Numéro 2 - Février 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2020

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE

Soc., 26 février 2020, n° 18-22.556, (P)

Cassation partielle

Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – Missions – Etendue – Cas – Protection de la santé et de la sécurité des travailleurs – Recours à un expert – Travailleurs concernés – Salariés temporaires d'une entreprise utilisatrice – Action du comité de l'entreprise temporaire – Conditions – Détermination – Portée

Il résulte de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et de l'article L. 1251-21 du même code, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, une obligation pour ceux qui emploient des travailleurs de veiller à ce que leur droit à la santé et à la sécurité soit assuré, sous la vigilance des institutions représentatives du personnel ayant pour mission la prévention et la protection de la santé physique ou mentale et de la sécurité des travailleurs.

S'agissant des salariés des entreprises de travail temporaire, si la responsabilité de la protection de leur santé et de leur sécurité est commune à l'employeur et à l'entreprise utilisatrice, ainsi que cela découle de l'article 8 de la directive 91/383/CEE du Conseil du 25 juin 1991 complétant les mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire, il incombe au premier chef à l'entreprise utilisatrice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer cette protection en application de l'article L. 1251-21, 4°, du code du travail. Par conséquent, c'est au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'entreprise utilisatrice, en application de l'article 6 de la directive 91/383 précitée, qu'il appartient d'exercer une mission de vigilance à l'égard de l'ensemble des salariés de l'établissement placés sous l'autorité de l'employeur.

Cependant, lorsque le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l'entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, sans que l'entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l'entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu'il tient dudit article, il peut, au titre de l'exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d'étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d'y remédier.

Faits et procédure

1.Selon l'ordonnance attaquée, (président du tribunal de grande instance de Nanterre, 1er août 2018), statuant en la forme des référés, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société Manpower France (le CHSCT) a voté, par délibération du 16 avril 2018, le recours à une expertise relative au risque grave encouru selon lui par les salariés intérimaires employés par la société Feedback (l'entreprise utilisatrice).

La société Manpower France a contesté cette délibération devant le président du tribunal de grande instance et a, devant la Cour de cassation, posé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'interprétation de l'article L. 4614-12 du code du travail.

2.Par décision du 5 juin 2019 (Soc., n° 18-22.556), la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoyer la question au Conseil constitutionnel, en l'absence d'interprétation jurisprudentielle constante portant sur cette disposition.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Le CHSCT fait grief à l'ordonnance d'annuler la délibération du CHSCT désignant un expert pour risque grave alors « que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure, de contribuer à l'amélioration des conditions de travail de ces salariés et de veiller à l'observation des prescriptions légales prises en ces matières ; que les conditions de travail des travailleurs temporaires, même lorsqu'ils sont exclusivement mis à disposition d'entreprises utilisatrices, dépendent aussi de l'entreprise de travail temporaire ; qu'il en résulte que le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire peut faire appel à un expert agréé, dans les conditions de l'article L. 4614-2 du code du travail, lorsqu'un risque grave est constaté dans l'établissement où les travailleurs temporaires sont mis à disposition ; qu'en retenant que le CHSCT de l'établissement Ile-de-France de la société Manpower France n'était pas compétent pour voter une expertise en raison d'un risque grave touchant les travailleurs temporaires mis à la disposition de la société Feedback, le tribunal de grande instance a violé les articles L. 4612-1 et L. 4614-12 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et l'article L. 1251-21 du même code, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail :

5. L'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantissent le droit à la santé et à la sécurité de tout travailleur.

6.Selon l'article L. 1251-21-4° du même code, pendant la durée de la mission des travailleurs temporaires mis à sa disposition, l'entreprise utilisatrice est responsable de la santé et de la sécurité au travail.

7. L'article L. 4614-12 du code du travail, alors applicable, prévoit que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement.

8. L'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989 susvisée prévoit que, lorsque, dans un même lieu de travail, les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l'hygiène et à la santé et, compte tenu de la nature des activités, coordonner leurs activités en vue de la protection et de la prévention des risques professionnels, s'informer mutuellement de ces risques et en informer leurs travailleurs respectifs et/ou leurs représentants.

9. Il en résulte une obligation pour ceux qui emploient des travailleurs de veiller à ce que leur droit à la santé et à la sécurité soit assuré, sous la vigilance des institutions représentatives du personnel ayant pour mission la prévention et la protection de la santé physique ou mentale et de la sécurité des travailleurs.

