Numéro 2 - Février 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2019

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 20 février 2019, n° 17-21.006, (P)

Sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des Traités – Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Accès la profession d'avocat – Dispense de formation – Conditions particulières – Connaissances en droi national – Nécessité – Compatibilité

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des Traités – Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Libre circulation des travailleurs – Accès à la profession d'avocat – Conditions particulières – Article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 – Fonctionnaires ayant exercé en France – Nécessité – Compatibilité

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des Traités – Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Liberté d'établissement – Accès à la profession d'avocat – Conditions particulières – Article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 – Fonctionnaires ayant exercé en France – Nécessité – Compatibilité

Sur les premier, deuxième et troisième moyens, réunis :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2017), que Mme T..., fonctionnaire de la Commission européenne, a sollicité son admission au barreau de Paris sous le bénéfice de la dispense de formation et de diplôme prévue à l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pour les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ;

Attendu que Mme T... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 prévoit que « sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat : (...) les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale » ; que le droit de l'Union européenne est directement intégré dans le droit national ; qu'à supposer que l'exercice des activités juridiques ainsi visées par le texte soit limité au droit français, il n'impose pas que l'impétrant ait la maîtrise de toutes les branches de ce droit ; qu'aussi, la pratique pendant huit ans au moins de n'importe quelle branche du droit français, dont le droit de l'Union, est suffisante pour que cette condition soit remplie ; qu'au cas d'espèce, en décidant au contraire que Mme T..., fonctionnaire du plus haut grade à la Commission européenne, ne remplissait pas la condition tenant à la pratique du droit français dès lors qu'elle n'avait pratiqué que le droit de l'Union, auquel le droit national ne se limitait pas, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble le principe de l'intégration directe du droit de l'Union européenne dans les droits internes des Etats membres, ensemble l'article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

2°/ que le droit de l'Union européenne est directement intégré dans le droit national ; que la pratique du droit de l'Union équivaut donc à la pratique de toute autre branche du droit français ; qu'en l'espèce, en distinguant, pour l'application de l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991, entre les fonctionnaires ayant pratiqué certaines branches du droit français hors droit de l'Union et les fonctionnaires qui ont pratiqué le droit de l'Union, pour exclure les seconds du bénéfice de la dispense instituée par le texte, la cour d'appel, qui a distingué là où la loi ne distingue pas, a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble le principe de l'intégration directe du droit de l'Union européenne dans les droits internes des Etats le principe de l'interprétation conforme, ensemble l'article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

3°/ que le droit de l'Union européenne prohibe, non seulement les discriminations directes fondées sur la nationalité, mais aussi les discriminations indirectes, qui ne peuvent être justifiées que par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ; que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), la notion de discrimination indirecte est d'interprétation large et inclut aussi les entraves d'importance secondaire qui concernent l'égalité d'accès à l'emploi sans distinction en fonction de la nationalité ; qu'à supposer que la dispense prévue par les articles 11, 3°, de la loi du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 doive être comprise comme étant limitée aux fonctionnaires de catégorie A et assimilés qui ont exercé des activités juridiques pendant huit ans, soit exclusivement sur le territoire français, soit en mettant en oeuvre des règles de droit français ne trouvant pas leur source dans le droit de l'Union européenne, alors que ces textes ont nécessairement pour effet d'instaurer une discrimination indirecte en faveur des fonctionnaires de la fonction publique française – dont la grande majorité est de nationalité française –, qui sont en pratique les seuls à pouvoir remplir ces critères, et en défaveur des fonctionnaires ressortissants appartenant à une autre fonction publique, laquelle n'est pas justifiée par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ; qu'en refusant sur ce fondement la demande de Mme T..., la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE ;

4°/ que l'ensemble des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter l'exercice des activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l'Union et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ses ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre Etat membre ; qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'en l'espèce, à considérer que la dispense de l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 doive être refusée aux fonctionnaires de l'Union européenne ayant pratiqué le seul droit de l'Union, lequel fait partie intégrante du droit français, au motif que cette pratique ne garantirait pas au justiciable une défense pertinente et efficace, ou encore la protection des justiciables contre le préjudice qu'ils pourraient subir du fait de services fournis par des personnes qui n'auraient pas les qualifications professionnelles nécessaires, mais qu'elle puisse être accordée aux fonctionnaires ayant exercé dans certaines branches seulement du droit français (autres que le droit de l'Union), et ne présentent donc objectivement pas davantage de garanties, constitue une mesure restrictive qui, à supposer qu'elle poursuive le but légitime de protection du justiciable, est toutefois impropre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et va au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ; qu'en rejetant dans ces conditions la demande d'inscription au barreau de Mme T..., la cour d'appel a violé les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les principes de l'intégration directe du droit de l'Union dans les droits internes des Etats membres et de l'interprétation conforme du droit national ;

