Numéro 2 - Février 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2020

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES

1re Civ., 26 février 2020, n° 18-26.256, (P)

Rejet

Médecin – Responsabilité – Produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l'exercice de la profession ou à l'accomplissement d'un acte médical – Conditions – Détermination

Y compris lorsqu'elle est applicable à l'article L. 1142-1, alinéa 1, du code de la santé publique et hors du cas prévu par l'article 1386-7, devenu 1245-6, du code civil, la responsabilité des professionnels de santé et les établissements de santé privés au titre des produits de santé utilisés ou fournis n'est engagée qu'en cas de faute.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 octobre 2018), après la pose de prothèses de hanche droite et gauche, réalisée respectivement les 15 octobre 2004 et 4 mai 2005 par M. E... (le chirurgien), M. H... a, le 19 mars 2007, été victime d'une chute due à un dérobement de sa jambe droite, consécutif à une rupture de sa prothèse de hanche droite.

Le chirurgien a, alors, procédé au changement de la tige fémorale de la prothèse.

2. Après avoir sollicité une expertise en référé, M. H..., qui a conservé des séquelles de sa chute, a assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien et la société R... France (le producteur), ayant fourni la prothèse litigieuse à ce dernier, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. Le producteur fait grief à l'arrêt de le déclarer entièrement responsable du préjudice causé à M. H... par la rupture de sa prothèse et de le condamner à lui payer différentes sommes, alors :

« 1°/ qu'il appartient au demandeur en réparation du dommage causé par un produit qu'il estime défectueux de prouver le défaut invoqué ; que la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ; que, pour retenir que la prothèse de hanche était affectée d'un défaut, la cour d'appel a relevé que la fracture de la prothèse était antérieure à la chute de M. H... qu'elle avait provoquée, que les choix du médecin sur la nature et les dimensions des éléments de la prothèse et les opérations techniques de pose n'étaient pas critiquables, qu'il n'existait pas de lien de causalité entre le surpoids du patient et la fracture et que le point de fracture se situait dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche, à sa base ; qu'en se fondant sur des éléments impropres à caractériser un défaut de la prothèse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1386-4 et 1386-9, devenus les articles 1245-3 et 1245-8 du code civil ;

2°/ que l'expert judiciaire a relevé qu'outre les fractures de prothèses de hanche liées à des défauts de conception ou de fabrication de la prothèse, « il existe des fractures sans cause précise retrouvée soit par impossibilité d'analyse de l'explant ou parce que cette analyse reste négative » ; qu'il a constaté qu'en l'espèce, aucune anomalie de conception n'a été retrouvée, au regard de l'absence d'alerte sanitaire et de la conformité des tests pratiqués et que le défaut d'analyse de l'explant ne permettait « pas de proposer une explication certaine à la survenue de cette fracture » ; qu'il a ajouté que « toutes les prothèses de hanche pouva[ie]nt présenter un taux faible de fracture « spontanée »", sans que cela ne remette en cause « la fiabilité du type de prothèse posée » observant que le taux d'accident relatif à la prothèse litigieuse était « totalement conforme aux taux publiés de rupture d'implants dans la littérature hors problème spécifique de conception ou fabrication » ; qu'il a conclu que la cause de la fracture de fatigue de la prothèse ne pouvait « être caractérisée de façon certaine » et devait être considérée « comme un aléa évolutif lié à la prothèse en elle-même » ; que le producteur s'est appuyé sur les conclusions de l'expert pour soutenir que la preuve d'un défaut de la prothèse n'était pas rapportée ; qu'en déduisant cependant des constats de l'expert judiciaire que la rupture de la tige fémorale ne pouvait être due qu'à un défaut, sans s'expliquer sur les observations de cet expert excluant toute certitude et évoquant d'autres causes, la cour d'appel n'a pas suffisamment justifié sa décision, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'expert judiciaire a retenu que l'obésité était « une cause de surcharge de la prothèse », « un facteur associé, entraînant une sur-sollicitation de l'implant », « un facteur aggravant du risque de présenter une fracture », mais que « la littérature ne permet pas de chiffrer de façon certaine cette part », l'obésité ne constituant pas « la cause immédiate et unique de [la] fracture » ; qu'en retenant cependant que l'expert avait « exclu tout lien de causalité entre le surpoids du patient et la fracture », la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise judiciaire, violant ainsi le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ que la cour d'appel a retenu que l'expert avait « exclu tout lien de causalité entre le surpoids du patient et la fracture » et que cette constatation n'était remise « en cause par aucune des parties » ; qu'en statuant ainsi, bien que le producteur ait fait valoir « que le lien est connu et souvent déterminant entre le poids du patient et la rupture de fatigue de l'implant » et que « ce risque doit être normalement indiqué au patient par le chirurgien car il est connu de tous dans la littérature scientifique », la cour d'appel a dénaturé les conclusions du producteur et violé en conséquence l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt retient, en se fondant sur les constatations de l'expert, que la rupture de la prothèse a provoqué la chute de M. H..., que cette rupture n'est pas imputable au surpoids de ce dernier, qu'aucune erreur n'a été commise dans le choix et la conception de la prothèse ni lors de sa pose et que le point de fracture se situe à la base, dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche. Il ajoute que la tige fémorale posée le 15 octobre 2004 ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre.