10. S'agissant des salariés des entreprises de travail temporaire, si la responsabilité de la protection de leur santé et de leur sécurité est commune à l'employeur et à l'entreprise utilisatrice, ainsi que cela découle de l'article 8 de la directive 91/383/CEE du Conseil, du 25 juin 1991, complétant les mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire, il incombe au premier chef à l'entreprise utilisatrice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer cette protection en application de l'article L. 1251-21-4° du code du travail.

Par conséquent, c'est au CHSCT de l'entreprise utilisatrice, en application de l'article 6 de la directive 91/383 précitée, qu'il appartient d'exercer une mission de vigilance à l'égard de l'ensemble des salariés de l'établissement placés sous l'autorité de l'employeur.

11. Cependant, lorsque le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l'entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, sans que l'entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l'entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu'il tient dudit article, il peut, au titre de l'exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d'étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d'y remédier.

12. Pour écarter la compétence du CHSCT de l'entreprise de travail temporaire pour désigner un expert au sein de l'entreprise utilisatrice, le président du tribunal de grande instance retient que les travailleurs temporaires ont vocation à être représentés par le CHSCT de la seule entreprise utilisatrice, et que dès lors le CHSCT de la société Manpower France n'est pas compétent pour décider d'une expertise.

13. En statuant ainsi, alors qu'il était invoqué l'existence d'un risque grave et actuel pour les travailleurs intérimaires ainsi que l'inaction de l'entreprise utilisatrice et de son CHSCT, ce qu'il lui appartenait de vérifier, l'entreprise utilisatrice devant être mise en cause, le tribunal de grande instance a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle annule la délibération du CHSCT de la société Manpower France du 16 avril 2018 décidant de recourir à une expertise, l'ordonnance rendue le 1er août 2018, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Nanterre, prise en la forme des référés ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Paris.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles L. 1251-21 et L. 4614-12, alors applicable, du code du travail, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 27 octobre 1946 ; article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

Soc., 26 février 2020, n° 18-23.590, (P)

Cassation

Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – Recours à un expert – Cas – Projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité des salariés ou les conditions de travail – Définition – Projet de règlement intérieur modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail commun à plusieurs établissements – Instance temporaire de coordination – Mise en place – Possibilité

Il résulte des articles L. 4612-8-1, L. 4612-12, L. 4614-12 et L. 4616-1 du code du travail, alors applicables, d'une part, que l'employeur, qui doit consulter les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sur un projet de règlement intérieur modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, projet important commun à plusieurs établissements, peut mettre en place une instance temporaire de coordination des CHSCT qui a pour mission de rendre un avis après avoir eu recours, le cas échéant, à une expertise unique, d'autre part, que même en l'absence d'expertise décidée par l'instance temporaire de coordination, les CHSCT des établissements concernés par le projet commun ne sont pas compétents pour décider le recours à une expertise sur cette même consultation.

Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – Recours à un expert – Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail des établissements concernés – Possibilité (non) – Projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité des salariés ou les conditions de travail – Instance temporaire de coordination – Recours à un expert – Défaut – Portée

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 4612-8-1, L. 4612-12, L. 4614-12 et L. 4616-1 du code du travail, alors applicables ;