5°/ qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'aux termes de la jurisprudence de la CJUE, pour exercer ce contrôle lorsqu'est en cause l'accès à une profession réglementée, le juge national doit prendre en considération les périodes d'activité comparables de la partie concernée accomplies dans un autre Etat membre, moyennant une appréciation des qualifications et de l'expérience acquises, qui doit être faite in concreto ; qu'en l'espèce, la cour d'appel devait donc procéder à une comparaison des diplômes, qualifications et expériences professionnelles de Mme T..., fonctionnaire européen ayant certes pratiqué le droit européen pendant dix ans, mais titulaire d'une maîtrise, d'un DEA (master II) et d'un doctorat en droit français, avec ceux exigés d'un fonctionnaire français détenant uniquement une maîtrise en droit et ayant seulement pratiqué le droit français « commun », pendant huit ans, aux fins d'évaluer le niveau de l'impétrante en droit français « commun » ; qu'en se bornant à un rejet in abstracto fondé sur l'absence de pratique du droit français « commun » sans faire une évaluation globale incluant aussi les connaissances de l'intéressée, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE ;

6°/ qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'en requérant une appréciation in concreto par le juge des connaissances de l'intéressé, le droit de l'Union impose une obligation de résultat de prendre en compte les connaissances et l'expérience équivalentes, obligation dont le non-respect donne lieu à une discrimination indirecte ; que, pour satisfaire à cette obligation, le juge national ne peut pas se borner à renvoyer aux catégories d'accès existantes en droit national si celles-ci ne permettent pas d'atteindre cette obligation de résultat ; qu'en l'espèce, en renvoyant la demanderesse au régime d'accès de droit commun ouvert aux juristes sans expérience professionnelle, alors que ses connaissances et son expérience professionnelle correspondaient au moins en partie à celles ouvrant l'accès dérogatoire aux fonctionnaires de la fonction publique française, que ce régime ne permettait pas la prise en compte effective de son expérience professionnelle et qu'un moyen moins strict pour atteindre l'objectif recherché aurait consisté à exiger la preuve des seules connaissances manquantes, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble l'obligation d'interprétation conforme du droit européen ;

Attendu qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 10 décembre 2009, Pesla, C-345/08, points 34 à 36) qu'en l'absence d'harmonisation des conditions d'accès à une profession, les Etats membres sont en droit de définir les connaissances et qualifications nécessaires à l'exercice de cette profession et d'exiger la production d'un diplôme attestant la possession de ces connaissances et qualifications ; que, toutefois, le droit de l'Union pose des limites à l'exercice de cette compétence par les Etats membres dans la mesure où les dispositions nationales adoptées à cet égard ne sauraient constituer une restriction injustifiée à l'exercice effectif des libertés fondamentales garanties par les articles 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; que des règles nationales établissant des conditions de qualifications, même appliquées sans discrimination tenant à la nationalité, peuvent avoir pour effet d'entraver l'exercice de ces libertés fondamentales si les règles nationales en question font abstraction des connaissances et qualifications déjà acquises par l'intéressé dans un autre Etat membre ;

Attendu qu'aux termes de l'article 45, § 2, du TFUE, la libre circulation des travailleurs implique l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ;

Attendu qu'il résulte de l'article 49, § 2, du même Traité que la liberté d'établissement reconnue aux ressortissants d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre, comporte notamment l'accès aux activités non salariées et leur exercice dans les conditions définies par la législation de l'État membre d'établissement pour ses propres ressortissants ;

Que constituent des restrictions à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d'établissement toutes les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de ces libertés fondamentales (CJUE, arrêt du 18 juin 1985, Steinhauser, 197/84 ; arrêt du 4 décembre 2008, Jobra, C-330/07 ; arrêt du 5 février 2015, Commission/Belgique, C-317/14) ; que ces mesures nationales peuvent néanmoins être admises dès lors qu'elles répondent à des raisons impérieuses d'intérêt général, qu'elles sont propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et qu'elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre, étant entendu qu'une législation nationale n'est propre à garantir la réalisation de l'objectif recherché que si elle répond véritablement au souci d'atteindre celui-ci d'une manière cohérente et systématique (CJUE, arrêt du 18 mai 2017, Lahorgue, C-99/16) ;

Que, si des raisons impérieuses d'intérêt général peuvent être invoquées pour justifier une telle restriction, c'est à la condition que celle-ci ne présente pas de caractère discriminatoire ; que, dans le cas contraire, une restriction ne peut être justifiée que par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, en application des articles 45, § 3, et 52, § 1, du TFUE (CJUE, arrêt du 22 décembre 2008, Commission/Autriche, C-161/07 ; arrêt du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken, C-514/12 ; arrêt du 28 janvier 2016, Laezza, C-375/14) ; que, selon la Cour de justice, l'objectif de protection des consommateurs, qui comprend celle des destinataires des services juridiques fournis par des auxiliaires de justice, est au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services (CJUE, arrêt Lahorgue, précité), de sorte qu'il peut, au même titre, justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d'établissement ;

