Numéro 2 - Février 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 26 février 2020, n° 18-10.017, (P)

Cassation partielle

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Faute du salarié – Faute grave – Défaut – Applications diverses – Actes commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail – Conditions – Absence de préjudice causé à l'employeur ou à l'entreprise – Portée

Sur le premier moyen :

Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ce dernier texte dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme F..., engagée le 15 décembre 1986 par la société Madison diamonds en qualité de secrétaire commerciale, a été placée en arrêt de travail à compter du 18 janvier 2012 ; qu'elle a été licenciée pour faute grave le 24 juillet 2012 ;

Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes tendant à voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et à condamner l'employeur au paiement d'une indemnité à ce titre, d'une indemnité de licenciement et d'une indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, et à lui rembourser des sommes au titre du maintien de salaire et des frais d'huissier, l'arrêt retient qu'il est établi que la salariée exerçait une activité professionnelle dans le cadre d'une société qui n'était pas son employeur, à une heure et un jour où en raison d'un arrêt de travail pour maladie, le contrat de travail la liant à cet employeur était suspendu ; que la salariée a continué à percevoir un complément de salaire versé par son employeur pendant son arrêt de travail pour maladie mais avait un compte courant d'associé établi à 64 500 euros au 31 décembre 2011 et porté à 76 467,84 euros au 31 décembre 2012, de sorte que non seulement l'employeur justifie du préjudice qui en résulte mais qu'il ne peut être soutenu par la salariée que son activité était bénévole ou occasionnelle ; qu'en conséquence et peu important l'absence de caractère concurrentiel de l'activité, le régime de sorties libres de l'arrêt de travail ou la connaissance qu'avait l'employeur de la qualité d'associée de la salariée, il y a lieu de déclarer que l'exercice de cette activité constitue une faute qui, par la déloyauté qu'elle caractérise, est d'une gravité telle qu'elle fait obstacle à la poursuite du contrat de travail ;

Attendu cependant que l'exercice d'une activité, pour le compte d'une société non concurrente de celle de l'employeur, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt ; que, dans un tel cas, pour fonder un licenciement, l'acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l'employeur ou à l'entreprise ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que ce préjudice ne saurait résulter du seul paiement par l'employeur, en conséquence de l'arrêt de travail, des indemnités complémentaires aux allocations journalières, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux autres moyens, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que les fonctions commerciales exercées par Mme F... relevaient de la qualification de cadre, condamne la société Madison diamonds à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu'il condamne la société à la remise d'un certificat de travail conforme, l'arrêt rendu le 2 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sauf sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elle se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel Paris, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Corre - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur le défaut de caractérisation d'un manquement du salarié à son obligation de loyauté par l'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail pour maladie, à rapprocher : Soc., 4 juin 2002, pourvoi n° 00-40.894, Bull. 2002, V, n° 191 (rejet). Sur la nécessité d'un préjudice causé à l'employeur ou à l'entreprise pour fonder un licenciement pour faute grave en cas d'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail pour maladie, à rapprocher : Soc., 12 octobre 2011, pourvoi n° 10-16.649, Bull. 2011, V, n° 231 (cassation).

Soc., 26 février 2020, n° 17-18.136, n° 17-18.137, n° 17-18.139, (P)

Rejet

Licenciement économique – Licenciement collectif – Ordre des licenciements – Fixation – Inobservation – Préjudice – Réparation – Etendue – Office du juge

Vu la connexité, joint les pourvois n° 17-18.136, 17-18.137 et 17-18.139 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Rennes, 15 mars 2017), que la société [...] et industries (la société LCI) a été mise en redressement judiciaire le 1er décembre 2011 ; que par jugement du 16 avril 2012, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement par cession totale des actifs de la société LCI à la société Eolane et a autorisé le licenciement pour motif économique de trente-neuf salariés ; que le 30 avril 2012, M. N..., M. Q... et Mme R..., salariés de la société LCI (les salariés) ont été licenciés en exécution du plan de cession ; que le 7 décembre 2012, la société LCI a été placée en liquidation judiciaire, M. F... et la société BTSG étant désignés liquidateurs judiciaires ; que le 19 février 2013, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé de leur licenciement ;

Sur les premier et deuxième moyens :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que les salariés font grief aux arrêts de rejeter leur demande en fixation au passif de la société LCI d'une créance de dommages-intérêts pour non-respect des critères d'ordre des licenciements alors, selon le moyen :

