Numéro 2 - Février 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2020

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 5 février 2020, n° 18-15.300, (P)

Cassation

Directive (CE) 2004/38 du 29 avril 2004 – Application concurentielle – Accord européen du 13 décembre 1957

L'accord européen du 13 décembre 1957 sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l'Europe, ratifié par la France et par la Grèce, doit recevoir application nonobstant la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres.

Il en résulte qu'un ressortissant français peut se rendre en Grèce avec l'un des documents énumérés à l'annexe de cet accord, qui sont, pour la France, le passeport national de la République française, en cours de validité ou périmé depuis moins de cinq ans, et la carte nationale d'identité de la République française en cours de validité.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Paris 9e, 14 février 2018), et les productions, le 21 juin 2016, Mme W... a acquis, pour elle-même et son fils alors âgé de neuf ans, tous deux ressortissants français, un séjour touristique en Grèce comprenant le vol et l'hébergement, de la société Go voyages (l'agence de voyages), le vol étant assuré par la société EasyJet Airline Company Limited (le transporteur aérien).

2. Le 9 juillet 2016, ils se sont présentés au départ.

Le transporteur aérien a refusé l'embarquement de l'enfant, au motif que son passeport était périmé depuis le mois de mai 2013.

3. Le 13 juin 2017, Mme W..., agissant en son nom et en celui de son fils mineur, a assigné l'agence de voyages et le transporteur aérien en indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du code de procédure civile.

Vu l'accord européen du 13 décembre 1957 sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l'Europe, et la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres :

5. Selon le point 1 de l'article 1er de cet accord, les ressortissants des Parties contractantes, quel que soit le pays de leur résidence, peuvent entrer sur le territoire des autres Parties et en sortir par toutes les frontières sous le couvert de l'un des documents énumérés à l'annexe audit accord, qui fait partie intégrante de celui-ci.

6. Pour rejeter les demandes de Mme W..., le jugement retient qu'en application de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, une carte d'identité ou un passeport en cours de validité est obligatoire pour se rendre et séjourner trois mois maximum sur le territoire d'un Etat membre et que ces dispositions sont applicables de droit dans chaque Etat membre.

7. En statuant ainsi, alors que l'accord du 13 décembre 1957, ratifié par la France et par la Grèce, doit recevoir application nonobstant la directive 2004/38/CE, et que, pour la France, les documents mentionnés à l'annexe de l'accord sont le passeport national de la République française, en cours de validité ou périmé depuis moins de cinq ans, et la carte nationale d'identité de la République française, en cours de validité, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 14 février 2018, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Paris 9e ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Accord européen du 13 décembre 1957 sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l'Europe ; directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres.

Com., 12 février 2020, n° 17-24.583, (P)

Cassation partielle

Douanes – Droits – Remboursement de droits indûment acquittés – Limite – Enrichissement sans cause – Preuve – Charge

Il résulte des articles 1315, devenu 1353, du code civil et 352 bis du code des douanes, et des principes posés par l'arrêt rendu le 2 octobre 2003 (Weber's Wine World e.a., C-147/01) par la Cour de justice des communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne, qu'il incombe à l'administration, au terme d'une analyse économique tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, d'établir l'existence et la mesure de l'enrichissement sans cause que le remboursement d'une imposition indûment perçue au regard du droit communautaire engendrerait pour l'assujetti.

Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui rejette la demande de restitution d'une taxe indûment perçue, formée par l'assujetti qui l'a répercutée sur ses clients, par des motifs pris de la seule augmentation du volume de son activité sur la période considérée, impropres à établir qu'il n'a subi aucun préjudice lié à cette répercussion, sans se référer à une analyse économique globale prenant en compte l'ensemble des circonstances pertinentes relatives à l'évolution des prix, des marges et des volumes de l'assujetti et du secteur concerné, qu'il incombe à l'administration de produire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 juillet 2017), la société Collectes valorisation énergie déchets (la société Coved), qui exploite plusieurs installations de stockage et de traitement de déchets non dangereux, est assujettie, à ce titre, à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

2. Estimant que l'imposition mise à sa charge pour l'année 2011, concernant son installation de Chanceaux-près-Loches, avait été établie en appliquant le tarif de 11 euros la tonne prévu pour les déchets faisant l'objet d'une valorisation énergétique du biogaz de plus de 75 %, au lieu de 7 euros la tonne pour les déchets stockés et traités selon la méthode du bioréacteur à laquelle répondait ladite installation, la société Coved a adressé à l'administration des douanes, le 23 avril 2012, une demande de remboursement de trop-perçu de taxe pour l'exercice en cause.