Que, selon la jurisprudence constante de la Cour de justice, le principe de non-discrimination inscrit aux articles 45 et 49 du TFUE prohibe non seulement les discriminations directes ou ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ; qu'à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi, une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu'elle est susceptible, par sa nature même, d'affecter davantage les ressortissants d'autres Etats membres que les ressortissants nationaux et qu'elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (arrêt du 23 mai 1996, O'Flynn, C-237/94 ; arrêt du 1er juin 2010, N... R... et J... O..., C-570/07 et C-571/07) ;

Attendu qu'il résulte de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée, que l'avocat peut, en France, exercer sa profession à titre libéral ou en qualité de salarié ; que, par suite, le ressortissant d'un Etat membre qui entend exercer l'activité d'avocat sur le territoire français relève du régime soit de la libre circulation des travailleurs, soit de la liberté d'établissement, soit de la libre prestation des services ; que, par les troisième, quatrième, cinquième et sixième branches des moyens réunis du présent pourvoi, Mme T... invoque la méconnaissance des règles relatives aux deux premiers de ces régimes ;

Que, selon l'article 11, 3°, de la même loi, nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il n'est titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, sous réserve des dispositions réglementaires mentionnées au 2° du même article, lesquelles concernent notamment les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France ;

Que figure au nombre de ces dispositions l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, modifié, aux termes duquel sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ;

Attendu qu'en ce que l'article 11 de la loi de 1971 subordonne l'accès à la profession d'avocat à la condition de l'exercice de certaines fonctions ou activités en France et en ce que l'article 98, 4°, du décret de 1991 peut être considéré comme subordonnant la dispense de formation et de diplôme, pour cet accès, à l'appartenance à la seule fonction publique française et est interprété par le juge français comme subordonnant cette dispense à la connaissance du droit national d'origine française, la mesure nationale constituée par la combinaison de ces textes peut être considérée comme instituant une restriction à la libre circulation des travailleurs ou à la liberté d'établissement ;

Attendu que la question se pose de savoir si cette restriction est indistinctement applicable aux ressortissants de l'Etat membre d'accueil ou d'établissement et aux ressortissants des autres Etats membres, de sorte qu'elle pourrait être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, ou si elle présente un caractère discriminatoire, son éventuelle justification étant alors limitée à l'existence de raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique ;

Attendu que l'arrêt attaqué énonce que l'expérience professionnelle du candidat à l'accès à la profession d'avocat doit être appréciée in concreto afin de déterminer si celle-ci correspond à la qualification professionnelle exigée par l'article 98, 4°, et répond ainsi aux conditions de formation, de compétence et de responsabilité attachées à la fonction publique de catégorie A ; qu'il relève que la volonté de veiller à une connaissance satisfaisante par l'avocat du droit national a pour objectif de garantir l'exercice complet, pertinent et efficace des droits de la défense des justiciables, dès lors que, même si ce droit comprend nombre de règles européennes, il conserve néanmoins une spécificité et ne se limite pas à ces dernières ; que l'arrêt retient que la nécessité impérieuse de le rendre effectif constitue un objectif légitime qui peut justifier des restrictions d'accès à la profession d'avocat ; qu'il en déduit que cette exigence, appréciée in concreto, ne crée pas de conditions discriminatoires d'accès à la profession d'avocat pour les ressortissants de l'Union européenne ;

Que l'arrêt ajoute que l'article 98 du décret de 1991 pose des conditions dérogatoires qui doivent, à ce titre, être interprétées strictement et que les personnes ne pouvant prétendre à leur bénéfice conservent la possibilité d'accéder à la profession d'avocat selon les modalités générales fixées par l'article 11 de la loi de 1971 ; qu'il estime que la restriction apportée à l'accès à la profession d'avocat reste donc limitée et proportionnée à l'objectif poursuivi ;

Qu'après avoir constaté que Mme T... avait, au sein de la Commission européenne, exercé des fonctions dans le domaine du droit de l'Union européenne applicable au marché intérieur, aux aides d'Etats, aux pratiques anticoncurrentielles et dans celui des nouvelles règles européennes en matière de meilleure réglementation, la cour d'appel a considéré que, celle-ci ne justifiant d'aucune pratique du droit national, sa demande devait être rejetée ;

