Numéro 2 - Février 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2021

CONCURRENCE

Com., 10 février 2021, n° 19-10.306, (P)

Cassation partielle

Transparence et pratiques restrictives – Rupture brutale des relations commerciales – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Experts-comptables – Critères

Il résulte de l'article 22 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, modifiée par la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, que l'activité d'expert-comptable est incompatible avec toute activité commerciale ou acte d'intermédiaire, à l'exception de ceux répondant à la double condition d'être réalisés à titre accessoire et de ne pas mettre en péril les règles d'indépendance et de déontologie de la profession. Ce texte précise que les conditions et limites à l'exercice de ces activités et à la réalisation de ces actes seront fixées par les normes professionnelles élaborées par le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables et agréées par arrêté du ministre chargé de l'économie. En l'absence de publication de cette norme, et faute pour une société d'expertise comptable d'avoir établi que les prestations de services dont elle reprochait à une société cliente l'interruption brutale étaient accessoires à sa mission d'expert-comptable et de nature commerciale, c'est à bon droit qu'une cour d'appel a retenu que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, n'étaient pas applicables aux relations ayant existé entre elles.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 2018), la société SMI a, par lettre de mission du 20 octobre 2006, confié à la société Audit gestion social comptabilité (la société AGSC) la tenue de sa comptabilité, ce qui comprenait notamment l'établissement de ses comptes annuels et de ses bulletins de salaires.

2. Le 3 mars 2011, la société SMI a décidé d'embaucher un comptable et réduit les tâches confiées à la société AGSC.

3. La société SMI ayant, par lettre du 31 juillet 2012, résilié le contrat la liant à la société AGSC, celle-ci l'a assignée en paiement d'une indemnité de résiliation contractuelle, de factures au titre de prestations impayées et de diverses sommes en réparation des préjudices causés par le retrait de sa mission et la rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Examen des moyens

Sur les quatrième et sixième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société AGSC fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, alors :

« 1°/ que la relation entre un expert-comptable et son client est une relation commerciale, peu important qu'un lien de confiance se soit tissé entre eux ; qu'en considérant, pour écarter l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, que la relation établie entre la société AGSC et la société SMI n'était pas fondée sur la seule recherche du profit mais également sur le lien de confiance devant exister entre eux, cependant qu'une telle circonstance, à la supposer avérée, n'était pas de nature à écarter l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, la cour d'appel a violé cet article ;

2°/ la circonstance que le partenaire commercial ait failli à sa mission est sans incidence sur l'imputation de la rupture brutale de la relation commerciale à l'auteur de cette rupture ; qu'en relevant, pour considérer que la rupture de la relation commerciale ne pouvait être imputée que partiellement à la société SMI, que la société AGSC avait failli à sa mission, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

3°/ que la circonstance que le prestataire de service ait progressivement arrêté de fournir à son client certaines catégories de services n'exclut pas que l'arrêt soudain, par le client, de commandes portant sur les services restants caractérise une rupture brutale de la relation commerciale établie ; qu'en relevant, pour écarter le caractère brutal de la rupture, que, depuis le mois d'avril 2011, la société AGSC avait cessé de fournir certaines prestations, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, il résulte de l'article 22 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, modifiée par la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, que l'activité d'expert-comptable est incompatible avec toute activité commerciale ou acte d'intermédiaire, à l'exception de ceux répondant à la double condition d'être réalisés à titre accessoire et de ne pas mettre en péril les règles d'indépendance et de déontologie de la profession. Ce texte précise que les conditions et limites à l'exercice de ces activités et à la réalisation de ces actes seront fixées par les normes professionnelles élaborées par le conseil supérieur de l'ordre et agréées par arrêté du ministre chargé de l'économie.

En l'absence de publication de cette norme, et faute pour la société AGSC d'avoir établi que les prestations de services dont elle reprochait à la société SMI l'interruption brutale étaient accessoires à sa mission d'expert-comptable et de nature commerciale, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, n'étaient pas applicables aux relations ayant existé entre la société SMI et la société AGSC.