5. De ces constatations et énonciations souveraines ne procédant pas de dénaturations, la cour d'appel, qui n'était pas liée par les conclusions expertales, a pu déduire que la rupture prématurée de la prothèse était due à sa défectuosité, de sorte que se trouve engagée la responsabilité de droit du producteur à l'égard de M. H....

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens du même pourvoi, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. H... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'égard du chirurgien, alors « que la responsabilité d'un médecin est encourue de plein droit en raison du défaut d'un produit de santé qu'il implante à son patient ; qu'en jugeant que la responsabilité du chirurgien, qui a implanté à M. H... une prothèse de hanche défectueuse, ne pouvait être engagée à son profit qu'en cas de faute de sa part, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1, I, alinéa 1, du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article L. 1142-1, alinéa 1, du code de la santé publique, issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, les professionnels de santé et les établissements dans lesquels sont diligentés des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de tels actes qu'en cas de faute, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé.

10. Cette exception au principe d'une responsabilité pour faute est liée au régime de responsabilité du fait des produits défectueux instauré par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 ayant transposé aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1247 du code civil, la directive CEE n° 85/374 du 25 juillet 1985 qui, tout en prévoyant une responsabilité de droit du producteur au titre du défaut du produit, avait initialement étendu cette responsabilité au fournisseur professionnel.

Mais à l'issue de décisions de la Cour de justice des Communautés européennes au titre de cette extension (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, Commission c/ France, n° C-52/00 et CJCE, arrêt du 14 mars 2006, Commission c/ France, n° C-177/04) et après l'adoption des lois n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 et n° 2006-406 du 5 avril 2006, l'article 1386-7, devenu 1245-6 du code civil énonce que, si le producteur ne peut être identifié, le fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.

11. Il en résulte que la responsabilité de droit d'un professionnel de santé ou d'un établissement de santé, sur le fondement de cette disposition, ne peut être engagée que dans le cas où le producteur n'a pu être identifié et où le professionnel de santé ou l'établissement de santé n'a pas désigné son propre fournisseur ou le producteur dans le délai imparti.

12. Par ailleurs, saisie par le Conseil d'Etat (CE, 4 octobre 2010, centre hospitalier universitaire de Besançon, n° 327449), de la question de la compatibilité avec la directive précitée du régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier, selon lequel, sans préjudice d'éventuels recours en garantie, celui-ci est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise (CE, 9 juillet 2003, AP-HP c/ Mme Marzouk, n° 220437), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que : « La responsabilité d'un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d'une prestation de services, telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n'est pas le producteur au sens de l'article 3 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, et cause, de ce fait, des dommages au bénéficiaire de la prestation, ne relève pas du champ d'application de cette directive. Cette dernière ne s'oppose dès lors pas à ce qu'un Etat membre institue un régime, tel que celui en cause en principal, prévoyant la responsabilité d'un tel prestataire à l'égard des dommages ainsi occasionnés, même en l'absence de toute faute imputable à celui-ci, à condition, toutefois, que soit préservée la faculté pour la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive, lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci. » (CJUE, arrêt du 21 décembre 2011, centre hospitalier de Besançon, n° C-495/10).