3. Sa demande ayant été rejetée, la société Coved a assigné l'administration des douanes en annulation de la décision de rejet de sa demande de remboursement et aux fins de voir ordonner le remboursement du trop-perçu.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Coved fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors « que l'article 352 bis du code des douanes, en ce qu'il prévoit que la personne qui a indûment acquitté des droits et taxes nationaux recouvrés selon les procédures dudit code ne peut en obtenir le remboursement lorsque ces droits et taxes ont été répercutés sur l'acheteur, est contraire au principe d'égalité devant la loi résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors qu'il n'oblige pas l'administration à faire la preuve, au terme d'une analyse économique tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, de l'existence et de la mesure de l'enrichissement sans cause qu'engendrerait pour l'assujetti le remboursement de l'imposition, dans le cas où l'imposition est indue au regard d'une règle de droit interne, cependant qu'une telle preuve est exigée de l'administration dans le cas où l'imposition est indue au regard d'une règle du droit de l'Union européenne, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue Cour de justice de l'Union européenne ; que la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra à cet égard, en l'état de la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Coved, privera l'arrêt attaqué de fondement juridique, en ce que la demande de remboursement de la TGAP trop perçue au titre de l'année 2011 a été rejetée en considération de la répercussion de cette taxe sur les clients de la société Coved. »

Réponse de la Cour

5. La Cour de cassation a, par un arrêt n° 407 du 30 mars 2018, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 352 bis du code des douanes.

6. Le moyen est donc sans portée.

Mais sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. La société Coved fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors :

« 1°/ qu'à défaut de déclaration d'inconstitutionnalité prenant effet immédiatement, l'article 352 bis du code des douanes doit être interprété à la lumière de l'arrêt Weber's Wine World rendu le 2 octobre 2003 par la Cour de justice des Communautés européennes, de telle sorte que la répercussion sur des tiers d'une taxe indûment acquittée, y compris dans les situations à caractère purement interne, ne peut faire obstacle au remboursement de cette taxe qu'à la condition que l'administration établisse, au terme d'une analyse économique tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, l'existence et la mesure de l'enrichissement sans cause que le remboursement engendrerait pour l'assujetti ; qu'après avoir retenu que la société Coved avait indûment payé la TGAP de l'année 2011 à un tarif supérieur à celui auquel elle était en droit de prétendre, la cour d'appel l'a cependant déboutée de sa demande de remboursement du trop-perçu, en énonçant que le juge était libre d'apprécier les preuves « présentées par les parties » s'agissant de la mesure de l'enrichissement sans cause que procurerait le remboursement de la taxe pour l'assujetti qui en a répercuté le montant sur des tiers, puis en relevant que la société Coved, qui avait répercuté la TGAP sur ses clients, « n'apport[ait] aucun élément de nature à démontrer » l'effectivité de l'impact que la taxe surévaluée avait eu sur son activité commerciale ni « aucun élément justifiant » de l'existence d'une procédure permettant le reversement aux clients de la taxe trop perçue ; qu'en statuant dans ces termes, quand c'était exclusivement à l'administration qu'il incombait d'établir l'existence et la mesure de l'enrichissement sans cause que le remboursement de la TGAP trop perçue aurait engendré pour la société Coved, eu égard à la répercussion de la taxe sur ses clients, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315, devenu 1353, du code civil, et de l'article 352 bis du code des douanes, interprété à la lumière de l'arrêt Weber's Wine World ;