Attendu qu'il résulte de ces textes, d'une part, que l'employeur, qui doit consulter les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sur un projet de règlement intérieur modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, projet important commun à plusieurs établissements, peut mettre en place une instance temporaire de coordination des CHSCT qui a pour mission de rendre un avis après avoir eu recours, le cas échéant, à une expertise unique, d'autre part, que même en l'absence d'expertise décidée par l'instance temporaire de coordination, les CHSCT des établissements concernés par le projet commun ne sont pas compétents pour décider le recours à une expertise sur cette même consultation ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, que dans la perspective de la mise à jour des dispositions relatives au traitement des données personnelles et d'actualisation de son règlement intérieur et de sa charte informatique, la société Sopra Steria Group (la société) a créé une instance temporaire de coordination (ITC) de ses vingt-trois CHSCT ; que l'ITC a décidé de ne pas recourir à une expertise et que les documents soumis à avis seraient communiqués aux CHSCT pour faire connaître leurs remarques et demandes avant le 13 juillet 2018 ; que le CHSCT de Montpellier a décidé de recourir à une expertise par délibération du 10 juillet 2018 ; que la société a saisi le président du tribunal de grande instance en annulation de cette délibération ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société en annulation de la délibération du CHSCT ayant décidé le recours à une expertise portant sur les documents communs, le président du tribunal de grande instance retient qu'il n'est pas prévu que la décision de l'ITC de ne pas recourir à l'expertise priverait le CHSCT de chacun des établissements de l'entreprise de son droit à y recourir dans le cadre de ses compétences habituelles, que l'employeur ne peut sérieusement remettre en cause le cas d'ouverture à expertise pour le CHSCT prévu à l'article L. 4614-12, 2e, du code du travail au titre du projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, dès lors que l'article L. 4612-8-1 est expressément visé dans les ordres du jour de la consultation de l'ITC et ensuite du CHSCT de Montpellier, qu'en outre, la consultation sur le projet de mise à jour du règlement intérieur, point n° 2 de la consultation de l'ITC, entre dans le domaine de compétence du CHSCT de Montpellier en vertu de l'article L. 4612-12, d'autant mieux que cet article ne figure pas au nombre de ceux visés dans l'article L. 4616-1 au titre des avis que rend l'ITC, que cette expertise est destinée à permettre au CHSCT de répondre utilement à la consultation sollicitée par l'employeur selon la convocation du 2 juillet 2018, que dès lors, en l'absence de décision prise par l'ITC de recourir à une mesure d'expertise unique dans le cadre de l'avis qui lui a été demandé sur un projet commun à plusieurs établissements projet important au sens de l'article L. 4612-8-1, et compte tenu de ce que la consultation du CHSCT est prévue sur les documents se rattachant à sa mission, notamment avec le règlement intérieur, c'est à bon droit que le CHSCT de Montpellier a désigné un expert aux fins de l'aider à analyser les modifications envisagées par l'employeur ;

Qu'en statuant ainsi, le président du tribunal de grande instance a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance, prise en la forme des référés, rendue le 28 septembre 2019, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Nîmes.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 4612-8-1, L. 4612-12, L. 4614-12 et L. 4616-1 du code du travail alors applicables.

Soc., 5 février 2020, n° 18-26.131, (P)

Cassation

Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – Recours à un expert – Cas – Risque grave – Existence d'un risque grave dans l'établissement – Caractérisation – Nécessité – Projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail – Expertise ordonnée par une instance nationale de coordination – Portée

Ne donne pas de base légale à sa décision le président du tribunal de grande instance qui annule la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ayant décidé le recours à une expertise pour risque grave en application de l'article L. 4614-12, 1°, du code du travail alors applicable, sans rechercher si le CHSCT, qui faisait état de circonstances spécifiques à l'établissement, ne justifiait pas d'un risque grave au sein de cet établissement indépendamment de l'expertise ordonnée en raison d'un projet important par l'instance nationale de coordination en application de l'article L. 4616-1 du même code.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue en la forme des référés (président du tribunal de grande instance de Nancy,16 octobre 2018), la société Pages jaunes (la société) a engagé, à compter du 21 février 2018, une procédure d'information-consultation de ses instances représentatives du personnel dans la perspective d'un projet de réorganisation appelé « projet de transformation de la société Pages Jaunes ». Dans ce cadre, a été mise en place, en application de l'article L. 4616-1 du code du travail, une instance temporaire de coordination des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société (l'ICCHSCT), qui a nommé le 2 mars 2018 un expert afin de l'assister dans l'étude du projet de transformation et de ses conséquences en termes d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

2. Par délibération du 6 avril 2018, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail Nord-Est de la société (le CHSCT) a décidé le recours à une expertise pour risque grave en application de l'article L. 4614-12, 1°, du code du travail.

3. Le 20 avril 2018, la société a fait assigner le CHSCT en annulation de cette délibération.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le CHSCT fait grief à l'ordonnance d'annuler sa délibération en date du 6 avril 2018 alors « que lorsque l'instance temporaire de coordination des CHSCT décide de recourir à une expertise unique pour évaluer les risques liés au projet de l'employeur commun à plusieurs établissements, les CHSCT locaux peuvent décider de faire appel à un expert dès lors qu'ils justifient de l'existence d'un risque grave distinct de celui inhérent au projet évalué dans le cadre de l'expertise unique ; qu'en retenant que le CHSCT Nord Est ne pouvait décider de recourir à l'expertise dès lors que l'instance temporaire de coordination avait décidé de recourir à une expertise unique pour évaluer les risques liés au projet de restructuration de la société Pages Jaunes, sans rechercher si le CHSCT Nord-Est ne justifiait pas d'un risque grave distinct de celui lié au projet de restructuration de l'entreprise, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4614-12-1° et L. 4616-1 du code du travail ».