Attendu, en premier lieu, que le Traité de la Communauté économique européenne, devenu, après modifications, le TFUE, a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des Etats membres et qui s'impose à leurs juridictions (CJCE, arrêts du 15 juillet 1964 Costa, 6/64, du 19 novembre 1991, Francovitch, C-6/90 et 9/90, et du 20 septembre 2001, Courage, C-453/99) ; qu'il convient d'interroger la Cour de justice sur le point de savoir si ce principe s'oppose à une législation nationale, telle que celle énoncée par l'article 98, 4°, du décret de 1991, qui fait dépendre l'octroi d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, de l'exigence d'une connaissance suffisante, par l'auteur de la demande de dispense, du droit national d'origine française, excluant ainsi la prise en compte d'une connaissance similaire du seul droit de l'Union européenne ;

Attendu, en second lieu, que les conditions qui doivent être satisfaites par l'auteur d'une telle demande, sur le fondement de l'article 98, 4°, tenant à l'exigence d'une connaissance du droit national d'origine française, à l'exercice par celui-ci de certaines fonctions ou activités en France et à l'appartenance à la fonction publique française, sont cumulatives ; que, dans l'hypothèse où le droit de l'Union s'opposerait à ce que la pratique de ce seul droit ne puisse être prise en compte pour l'appréciation de la condition tenant à l'exercice d'activités juridiques, au sens de l'article 98, 4°, se poserait la question de savoir si les restrictions à la libre circulation des travailleurs ou à la liberté d'établissement constituées par les deux autres conditions peuvent être justifiées au regard de ces libertés ;

Qu'en ce qu'elles subordonnent la dispense de formation et de diplôme, pour l'accès à la profession d'avocat, à l'exercice d'une activité ou d'une fonction juridique pendant une durée suffisante en France, les dispositions de l'article 11, 2°, ont été considérées par le Conseil constitutionnel français comme n'étant pas contraires au principe d'égalité devant la loi ; que le Conseil constitutionnel a jugé que les personnes ayant exercé une activité ou une fonction juridique pendant une durée suffisante en France n'étaient pas placées, au regard de l'accès à la profession d'avocat, dans la même situation que celles ayant exercé une telle activité ou fonction à l'étranger ; qu'il a estimé qu'en exigeant, pour l'exercice de cette profession, la pratique d'une activité ou d'une fonction à caractère juridique pendant une durée suffisante sur le territoire national, le législateur avait entendu garantir les compétences des personnes exerçant cette profession et, par voie de conséquence, garantir le respect des droits de la défense ; qu'il en a déduit que la différence de traitement instituée par les dispositions contestées devant lui, qui repose sur une différence de situation, était en rapport direct avec l'objet de la loi (décision n° 2016-551 QPC du 6 juillet 2016) ;

Que, dans la même décision, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre ; qu'il a estimé qu'en posant comme condition d'accès à la profession d'avocat l'exercice d'une activité à caractère juridique pendant une durée suffisante sur le territoire national, le législateur avait entendu garantir un niveau d'aptitude et un niveau de connaissance suffisant aussi bien du droit français que des conditions de sa mise en oeuvre ; qu'il a considéré, en outre, que les personnes ne remplissant pas ces conditions n'étaient pas privées du droit d'accéder à la profession d'avocat dans les conditions de droit commun et qu'il en résultait que le législateur avait adopté des mesures propres à assurer une conciliation qui n'était pas manifestement déséquilibrée entre le respect de la liberté d'entreprendre et le respect des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Constitution française du 4 octobre 1958 ;

Attendu qu'en faveur de la qualification de mesure indistinctement applicable, d'une part, il y a lieu de constater que la condition tenant à l'exercice de certaines fonctions ou activités en France peut être remplie par des ressortissants d'Etats membres de l'Union européenne autres que la France aussi bien que par des ressortissants français ; que, d'autre part, il résulte de l'article 5 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, modifiée, qu'à l'exception de certains emplois en rapport avec l'exercice de la souveraineté ou de prérogatives de puissance publique, les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ont accès à la fonction publique française ; que, par suite, la dispense de formation et de diplôme instituée par l'article 98, 4°, est subordonnée à l'appartenance à une administration qui, quoique nationale, est ouverte, pour une grande part, à tous les ressortissants des Etats membres ;

Qu'en faveur de la qualification de mesure discriminatoire, il convient de relever que, si le bénéfice de la dispense des conditions de formation et de diplôme exigés pour accéder à la profession d'avocat n'est pas fondé sur la nationalité, il repose cependant sur les critères d'un exercice de certaines fonctions ou activités en France, de la connaissance du droit national et de l'appartenance à la fonction publique française ; que la distinction ainsi énoncée conduit à ne pouvoir accorder, en fait, le bénéfice de la dispense litigieuse qu'aux membres de l'administration française ayant exercé leur activité professionnelle sur le territoire français, dont la grande majorité est de nationalité française, et à le refuser aux agents de la fonction publique de l'Union européenne, quand bien même ceux-ci auraient exercé, en dehors du territoire français, des activités juridiques en droit national d'origine française ; que, par suite, l'article 11 de la loi de 1971 et l'article 98, 4°, du décret de 1991 pourraient être considérés comme instituant une discrimination indirecte en raison de la nationalité ;

