Numéro 2 - Février 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2020

APPEL CIVIL

2e Civ., 27 février 2020, n° 19-10.849, (P)

Rejet

Appelant – Conclusions – Signification – Défaut de signification à l'intimé – Notification à un avocat avant sa constitution – Portée

L'appelant est mis en mesure de respecter l'obligation qui lui est impartie, par l'article 911 du code de procédure civile, de signifier ses conclusions à l'intimé lui-même ou de les notifier à l'avocat que cet intimé a constitué, dès lors que cet appelant ne doit procéder à cette dernière diligence que s'il a, préalablement à toute signification à l'intimé, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d'un avocat par l'intimé. Dans ces conditions, c'est sans se heurter à un événement insurmontable, caractérisant un cas de force majeure, qu'un appelant omet de signifier ses conclusions à l'intimé, en faisant valoir qu'il les a notifiées à un avocat qui ne l'avait pourtant pas informé être constitué par l'intimé.

En outre, la notification de conclusions à un avocat qui n'a pas été préalablement constitué dans l'instance d'appel est entachée d'une irrégularité de fond. Elle ne répond pas à l'objectif légitime poursuivi par le texte, qui n'est pas seulement d'imposer à l'appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l'efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l'intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l'article 909 du code de procédure civile pour conclure à son tour. Il en découle que la constitution ultérieure par l'intimé de l'avocat qui avait été destinataire des conclusions de l'appelant n'est pas de nature à remédier à cette irrégularité.

C'est par conséquence à bon droit et sans méconnaître les exigences d'un droit à un procès équitable, qu'une cour d'appel, relevant que l'appelant avait notifié ses conclusions dans le délai prévu par l'article 911 du code de procédure civile qu'à l'avocat qui avait assisté l'intimé en première instance, alors qu'il n'avait pas reçu d'avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l'instance devant la cour d'appel, a constaté la caducité de la déclaration d'appel.

Appelant – Conclusions – Signification – Notification à un avocat avant sa constitution par l'intimé – Signification à l'intimé – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 septembre 2018), la société Carax a relevé appel du jugement d'un conseil de prud'hommes rendu dans une affaire l'opposant à Mme T..., a remis au greffe ses conclusions le 30 juin 2017 et les a notifiées concomitamment à M. S..., qui était l'avocat de Mme T... devant le conseil de prud'hommes.

2. Mme T... a constitué M. S..., le 30 août 2017, puis soulevé un incident de caducité devant le conseiller de la mise en état.

La société Carax a déféré à la cour d'appel l'ordonnance de ce conseiller constatant la caducité de sa déclaration d'appel.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

4. La société Carax fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 14 février 2018 constatant la caducité de sa déclaration d'appel, alors :

« 1°/ que le but poursuivi par la caducité en cas d'absence de notification des conclusions dans le délai requis est d'obliger l'appelant à faire connaître rapidement ses moyens à la partie qui n'a pas constitué avocat ; que ce but est atteint lorsque l'appelant a signifié ses conclusions avant l'expiration du délai à l'avocat mandaté par l'intimé, quand bien même celui-ci n'aurait-il pas régularisé son acte de constitution avant cette signification ; qu'en l'espèce, la société Carax a notifié ses conclusions et pièces au conseil de Mme T... par RPVA le 30 juin 2017, soit trois mois après la déclaration d'appel et M. S... a téléchargé l'ensemble des pièces transmises par Wetransfer le 7 juillet suivant avant de régulariser sa constitution le 30 août 2017 ; que la célérité de la procédure d'appel ayant été ainsi obtenue et, partant, le but atteint, la sanction de la caducité de la déclaration d'appel devenait disproportionnée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde de des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'en cas de force majeure, le conseiller de la mise en état peut écarter l'application des sanctions délais prévues aux articles 905-2 à 911 : qu'en l'espèce, la société Carax avait souligné que la notion de force majeure, telle qu'entendue par ce texte, était distincte de celle de cause étrangère en ce que son acception était exclusive du critère d'extériorité ; que dès lors, en se bornant, pour écarter la force majeure, à retenir que « l'appelante ne pouvait ignorer qu'elle n'avait pas reçu l'avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l'instance devant la cour d'appel », sans répondre aux conclusions de la société Carax, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. En application de l'article 911 du code de procédure civile, sous les sanctions prévues par les articles 908 à 910 de ce code, les conclusions sont signifiées aux parties qui n'ont pas constitué avocat dans le mois suivant l'expiration du délai de leur remise au greffe de la cour d'appel ; cependant, si entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat.