13. A la suite de cette décision, le Conseil d'Etat a maintenu le régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier (CE, 12 mars 2012, CHU Besançon, n° 327449) et l'a étendu au cas dans lequel ce service implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient, tel qu'une prothèse (CE, section, 25 juillet 2013, M. Falempin, n° 339922), tandis que la Cour de cassation qui soumettait les professionnels de santé et les établissements de santé privés à une obligation de sécurité de résultat concernant les produits de santé utilisés ou fournis (1re Civ., 9 novembre 1999, pourvoi n° 98-10.010, Bull. 1999, I, n° 300, et 7 novembre 2000, pourvoi n° 99-12.255, Bull. 2000, I, n° 279) a ensuite retenu, dans des litiges ne relevant pas de la loi du 4 mars 2002, que leur responsabilité n'était engagée qu'en cas de faute (1re Civ., 12 juillet 2012, pourvoi n° 11-17.510, Bull. 2012, I, n° 165, et 14 novembre 2018, pourvois n° 17-28.529, 17-27.980, publié).

14. L'instauration par la loi du 19 mai 1998 d'un régime de responsabilité de droit du producteur du fait des produits défectueux, les restrictions posées par l'article 1386-7, devenu 1245-6 du code civil à l'application de ce régime de responsabilité à l'égard des professionnels de santé et des établissements de santé, la création d'un régime d'indemnisation au titre de la solidarité nationale des accidents médicaux non fautifs et des affections iatrogènes graves sur le fondement de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le fait que les professionnels de santé ou les établissements de santé privés peuvent ne pas être en mesure d'appréhender la défectuosité d'un produit, dans les mêmes conditions que le producteur, justifient, y compris lorsque se trouve applicable l'article L. 1142-1, alinéa 1, de ce code, de ne pas soumettre ceux-ci, hors du cas prévu par l'article 1245-6 précité, à une responsabilité sans faute, qui serait, en outre, plus sévère que celle applicable au producteur, lequel, bien que soumis à une responsabilité de droit, peut bénéficier de causes exonératoires de responsabilité.

15. Il s'ensuit qu'en se bornant à examiner si une faute était imputable au chirurgien dans la prise en charge de M. H... et en écartant sa responsabilité, en l'absence d'une telle faute, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte susvisé.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

17. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du même pourvoi

Enoncé du moyen

18. M. H... fait encore grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'égard du chirurgien, alors « que la cour d'appel ayant jugé que le chirurgien avait commis des fautes « dans la conservation de l'explant, et consistant à avoir commis une erreur sur les références de la tige fémorale fracturée dans le cadre des démarches de matériovigilance, puis à s'être dessaisi de cette tige, sans pouvoir justifier de sa transmission effective à l'entité compétente pour l'examiner », mais ayant retenu que cette faute « ne pourrait cependant qu'être à l'origine d'une perte de chance d'obtenir indemnisation du préjudice causé par la fracture de la prothèse » et que la responsabilité du producteur étant engagée, il n'y avait pas de « lien de causalité entre la faute établie contre lui et le dommage subi par M. H... », la cassation qui atteindrait sur le chef de dispositif qui a condamné le producteur à indemniser M. H... de son préjudice entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif par lequel la cour d'appel a débouté M. H... de son action en responsabilité engagée contre le chirurgien en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

19. Les moyens du pourvoi principal contestant la responsabilité du producteur étant rejetés, le moyen du pourvoi incident, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est sans portée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 1386-4 et 1386-9, devenus 1245-3 et 1245-8, du code civil ; article L. 1142-1, alinéa 1, du code de la santé publique.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de démontrer l'existence d'une faute pour engager la responsabilité des professionnels de santé et des établissements de santé privés au titre des produits de santé utilisés ou fournis, à rapprocher : 1re Civ., 12 juillet 2012, pourvoi n° 11-17.510, Bull. 2012, I, n° 165 (cassation partielle sans renvoi) ; 1re Civ., 14 novembre 2018, pourvoi n° 17-27.980, Bull. 2018, (cassation partielle).

1re Civ., 26 février 2020, n° 19-13.423, n° 19-14.240, (P)

Cassation

Médecin-chirurgien – Responsabilité contractuelle – Intervention chirurgicale – Atteinte au patient – Faute du praticien – Présomption – Atteinte causée par le chirurgien en accomplissant son geste girurgical – Nécessité