Que, cependant, pour que le régime juridique institué par ces textes soit qualifié de discriminatoire, quant à la condition d'appartenance à la fonction publique française, celle-ci et la fonction publique de l'Union européenne doivent pouvoir être considérées comme des entités objectivement comparables, auxquelles ne pourraient, en conséquence, être appliqués des traitements différents ; que si, par définition, les deux fonctions publiques sont financées par des fonds publics, composées d'agents majoritairement recrutés par voie de concours, organisées de manière hiérarchique et ont pour mission l'exercice d'activités d'intérêt général, aucune norme de droit de l'Union européenne ne paraît établir, à l'instar des diplômes et des qualifications professionnelles, d'équivalence entre elles ;

Que, si les deux administrations devaient être considérées comme objectivement comparables, il ne pourrait être soutenu que la dispense prévue à l'article 98, 4°, serait indistinctement applicable aux membres de la fonction publique française et aux membres de la fonction publique de l'Union européenne au motif que ces derniers peuvent accéder à la fonction publique française ; qu'en effet, une différence de traitement subsisterait, tenant à ce que, alors que les uns et les autres peuvent se prévaloir de connaissances et qualifications identiques, procédant de l'application, au sein d'une administration, du droit interne ou du droit de l'Union européenne, les membres de la fonction publique de l'Union européenne se verraient soumis à la condition supplémentaire d'un accès préalable à la fonction publique française, pour être en droit de se prévaloir de la dispense litigieuse ;

Qu'en tout état de cause, dans l'hypothèse où les restrictions considérées pourraient être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général ou par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, elles ne le pourraient qu'à la condition qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci ;

Qu'il y a lieu de préciser que l'article 98, 4°, du décret de 1991 n'impose, aux fins de l'examen d'une demande de dispense de formation et de diplôme, la connaissance, par l'auteur de la demande, d'aucune matière du droit national spécifiquement en rapport avec l'organisation des juridictions nationales ou avec la procédure devant celles-ci ;

Qu'en conséquence, en l'état des incertitudes sur le sens à donner aux articles 45 et 49 du TFUE, il y a lieu de renvoyer à la Cour de justice la question de savoir si ces dispositions s'opposent à une législation nationale réservant le bénéfice d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, à certains agents de la fonction publique du même Etat membre ayant exercé en cette qualité, en France, des activités juridiques dans une administration ou un service public ou une organisation internationale, et écartant du bénéfice de cette dispense les agents ou anciens agents de la fonction publique européenne qui ont exercé en cette qualité des activités juridiques, dans un ou plusieurs domaines relevant du droit de l'Union européenne, au sein de la Commission européenne ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

1°) Le principe selon lequel le Traité de la Communauté économique européenne, devenu, après modifications, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des Etats membres et qui s'impose à leurs juridictions, s'oppose-t-il à une législation nationale qui fait dépendre l'octroi d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, de l'exigence d'une connaissance suffisante, par l'auteur de la demande de dispense, du droit national d'origine française, excluant ainsi la prise en compte d'une connaissance similaire du seul droit de l'Union européenne ?

2°) Les articles 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'opposent-ils à une législation nationale réservant le bénéfice d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, à certains agents de la fonction publique du même Etat membre ayant exercé en cette qualité, en France, des activités juridiques dans une administration ou un service public ou une organisation internationale, et écartant du bénéfice de cette dispense les agents ou anciens agents de la fonction publique européenne qui ont exercé en cette qualité des activités juridiques, dans un ou plusieurs domaines relevant du droit de l'Union européenne, au sein de la Commission européenne ? ;

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

RENVOIE la cause et les parties à l'audience du 10 décembre 2019.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Truchot - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 45, 49 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-26.635, Bull. 2016, I, n° 250 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 20 février 2019, n° 17-31.065, (P)

Rejet

Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 – Article 4, § 2 – Clauses abusives – Domaine d'application – Exclusion – Clause portant sur l'objet principal du contrat – Conditions – Clause rédigée de façon claire et compréhensible – Cas – Clause relative au risque de change – Informations à donner au consommateur – Contenu

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2017), que, suivant offre de prêt acceptée le 3 juillet 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à Mme H... (l'emprunteur) un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet immo, en vue de financer l'acquisition d'un bien immobilier ; qu'invoquant l'irrégularité de la clause contractuelle relative à l'indexation du prêt sur la valeur du franc suisse ainsi qu'un manquement de la banque à son obligation d'information, l'emprunteur a assigné celle-ci en annulation de la clause litigieuse et en indemnisation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'emprunteur fait grief à l'arrêt de valider la clause litigieuse, alors, selon le moyen :