7. En second lieu, le rejet du grief de la première branche rend inopérants ceux des deuxième et troisième branches.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. La société AGSC fait grief à l'arrêt de limiter à 10 000 euros HT la condamnation de la société SMI au titre de la facture n° 12.07.029, d'un montant de 64 105,60 euros correspondant à la rémunération du travail effectué et à l'indemnisation de son préjudice du fait du retrait de sa mission de tenue de comptabilité et d'établissement des comptes annuels à compter du 1er avril 2011, alors :

« 1°/ qu'une partie à un contrat ne peut en modifier unilatéralement le contenu ; que l'absence de contestation à une modification unilatérale du contrat n'équivaut pas à une acceptation de cette modification ; que la cour d'appel a constaté qu'aux termes de la lettre de mission signée le 20 octobre 2006, la société AGSC s'était vue chargée de tenir la comptabilité de la société SMI, d'établir le bilan, les bulletins de salaire, les situations intermédiaires et les comptes prévisionnels et d'assurer le secrétariat juridique des AGO ; qu'en considérant, pour rejeter la demande tendant au paiement des sommes dues au titre du retrait de la mission de tenue de comptabilité et d'établissement des comptes annuels au 1er avril 2011, que la société SMI avait graduellement déchargé la société AGSC de ses missions depuis le mois de mars 2011 et que ce retrait progressif n'avait fait l'objet d'aucune contestation de sa part, la cour d'appel, qui a donné effet à des modifications unilatérales du contrat non acceptées par le cocontractant de la société SMI, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'une partie à un contrat ne peut refuser d'exécuter son obligation que si l'inexécution reprochée au cocontractant est suffisamment grave ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter la demande tendant au paiement des sommes dues au titre du retrait de la mission de tenue de comptabilité et d'établissement des comptes annuels au 1er avril 2011, que la société AGSC avait commis des erreurs, sans rechercher si ces erreurs étaient suffisamment graves pour justifier l'inexécution, par la société SMI, de ses obligations résultant de la lettre du mission signée le 20 octobre 2006, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

10. Après avoir relevé que le retrait de la mission de la société AGSC portant sur la tenue de la comptabilité de la société SMI et l'établissement de ses comptes annuels n'était intervenu qu'à compter du 1er avril 2012 et que le retrait progressif de ses autres missions n'avait fait l'objet d'aucune contestation de sa part, ni en avril 2011, ni en janvier et avril 2012, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et circonstances de la cause que la cour d'appel a déduit de l'absence de protestation de la société AGSC, tandis que le contrat avait, pour certaines tâches résiduelles, continué d'être exécuté, que cette pratique traduisait la volonté commune des parties, qui avaient ainsi tiré ensemble les conséquences des nombreuses fautes et erreurs commises par l'expert-comptable, et relevées par l'expert judiciaire.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

12. La société AGSC fait grief à l'arrêt de condamner la société SMI à lui payer les intérêts au taux légal sur la facture n° 12.07.029 d'un montant de 10 000 euros à compter du 13 mars 2015, date du rapport de l'expert, et de dire que la somme de 8 806,11 euros due au titre des factures impayées produira intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, alors :

« 1°/ que les parties peuvent prévoir dans le contrat une clause déterminant le montant des intérêts de retard et la date à partir de laquelle courent ces intérêts ; qu'une telle clause, qui n'a pas pour objet d'indemniser forfaitairement le créancier de l'obligation, mais seulement d'inciter le débiteur à exécuter celle-ci dans le délai convenu, ne constitue pas une clause pénale ; qu'en considérant, pour écarter l'application des intérêts de retard conventionnels prévus à l'article 7 des conditions générales annexées à la lettre de mission, que cet article pouvait être regardé comme une clause pénale, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1152 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en tout état de cause, le juge n'a le pouvoir que de limiter le taux des intérêts de retard, et non de modifier le point de départ de ces intérêts, fixé contractuellement ; qu'en considérant que les intérêts au taux légal étaient dus à compter du 13 mars 2015, date du rapport de l'expert, pour la facture n° 12.07.029, et à compter de la date de l'assignation, pour les factures impayées antérieures au 30 juillet 2012, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

13. D'une part, après avoir, par motifs adoptés, relevé que l'article 7 des conditions générales annexées à la lettre de mission du 20 octobre 2006 prévoyaient qu'en cas de paiement tardif des factures d'honoraires de la société AGSC, un intérêt de retard de 1,75 % par mois s'appliquerait, l'arrêt retient que ce taux est particulièrement élevé puisqu'il se rapproche du taux de l'usure, ce dont il résulte que ces intérêts moratoires avaient pour objet, non seulement d'indemniser de manière forfaitaire et anticipée le préjudice causé à la société AGSC par le non-respect du délai de paiement convenu, mais aussi de contraindre la société SMI à exécuter ponctuellement ses obligations. Ayant ainsi caractérisé le caractère à la fois indemnitaire et comminatoire de ces stipulations, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'elles devaient s'analyser en une clause pénale.