6. L'appelant est mis en mesure de respecter cette exigence dès lors qu'il doit procéder à la signification de ses conclusions à l'intimé lui-même, sauf s'il a, préalablement à cette signification, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d'un avocat par l'intimé.

7. La notification de conclusions à un avocat qui n'a pas été préalablement constitué dans l'instance d'appel est entachée d'une irrégularité de fond et ne répond pas à l'objectif légitime poursuivi par le texte, qui n'est pas seulement d'imposer à l'appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l'efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l'intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l'article 909 du code de procédure civile pour conclure à son tour. Il en découle que la constitution ultérieure par l'intimé de l'avocat qui avait été destinataire des conclusions de l'appelant n'est pas de nature à remédier à cette irrégularité.

8. Ayant, d'une part, relevé que l'appelante n'avait notifié ses conclusions dans le délai prévu par l'article 911 du code de procédure civile qu'à l'avocat qui avait assisté l'intimé en première instance et que l'appelante ne pouvait ignorer qu'elle n'avait pas reçu l'avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l'instance devant la cour d'appel, faisant ainsi ressortir par cette considération que l'appelante ne s'était heurtée à aucun événement insurmontable, caractérisant un cas de force majeure, et, d'autre part, exactement retenu qu'il importait peu que l'intimé ait, postérieurement à la notification des conclusions, constitué l'avocat qui en avait été destinataire, c'est à bon droit, sans méconnaître les exigences du droit à un procès équitable, que la cour d'appel a constaté la caducité de la déclaration d'appel.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Gadiou et Chevallier ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Articles 911 du code de procédure civile et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 5 septembre 2019, pourvoi n° 18-21.717, Bull. 2019, (rejet).

2e Civ., 27 février 2020, n° 18-19.367, (P)

Cassation partielle

Demande nouvelle – Recevabilité – Défense à une prétention adverse – Vérification nécessaire

Une cour d'appel saisie d'une demande relative à la prescription des intérêts ne peut déclarer celle-ci irrecevable comme nouvelle pour ne pas avoir été présentée devant le juge de l'exécution sans examiner si les conditions de l'article 564 du code de procédure civile sont réunies.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 12 avril 2018), M. et Mme L... ont, aux termes d'une convention de coopérateur, acquis auprès de la société civile de construction SCCC Le Blanc Marly II (la SCCC), une part de société donnant vocation à l'attribution d'un lot immobilier, constitué d'une maison avec garage, moyennant le paiement d'une certaine somme financée par des prêts consentis par la SCCC.

2. Par un arrêt irrévocable du 28 novembre 2007, une cour d'appel a condamné M. L... à payer à la SCCC la somme de 71 845,96 euros, avec intérêts au taux contractuel à compter du 23 mai 2002 sur la somme de 63 520,46 euros et à compter du 7 avril 2004 pour le surplus.

3. Sur le fondement de cet arrêt, la SCCC a fait pratiquer une saisie-vente et une saisie-attribution de compte bancaire que M. L... a contesté devant un juge de l'exécution.

Sur le premier moyen ci-après annexé

4. En application de l'article 1014 alinéa 2 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. M. L... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande relative aux intérêts alors « que les parties peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions pour faire écarter des prétentions adverses ; qu'en jugeant que la demande de prescription des intérêts qu'il avait présentée pour la première fois devant la cour d'appel était irrecevable quand ce moyen, qui était susceptible de remettre en cause l'existence de la créance de la SCCC Le Blanc Marly II dans son étendue, tendait par conséquent à écarter la prétention adverse, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 564 du code de procédure civile :

6. A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

7. Pour déclarer irrecevable la demande de M. L... tendant à voir déclarer prescrite la demande de paiement des intérêts échus antérieurement au 4 février 2011, l'arrêt retient que M. L... se prévaut pour la première fois en cause d'appel de la prescription des intérêts, alors qu'il n'avait pas formé cette demande devant le juge de l'exécution en application de l'article 564 du code de procédure civile.

8. En se déterminant ainsi, tout en constatant que M. L... avait formé une demande relative à la prescription des intérêts, la cour d'appel, qui n'a pas examiné si les conditions du texte susvisé étaient réunies, a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de M. L... relative aux intérêts, l'arrêt rendu le 12 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Maunand - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Ghestin ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article 564 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 1er décembre 2016, pourvoi n° 15-27.143, Bull. 2016, II, n° 261 (cassation).

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