1°/ que la clause de monnaie de compte selon laquelle les versements mensuels de l'emprunteur, réalisés en euros, sont convertis dans une devise étrangère afin de procéder au remboursement du capital emprunté dans cette devise, constitue une clause d'indexation qui n'est que l'accessoire de l'obligation de remboursement en euros, prestation essentielle du contrat ; que la cour d'appel qui, après avoir relevé que les échéances du prêt litigieux devaient être payées en euros avant conversion en francs suisses afin de permettre le remboursement du capital emprunté dans cette devise, ce dont il résultait que cette clause d'indexation n'était qu'un accessoire de la prestation essentielle du contrat, a néanmoins retenu, pour refuser d'examiner le caractère abusif de celle-ci, qu'elle définissait l'objet principal du contrat, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;

2°/ qu'en tout état de cause, une clause définissant la prestation essentielle du contrat peut être regardée comme abusive lorsqu'elle n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible ; qu'en se bornant à se référer, pour juger que la clause de monnaie de compte était claire et compréhensible, à la clarté et la précision des termes employés pour décrire le mécanisme de prêt, qui n'aurait présenté aucun caractère de complexité, ainsi qu'à leur répétition et leur caractère compréhensible, c'est-à-dire au caractère intelligible de la clause sur un plan grammatical, sans rechercher si, notamment à l'aide d'exemples chiffrés, le contrat exposait de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel se référait la clause litigieuse, de sorte que l'emprunteur fût mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlaient pour lui, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;

3°/ que la clause d'indexation prévoyait que, à raison de l'évolution du taux de change euro/franc suisse, les échéances de remboursement en euros pouvaient augmenter sans limitation durant les cinq dernières années du prêt, afin que celui-ci soit apuré à l'issue de cette période ; qu'en retenant néanmoins que le contrat fixait une double limite, de la durée supplémentaire, qui ne peut être que de cinq ans et de la majoration des règlements en euros qui ne peut être supérieure à l'augmentation annuelle de l'indice INSEE des prix à la consommation (série France entière hors tabac)sur la période des cinq dernières années précédant la révision du taux d'intérêt, la cour d'appel a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

Mais attendu, d'abord, qu'après avoir énoncé que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation, ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible, l'arrêt relève que l'offre préalable de prêt, dans laquelle s'insère la clause litigieuse, prévoit la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du crédit, que le prêt a pour caractéristique essentielle d'être un prêt en francs suisses remboursable en euros et que le risque de change, inhérent à ce type de prêt, a une incidence sur les conditions de remboursement du crédit ; qu'il en déduit, à bon droit, que la clause définit l'objet principal du contrat ;

Attendu, ensuite, que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt du 20 septembre 2018, C-51/17) que l'article 4, § 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause ; que cette exigence implique qu'une clause relative au risque de change soit comprise par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ;

Attendu que l'arrêt relève que l'offre préalable de prêt détaille les opérations de change réalisées au cours de la vie du crédit et précise que le taux de change euros contre francs suisses sera celui applicable deux jours ouvrés avant la date de l'événement qui détermine l'opération et qui est publié sur le site de la Banque centrale européenne ; qu'il constate qu'il est mentionné dans l'offre que l'emprunteur accepte les opérations de change de francs suisses en euros et d'euros en francs suisses nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, et que le prêteur opérera la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du crédit ; qu'il énonce que l'offre indique que, s'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera moins rapide et l'éventuelle part de capital non amorti au titre d'une échéance sera inscrite au solde débiteur du compte en francs suisses, et qu'il est précisé que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels, à la hausse ou à la baisse, que cette évolution peut entraîner l'allongement ou la réduction de la durée d'amortissement du prêt et, le cas échéant, modifier la charge totale de remboursement ; que l'arrêt ajoute que les articles « compte interne en euros » et « compte interne en francs suisses » détaillent les opérations effectuées à chaque paiement d'échéance au crédit et au débit de chaque compte, et que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère ; que la cour d'appel a ainsi fait ressortir le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse ;