14. D'autre part, le juge qui, sur le fondement de l'article 1152 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, décide de modérer la peine convenue par une clause pénale si elle est manifestement excessive peut, lorsque cette clause porte sur des intérêts moratoires, modifier tant le taux que le point de départ de ces intérêts.

Le grief de la seconde branche procède donc d'un postulat erroné.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. La société AGSC fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, formée contre la société SMI, en paiement de la somme de 15 667,60 euros au titre de la facture n° 12.07.030 du 31 juillet 2012, alors « que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; que la cour d'appel a relevé que l'article 3 des conditions générales annexées à la lettre de mission stipulait que le client ne pouvait interrompre la mission en cours qu'après en avoir informé l'expert-comptable, par lettre recommandée avec accusé de réception, trois mois avant la date de cessation, faute de quoi il devrait lui verser une indemnité égale à 25 % des honoraires pour l'exercice en cours ; qu'en considérant, pour rejeter la demande tendant au paiement de cette indemnité, que la société avait été informée du retrait de sa mission par le nouvel expert-comptable, peu important que la société AGSC n'ait été formellement informée, par la société SMI, de l'interruption totale de sa mission au moins trois mois avant cette interruption, la cour d'appel, qui a refusé d'appliquer le contrat, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

17. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.

18. Pour dire que la société AGSC a été régulièrement informée de l'interruption de sa mission, trois mois avant la fin de celle-ci, l'arrêt retient que si la société SMI n'a pas formellement adressé une lettre recommandée à la société AGSC, comme le prévoyaient les conditions générales annexées à la lettre de mission, il ressort des pièces produites aux débats que celle-ci, ne réalisant que des missions résiduelles depuis le 1er janvier 2012, non seulement ne l'ignorait pas mais l'avait accepté et qu'elle avait été informée du retrait de sa dernière mission, par le fait que l'établissement des comptes 2011/2012 par le nouvel expert-comptable signifiait que le contrat allait être résilié dès la finalisation de cette dernière mission.

19. En statuant ainsi, alors que la lettre de mission signée par la société AGSC stipulait expressément que la société SMI ne pouvait interrompre la mission en cours qu'après en avoir informé l'expert-comptable, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, trois mois avant la date de cessation, faute de quoi il devrait lui verser une indemnité égale à 25 % des honoraires pour l'exercice en cours, la cour d'appel, qui a refusé d'appliquer cette clause contractuelle, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société AGSC, formée contre la société SMI, en paiement de la somme de 15 667,60 euros au titre de la facture n° 12.07.020 du 31 juillet 2012, l'arrêt rendu le 8 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Boisselet - Avocat(s) : SCP Cabinet Colin - Stoclet ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 22 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, modifiée par la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 ; article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.

Com., 10 février 2021, n° 19-15.369, (P)

Cassation partielle

Transparence et pratiques restrictives – Rupture brutale des relations commerciales – Préavis – Délai – Eléments d'appréciation – Commune intention des parties

En matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties.

Transparence et pratiques restrictives – Ruptures brutales des relations commerciales – Durée de la relation commerciale – Point de départ – Détermination

Transparence et pratiques restrictives – Rupture brutale des relations commerciales – Conditions – Relation établie – Cas – Reprise de l'activité ou partie de l'activité par un tiers

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2019), par un contrat du 30 novembre 2011, la société [...] (la société [...]) a confié le transport de ses marchandises à la société Rave distribution (la société Rave).

2. La société [...] ayant été mise en redressement judiciaire, un jugement du 28 septembre 2012 a arrêté un plan de cession de la totalité de ses actifs à la société MAC, avec faculté pour celle-ci de se substituer sa filiale, la société Franciaflex, pour une partie d'entre eux.

3. Le 16 novembre 2012, un accord est intervenu entre la société Franciaflex et la société Rave sur les tarifs pouvant être appliqués par cette dernière pour la période postérieure au 1er novembre 2012.