Si l'atteinte portée par un chirurgien à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas, est fautive en l'absence de preuve par celui-ci d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l'aléa thérapeutique, l'application de la présomption de faute implique qu'il soit tenu pour certain que l'atteinte a été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-13.423 et 19-14.240 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 10 janvier 2019), après avoir été opéré, le 9 juin 2005, d'une hernie discale C6C7 par M. D..., (le chirurgien), exerçant son activité à titre libéral au sein de la Clinique des Flandres, M. C... a présenté une contusion médullaire et conservé des séquelles. A l'issue d'une expertise ordonnée en référé, il a, avec son épouse, Mme C..., et leurs enfants, N... et E... (les consorts C...), assigné M. D... en responsabilité et indemnisation et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie des Flandres, de Dunkerque et d'Armentières (la caisse) qui a demandé le remboursement de ses débours. Une seconde expertise a été ordonnée avant dire droit par les premiers juges et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) a été appelé en cause.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal n° 19-13.423, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le chirurgien fait grief à l'arrêt de dire que sa responsabilité est engagée et de le condamner à payer différentes sommes aux consorts C..., alors « que la mise en cause de la responsabilité d'un médecin requiert la preuve de la faute qui lui est reprochée dans le diagnostic ou la prise en charge du patient ; que la cour d'appel ayant constaté, au vu des rapports d'expertise, que M. C... avait été victime d'une contusion médullaire, complication rare survenue pendant l'opération, a estimé qu'en l'absence de prédisposition anatomique du patient rendant l'atteinte inévitable, et du fait que les explications et causes possibles de la contusion médullaire formulées par le docteur P... ne permettaient pas d'identifier ni d'expliciter de manière objective et certaine le risque inhérent à l'opération pratiquée sur la personne de M. C..., qui serait non maîtrisable au point qu'il relèverait de l'aléa thérapeutique, le chirurgien ne démontrait pas l'une des occurrences qui lui permettraient de renverser la présomption de faute et de voir qualifier les suites de l'opération chirurgicale de son patient d'aléa thérapeutique ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fondé sa décision sur le postulat d'une présomption de responsabilité pesant sur le chirurgien, a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Les consorts C... contestent la recevabilité du moyen, qui serait nouveau.

5. Cependant, le chirurgien concluait, devant les juges du fond, à l'absence de faute et à la survenue d'un aléa thérapeutique.

Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1142-1, I, alinéa 1, du code de la santé publique et 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

6. Selon le premier de ces textes, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

7. Dès lors que ceux-ci sont tenus d'une obligation de moyens, la preuve d'une faute incombe, en principe, au demandeur. Cependant, l'atteinte portée par un chirurgien à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas, est fautive en l'absence de preuve par celui-ci d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l'aléa thérapeutique.

Mais l'application de cette présomption de faute implique qu'il soit tenu pour certain que l'atteinte a été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical.

8. Pour retenir la responsabilité du chirurgien, l'arrêt énonce que celui-ci ne démontre pas l'une des occurrences qui lui permettraient de renverser la présomption de faute pesant sur lui, soit l'existence d'une anomalie morphologique rendant l'atteinte inévitable ou la survenance d'un risque inhérent à l'intervention qui, ne pouvant être maîtrisé relèverait de l'aléa thérapeutique. Il ajoute que la circonstance que l'un des experts ait évoqué plusieurs explications et causes possibles de cette contusion ne permet pas d'identifier ni d'expliciter de manière objective et certaine le risque inhérent à l'opération pratiquée, rendu non maîtrisable au point qu'il relèverait de l'aléa thérapeutique.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a présumé l'existence d'une faute, sans avoir préalablement constaté que le chirurgien avait lui-même, lors de l'accomplissement de son geste, causé la lésion, a inversé la charge de la preuve et méconnu les exigences du texte susvisé.

Sur le moyen unique du pourvoi incident n° 19-13.423

Enoncé du moyen

10. Les consorts C... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation dirigées contre l'ONIAM, alors « qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation qui interviendrait du chef du pourvoi principal, si par extraordinaire elle était prononcée, emporterait, par voie de conséquence, la cassation du chef du dispositif par lequel la cour d'appel a débouté les demandes d'indemnisation des consorts C... à l'encontre de l'ONIAM. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

11. La cassation sur le pourvoi principal n° 19-13.423 entraîne, par voie de conséquence, la cassation sur le pourvoi incident relatif au rejet des demandes d'indemnisation formées par les consorts C... contre l'ONIAM.

Et sur le moyen relevé d'office

12. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du code de procédure civile.

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

13. Pour rejeter la demande de la caisse, l'arrêt relève qu'elle n'a pas constitué avocat, que sa créance est contestée par le chirurgien et qu'au vu du seul relevé versé aux débats et en l'absence d'attestation d'imputabilité, il n'est pas possible d'attribuer à la faute médicale du praticien les seuls débours en lien avec l'événement dommageable.