1°/ que, si l'employeur peut privilégier l'un des critères retenus pour déterminer l'ordre des licenciements, il doit tenir compte de chacun d'entre eux ; qu'il s'ensuit que l'employeur ne peut neutraliser l'un ou l'autre des critères légaux à prendre en considération pour fixer l'ordre des licenciements en attribuant, au titre de l'un d'entre eux, le même nombre de point à tous les salariés ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-5 du code du travail en sa rédaction applicable au litige ;

2°/ que l'employeur doit communiquer au juge les données objectives, précises et vérifiables sur lesquelles il s'est appuyé pour arrêter, selon les critères définis, l'ordre des licenciements, de telle manière que le juge soit en mesure de vérifier le respect desdits critères ; qu'en se bornant dès lors à énoncer qu'« aucune erreur manifeste ou détournement de pouvoir n'est démontré, ni même invoqué, dans l'usage qu'a fait l'employeur de son pouvoir d'appréciation de la valeur professionnelle des salariés », sans vérifier si l'appréciation de l'employeur reposait sur des données objectives, précises et vérifiables, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-5 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 12 du code de procédure civile ;

3°/ que, lorsque l'employeur porte atteinte à un droit extrapatrimonial du salarié, la violation de la règle de droit cause à ce dernier un préjudice de principe dont seule l'évaluation relève de l'appréciation souveraine des juges du fond ; que l'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements pour motif économique constitue pour le salarié une illégalité qui entraîne pour celui-ci un préjudice pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de son emploi, lequel doit être intégralement réparé selon son étendue par les juges du fond en ce qu'il porte atteinte au droit fondamental à l'emploi ; qu'en déboutant les salariés de leurs demandes, motifs pris qu'il n'établissaient pas le préjudice que leur aurait causé la mise en oeuvre des critères tels que déterminés par l'employeur, quand la violation par l'employeur des critères d'ordre des licenciements causait aux salariés exposants un préjudice de principe qu'il appartenait aux juges du fond d'évaluer et de réparer, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-5 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

Mais attendu que si c'est à tort que la cour d'appel, par motifs adoptés, a retenu que l'employeur n'avait pas ignoré le critère des qualités professionnelles en l'affectant d'un nombre de points identique pour chaque salarié non cadre, les arrêts n'encourent néanmoins pas la censure dès lors que l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ; que la cour d'appel, qui a constaté que les salariés n'apportaient aucun élément pour justifier le préjudice allégué du fait de l'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements, a, par ces seuls motifs, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux premières branches, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Pietton - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 1233-5 du code du travail dans sa rédaction applicable.

Rapprochement(s) :

Sur le pouvoir souverain des juges du fond quant à l'appréciation du préjudice, à rapprocher : Soc., 13 avril 2016, pourvoi n° 14-28.293, Bull. 2016, V, n° 72 (rejet).

Soc., 26 février 2020, n° 18-20.544, (P)

Cassation

Retraite – Avantage de retraite – Définition – Exclusion – Cas – Gratuité de circulation attachée à la qualité d'usager éventuel du réseau autoroutier – Maintien au profit d'anciens salariés retraités

Le maintien à d'anciens salariés devenus retraités de la gratuité de circulation attachée à leur qualité d'usager éventuel du réseau autoroutier exploité par l'ancien employeur ne constitue pas un avantage de retraite.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 juin 2018), les salariés de la société des Autoroutes Esterel, Côte d'Azur, Provence, Alpes (la société) bénéficiaient, au moyen d'une carte professionnelle, d'une circulation gratuite sur le réseau autoroutier Esterel Côte d'Azur exploité par la société.

En application d'un accord d'entreprise nº 61 du 13 décembre 1995 auquel s'est substitué un accord nº 104 du 29 février 2008, cette gratuité était également accordée au moyen d'une carte senior aux anciens salariés de la société ayant fait valoir leurs droits à la retraite.

2. Au mois d'octobre 2012, l'Urssaf des Alpes-Maritimes a signifié à la société que la gratuité de circulation accordée à ses salariés ainsi qu'à ses anciens salariés retraités était soumise à cotisations sociales. A la suite du redressement opéré à ce titre, la société a, le 4 juin 2013, notifié la dénonciation de l'accord du 29 février 2008 à l'ensemble de ses signataires puis informé les bénéficiaires de la carte senior, parmi lesquels M. W... qui avait fait valoir ses droits à retraite depuis le 1er mars 2006, que le dispositif de gratuité de circulation cesserait à l'expiration de la période de survie de l'accord, et qu'il serait remplacé par un badge de télépéage comportant une réduction de 30 % pour les passages sur le réseau ESCOTA. M. W... a refusé ce dispositif et a saisi la juridiction prud'homale le 12 février 2015 en restitution de la carte senior et en remboursement de ses frais de péage.

