Numéro 2 - Février 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2020

REPRESENTATION DES SALARIES

Soc., 26 février 2020, n° 18-22.123, (P)

Rejet

Cadre de la représentation – Unité économique et sociale – Action en justice – Action exercée par ou contre une institution représentative d'une unité économique et sociale – Représentation des entités composant l'unité économique et sociale – Nécessité – Portée

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'ordonnance attaquée (président du tribunal de grande instance de Toulouse, 2 août 2018), statuant en la forme des référés, que la société Clinique de l'Union a assigné le 21 juin 2018 la Scop Arl Orque aux fins que les honoraires réclamés par la société Orque au titre d'une expertise diligentée à la demande du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'unité économique et sociale (UES) la clinique de l'Union et le Marquisat soient fixés à une somme inférieure à celle réclamée par l'expert ;

Attendu que les sociétés clinique le Marquisat et clinique de l'Union font grief à l'ordonnance de déclarer irrecevable la demande en contestation du coût de l'expertise formée par la société clinique de l'Union alors, selon le moyen :

1°/ que chaque entité juridique distincte composant une unité économique et sociale est recevable à agir seule en vue de contester le coût de l'expertise diligentée par le CHSCT de cette UES, même lorsque le périmètre de l'expertise concerne toute l'UES ; qu'en jugeant le contraire, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 31 du code de procédure civile et l'article L. 4614-13 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette Convention ;

2°/ qu'à supposer que toutes les entités composant une unité économique et sociale doivent être présentes à l'instance tendant à contester le coût de l'expertise diligentée par le CHSCT sur le périmètre de l'UES, l'effet interruptif du recours exercé par l'une de ces entités dans le délai légal de quinze jours profite aux autres qui peuvent ainsi intervenir à l'instance jusqu'à ce que le juge statue ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance attaquée que si une seule des deux sociétés composant l'UES avait saisi le président du tribunal de grande instance aux fins de contester le coût de l'expertise diligentée par le CHSCT dans le délai légal de quinze jours, la seconde société était intervenue avant que le juge statue ; qu'en jugeant cependant irrecevable la contestation du coût de l'expertise formée dans le délai légal par la première société composant l'UES au prétexte que la seconde société de l'UES était intervenue plus de quinze jours après l'assignation et par conséquent plus de quinze jours après la connaissance par ladite société du coût prévisionnel de l'expertise, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 31 du code de procédure civile et l'article L. 4614-13 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés ;

Mais attendu que lorsqu'une action concerne l'exercice de sa mission par une institution représentative d'une UES, elle doit être, sous peine d'irrecevabilité, introduite par ou dirigée contre toutes les entités composant l'UES, ou par l'une d'entre elles ayant mandat pour représenter l'ensemble des sociétés de l'UES ;

Qu'il en résulte que le président du tribunal de grande instance, qui a constaté que l'action en contestation des honoraires de l'expert mandaté par le CHSCT de l'UES n'avait été introduite, dans le délai de forclusion, que par l'une des entreprises composant l'UES, et que l'autre entreprise n'était intervenue à l'instance que postérieurement à l'expiration de ce délai, a dit à bon droit la demande irrecevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 31 du code de procédure civile ; article L. 4614-13 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les conséquences procédurales de l'absence de personnalité juridique de l'unité économique et sociale, à rapprocher : Soc., 23 juin 2010, pourvoi n° 09-60.341, Bull. 2010, V, n° 148 (cassation sans renvoi), et les arrêts cités.

Soc., 26 février 2020, n° 18-22.759, (P)

Rejet

Comité d'entreprise – Attributions – Attributions consultatives – Organisation, gestion et marche générale de l'entreprise – Action en justice – Pouvoirs des juges – Etendue – Prolongation ou fixation d'un nouveau délai de consultation – Conditions – Détermination – Portée

En application de l'article L. 2323-4 du code du travail alors applicable, interprété conformément aux articles 4, § 3, et 8, § 1 et § 2, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, la saisine du président du tribunal de grande instance avant l'expiration des délais dont dispose le comité d'entreprise pour rendre son avis permet au juge, dès lors que celui-ci retient que les informations nécessaires à l'institution représentative du personnel et demandées par cette dernière pour formuler un avis motivé n'ont pas été transmises ou mises à disposition par l'employeur, d'ordonner la production des éléments d'information complémentaires et, en conséquence, de prolonger ou de fixer le délai de consultation tel que prévu par l'article R. 2323-1-1 du code du travail à compter de la communication de ces éléments complémentaires.