4. Les négociations engagées entre les parties sur l'évolution ultérieure de ces tarifs ayant échoué, la société Franciaflex a, par une lettre du 1er août 2014, mis un terme aux relations entre les deux sociétés pour les activités dites « de distribution » à effet au 5 septembre 2014 et, par un courriel du 24 octobre de la même année, à celles relatives tant aux activités dites « tournées », à effet la semaine suivante, qu'aux activités dites « locations exclusives », à effet au 1er décembre 2014.

5. S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Rave a assigné la société Franciaflex en réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Rave fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :

« 1°/ que la durée des relations commerciales initialement nouées avec le cédant doit être prise en compte pour fixer la durée d'une relation commerciale établie en cas de rupture de celle-ci par le cessionnaire, lorsque ces relations se sont poursuivies, même en l'absence de mention dans le contrat de cession de la reprise la relation initiale par le cessionnaire ; qu'en retenant que le plan de cession ne prévoyait pas la reprise des relations commerciales établies avec la société Rave pour juger que la relation commerciale établie entre la société Rave et la société Franciaflex avait duré seulement deux ans, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, devenu L. 442-1, II ;

2°/ que la durée des relations commerciales initialement nouées avec le cédant doit être prise en compte pour fixer la durée d'une relation commerciale établie en cas de rupture de celle-ci par le cessionnaire, dès lors que le cessionnaire a manifesté son intention de poursuivre la relation préalablement établie avec le cédant ; qu'en décidant que la relation commerciale liant les société Rave et Franciaflex avaient débuté à la suite du plan de cession, sans rechercher, comme l'y invitait la société Rave, si la société Franciaflex n'avait pas manifesté l'intention de poursuivre la relation préalablement établie avec la société [...], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, devenu L. 442-1, II. »

Réponse de la Cour

7. En matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties.

8. Après avoir constaté que le plan de cession de la société [...] ne prévoyait pas celle du fonds de commerce, seuls quelques éléments de ce fonds ayant été cédés, que le contrat conclu entre les sociétés Rave et [...] ne relevait pas de ceux repris par la société Franciaflex et que, le 16 novembre 2012, un accord était intervenu sur les tarifs de la société Rave pour la période postérieure au 1er novembre 2012, la cour d'appel, qui a effectué la recherche invoquée par la seconde branche, a pu retenir que la société Franciaflex n'avait pas poursuivi la relation initialement nouée avec la société Rave, même si elle était identique.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. La société Rave fait le même grief à l'arrêt, alors « que lorsque les parties entretiennent plusieurs relations commerciales, et que chacune d'entre elles fait l'objet d'une rupture distincte soumise à un préavis propre, il appartient au juge de rechercher, pour chacune des ruptures, si le préavis octroyé peut être considéré, au regard de la durée de la relation, comme suffisant ; qu'en décidant « que pour une relation commerciale de seulement deux années, et eu égard à l'activité en cause, le préavis d'un mois mis en oeuvre pour les activités « d'affrètement » et « locations exclusives », apparait d'une durée suffisante », sans s'expliquer sur la rupture de la relation s'agissant de l'activité « tournées » pour laquelle le préavis octroyé n'était que d'une semaine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 6° du code de commerce (devenu L. 442-1, II). »

Réponse de la Cour

11. Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

12. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

13. Pour rejeter la demande de la société Rave, l'arrêt, après avoir constaté que, pour l'activité « tournées », la rupture avait été notifiée le 24 octobre 2014 pour prendre effet le 3 novembre suivant, retient que, pour une relation commerciale d'une durée de deux années seulement et eu égard à l'activité en cause, le préavis d'un mois mis en oeuvre pour les activités « affrètement » et « locations exclusives » apparaît d'une durée suffisante.

14. En se déterminant ainsi, sans préciser la raison pour laquelle la durée d'une semaine du préavis notifié pour l'activité « tournées » était suffisante, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Rave distribution tendant à la réparation de son préjudice résultant de la rupture de la relation commerciale établie avec la société Franciaflex pour l'activité « tournées », l'arrêt rendu le 28 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin -

Textes visés :

Article L. 442-6, I, 5°, devenu L. 442-1, II, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de rechercher l'intention du cessionnaire de poursuivre la relation préalablement initiée, à rapprocher : Com., 15 septembre 2015, n°14-17.964, Bull. 2015, IV, n° 127 (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.