayant ainsi fait ressortir que M. K... avait agi dans une intention dilatoire en cherchant à remettre en cause un jugement irrévocable, la cour d'appel a pu retenir le caractère manifestement abusif de l'exercice par ce dernier de son droit d'agir en justice.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SARL Corlay -

Textes visés :

Article 1387 et suivants du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 6 mai 1997, pourvoi n° 95-15.309, Bulletin 1997, I, n° 140 (rejet) ; 1re Civ., 26 mai 1999, pourvoi n° 96-16.361, Bull. 1999, I, n° 172 (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.