Comité d'entreprise – Attributions – Attributions consultatives – Organisation, gestion et marche générale de l'entreprise – Demande de communication de documents complémentaires – Action en justice – Recevabilité de la demande – Conditions – Saisine du juge avant l'expiration du délai dont dispose le comité d'entreprise pour rendre son avis – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 septembre 2018), la société Electricité de France (société EDF) a, le 2 mai 2016, convoqué le comité central d'entreprise (le CCE) dans le cadre d'une procédure d'information consultation sur un projet de création de deux EPR (european pressurized reactor) au Royaume-Uni. Lors de la réunion du 9 mai 2016, le CCE a désigné deux experts pour examiner le projet, et réclamé plusieurs documents d'information complémentaires.

2. Par requête du 20 juin 2016, le CCE a sollicité l'autorisation d'assigner la société EDF devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour demander la suspension des délais de consultation jusqu'à communication par l'employeur d'un certain nombre de documents complémentaires. Une autorisation d'assigner a été délivrée pour le 22 septembre 2016.

Par ordonnance du 27 octobre 2016, le président du tribunal de grande instance a déclaré irrecevables les demandes du CCE, au motif que le délai de consultation était, au jour où il statuait, d'ores et déjà expiré.

3. La cour d'appel a infirmé cette décision, dit les demandes recevables, ordonné à la société EDF de remettre au CCE un document d'information complémentaire et enjoint à la société de procéder à une nouvelle convocation du CCE dans un délai de deux mois.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société EDF reproche à l'arrêt de rejeter les moyens d'irrecevabilité soulevés par elle, de lui ordonner de transmettre au comité central d'entreprise le rapport de M. G... S... dans son intégralité, de dire que ce rapport doit être communiqué au CCE par la société EDF dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision par le CCE-EDF sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard constaté après l'expiration de ce délai, de lui avoir enjoint de procéder à une nouvelle convocation du comité central d'entreprise en vue d'une réunion extraordinaire aux fins de consultation sur le projet Hikley Point C dans le délai de deux mois à compter de la signification de la décision sous la même astreinte alors :

« 1°/ que dans l'exercice de ses attributions consultatives, le comité d'entreprise émet des avis et dispose d'un délai d'examen suffisant ; qu'à l'expiration de ces délais ou du délai mentionné au dernier alinéa de l'article L. 2323-4, le comité d'entreprise ou, le cas échéant, le comité central d'entreprise est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif ; que pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur ; que les demandes formées par l'instance représentative en vue d'obtenir la communication d'informations sont irrecevables dès lors que le délai de consultation a expiré au moment où le juge statue ; que la société EDF avait fait valoir que les informations permettant l'information et la consultation du CCE avaient été communiquées le 2 mai 2016, en vue de la réunion du CCE du 9 mai 2016 ; que précisant les documents communiqués à cette date, elle avait ajouté que compte-tenu de la désignation d'experts par le CCE, le délai imparti au CCE pour se prononcer avait expiré deux mois après le 2 mai 2016, soit le 4 juillet 2016 (le 2 juillet étant un samedi) ; que l'existence d'une transmission d'informations n'était pas contestée ; que la demande du CCE était par conséquent irrecevable, l'ordonnance, dont appel a été exercé, ayant été prononcée le 27 octobre 2016 ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 2323-3 et L. 2323-4 du code du travail, dans leur rédaction applicable à la date du litige ;

2°/ que dans l'exercice de ses attributions consultatives, le comité d'entreprise émet des avis et dispose d'un délai d'examen suffisant ; qu'à l'expiration de ces délais ou du délai mentionné au dernier alinéa de l'article L. 2323-4, le comité d'entreprise ou, le cas échéant, le comité central d'entreprise est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif ; que pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur ; que les demandes formées par l'instance représentative en vue d'obtenir la communication d'informations sont irrecevables dès lors que le délai de consultation a expiré au moment où le juge statue ; que la société EDF avait fait valoir que les informations complètes et pertinentes permettant l'information et la consultation du CCE avaient été communiquées le 2 mai 2016, en vue de la réunion du CCE du 9 mai 2016 ; que précisant les documents communiqués à cette date, elle avait ajouté que compte-tenu de la désignation d'experts par le CCE, le délai imparti au CCE pour se prononcer avait expiré deux mois après le 2 mai 2016, soit le 4 juillet 2016 (le 2 juillet étant un samedi) ; que la prétendue insuffisance des documents communiqués au CCE n'est pas n'est pas de nature à modifier le point de départ du délai préfix, computé à la date de la communication des informations adressées en vue de la réunion du 9 mai 2016 et expirant le 4 juillet 2016, ainsi que l'avait fait valoir la société EDF ; qu'en jugeant recevable la demande du CCE, la cour d'appel a violé les articles L. 2323-3 et L. 2323-4 du code du travail, dans leur rédaction applicable à la date du litige ;