2°/ qu'à défaut de déclaration d'inconstitutionnalité prenant effet immédiatement, l'article 352 bis du code des douanes doit être interprété à la lumière de l'arrêt Weber's Wine World rendu le 2 octobre 2003 par la Cour de justice des Communautés européennes, de telle sorte que la répercussion sur des tiers d'une taxe indûment acquittée, y compris dans les situations à caractère purement interne, ne peut faire obstacle au remboursement de cette taxe qu'à la condition que l'administration établisse, au terme d'une analyse économique tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, l'existence et la mesure de l'enrichissement sans cause que le remboursement engendrerait pour l'assujetti ; qu'en relevant encore, pour débouter la société Coved de sa demande de remboursement, que le volume des déchets stockés et traités en 2011 par cette société avait augmenté par rapport à 2010 puisque le tonnage était passé de 110 922 à 111 043, la cour d'appel s'est fondée sur un élément parcellaire, impropre à constituer une analyse économique tenant compte de toutes les circonstances pertinentes ; qu'en se prononçant ainsi, quand il incombait à l'administration de produire une telle analyse économique globale pour faire la preuve de l'enrichissement sans cause qu'aurait engendré le remboursement de la TGAP trop perçue pour la société Coved, eu égard à la répercussion de la taxe sur les clients de cette société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 352 bis du code des douanes, interprété à la lumière de l'arrêt Weber's Wine World ;

3°/ qu'à défaut de déclaration d'inconstitutionnalité prenant effet immédiatement, l'article 352 bis du code des douanes doit être interprété à la lumière de l'arrêt Weber's Wine World rendu le 2 octobre 2003 par la Cour de justice des Communautés européennes, de telle sorte que la répercussion sur des tiers d'une taxe indûment acquittée, y compris dans les situations à caractère purement interne, ne peut faire obstacle au remboursement de cette taxe qu'à la condition que l'administration établisse, au terme d'une analyse économique tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, l'existence et la mesure de l'enrichissement sans cause que le remboursement engendrerait pour l'assujetti ; qu'en se bornant à affirmer que le remboursement de la TGAP trop perçue aurait procuré un enrichissement sans cause à la société Coved, eu égard à la répercussion de la taxe sur les clients de cette société, sans constater la mesure de ce supposé enrichissement, la cour d'appel a, de plus fort, privé sa décision de base légale au regard de l'article 352 bis du code des douanes, interprété à la lumière de l'arrêt Weber's Wine World. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil et l'article 352 bis du code des douanes ;

8. Il résulte de ces textes et des principes posés par l'arrêt rendu le 2 octobre 2003 (Weber's Wine World e.a., C-147/01) par la Cour de justice des communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne, qu'il incombe à l'administration, au terme d'une analyse économique tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, d'établir l'existence et la mesure de l'enrichissement sans cause que le remboursement d'une imposition indûment perçue au regard du droit communautaire engendrerait pour l'assujetti.

9. Pour rejeter la demande de la société Coved, l'arrêt, après avoir énoncé que l'assujetti qui a répercuté sur ses clients la taxe indue pouvait subir un préjudice lié à une diminution du volume de ses ventes, de sorte qu'il y avait lieu de mesurer l'enrichissement sans cause que lui procurerait le remboursement de la taxe indûment payée, retient que la société Coved n'a produit aucun élément de nature à démontrer un tel impact sur son activité commerciale et que le dossier qu'elle avait adressé au Préfet permettait, au contraire, de constater que le volume des déchets stockés et traités par elle en 2011 avait augmenté par rapport à celui de 2010.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs pris de la seule augmentation du volume d'activité de l'assujettie sur la période considérée, impropres à établir qu'elle n'avait subi aucun préjudice dès lors qu'il ne pouvait être exclu que, sans cette répercussion, son chiffre d'affaires aurait augmenté davantage, la cour d'appel, qui ne s'est pas référée à une analyse économique globale prenant en compte l'ensemble des circonstances pertinentes relatives à l'évolution des prix, des marges et des volumes de l'assujettie et du secteur concerné au cours de la période considérée, qu'il incombait à l'administration fiscale de produire, a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de remboursement de la taxe générale sur les activités polluantes trop perçue et en ce qu'il statue sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 4 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Daubigney - Avocat général : Mme Beaudonnet - Avocat(s) : SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1315, devenu 1353, du code civil ; article 352 bis du code des douanes.

Rapprochement(s) :

Sur la notion d'enrichissement sans cause que le remboursement d'une imposition indûment perçue au regard du droit communautaire engendrerait pour l'assujetti, cf : CJCE, arrêt du 2 octobre 2003, Weber's Wine World e.a., C-147/01.