14. En statuant ainsi, alors que, dans le dispositif de ses conclusions, le chirurgien se bornait à solliciter une réduction de l'indemnisation allouée à la caisse à de plus justes proportions, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi n° 19-13.423 et sur le moyen unique du pourvoi n° 19-14.240, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Foussard et Froger ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article L. 1142-1, I, alinéa 1, du code de la santé publique ; article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité d'écarter la présomption de l'existence d'une faute du chirurgien en cas d'anomalie rendant l'atteinte inévitable, à rapprocher : 1re Civ., 23 mai 2000, pourvoi n° 98-20.440, Bull. 2000, I, n° 153 (rejet) ; 1re Civ., 23 mai 2000, pourvoi n° 98-19.869, Bull. 2000, I, n° 153 (cassation). Sur la possibilité d'écarter la présomption de l'existence d'une faute du chirurgien en cas de survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l'aléa thérapeutique, à rapprocher : 1re Civ., 18 septembre 2008, pourvoi n° 07-13.080, Bull. 2008, I, n° 206 (rejet), et l'arrêt cité.

1re Civ., 5 février 2020, n° 19-11.910, (P)

Cassation partielle

Vétérinaire – Pratique libérale en Nouvelle-Calédonie – Inscription à l'ordre des vétérinaires – Nécessité – Portée

En application de la délibération du Congrès n° 79 du 26 janvier 1989 relative à l'exercice de la médecine et de la chirurgie vétérinaire en Nouvelle-Calédonie et Dépendances, l'exercice de la profession de vétérinaire en pratique libérale en Nouvelle-Calédonie impose une inscription à l'ordre des vétérinaires et le respect du code de déontologie et des règlements édictés par le Conseil national de cet ordre. L'inscription à l'ordre des vétérinaires impose le versement d'une cotisation ordinale de sorte qu'en l'absence de disposition locale ou nationale les exonérant de cette obligation, les vétérinaires exerçant à titre libéral en Nouvelle-Calédonie ont été soumis au paiement d'une telle cotisation.

Vétérinaire – Pratique libérale en Nouvelle-Calédonie – Inscription à l'ordre des vétérinaires – Effets – Versement d'une cotisation ordinale

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Boulogne-Billancourt, 20 décembre 2018), rendu en dernier ressort, le Conseil national de l'ordre des vétérinaires (le conseil de l'ordre) a, par requête du 31 juillet 2017, demandé qu'il soit enjoint à Mme B..., vétérinaire, de payer des cotisations professionnelles obligatoires pour les années 2013 et 2014, durant lesquelles elle a exercé son activité à titre libéral en Nouvelle-Calédonie. Mme B... a formé opposition à l'ordonnance lui faisant injonction de payer les sommes réclamées.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

2. Le conseil de l'ordre fait grief au jugement de recevoir l'opposition formée par Mme B... et de rejeter sa demande en paiement, alors « qu'il résulte de l'article 4 de la délibération du Congrès du territoire de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances n° 79 du 26 janvier 1989, qui vise l'arrêté métropolitain du 7 février 1977 portant rattachement des vétérinaires exerçant dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis et Futuna au conseil régional de l'ordre des vétérinaires de la région de Bordeaux, que les vétérinaires qui exercent en pratique libérale doivent observer le code de déontologie et les règlements édictés par le Conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires français ; qu'en conséquence, les vétérinaires qui exercent en pratique libérale sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie sont tenus au paiement des cotisations ordinales fixées par le Conseil supérieur de l'ordre ; qu'en retenant que les dispositions de l'article R. 242-3 du code rural et de la pêche maritime, qui prévoient le paiement de cotisations ordinales par les membres de l'ordre des vétérinaires, ne trouvent pas application en Nouvelle-Calédonie, le tribunal a méconnu les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

3. Mme B... conteste la recevabilité du moyen, qui serait contraire aux écritures du conseil de l'ordre devant le juge du fond.

4. Cependant, le moyen, qui n'est pas contraire, est nouveau et de pur droit et, comme tel, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 8 de loi n° 47-1564 du 23 août 1947, l'article 9 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988, l'article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, la délibération du Congrès n° 79 du 26 janvier 1989 relative à l'exercice de la médecine et de la chirurgie vétérinaire en Nouvelle-Calédonie et Dépendances, l'arrêté métropolitain du 7 juillet 1977 portant rattachement des vétérinaires exerçant dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie Française et de Wallis et Futuna au conseil régional de l'ordre des vétérinaires de la région de Bordeaux et l'article R. 242-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version antérieure à celle issue du décret n° 2017-514 du 10 avril 2017 :

5. L'article 9 de la loi du 9 novembre 1988 disposait que le territoire de la Nouvelle-Calédonie était compétent pour la réglementation des professions libérales.