3°/ que pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur ; que dans l'hypothèse où les dispositions légales n'imposent pas une communication exhaustive de tous documents afférents au projet concerné l'employeur est seulement tenu de communiquer des documents utiles à compréhension et intelligibilité du projet envisagé ; qu'en retenant que la société EDF n'avait pas communiqué à son CCE une information objective, précise et complète, à la hauteur des enjeux techniques et financiers soulevés par le projet HPC, ne lui permettant pas de donner un avis motivé sur le projet quand seule la communication d'informations précises incombait à la société EDF, la cour d'appel a violé l'article L. 2323-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige ;

4°/ que pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur ; que l'employeur n'est pas tenu de communiquer le texte intégral d'un document qui a fait l'objet d'une synthèse complète ; que la société EDF avait fait valoir dans ses conclusions que l'intégralité de la synthèse du rapport rédigé par M. G... S... avait été intégrée au dossier d'information remis aux membres du CCE, ajoutant que cette synthèse était complète puisqu'elle présentait : les risques juridiques et politiques liés aux accords avec le Gouvernement britannique et avec le partenaire chinois ; les risques techniques, industriels et réglementaires dans les différentes étapes du projet ; les impacts des risques sur le planning et les coûts à terminaison du projet ; les impacts des risques sur la situation financière du groupe EDF ; les risques liés à l'organisation et à la gouvernance ; les recommandations du groupe de revue sur l'organisation et la gouvernance pour assurer la maîtrise des risques du projet ; qu'en ordonnant la communication du rapport de M. G... S... dans son intégralité quand celle d'une synthèse était suffisante, la cour d'appel a violé l'article L. 2323-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige ;

5°/ que la demande de communication d'informations complémentaires, faite par voie judiciaire par un CCE, en vue de la formulation d'un avis, est irrecevable, si le projet sur lequel porte la consultation du CCE a fait l'objet d'un commencement d'exécution irrévocable au jour de la demande de l'institution représentative du personnel ; que la société EDF avait fait valoir que la décision d'investissement relative au projet HPC avait été prise le 28 juillet 2016 par le conseil d'administration de la société et que par un jugement définitif du 7 février 2017, le tribunal de commerce de Paris avait refusé d'annuler cette délibération ; qu'elle a ajouté que les travaux étaient en cours sur le site sur lequel 2 839 salariés travaillaient ; que le commencement d'exécution du projet rendait sans objet la demande du CCE ; qu'en retenant que seule une exécution définitive du projet serait susceptible de s'opposer à l'examen du litige, la cour d'appel a statué par une motivation inopérante et violé l'article L. 2323-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

5. Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, la procédure d'information-consultation des institutions représentatives du personnel est encadrée par des délais qui peuvent être fixés par accord. A défaut d'accord, et lorsque la loi ne fixe pas de délais spécifiques, les délais de consultation du comité d'entreprise, sont fixés par l'article R. 2323-1-1 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause à un mois, délai porté à deux mois en cas d'intervention d'un expert et à trois mois en cas de consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. A l'expiration de ce délai, le comité d'entreprise est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif.

6. L'article R. 2323-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, précise que le délai court à compter de la communication par l'employeur des informations prévues par le code du travail pour la consultation ou de l'information par l'employeur de leur mise à disposition dans la base de données dans les conditions prévues aux articles R. 2323-1-5 et suivants. Ces informations doivent, selon l'article L. 2323-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, être précises et écrites, pour permettre au comité d'entreprise de formuler un avis motivé. A défaut, selon les même textes, les membres élus du comité peuvent, s'ils estiment ne pas disposer d'éléments suffisants, saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants.

Le juge statue dans un délai de huit jours. Cette saisine n'a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficultés particulières d'accès aux informations nécessaires à la formulation de l'avis motivé du comité d'entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu à l'article L. 2323-3.