Attendu, enfin, que l'arrêt retient, sans dénaturation, que les stipulations prévoyant l'allongement de la durée du contrat et l'augmentation des règlements en euros pour permettre de payer le solde du compte, en cas de non-remboursement à l'échéance, font partie intégrante de la clause litigieuse et que le contrat fixe une double limite, de la durée supplémentaire de remboursement du prêt qui ne peut être que de cinq ans et de la majoration des règlements en euros qui ne peut être supérieure à l'augmentation annuelle de l'indice INSEE des prix à la consommation sur la période des cinq dernières années précédant la révision du taux d'intérêt ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que l'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire que la banque n'a pas failli à son obligation d'information, alors, selon le moyen, que le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente, notamment à l'aide d'exemples chiffrés, le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découle pour lui ; qu'en se fondant, pour écarter le manquement de la banque à son devoir d'information, sur les seuls termes des clauses de l'offre de prêt et en retenant qu'il ne saurait être exigé du prêteur qu'il évalue de manière chiffrée le risque d'endettement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu que l'arrêt constate que l'offre de prêt informait l'emprunteur que le crédit était libellé en francs suisses et que le capital emprunté permettrait de débloquer le montant du prix de vente de l'immeuble chiffré en euros chez le notaire ; qu'il retient que le contrat explique sans équivoque le fonctionnement du prêt en devises, détaille les opérations effectuées à chaque paiement d'échéance et décrit les opérations de change pouvant avoir un impact sur le plan de remboursement ; qu'il relève que l'emprunteur a été informé sur le risque de variation du taux de change et son influence sur la durée du prêt, l'évolution de l'amortissement du capital et la charge totale du remboursement, et que la banque a informé l'emprunteur sur le coût total du crédit en cas de dépréciation de l'euro ; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel a pu décider que la banque n'avait pas failli à son obligation d'information ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Avel - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : Me Goldman ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 4, § 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ; article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation ; article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 3 mai 2018, pourvoi n° 17-13.593, Bull. 2018, I, n° 80 (rejet), et les arrêts cités. Cf. : CJUE, arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank Nyrt. e.a, C-51/17.

1re Civ., 20 février 2019, n° 17-31.067, (P)

Rejet

Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 – Article 4, § 2 – Clauses abusives – Domaine d'application – Exclusion – Clause portant sur l'objet principal du contrat – Conditions – Clause rédigée de façon claire et compréhensible – Cas – Clause relative au risque de change – Informations à donner au consommateur – Contenu

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2017), que, suivant offre de prêt acceptée le 16 mars 2009, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme P... (les emprunteurs) un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet immo, en vue de financer l'acquisition d'un bien immobilier ; qu'invoquant l'irrégularité de la clause contractuelle relative à l'indexation du prêt sur la valeur du franc suisse ainsi qu'un manquement de la banque à son obligation d'information, les emprunteurs ont assigné celle-ci en annulation de la clause litigieuse et en indemnisation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de valider la clause litigieuse, alors, selon le moyen :

1°/ que la clause de monnaie de compte selon laquelle les versements mensuels de l'emprunteur, réalisés en euros, sont convertis dans une devise étrangère afin de procéder au remboursement du capital emprunté dans cette devise, constitue une clause d'indexation qui n'est que l'accessoire de l'obligation de remboursement en euros, prestation essentielle du contrat ; que la cour d'appel qui, après avoir relevé que les échéances du prêt litigieux devaient être payées en euros avant conversion en francs suisses afin de permettre le remboursement du capital emprunté dans cette devise, ce dont il résultait que cette clause d'indexation n'était qu'un accessoire de la prestation essentielle du contrat, a néanmoins retenu, pour refuser d'examiner le caractère abusif de celle-ci, qu'elle définissait l'objet principal du contrat, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;

2°/ qu'en tout état de cause, une clause définissant la prestation essentielle du contrat peut être regardée comme abusive lorsqu'elle n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible ; qu'en se bornant à relever, pour dire que la clause de monnaie de compte était claire et compréhensible, que l'emprunteur avait été clairement et objectivement informé, par les offres de prêt, et leurs annexes, notamment par le biais de la notice illustrant les conséquences de la variation du taux de change par des exemples chiffrés, des caractéristiques du contrat, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la description figurant à la notice permettait d'envisager les conséquences d'un décrochage de la parité aussi important que celui qui s'est produit, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;

3°/ que, dans un contrat de prêt en devise étrangère remboursable en euro, le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties résulte de ce que le risque de change pèse exclusivement sur l'emprunteur ; qu'en se fondant, pour dire qu'il n'existerait pas de déséquilibre manifeste découlant du contrat à l'égard de l'emprunteur, sur la circonstance inopérante qu'en cas d'évolution favorable pour lui du taux de change la durée d'amortissement est raccourcie sans limite, de sorte qu'il paie moins d'échéances et que la rémunération du prêteur s'en trouve d'autant diminuée, ce qui n'était pas de nature à écarter le fait que le contrat faisait peser le risque de change exclusivement sur l'emprunteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;

4°/ que la clause d'indexation prévoyait que, à raison de l'évolution du taux de change euro/franc suisse, les échéances de remboursement en euros pouvaient augmenter sans limitation durant les cinq dernières années du prêt, afin que celui-ci soit apuré à l'issue de cette période ; qu'en retenant néanmoins que l'augmentation des mensualités était capée et que le contrat fixait une double limite, de la durée supplémentaire, qui ne peut être que de cinq ans et de la majoration des règlements en euros qui ne peut être supérieure à l'augmentation annuelle de l'indice INSEE des prix à la consommation (série France entière hors tabac) sur la période des cinq dernières années précédant la révision du taux d'intérêt, la cour d'appel a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