1re Civ., 5 février 2020, n° 19-12.294, (P)

Rejet

Transports aériens – Règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 – Refus d'embarquement et annulation ou retard important d'un vol – Responsabilité des transporteurs de personnes – Exonération – Causes d'exonération – Existence de circonstances extraordinaires – Caractérisation – Défaut – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Paris 17e, 14 décembre 2018), M. D... a acheté un billet d'avion de la société Air India (le transporteur aérien) pour un vol Paris-Delhi, puis Delhi-Bangkok, le premier vol devant décoller le 12 août 2017 à 22 heures pour atterrir le lendemain à 9 heures 35.

2. Cependant, ce vol a été annulé en raison de la maladie soudaine du pilote, nécessitant son hospitalisation d'urgence.

Le vol a finalement été effectué le 13 août à 16 heures 30, avec une arrivée à Delhi le 14 août à 14 heures 10.

3. M. D... a attrait le transporteur aérien en indemnisation sur le fondement du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, et abrogeant le règlement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le transporteur aérien fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. D... une indemnité forfaitaire de 600 euros, alors :

« 1°/ que le transporteur aérien est exonéré de son obligation d'indemnisation des passagers au titre de l'article 7 du règlement n° 261/2004 s'il est en mesure de prouver que l'annulation ou le retard est dû à des circonstances extraordinaires qui n'auraient pas pu être évitées même si toutes les autres mesures raisonnables avaient été prises ; que peuvent être qualifiées de « circonstances extraordinaires » les événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l'exercice normal de l'activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci ; qu'en se déterminant sur la base de la seule considération abstraite et générale que « la maladie d'un être humain ou son indisponibilité soudaine pour des raisons médicales n'est pas un événement inhabituel et ne saurait être qualifiée de circonstance extraordinaire », sans rechercher si l'affection dont M. L... était atteint l'empêchant d'assumer ses fonctions de pilote et nécessitant des soins immédiats n'était pas, par sa nature ou son origine, inhérente à l'exercice normal de l'activité de transporteur et échappait à sa maîtrise effective, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article 5, § 3, du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004 ;

2°/ que le transporteur aérien est exonéré de son obligation d'indemnisation des passagers au titre de l'article 7 du règlement n° 261/2004 s'il est en mesure de prouver que l'annulation ou le retard est dû à des circonstances extraordinaires qui n'auraient pas pu être évitées même si toutes les autres mesures raisonnables avaient été prises, c'est-à-dire par celles qui, au moment où ces circonstances extraordinaires surviennent, répondent notamment à des conditions techniquement et économiquement supportables pour le transporteur aérien ; qu'en se déterminant au moyen d'une appréciation générale sur les obligations du transporteur aérien, en cas de maladie d'un membre d'équipage, lui imposant de prévoir à l'avance une solution de remplacement, au lieu de se placer au moment où la circonstance exceptionnelle survenait et sans apprécier les moyens mis en oeuvre par le transporteur aérien pour pallier l'indisponibilité du pilote ayant pour conséquence d'interdire le décollage de l'appareil pour des raisons de sécurité avec un seul pilote, ainsi que le rappelait le transporteur aérien, le tribunal d'instance a derechef privé son jugement de base légale au regard de l'article 5, § 3, du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté que le pilote avait fait l'objet de soins, le 12 août 2018, à l'aéroport de Paris, le jugement énonce, à bon droit, que la maladie ou une indisponibilité soudaine pour des raisons médicales n'est pas un événement inhabituel et ne saurait être qualifiée de circonstance extraordinaire au sens de l'article 5, § 3, du règlement n° 261/2004 du 11 février 2004.

6. Le tribunal d'instance qui, par voie de conséquence, n'était pas tenu d'apprécier les moyens mis en oeuvre par le transporteur aérien pour pallier l'indisponibilité du pilote, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 5, § 3, du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens que : 1re Civ., 12 septembre 2018, pourvoi n° 17-11.361, Bull. 2018, I, (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 26 février 2020, n° 18-22.556, (P)

Cassation partielle

Travail – Santé et sécurité – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail – Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 – Article 6, § 4 – Pluralité de travailleurs sur un même lieu de travail – Obligations des employeurs – Détermination – Portée

Faits et procédure

1.Selon l'ordonnance attaquée, (président du tribunal de grande instance de Nanterre, 1er août 2018), statuant en la forme des référés, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société Manpower France (le CHSCT) a voté, par délibération du 16 avril 2018, le recours à une expertise relative au risque grave encouru selon lui par les salariés intérimaires employés par la société Feedback (l'entreprise utilisatrice).