7. La Cour de cassation a jugé (Soc., 21 septembre 2016, n° 15-19.003) Bull. V n° 176) « que le délai à l'expiration duquel le comité d'entreprise est réputé avoir donné un avis court à compter de la date à laquelle il a reçu une information le mettant en mesure d'apprécier l'importance de l'opération envisagée et de saisir le président du tribunal de grande instance s'il estime que l'information communiquée est insuffisante. »

8. La Cour de cassation a également jugé (Soc., 28 mars 2018, n° 17-13081, Bull. V n° 49) « que dans l'exercice de ses attributions consultatives, le comité d'entreprise émet des avis et voeux, et dispose pour ce faire d'un délai d'examen suffisant fixé par accord ou, à défaut, par la loi ; que lorsque les éléments d'information fournis par l'employeur ne sont pas suffisants, les membres élus du comité peuvent saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants ; que cependant lorsque la loi ou l'accord collectif prévoit la communication ou la mise à disposition de certains documents, le délai de consultation ne court qu'à compter de cette communication ; que tel est le cas, dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise, de la base de données prévue à l'article L. 2323-7-2 du code du travail, alors applicable, qui est, aux termes de l'article L. 2323-7-1 du même code alors applicable, le support de préparation de cette consultation. »

9. - Par ailleurs, aux termes de l'article 4, § 3, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, l'information s'effectue à un moment, d'une façon et avec un contenu appropriés, susceptibles notamment de permettre aux représentants des travailleurs de procéder à un examen adéquat et de préparer, le cas échéant, la consultation.

10. Aux termes de l'article 8, § 1 et § 2, de cette même directive, les États membres prévoient des mesures appropriées en cas de non-respect de la présente directive par l'employeur ou les représentants des travailleurs.

En particulier, ils veillent à ce qu'il existe des procédures administratives ou judiciaires appropriées pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive.

Les États membres prévoient des sanctions adéquates applicables en cas de violation des dispositions de la présente directive par l'employeur ou les représentants des travailleurs. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

11. Il en résulte qu'en application de l'article L. 2323-4 du code du travail alors applicable, interprété conformément aux articles 4, § 3, et 8, § 1 et § 2, de la directive 2002/14/CE, la saisine du président du tribunal de grande instance avant l'expiration des délais dont dispose le comité d'entreprise pour rendre son avis permet au juge, dès lors que celui ci retient que les informations nécessaires à l'institution représentative du personnel et demandées par cette dernière pour formuler un avis motivé n'ont pas été transmises ou mises à disposition par l'employeur, d'ordonner la production des éléments d'information complémentaires et, en conséquence, de prolonger ou de fixer le délai de consultation tel que prévu par l'article R. 2323-1-1 du code du travail à compter de la communication de ces éléments complémentaires.

12. En l'espèce, le comité central d'entreprise, dont le délai de consultation expirait le 2 juillet 2016, a saisi le président du tribunal de grande instance le 20 juin 2016.

La cour d'appel a souverainement constaté que les documents fournis par l'employeur à l'appui de la consultation étaient, au regard de l'importance du projet, de l'existence de risques opérationnels et financiers certains, et de l'impact sur le nombre d'emplois en France et à l'international, insuffisants en ce que seule une synthèse du rapport confié par la société EDF à un groupe d'experts de six personnes avait été remis au comité central d'entreprise et que cette synthèse laissait subsister des zones d'ombre et des angles morts que la production de l'entier rapport, réclamé vainement par le CCE, pouvait permettre de dissiper.

13. C'est dès lors à bon droit, et peu important que l'employeur ait commencé à mettre en oeuvre le projet, que la cour d'appel, après avoir ordonné à l'employeur la communication de documents complémentaires, a fixé un nouveau délai de consultation de deux mois au comité central d'entreprise pour émettre son avis.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 2323-3, L. 2323-4, R. 2323-1 et R. 2323-1-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige.

Rapprochement(s) :

Sur le délai dont dispose le comité d'entreprise pour donner son avis dans le cadre de ses attributions consultatives, à rapprocher : Soc., 28 mars 2018, pourvoi n° 17-13.081, Bull. 2018, V, n° 49 (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 26 février 2020, n° 18-22.556, (P)

Cassation partielle

Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – Attributions – Exercice – Recours à un expert – Cas – Risque grave – Risque encouru par les salariés temporaires d'une entreprise utilisatrice – CHSCT pouvant exercer le recours – Détermination – Portée

Faits et procédure

1.Selon l'ordonnance attaquée, (président du tribunal de grande instance de Nanterre, 1er août 2018), statuant en la forme des référés, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société Manpower France (le CHSCT) a voté, par délibération du 16 avril 2018, le recours à une expertise relative au risque grave encouru selon lui par les salariés intérimaires employés par la société Feedback (l'entreprise utilisatrice).