Le Congrès a adopté, le 26 janvier 1989, au visa de cette loi, la délibération susvisée relative à l'exercice de la médecine et de la chirurgie vétérinaire en Nouvelle-Calédonie.

L'article 22 de la loi organique du 19 mars 1999 a maintenu une compétence de la Nouvelle-Calédonie en matière de réglementation des professions libérales et commerciales et des officiers publics ou ministériels.

6. La délibération du 26 janvier 1989 n'a fait l'objet d'une abrogation que lors de l'adoption de la loi du pays n° 2017-12 du 23 août 2017, de sorte qu'en 2013 et 2014, elle était applicable.

7. Cette délibération, qui vise l'arrêté métropolitain précité du 7 juillet 1977 portant rattachement des vétérinaires exerçant dans le territoire de Nouvelle-Calédonie au conseil régional de l'ordre des vétérinaires de la région de Bordeaux, a soumis l'exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux en Nouvelle-Calédonie à différentes conditions.

L'article 3 de la délibération prévoit ainsi que les vétérinaires qui souhaitent exercer sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie doivent se faire enregistrer en produisant leur certificat de fin de scolarité ou leur diplôme d'une école vétérinaire et que l'enregistrement du certificat de fin de scolarité et/ou du diplôme de doctorat doit être suivi obligatoirement, pour les vétérinaires ou les docteurs vétérinaires désirant exercer en pratique libérale, de la production dans le délai de six mois d'un certificat d'inscription au tableau de l'ordre des vétérinaires de la région de Bordeaux.

L'article 4 énonce que les vétérinaires et docteurs vétérinaires sont soumis aux règlements régissant l'exercice de la médecine, de la chirurgie et de la pharmacie vétérinaires, et que ceux qui exercent en pratique libérale doivent, en outre, observer le code de déontologie et les règlements édictés par le Conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires français et qu'ils relèvent des chambres de discipline de l'ordre des vétérinaires.

8. Il s'ensuit que l'exercice de la profession de vétérinaire en pratique libérale en Nouvelle-Calédonie impose une inscription à l'ordre des vétérinaires et le respect du code de déontologie et des règlements édictés par le conseil de l'ordre.

9. L'article 8 de loi du 23 août 1947 instituant l'Ordre national des vétérinaires a chargé le Conseil supérieur de l'ordre de fixer le montant des cotisations qui devraient être versées par les membres de l'ordre et prévu que le défaut d'acquittement de la cotisation pourrait donner lieu à l'application de sanctions disciplinaires. Ces dispositions ont été reprises à l'article R. 242-3 du code rural et de la pêche maritime précité.

10. Dès lors, l'inscription à l'ordre des vétérinaires impose le versement d'une cotisation ordinale et en l'absence de disposition locale ou nationale les exonérant de cette obligation, les vétérinaires exerçant à titre libéral en Nouvelle-Calédonie ont été soumis au paiement d'une telle cotisation.

11. Pour recevoir l'opposition de Mme B... et rejeter la demande en paiement formée par le conseil de l'ordre, le jugement retient que l'Etat n'est pas compétent pour réglementer l'exercice des professions libérales en Nouvelle-Calédonie et que les dispositions du code rural et de la pêche maritime prévoyant le paiement de cotisations par les membres de l'ordre des vétérinaires ne trouvent pas application sur ce territoire.

12. En statuant ainsi, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement formée par le Conseil national de l'ordre des vétérinaires, le jugement rendu le 20 décembre 2018, entre les parties, par le tribunal d'instance de Boulogne-Billancourt ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris.

- Président : Mme Batut (président) - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Chaumont et M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Colin-Stoclet -

Textes visés :

Article 8 de la loi n° 47-1564 du 23 août 1947 ; article 9 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ; article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ; délibération du Congrès n° 79 du 26 janvier 1989 relative à l'exercice de la médecine et de la chirurgie vétérinaire en Nouvelle-Calédonie et Dépendances ; arrêté métropolitain du 7 juillet 1977 portant rattachement des vétérinaires exerçant dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie Française et de Wallis et Futuna au conseil régional de l'ordre des vétérinaires de la région de Bordeaux ; article R. 242-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version antérieure à celle issue du décret n° 2017-517 du 10 avril 2017.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.