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 4614-12, 1° et 2°, et L. 4616-1 du code du travail alors applicables :

5. Aux termes du premier de ces textes, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé : 1° Lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement ; 2° En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1.

6. Aux termes du second des textes susvisés, lorsque les consultations prévues aux articles L. 4612-8-1, L. 4612-9, L. 4612-10 et L. 4612-13 portent sur un projet commun à plusieurs établissements, l'employeur peut mettre en place une instance temporaire de coordination de leurs comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui a pour mission d'organiser le recours à une expertise unique par un expert agréé dans le cas mentionné au 2° de l'article L. 4614-12 et selon les modalités prévues à l'article L. 4614-13.

L'instance est seule compétente pour désigner cet expert. Elle rend un avis au titre des articles L. 4612-8-1, L. 4612-9, L. 4612-10 et L. 4612-13.

L'instance temporaire de coordination, lorsqu'elle existe, est seule consultée sur les mesures d'adaptation du projet communes à plusieurs établissements.

Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail concernés sont consultés sur les éventuelles mesures d'adaptation du projet spécifiques à leur établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement.

7. Pour annuler la délibération, l'ordonnance retient que I'ICCHSCT a nommé le 2 mars 2018 un expert afin de l'assister dans l'étude du projet de transformation et de ses conséquences en termes d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, que le CHSCT évoque d'abord une différence de périmètre géographique mais que le périmètre national englobe nécessairement celui de chacune des zones concernées par les CHSCT régionaux, et en particulier la zone Nord-Est, que ce critère ne peut donc constituer une distinction pertinente entre les deux mesures, qu'ensuite il est inexact de prétendre que l'expertise votée par le CHSCT ne concerne que les salariés de la force de vente, alors que le début de la résolution évoque « notamment la force de vente » et que la mission de l'expert ne mentionne même pas cette catégorie de salarié, qu'enfin la distinction entre le caractère préventif de l'expertise ordonnée par l'ICCHSCT et le caractère curatif de celle du CHSCT apparaît artificielle dès lors que, par exemple, l'expert désigné par celui-ci doit éclairer cette instance sur la nature et le contenu des actions souhaitables pour prévenir les risques pour la santé des salariés, d'autant que les risques ont, par nature, une composante hypothétique et ne se transforment en maladies ou en souffrances que postérieurement à leur existence, que dès lors le CHSCT ne pouvait pas déclencher une nouvelle expertise dont les visées sont similaires à celle mise en oeuvre quelques semaines plus tôt par l'instance coordinatrice.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher si le CHSCT, qui faisait état de circonstances spécifiques à l'établissement, ne justifiait pas d'un risque grave au sein de cet établissement indépendamment de l'expertise ordonnée en raison d'un projet important par l'instance nationale de coordination en application de l'article L. 4616-1 du code du travail alors applicable, le président du tribunal de grande instance n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Le CHSCT fait grief à l'ordonnance de limiter à 2 000 euros la somme allouée au titre des frais et honoraires d'avocat alors « que l'employeur doit supporter les frais de la procédure de contestation l'expertise décidée par le CHSCT dès lors qu'aucun abus du comité n'est établi ; que ce n'est que lorsque le montant de ces frais est contesté par l'employeur que le juge peut lui-même en fixer le montant ; qu'en allouant au CHSCT, au titre des frais et honoraires d'avocat, une somme inférieure à celle sollicitée quand le montant des frais exposé par le CHSCT n'était pas contestée par l'employeur, le président du tribunal de grande instance a violé l'article L. 4614-13 du code du travail ».

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4614-13 du code du travail alors applicable :

10. Il résulte de ce texte qu'en cas de contestation, il incombe au juge de fixer le montant des frais et honoraires d'avocat exposés par le CHSCT qui seront mis à la charge de l'employeur au regard des diligences accomplies.

11. Pour condamner la société à payer au CHSCT une certaine somme au titre des frais exposés, l'ordonnance retient que la somme dont il est demandé le paiement apparaît excessive pour les diligences accomplies et que le montant à la charge de la société sera limité à 2 000 euros.

12. En statuant ainsi alors que la somme demandée par le CHSCT ne faisait l'objet d'aucune contestation, le président du tribunal de grande instance a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance statuant en la forme des référés rendue le 16 octobre 2018, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire d'Epinal statuant en la forme des référés.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 4614-12, 1° et 2°, et L. 4616-1 du code du travail alors applicables.

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