Examen du moyen

Enoncé du moyen, pris en sa première branche

3. La société fait grief à l'arrêt de dire que la gratuité de circulation sur le réseau concédé ESCOTA accordée au salarié depuis son départ à la retraite constitue un avantage de retraite intangible qui ne pouvait être supprimé par la société à défaut de substitution de l'accord du 29 février 2008 dénoncé, d'ordonner la restitution par la société à M. W... de la carte senior et de la condamner à lui payer une certaine somme en remboursement des sommes acquittées au titre des péages autoroutiers, alors « que le maintien à d'anciens salariés devenus retraités de la gratuité des péages attachée à leur qualité d'usagers d'un réseau d'autoroutes géré par leur ancien employeur ne constitue pas un avantage de retraite ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué qu'en application d'un accord d'entreprise du 16 décembre 1995 auquel s'est substitué un accord du 29 février 2008, les anciens salariés devenus retraités de la société ESCOTA bénéficiaient du maintien de la gratuité de circulation reconnue au bénéfice des salariés sur le réseau concédé par le biais de l'attribution d'une ''carte senior'' et que cet accord avait été régulièrement dénoncé par la société ESCOTA, dénonciation dont les salariés, dont M. W..., avaient été informés par courrier précisant que la gratuité de circulation cesserait de s'appliquer à compter du 14 août 2014 et proposant une réduction de 30 % sur le montant des péages ; que, pour faire droit aux demandes de M. W... tendant à la restitution de la carte senior ainsi qu'au remboursement des sommes acquittées au titre des péages depuis le 22 décembre 2014, la cour d'appel a retenu que la gratuité de la circulation accordée aux retraités de l'entreprise constituait un avantage de retraite intangible, en sorte que la dénonciation de l'accord du 29 février 2008, sans qu'intervienne un accord de substitution, ne pouvait modifier les droits acquis et liquidés des retraités ; qu'en statuant ainsi, cependant que le maintien à d'anciens salariés devenus retraités de la gratuité des péages attachée à leur qualité d'usagers du réseau autoroutier géré par leur ancien employeur ne constitue pas un avantage de retraite, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

4. Le maintien à d'anciens salariés devenus retraités de la gratuité de circulation attachée à leur qualité d'usager éventuel du réseau autoroutier exploité par l'ancien employeur ne constitue pas un avantage de retraite.

5. Pour juger que la gratuité de circulation accordée à M. W... depuis son départ à la retraite constitue un avantage de retraite intangible qui ne pouvait être supprimé par la société à défaut de substitution de l'accord du 29 février 2008 dénoncé, l'arrêt constate que si la société produit le règlement qu'elle a effectué par virement le 9 janvier 2013 de la somme de 1 499 875 euros au bénéfice de l'Urssaf, elle ne verse pas pour autant la décision de redressement de l'Urssaf, se contentant d'affirmer que cet organisme avait considéré que la gratuité de circulation accordée aux salariés ainsi qu'aux retraités était un avantage en nature et qu'elle devait être réintégrée pour sa valeur réelle.

L'arrêt énonce qu'en réalité, l'Urssaf n'a pu que considérer que la gratuité de circulation était un avantage de retraite pour les retraités, soumis à cotisations, puisque les retraités ne peuvent bénéficier d'un avantage en nature qui ne concerne que les salariés. Il en déduit que c'est à juste titre que M. W... relève que la société, qui n'a pas formé de recours contre la décision de redressement de l'Urssaf, n'a pas contesté que la gratuité de circulation accordée aux retraités constituait un avantage de retraite soumis à cotisations sociales et que la gratuité de circulation accordée sous la forme de l'attribution d'une carte senior à tous les retraités de l'entreprise lors de leur cessation d'activité constitue bien un avantage de retraite intangible.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres branches, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; Me Balat -

Textes visés :

Article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la notion d'avantage de retraite, à rapprocher : Soc., 17 mai 2011, pourvoi n° 10-17.228, Bull. 2011, V, n° 111 (rejet).

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