La société Manpower France a contesté cette délibération devant le président du tribunal de grande instance et a, devant la Cour de cassation, posé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'interprétation de l'article L. 4614-12 du code du travail.

2.Par décision du 5 juin 2019 (Soc., n° 18-22.556), la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoyer la question au Conseil constitutionnel, en l'absence d'interprétation jurisprudentielle constante portant sur cette disposition.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Le CHSCT fait grief à l'ordonnance d'annuler la délibération du CHSCT désignant un expert pour risque grave alors « que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure, de contribuer à l'amélioration des conditions de travail de ces salariés et de veiller à l'observation des prescriptions légales prises en ces matières ; que les conditions de travail des travailleurs temporaires, même lorsqu'ils sont exclusivement mis à disposition d'entreprises utilisatrices, dépendent aussi de l'entreprise de travail temporaire ; qu'il en résulte que le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire peut faire appel à un expert agréé, dans les conditions de l'article L. 4614-2 du code du travail, lorsqu'un risque grave est constaté dans l'établissement où les travailleurs temporaires sont mis à disposition ; qu'en retenant que le CHSCT de l'établissement Ile-de-France de la société Manpower France n'était pas compétent pour voter une expertise en raison d'un risque grave touchant les travailleurs temporaires mis à la disposition de la société Feedback, le tribunal de grande instance a violé les articles L. 4612-1 et L. 4614-12 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et l'article L. 1251-21 du même code, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail :

5. L'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantissent le droit à la santé et à la sécurité de tout travailleur.

6.Selon l'article L. 1251-21-4° du même code, pendant la durée de la mission des travailleurs temporaires mis à sa disposition, l'entreprise utilisatrice est responsable de la santé et de la sécurité au travail.

7. L'article L. 4614-12 du code du travail, alors applicable, prévoit que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement.

8. L'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989 susvisée prévoit que, lorsque, dans un même lieu de travail, les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l'hygiène et à la santé et, compte tenu de la nature des activités, coordonner leurs activités en vue de la protection et de la prévention des risques professionnels, s'informer mutuellement de ces risques et en informer leurs travailleurs respectifs et/ou leurs représentants.

9. Il en résulte une obligation pour ceux qui emploient des travailleurs de veiller à ce que leur droit à la santé et à la sécurité soit assuré, sous la vigilance des institutions représentatives du personnel ayant pour mission la prévention et la protection de la santé physique ou mentale et de la sécurité des travailleurs.

10. S'agissant des salariés des entreprises de travail temporaire, si la responsabilité de la protection de leur santé et de leur sécurité est commune à l'employeur et à l'entreprise utilisatrice, ainsi que cela découle de l'article 8 de la directive 91/383/CEE du Conseil, du 25 juin 1991, complétant les mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire, il incombe au premier chef à l'entreprise utilisatrice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer cette protection en application de l'article L. 1251-21-4° du code du travail.

Par conséquent, c'est au CHSCT de l'entreprise utilisatrice, en application de l'article 6 de la directive 91/383 précitée, qu'il appartient d'exercer une mission de vigilance à l'égard de l'ensemble des salariés de l'établissement placés sous l'autorité de l'employeur.

11. Cependant, lorsque le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l'entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, sans que l'entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l'entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu'il tient dudit article, il peut, au titre de l'exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d'étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d'y remédier.

12. Pour écarter la compétence du CHSCT de l'entreprise de travail temporaire pour désigner un expert au sein de l'entreprise utilisatrice, le président du tribunal de grande instance retient que les travailleurs temporaires ont vocation à être représentés par le CHSCT de la seule entreprise utilisatrice, et que dès lors le CHSCT de la société Manpower France n'est pas compétent pour décider d'une expertise.

13. En statuant ainsi, alors qu'il était invoqué l'existence d'un risque grave et actuel pour les travailleurs intérimaires ainsi que l'inaction de l'entreprise utilisatrice et de son CHSCT, ce qu'il lui appartenait de vérifier, l'entreprise utilisatrice devant être mise en cause, le tribunal de grande instance a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle annule la délibération du CHSCT de la société Manpower France du 16 avril 2018 décidant de recourir à une expertise, l'ordonnance rendue le 1er août 2018, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Nanterre, prise en la forme des référés ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Paris.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles L. 1251-21 et L. 4614-12, alors applicable, du code du travail, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 27 octobre 1946 ; article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

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