La société Manpower France a contesté cette délibération devant le président du tribunal de grande instance et a, devant la Cour de cassation, posé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'interprétation de l'article L. 4614-12 du code du travail.

2.Par décision du 5 juin 2019 (Soc., n° 18-22.556), la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoyer la question au Conseil constitutionnel, en l'absence d'interprétation jurisprudentielle constante portant sur cette disposition.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Le CHSCT fait grief à l'ordonnance d'annuler la délibération du CHSCT désignant un expert pour risque grave alors « que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure, de contribuer à l'amélioration des conditions de travail de ces salariés et de veiller à l'observation des prescriptions légales prises en ces matières ; que les conditions de travail des travailleurs temporaires, même lorsqu'ils sont exclusivement mis à disposition d'entreprises utilisatrices, dépendent aussi de l'entreprise de travail temporaire ; qu'il en résulte que le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire peut faire appel à un expert agréé, dans les conditions de l'article L. 4614-2 du code du travail, lorsqu'un risque grave est constaté dans l'établissement où les travailleurs temporaires sont mis à disposition ; qu'en retenant que le CHSCT de l'établissement Ile-de-France de la société Manpower France n'était pas compétent pour voter une expertise en raison d'un risque grave touchant les travailleurs temporaires mis à la disposition de la société Feedback, le tribunal de grande instance a violé les articles L. 4612-1 et L. 4614-12 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et l'article L. 1251-21 du même code, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail :

5. L'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantissent le droit à la santé et à la sécurité de tout travailleur.

6.Selon l'article L. 1251-21-4° du même code, pendant la durée de la mission des travailleurs temporaires mis à sa disposition, l'entreprise utilisatrice est responsable de la santé et de la sécurité au travail.

7. L'article L. 4614-12 du code du travail, alors applicable, prévoit que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement.

8. L'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989 susvisée prévoit que, lorsque, dans un même lieu de travail, les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l'hygiène et à la santé et, compte tenu de la nature des activités, coordonner leurs activités en vue de la protection et de la prévention des risques professionnels, s'informer mutuellement de ces risques et en informer leurs travailleurs respectifs et/ou leurs représentants.

9. Il en résulte une obligation pour ceux qui emploient des travailleurs de veiller à ce que leur droit à la santé et à la sécurité soit assuré, sous la vigilance des institutions représentatives du personnel ayant pour mission la prévention et la protection de la santé physique ou mentale et de la sécurité des travailleurs.

10. S'agissant des salariés des entreprises de travail temporaire, si la responsabilité de la protection de leur santé et de leur sécurité est commune à l'employeur et à l'entreprise utilisatrice, ainsi que cela découle de l'article 8 de la directive 91/383/CEE du Conseil, du 25 juin 1991, complétant les mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire, il incombe au premier chef à l'entreprise utilisatrice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer cette protection en application de l'article L. 1251-21-4° du code du travail.

Par conséquent, c'est au CHSCT de l'entreprise utilisatrice, en application de l'article 6 de la directive 91/383 précitée, qu'il appartient d'exercer une mission de vigilance à l'égard de l'ensemble des salariés de l'établissement placés sous l'autorité de l'employeur.

11. Cependant, lorsque le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l'entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, sans que l'entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l'entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu'il tient dudit article, il peut, au titre de l'exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d'étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d'y remédier.

12. Pour écarter la compétence du CHSCT de l'entreprise de travail temporaire pour désigner un expert au sein de l'entreprise utilisatrice, le président du tribunal de grande instance retient que les travailleurs temporaires ont vocation à être représentés par le CHSCT de la seule entreprise utilisatrice, et que dès lors le CHSCT de la société Manpower France n'est pas compétent pour décider d'une expertise.

13. En statuant ainsi, alors qu'il était invoqué l'existence d'un risque grave et actuel pour les travailleurs intérimaires ainsi que l'inaction de l'entreprise utilisatrice et de son CHSCT, ce qu'il lui appartenait de vérifier, l'entreprise utilisatrice devant être mise en cause, le tribunal de grande instance a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle annule la délibération du CHSCT de la société Manpower France du 16 avril 2018 décidant de recourir à une expertise, l'ordonnance rendue le 1er août 2018, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Nanterre, prise en la forme des référés ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Paris.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles L. 1251-21 et L. 4614-12, alors applicable, du code du travail, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 27 octobre 1946 ; article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

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