Mais attendu, d'abord, qu'après avoir énoncé que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation, ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible, l'arrêt relève que l'offre préalable de prêt, dans laquelle s'insère la clause litigieuse, prévoit la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du crédit, que le prêt a pour caractéristique essentielle d'être un prêt en francs suisses remboursable en euros et que le risque de change, inhérent à ce type de prêt, a une incidence sur les conditions de remboursement du crédit ; qu'il en déduit, à bon droit, que la clause définit l'objet principal du contrat ;

Attendu, ensuite, que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt du 20 septembre 2018, C-51/17) que l'article 4, § 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause ; que cette exigence implique qu'une clause relative au risque de change soit comprise par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ;

Attendu que l'arrêt relève que l'offre préalable de prêt détaille les opérations de change réalisées au cours de la vie du crédit et précise que le taux de change euros contre francs suisses sera celui applicable deux jours ouvrés avant la date de l'événement qui détermine l'opération et qui est publié sur le site de la Banque centrale européenne ; qu'il constate qu'il est mentionné dans l'offre que les emprunteurs acceptent les opérations de change de francs suisses en euros et d'euros en francs suisses nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, et que le prêteur opérera la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du crédit ; qu'il énonce que l'offre indique que, s'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera moins rapide et l'éventuelle part de capital non amorti au titre d'une échéance sera inscrite au solde débiteur du compte en francs suisses, et qu'il est précisé que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels, à la hausse ou à la baisse, que cette évolution peut entraîner l'allongement ou la réduction de la durée d'amortissement du prêt et, le cas échéant, modifier la charge totale de remboursement ; que l'arrêt ajoute que les articles « compte interne en euros » et « compte interne en francs suisses » détaillent les opérations effectuées à chaque paiement d'échéance au crédit et au débit de chaque compte, et que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère ; que l'arrêt précise qu'a été jointe à l'offre de prêt une notice assortie de simulations chiffrées de l'impact des variations du taux de change sur le plan de remboursement afin d'éclairer les emprunteurs sur les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de retenir le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse ;

Attendu, enfin, que l'arrêt retient, sans dénaturation, que les stipulations prévoyant l'allongement de la durée du contrat et l'augmentation des règlements en euros pour permettre de payer le solde du compte, en cas de non-remboursement à l'échéance, font partie intégrante de la clause litigieuse et que le contrat fixe une double limite, de la durée supplémentaire de remboursement du prêt qui ne peut être que de cinq ans et de la majoration des règlements en euros qui ne peut être supérieure à l'augmentation annuelle de l'indice INSEE des prix à la consommation sur la période des cinq dernières années précédant la révision du taux d'intérêt ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche qui critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen :

Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de dire que la banque n'a pas failli à son obligation d'information, alors, selon le moyen :

1°/ que le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente, notamment à l'aide d'exemples chiffrés, le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découle pour lui ; qu'en retenant, pour écarter le manquement de la banque à son devoir d'information, qu'il ne saurait être exigé du prêteur qu'il évalue de manière chiffrée le risque d'endettement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en retenant encore qu'avait été fournie à l'emprunteur une notice contenant une simulation chiffré l'informant sur les risques liés aux opérations de change qui affecte le prêt et lui permettant d'apprécier l'influence de la fluctuation du taux de change sur le capital emprunté et la variation de la durée du prêt en résultant, en fonction d'une appréciation ou d'une dépréciation du franc suisse par rapport à l'euro, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la description figurant à la notice permettait d'envisager les conséquences d'un décrochage de la parité aussi important que celui qui s'est produit, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu que l'arrêt relève que l'offre de prêt informait les emprunteurs que le crédit était libellé en francs suisses, que le capital emprunté permettrait de débloquer le montant du prix de vente de l'immeuble chiffré en euros chez le notaire, que le contrat explique sans équivoque le fonctionnement du prêt en devises, détaille les opérations effectuées à chaque paiement d'échéance et décrit les opérations de change pouvant avoir un impact sur le plan de remboursement ; qu'il retient que les emprunteurs ont été clairement informés sur le risque de variation du taux de change et son influence sur la durée du prêt, l'évolution de l'amortissement du capital et la charge totale du remboursement ; qu'il ajoute que la banque a informé les emprunteurs sur le coût total du crédit en cas de dépréciation de l'euro ; que, de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu déduire que la banque n'avait pas failli à son obligation d'information ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Avel - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : Me Goldman ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 4, § 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ; article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation ; article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 3 mai 2018, pourvoi n° 17-13.593, Bull. 2019, I, (rejet), et les arrêts cités. Cf. : CJUE, arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank Nyrt. e.a, C-51/17.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.